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Les Six Argentiers


1.
Le Cimetière de Brinborian - Lavallière - Boréa

La porte crissa très lentement. L’entrebâillement se fit plus grand. Il laissa apparaître une haute et effilée silhouette. Bien que midi approchât, l'espace carré et exigu qui me servait de quartier général était plongé dans une semi-pénombre uniquement éclaircie par une vieille lampe tempête agonisante. Dans l'unique pièce, juste un lit, un bureau mangé aux mites, deux chaises et une armoire murale brimbalant. Éludons le désordre apocalyptique qui y régnait.

La pénombre m'empêchait de voir le visage de mon invité, mais je pus détailler quelques plis de son apparence. De longs cheveux blonds ternes lui arrivant jusqu'à la taille, des mains aux ongles vernies de bleu et serties de pierres précieuses, une taille de hanche que devait jalouser les plus grandes top-modèles. La lumière projetée par ma lampe se décalqua sur ses verres rectangulaires qui, pendant un éphémère instant, luisirent d'un éclat blanchâtre, aveugle et dément. Je devinai un sourire maculer son visage ombré. D'une main, je désignai la chaise juste en face de moi.

J'attendais sa venue, sa mère lui avait donné mon bouquet de roses. Je n'y avais mentionné aucune adresse mais je savais qu'elle me trouverait. Cela dit, son don pour dénicher l'invisible n'égalait en rien celui qu'elle avait pour dissimuler l'évidence. C'était une illusionniste de haut vol qui, pendant ces quinze dernières années, avait fait disparaître plusieurs milliards de Berry sous le nez des plus grands argentiers des Blues. La virtuose qu'elle était s'assit et me révéla son beau visage qui complétait magnifiquement bien le tableau que j'avais peint quelques secondes plus tôt. Ses yeux gris et froids fixèrent mes prunelles bleues saphir avec une telle intensité que je la soupçonnai de vouloir dévisager mon âme.

- J'espère que vous n'êtes pas armée, susurrai-je comme si je parlais à une mourante.

- Je ne suis pas stupide à ce point, trancha-t-elle d'une voix sèche et acérée. Et d'ailleurs à quoi me servirait une arme ?

- En effet. Vous, votre rayon, ce sont les chiffres. Alors parlons de chiffre, c'est ce qui vous a conduit dans ce taudis, n'est-ce pas, Mlle Aella Madoff ? Ou devrais-je vous appeler Zéro ? Ou mieux, devrais-je vous appeler Lune... Bleue ?

Elle accusa le coup, sans ciller. Apathique, totalement détachée, elle l'était mais ses yeux fixes et inexpressifs trahirent quand même un tressaillement de son esprit. J'aimais ce genre de personne, comme moi même au final, qui ne faisait cas de la douleur, de la panique ou de tout autre sentiment abusant de l'esprit l'humain. Des gens comme elle et moi ne connaissions pas ces sentiments trouble-fêtes, non, nous calculions. Toujours. Là, elle devait déjà calculer et soupeser les implications de cette nouvelle qu'elle n'attendait pas. Elle savait certes, que je l'avais percée à jour, mais elle ne pensait pas je serai allé jusqu'à savoir qu'elle était une des Lunes de Boréa. Son esprit se demandait sûrement en ce moment...

- Pourquoi vous êtes-vous installé dans ce... cimetière désaffecté ? J'imaginais un endroit plus luxueux et moins glauque pour l'agent personnel du roi de Boréa.

Ah ? Bon, d'accord, ce n'était pas la question que je pensais qu'elle se poserait là et maintenant...

- Hmmm, vous n'avez pas été sans remarquer que vos collègues et votre employeur, que dis-je, votre partenaire, ont failli me faire la peau quelques semaines auparavant quand j'occupais la suite N°2 du Septentrion Palace ? Après cette tentative d’assassinat qui fit plusieurs victimes innocentes, je décidai de migrer vers des lieux moins voyants. Mais Vous n'êtes pas venue pour parler de mon train de vie, si ?

- Non, en effet, j'étais curieuse. Extrêmement curieuse en fait. Vous avez déjoué toutes mes probabilités, échapper à tous mes principes d'incertitudes, remonté mon réseau que je pensais intraçable et pris en otage l'argent d'Ashura. C'est fini, vous avez gagné. Du réseau, il ne reste désormais plus que la tête, Lavoisier. Les N°3 et 4 sont morts et la N°2 est en face de vous.

- En vous, je me reconnais de plus en plus, ma chère ! Vous ne craignez pas de mourir ou d'être emprisonnée. Votre plus grande hantise, c'est de rester dans l'ignorance. La curiosité nous perdra, dis-je, compatissant. Et bien, je vais vous abreuver Aella, je vais vous relater une série de minimes erreurs totalement imputables à vos collaborateurs. Enfin, question de point de vue, parce que si on considère que vous choisissez vos collaborateurs alors, leurs erreurs sont les vôtres. Le facteur humain est tellement imprévisible !

Quoiqu'il en soit, je vais vous raconter de quelle manière leurs erreurs, qu'ils pensaient infimes, m'ont mis sur la trace de Prometheus, la branche financière d'Ashura et la plus vaste machinerie de blanchiment d'argent des Blues. Un réseau dans un Réseau, monté depuis quinze ans par vos soins. Qu'il me soit permis d'observer ceci, Mademoiselle.
Vous êtes une artiste.


Dernière édition par Loth Reich le Sam 16 Jan 2016 - 15:00, édité 2 fois
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Boréa - Six mois plus tôt...
2.
L'histoire de Loth débuta six mois avant sa rencontre avec la Lune Bleue. Comme toutes les autres depuis qu'il s'était installé à Boréa en début d'année, elle commença donc par une journée à peine plus givrée qu'à l'ordinaire -et pourtant, c'était censé être le "printemps"- où le binoclard se réveilla alors que le soleil dissimulé derrière les nuages hivernaux atteignait presque son zénith. Il se sentait flemmard et courbaturé.

En trois mois, il avait mis le Réseau Ashura à genou, éliminé ses plus grandes pontes, démantelé certaines de ses Cellules les plus rentables. Il était prêt de son but. Et le mener à bien tout en restant en vie nécessitait désormais de la furtivité, mais aussi de la puissance. Et pour ce faire, il avait quitté Boréa après la tentative de meurtre contre lui. Il s'était rendu sur l'ile du Karaté pour apprendre un nouveau style de combat qui devait le faire progresser dans la maîtrise de son art martial.

Ashura... Une obscure divinité d'un panthéon tout au aussi obscur. Un nom qui désignait le plus grand réseau de distribution et de contrebande de Dance Powder des Blues. Même si Loth était empêtré jusqu'au cou dans la lutte contre ce réseau, il n'oubliait pas que ce travail, bien que colossal, ne représentait qu'un fragment de la tâche que lui avait confié le roi de Boréa à savoir débarrasser le royaume du Conseil des Six Lunes, un groupuscule de marionnettistes immensément puissants et qui tiraient les réels rênes du pouvoir au pays des glaces. Une précieuse information avait permis à Loth de savoir que les Lunes se désignaient par des codes couleurs : Lune Bleue, Lune Rouge, Lune Jaune, Lune Verte et la Lune Mauve.

Alors, pourquoi chasser Ashura, si Loth avait reçu comme mission de chasser des Lunes ? Et bien, la raison en était double. Tout d'abord, il ne chassait pas Ashura dans le but de faire justice, il démantelait le réseau pour pouvoir mieux le reconstruire et s'accaparer du fructueux marché de la vente de Dance Powder. Ensuite, le boss d'Ashura, un certain Lavoisier primé à 30 millions de Berry faisait aussi partie des Lunes de Boréa. La Lune Mauve en l’occurrence d'après une info de première main. Déchoir cette Lune l'avait entraîné aux quatre coins de North Blue et mis en face avec la Faucheuse un nombre incalculable de fois. Si les autres étaient aussi teigneuses que la Mauve, Loth se dit qu'il finirait par pousser racine à Boréa, s'il n'en mourrait pas...

Sous les coups de midi, alors qu'il finissait d'avaler son déjeuner provenant directement des cuisines royales, la porte grinça et laissa entrer Dena, l'homme sans qui Loth n'aurait rien pu accomplir. Comme indic, ce type fripé comme un caneton juste éclos n'avait de pareil. Même les infos introuvables, il les trouvait. Loth travaillait avec lui depuis trois ans déjà et leur tandem faisait des miracles. Le binoclard en rapporteur d'affaires et Dena' en encyclopédie du crime ambulant, lui filant les bons tuyaux.

- C'quoi la marche à suivre maintenant ? introduisit Dena. Que dit l'journal d'Marie ? Il reste le N°2 et le N°1 d'Ashura à éliminer et l'plus vite s'ra l'mieux vu comment ils ont failli t'avoir la dernière fois.

"Marie", était Marie-Curie, une chimiste de talent, infâme génocidaire qui dirigeait la première Cellule du Réseau démantelée par Loth. Elle trouva la mort dans le combat qui l'opposa au Lieutenant Will Kelly, un allié de circonstance de Loth durant cette enquête. Dans sa cabine avait été déniché un journal de bord, un précieux sésame qui tenait lieu de livre saint sur Ashura. La génocidaire y avait fait et mentionné les détails de sa propre enquête sur l'organisation, poussée par sa mégalomanie et son égocentrisme. Les informations, parfois très claires comme le coup d'état en préparation par la branche armée d'Ashura, avaient permis à Loth d'éviter un désastre sur Boréa. Si Marie-Curie se montrait parfois loquace et explicite, elle était parfois évasive et mystérieuse, allant même jusqu'à coder certaines des infos qu'elle avait réussi à glaner. Comme si elle se doutait qu'un jour ou l'autre, quelqu'un mettrait la main sur ces infos mettant ainsi en péril la survie même de l'organisation.

- Je crois que nous avons fini de tirer tout ce que nous pouvions de ce journal, hélas.

- Nan, y a une semaine tu causais encore d'cette note en bas d'page... c'tait quoi d'jà ?

- "Elles sont Six et Unité. Six vaches à lait qui allaitent sous le chaudron de midi."

Comme je te l'avais répété, j'ai décortiqué et tourné cette phrase dans tous les sens pour arriver à la conclusion que le terme "vache à lait" désignait sans doute une activité très rentable. La plus rentable. "Six vaches à lait" serait donc susceptible de désigner les six Cellules les plus lucratives d'Ashura.

N'oublie pas que Marie-Curie était une espèce d'allumée mentale qui avait un complexe de Dieu. C'est normal qu'elle ait jalousé à mort ceux qui faisaient plus de profit qu'elle. Sa haine devait encore être plus exacerbée par le fait qu'elle fût chronologiquement la seconde chimiste du Réseau, le premier étant probablement Lavoisier lui-même.

"Elles sont Six et Unité", je ne peux que supposer que ça signifie que ces six cellules sont rassemblées en une entité fusionnelle qui les rassemblent toutes, même si cela me semble un peu gros. De ce que nous découvert jusqu'à présent, Ashura est émietté en des Cellules indépendantes dirigées chacune par un chimiste-en-chef.


- Donc si ces six Cellules font qu'une, veut dire qu'un seul chimiste les dirige ? Doit avoir plusieurs bras l'gusse... "Elles sont Six et Unité. Six vaches à lait qui allaitent sous le chaudron de midi"... Allaiter v'drait dire qu'elles déversent leur Dance sur l'monde non ? Mais c'quoi le chaudron de midi ?

- Sérieux, tu penses que je serai assis à me tourner les pouces si je savais ? marmonna Loth, déconfit par son manque de pistes probantes. Où est Nivel ?

- Aucune idée, j'suis pas son babysitteur.

- J'espère qu'il ne fait aucune connerie celui-là, il est obsédé par l'école de Niveleurs que je lui ai promise à la fin de mes activités ici...

- On s'en fout de c'te gauchiste. J'ai p't'être retrouvé la trace d'Ashura. Mais sur South Blue, ajouta-t-il en devinant l'avidité de Loth derrière son expression placide.

DRRRRRRRRRRRRRIIIIIIIINNNNNNNNNNNNNNNG !
Le mini den den mushi personnalisé de Loth brailla avec force. Son propriétaire le prit en main et décrocha tout en se demandant qui cela pouvait bien être. Une voix lente et lunatique s'éleva alors du combiné. Immédiatement, l'index de Loth croisa ses lèvres et imposa le mutisme à Dena, lui faisant ainsi comprendre que l'individu à l'autre bout du fil était compromettant pour eux.

- Le salut Reich, mon bon ! J'espère que je ne vous dérange pas !

- Non, bien sûr que non, Lieutenant-colonel. Que me vaut l'honneur de votre coup de fil ?

- Et bien, hmmmm, je ne sais pas par où commencer. Le mieux serait encore que vous veniez, car je vous contacte pour ça. Je vous invite, chez moi, ici, à Bliss.

- Sur South Blue ? demanda-t-il en fixant Dena' qui lui parlait de South Blue une seconde avant l'appel du Colonel. La coïncidence ne pouvait être anodine...

- Oui, sur South. J'ai cru comprendre que vous y êtes né et y avez passé le plus clair de votre adolescence. J'ai besoin d'un œil nouveau sur l'affaire importante dont je vous ai parlé il y a peu. Vous êtes à l'heure actuelle le plus qualifié pour me fournir l'aide que je requiers. J'espère que je me fais comprendre. La ligne n'est sûrement pas sûre, alors autant se voir face à face pour en discuter. J'ai pris la largesse de consulter les horaires de départ des transocéaniens et un ferry quitte le port de Lavallière dans deux jours pour se rendre à Bliss. Il n'y en aura plus un pendant deux semaines. Si vous envisagez d'accepter, il serait alors préférable que vous preniez celui-là. J'espère ne pas être étouffant mais un coup d’œil neuf et critique m'est plus que nécessaire. Veuillez accepter, mon bon.

Loth expira bruyamment et prit le temps d'y réfléchir. Ce n'était pas n'importe qui qui requérait son aide. Au panthéon des hommes de loi ayant le plus œuvré contre Ashura, le Lieutenant-colonel Arsène Dickson, "La Truffe" trônait au côté des plus grands, juste en deuxième position derrière le vice-amiral Swiffer Jones. Fin 1622, début 1623, il démantela successivement les Cellules Jade, Améthyste, et Obsidienne donnant un coup presque fatal à Ashura sur South Blue (du moins on le supposait). Après, cette victoire qui lui offrit une grande couverture médiatique, il fit de nouveau les unes, pour s'être soustrait d'une manière spectaculaire à une tentative d'assassinat perpétrée contre lui par le réseau. Depuis cet évènement, il disparut des médias, intimidé par les menaces proférées contre lui pour certains, travaillant d'arrache-pied dans l'ombre pour défaire Ashura pour d'autres.

Loth et lui s'étaient liés d'une certaine forme d'amitié et de respect après avoir travaillé de concert sur l'affaire de "la mort de Loth" quelques semaines plus tôt. Une affaire à l'issue de laquelle le N°4 d'Ashura, l'espion du CP5 Samory Queen alias "le Cafard" avait trouvé la mort. En partant de Boréa, La Truffe lui avait spécifié qu'elle était sur les traces du N°2 d'Ashura, le surnommé "Zéro" et qu'il échouait à le saisir depuis des années. La perspective de s'attaquer à quelqu'un qui faisait échec à un limier aussi doué qu'Arsène Dickson avait mis Loth dans un état d'extase indescriptible. Aujourd'hui, enfin, cette opportunité se présentait. Il n'avait pas à hésiter.

- Très bien, Dickson. Je ferai voile dans deux jours vers Bliss.

- A la bonne heure ! fit-il, tout joyeux, avant de raccrocher.


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3.  
- C'est quoi le topo ? Que se passe-t-il sur South Blue ? demanda Loth après le coup de fil de Dickson.

- Il s'passe qu'il pleut, un peu trop à certains endroits. Dans l'sud actuellement, c'est l'printemps, l'vrai, pas c'temps d'chiasse ici où il grêle. Cerisiers en fleur, pique-niques dans les parcs, filles en robes légères, saison des allergies, tout l'tintouin quoi. Donc une pluviométrie digne du dernier déluge, c'pas normal. Et ça se passe en mer d'Alun, fit Dena' en tendant à Loth une revue.

Concrètement, le magazine traitait de la mode féminine qui serait en vogue ce printemps-ci. De fil en aiguille, les articles en sont venus à parler du temps et de la météo en général. L'article surligné par Dena' traitait de façon non exhaustive d'une curieuse averse qui s'était abattue sur la mer d'Alun à plusieurs miles marin dans les eaux territoriales du royaume de Bliss. Il énumérait aussi d'autres averses subites de la même nature ayant eu cours durant le mois précédent. Quelques bateaux de pèches en mer profonde avaient même coulé à en croire le rédacteur qui ignorait cependant si des vies humaines avaient été perdues. Sans état d'âme, il conclut son article en recommandant Hello Bruine ! le parapluie de printemps super tendance conçu et dessiné par les maisons Femme d'Hor. Plus dubitatif qu'intéressé, Loth leva les yeux vers Dena' comme pour lui demander silencieusement : « C'est quoi cette merde ? ».

- J'sais, c't'un torchon, mais c'est l'seul papier qui parle d'ces étranges pluies. Même si à la fin, c'pour faire une stupide pub. A ta demande, j'avais tissé une toile nan ? Quelques potes météorologues pour qu'ils nous signalent toute pluviométrie anormale. Bah, en voilà une et celui qui m'a alerté a fait l'compte, y a eu dix orages subites comme ça depuis l'début d'l'année dans South Blue. 'fin dans les alentours de Bliss en fait. S'il nous a pas alerté plus tôt, c'est parce que ça s'passait en mer.

- Justement Dena', ça se passe en mer, grinça Loth en accentuant la dernière partie de la phrase. La Dance Powder coûte déjà très cher et je ne vois aucune raison sensée pour que quiconque s'amuse à en utiliser en pleine mer, sans terre en vue, en prenant en plus le risque qu'une vague de fond coule son navire. C'est tout bonnement stupide. C'est sans doute un simple dérèglement climatique.

- Haha, j't'ai connu plus ouvert d'esprit mon pote. Mais j'aime clouer l'bec des monsieurs j'sais-tout, comme toi. Tiens, instruis-toi, tu dormiras moins bête c'soir, fit-il, sarcastique en tendant à Loth un autre papier.

Pas une revue cette fois-ci mais une fiche de mission de toute évidence soustraite de manière frauduleuse dans les paperasses de la 19ème division des Marines de Bliss, celle du Lieutenant-colonel Arsène Dickson. On y parlait de la réquisition d'une flottille pour une mission en préparation en mer d'Alun. Une mission apparemment dangereuse au vue de l'armement lourd que requérait le Lieutenant-colonel. La fiche de mission datait d'une semaine tout juste avant l'étrange averse en mer d'Alun dont parlait la revue.

- Tu vois nan ? Dickson lui, pensait que quelque chose clochait dans ces pluies en pleine mer. Vrai que tu as raison et qu'il n'y aucune raison logique d'utiliser d'la Dance en mer mais ça se passe ! Donc, là, on doit s'd'mander c'qui s'tracasse. Mais ça, c'ton travail, pas l'mien. Remarque aussi que Dickson savait sûrement à l'avance qu'un truc comme ça surviendrait dans c'te mer, voilà pourquoi, il préparait c'te mission et le lendemain, BAM ! Il a plu averse en mer d'Alun. C'qui s'est passé ensuite, je l'ignore, j'ai plus eu de n'velles du gratte-papier qui m'a envoyé la fiche. Il devait embarquer pour c'te mission, p't'être qu'il y est mort. M'est avis que c'pour ça qu'le Colonel te mande.

Loth acquiesça du chef et considéra la problématique. Il se dit que Dena avait sûrement raison et qu'il avait été stupide de considérer ces pluies comme anodines. Par le passé, il avait suivi des pistes bien plus maigres et plus farfelues que ça. Ces pluies n'étaient pas des conjectures, c'étaient des faits.
Dena' avait raison sur toute la ligne. Loin d'être banales, ces pluies pouvaient s’expliquer par la présence d'une Cellule Ambulante du Réseau montée sur un bateau laboratoire qui rejetterait de la Dance dans l'atmosphère pour X raisons... Et d'après son expérience personnelle, les bateaux-laboratoires d'Ashura étaient constamment protégées par au moins un quatuor de caravelles lourdement armées. Le Lieutenant-colonel s'était-il fritté avec une Cellule Ambulante ? Questions et hypothèses se bousculaient de nouveaux de le cerveau de Loth et le binoclard se sentit revivre.

- Voilà ! J'aime mieux ça, la flamme de l'aventure brille à nouveau dans tes yeux. C'sera sûrement dangereux, tu vas amener Nivel, ou Avada ?

- On m'a demandé ? fit l'androgyne tueuse à gage en sortant de l'ombre.

Elle/Il était dans le salon depuis le début et Dena qui n'avait pas remarqué son absence sursauta, la main sur le cœur. La furtivité était son fort et Avada avait l'habitude de dire que si elle était aussi discrète c'était parce qu'elle était déjà morte. Avec une prime de 45 millions de Berry, celle qu'on surnommait "Bobcat" était réputée être l'un des meilleurs snipers des Blues ou sinon le meilleur. Depuis un moment, au même titre que Nivel et Dena, elle secondait Loth dans ses affaires en échange de gracieux contrats.

- Oui, Avada, tu viens avec moi à Bliss. Mais, tu y vas avec tes propres moyens, pas avec la transocéanienne, je ne veux pas qu'un quelconque lien puisse être fait entre toi et moi. Y a déjà la commandante de la 444e Division des Marines de Boréa, Midnight Bee, qui me soupçonne de lien avec Nivel et toi. Dickson m'apprécie sans méfiance alors je ne vais sûrement pas donner l'occasion à ce fin limier de se plancher sur mon cas où je risque d'être vraiment dans la merde. J'irai seul et me débrouillerai sur place. Garde l'escargophone près de toi, cela dit, sûrement te contacterais-je. Mais en attendant ce moment, fais ce que sais tu faire de mieux.

- Tuer ?

- Mourir.



Dernière édition par Loth Reich le Sam 16 Jan 2016 - 15:24, édité 1 fois
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Bliss. Mars 1626

4.
Cinq jours après son départ de Boréa, Loth descendait de la transocéanienne et pour la première fois, foulait le territoire de Bliss à son point le plus névralgique, sa capitale Portgentil, la cité cosmopolite.
Point de dépaysement, point de choc des cultures, il se sentit immédiatement comme chez lui. Ces nouvelles couleurs et odeurs rendaient ses sens euphoriques, il aimait le brouhaha ambiant qui rendait indifférencié un appel à l'aide d'un marchandage. Il se sentait dans son élément dans les docks surpeuplés de gens d'horizons divers et d'occupations toutes aussi variées. Venus des quatre coins des Blues voir même de Grand Line, attirés par la florissante industrie de construction navale qui faisait la renommée Bliss, ils avaient fait de Portgentil un carrefour des cultures. Cette industrie était le cœur même de l'économie de l'île et presque toutes les activités du royaume tournaient autour.

Jouant des coudes et des épaules pour se frayer un passage, Loth emprunta la venelle juste en face du quai où il avait débarqué. Il y avait des gens partout et comme il s'y était attendu, Loth sentit bientôt un corps étranger se glisser dans la poche latérale de son pantalon. Une ville sans voleur à la tire était une ville sans âme, se dit Loth qui se demanda un instant s'il ne devait pas laisser cet inconnu lui faire les poches. De toute façon, il n'y avait que quelques misérables Berrys...

- Aïe ! couina un jeune garçon à droite de Loth.

Le binoclard se retourna, amusé et vit une main ferme agripper le poignet du jeunot. Ce dernier tentait de s'enfuir et se débattait en vain comme un beau diable dans la poigne redoutable du Lieutenant-colonel Arsène Dickson qui l'avait pris sur le fait. Indifférente à ce spectacle plus que commun, la foule déambulait, rigolait, discutait. Immobiles au milieu, les trois individus semblait nager contre le courant.

- Lâchez-le Arsène, s'il vous plait, il ne doit pas avoir plus de onze ans. Moi-même, je faisais les poches à cet âge-là... rigola Loth.

- Ah bon ?

- Voler et racketter n'est pas en option quand on grandit dans le Cimetière d'épave. Ça devient une seconde nature. Tiens, voici trente milles Berry pour toi, acheva-t-il en tendant au bambin une liasse de billet dont il s'empara une fois libre de l'étreinte du Lieutenant-colonel puis détala sans merci et sans demander son reste. Hahaha, j'aurai fait de même, j'aurais fait de même...

- Vous semblez de bonne humeur, mon bon, fit Dickson en tendant une main à Loth que ce dernier s'empressa de serrer.

Lt-Colonel Arsène Dickson "La Truffe"

- Après le froid de Boréa, je suis content d'être dans la chaleur de Bliss. Chaleur naturelle, et humaine, ajouta-t-il en regardant passer un troupeau de filles habillées à la manière tendance du printemps qu'il avait lu dans la revue de Dena'.

Loth remarqua aussi que beaucoup de filles étaient équipées du parapluie Hello Bruine ! conçu par les stylistes Femme d'Hor conseillé par le magasine. Quelqu'un se faisait apparemment de l'argent indirectement grâce à la Dance.

- Je crains que nous n'ayons le temps de profiter des joies du printemps, commenta Dickson qui avait vu le regard de Loth suivre les jeunes femmes aux formes généreuses. Venez, suivez-moi. Il y a deux bases ici à Portgentil à cause de l'importance très stratégique des chantiers navals. La mienne, la 19 ème division, construite en partie sur pilotis a la charge de contrer toute menace maritime. Patrouille en haute mer, lutte contre la piraterie, protection des ports et chantiers, telles sont nos attributions. La seconde base, la 54ème division plus en retrait se charge de la sécurité de l'île à l'intérieur de ses terres, expliqua-t-il à un Loth tout-ouïe.  

Il était dix heures passées. Le ciel était d'un bleu azur strié de nuages blancs. Le temps était clément et l'atmosphère empli d'une senteur florale. Leur promenade à travers Portgentil durait depuis une vingtaine de minutes. Ils longeaient à présent une partie tranquille et moins bondée du littoral qui avait été transformée en plage de plaisance. Parasols, transats, glacières et autres accessoires de plage avaient été installés sur le sable blanc. Sous les ombrelles lézardaient des femmes en maillot deux pièces et des hommes en culottes. On aurait plutôt dit un cliché de l'été, pas du printemps. Tout ici respirait la paix et la quiétude, loin de l'embouteillage du port principal.

- Pourquoi la 19eme est-elle loin du port et des chantiers ? Vous n'avez pas un temps de retard dans la réaction rapide en cas d'attaque ?

- L'urbanisation s'est faite de manière chaotique au début de l'érection de la ville si bien qu'après, la Marine n'a trouvé qu'un espace à sept kilomètres en amont de la baie pour ériger sa base semi-aquatique. Cela n’empiète en rien sur notre réaction vu que des navires sont en permanence en patrouille comme je vous l'ai dit.
Sinon, avez-vous une idée précise de la raison de votre venue ici Reich ?
demanda-t-il, jaugeur.

- Ashura, naturellement.

- Mais encore ?

- Sûrement en rapport avec les récentes et subites averses qui se sont abattues un peu partout en haute mer ces derniers temps. Le point focal, c'est que ces curieux dérèglements climatiques se passent tous dans les eaux territoriales de Bliss et nul par ailleurs dans South Blue, répondit Loth paisiblement, malgré qu'il prît la question du Lieutenant-colonel pour ce qu'elle était : une sorte de petit défi.

Même si Dickson requérait effectivement son aide parce qu'il butait sur l'affaire, il ne pouvait malgré tout pas s'empêcher de considérer cette collaboration comme un concours. Collaboration étroite certes, mais un jeu, une épreuve pour savoir lequel des deux était le meilleur. C'était ainsi que fonctionnaient les limiers et après l'affaire de la Mort de Loth où La Truffe avait remporté la manche et menait au score, Loth avait hâte de rendre la pareille à son compère.  

- Vous êtes bien informé, j'en suis satisfait. Mais vous ne savez pas à quoi rime tout ça, je me trompe ? Vous cogitez, vous vous interrogez et vous dites "pourquoi quelqu'un ayant toutes ses facultés mentales iraient utiliser de la Dance en mer" n'est-ce pas ?

- Oui, même si j'ai pensé à une Cellule Ambulante du Réseau, avoua Loth sans gêne.

Arsène Dickson hocha du chef et traîna Loth sur la plage. Au loin, se profilait la silhouette d'une forteresse bâtie à flanc de rocher dont les soubassements empiétaient sur la mer.


Plus que des soubassements, c'étaient en fait des espèces de jetées en béton, certaines dépassant surement le kilomètre de long. Elles s'enfonçaient loin des côtes, dans la mer semi-profonde où des croiseurs et des frégates de la marine y étaient ancrés. Loin en haute mer, se découpant sur l'horizon, Loth vit les ombres floues de mastodontes qu'étaient sûrement les cuirassés.  
Au lieu de se diriger vers sa base, Dickson enleva ses chaussures et se précipita dans les vagues venues mourir sur la côte. Cet endroit du littoral était plus sauvage, vide de monde et jonché de détritus charriés par les courants. Il revint quelques instants après avoir pataugé, le regard brillant d'un plaisir enfantin. A la surprise de Loth, quelque chose frétillait dans sa main droite.  

- Salvelinus fontinalis, fit-il en jetant deux poissons vivants sur le sable. Omble de fontaine ou encore saumon moucheté, une espèce assez commune en cette période, près des côtes. Il est de coutume sur Bliss de partager des fruits de mer pour sceller une amitié ou une alliance, comme on partage des coupes de sakés à East Blue.

Puis sans cérémonie aucune, il se mit à ramasser du bois flotté sur la plage. Il érigea un fourneau maison à l'aide de deux grosses pierres marines puis y entreposa le petit bois. Des copeaux de noix de coco servirent d'amadou au feu qu'il alluma. Une minute plus tard, il vida les saumons au couteau de poche, les rinça dans l'eau de mer, les embrocha puis les déposa sur le feu. Loth l'avait observé en silence, assis à même le sable, intrigué et fasciné par ce curieux personnage. Ils observèrent la mer dans le calme pendant un moment puis quand les poissons se mirent à grésiller répandant une affamante odeur de grillade, Dickson reprit la conversation.

- Dans la base, nous attendent cinq individus que j'ai écroués depuis une semaine. Je ne les ai pas encore interrogés, je vous attendais pour ça. Tout le long de cette affaire, vous serez un consultant de la marine comme vous l'avez été par le passé et à ce titre, je vous autorise à procéder à des arrestations. Bien sûr, vous êtes autorisé à utiliser la force, mais uniquement en cas de légitime défense ou pour appréhender un suspect qui d'aventure se montrerait violent. La force comme moyen de pression ou de torture est formellement proscrite.

- Bien noté. Les suspects écroués, que leur reprochez-vous ?

- Ces messieurs formaient l'équipage du Crabe Bouilli. Et je les suspecte d'être des clients du Réseau Ashura, donc d'une de ses Cellules. Une semaine plus tôt, quand je vous ai contacté sur Boréa, je venais tout juste de les capturer en mer d'Alun. D'infimes résidus de Dance ont été trouvé dans leurs cales. Je suis arrivé trop tard, ils avaient déjà utilisés leur stock.

- Je vais avoir le fin mot de cette histoire alors, déclara Loth souriant. Pourquoi diable quelqu'un déclencherait-il une pluie en pleine mer ?

- Pour pécher voyons, répondit Dickson amusé et conscient que sa réponse était farfelue. Tenez, c'est cuit à point, vous m'en direz des nouvelles, fit-il en donnant à Loth un saumon bien frit. A une enquête prospère ! toasta-t-il en levant son poisson en l'air.

- A la mort d'Ashura ! reprit Loth. Hmmm, délicieux !

- Je vous l'avait dit. Ces saumons mouchetés sont les meilleurs en cette saison. Faciles à pécher, en surnombre, et très nourrissants. Mais nous parlons là d'un poisson plus que commun, à cinquante centimes de Berry le kilo. Les saumons mouchetés ont un cousin, le Salvelinus voluptatem, plus communément appelé l'omble drogué ou saumon orgasme.

- Pardon ? demanda Loth, sûr d'avoir malentendu.

- Le saumon orgasme, fit Dickson avec un sourire en coin, est une espèce exclusivement endémique des eaux de Bliss. Sa chair une fois consommée, à en croire les gourmets, déclencherait un "orgasme culinaire". Ce qui est scientifiquement avéré, c'est que la chair de ce poisson contient un principe actif qui stimule les zones de récompenses du cerveau et libère en abondance de la dopamine. C'est le même mécanisme de récompense quand on consomme une drogue par exemple, d'où l'autre nom de cette créature, "l'omble drogué". Consommer ce poisson fréquemment peu rendre addictif. Et comme l'être humain a le chic pour priser ce qui le détruit, au marché noir, l'ombre drogué frôle le prix démentiel d'un million de Berry, le kilo... expliqua-t-il en secouant la tête comme s'il n'y croyait pas non plus.

- Fascinant... Mais pourquoi au marché noir ? Attendez, inutile de répondre. Si sa chair est aussi goûteuse, je suppose que ce poisson a été péché jusqu'à la l'extinction ou presque et que maintenant, sa pèche est interdite pour préserver l'espèce ?

- Tout à fait. Pécher du saumon orgasme est passible de dix ans de prison de nos jours. La pèche industrielle à tellement décimé l'espèce qu'on en voit plus à l'état sauvage ou en jetant simplement son filet. Et c'est là, qu'entre en scène la Dance Powder. En provoquant une soudaine et violente pluie en mer profonde, les braconniers déclenchent le vent qui réintroduit de l’oxygène dans l'eau et abaisse la température ambiante. Ainsi fait, les insectes aquatiques et plus précisément les punaises d'eau, jouissent alors des conditions nécessaires pour émerger de leur carapace nymphale et pour s’échapper à l’air libre. Par millions. A partir de là, l'équation devient simple : les saumons orgasmes sont friands de punaises d'eau et cette profusion soudaine de leurs mets favoris les attire en masse, fin, pour ce qui en reste encore en mer. Nos braconniers n'ont plus qu'à tendre leurs filets. Voilà toute l'astuce et le fin mot de ce mystère : ils font pleuvoir en mer pour faire éclore des insectes qui a leur tour attirent un genre rare de poisson. Du déclenchement de l'averse aux jets de filets, l'opération durent environ une semaine.

- Génial ! concéda Loth. Même en un million d'années, je n'aurais pu deviner cela tout seul.

- Ils appellent cela "la pèche à l'eau". Poétique. Dans la cale de leur navire, j'ai saisi une caisse pleine à ras bord de saumons orgasmes, de quoi engranger près de 50 millions selon nos experts. En extrapolant avec la même moyenne de prise sur les dix étranges et subites orages dénombrés, ils ont dû empocher près de 500 millions brut depuis le début de l'année. On m'a menti à l'académie de Marine, Loth Reich, le crime paie, rigola Dickson.

- Sûrement, répondit Loth souriant, tout en se demandant pourquoi se tuait-il à conquérir Ashura alors qu'il y avait des affaires aussi rentables... Du coup, notre tâche revient maintenant à interroger les cinq membres d'équipage du Crabe Bouilli pour savoir où ils ont acheté la Dance ? Mais après une semaine, ne craignez-vous pas que leur fournisseur se soit envolé ?

- Ne vous inquiétez pas, j'ai de solides raisons de penser qu'il est encore dans le coin. Regardez là-bas, fit-il en pointant son long majeur en direction du pont qui reliait la terre à la base de la 19ème.


- C'est vraiment une manifestation, remarqua Loth en arrivant sur le pont. Ils ont des pancartes, banderoles et tout. C'est qui ? Pourquoi ils manifestent contre vous ?

- C'est Green World. Et ils ne manifestent pas contre la marine. C'est une association de défense écologique, spécialisée dans les opérations coups de poing pour protéger les ressources naturelles. Un de leur bateau était en mer d'Alun et aux prises avec le Crabe Bouilli au moment de mon coup de filet. Ils semblerait qu'ils pistaient les braconniers. Vous me demandiez plus tôt pourquoi j'étais sûr qu'après une semaine, le vendeur de Dance n'avait pas pris la poudre d'escampette ? Green World est une des raisons.

Voyez-vous, il n'y a que trois personnes qui savent réellement pourquoi j'ai mis l'équipage du Crabe Bouilli au fer. Vous, moi et Mme Cocorico, le chef de l'équipe scientifique de la marine à Bliss. Et entre nous, le meilleur qui soit dans cette partie de l'océan. Pour les autres, y compris pour Green World, l'équipage est accusé de braconnage en haute mer aggravé d'acte de piraterie pour avoir voulu s'emparer avec force du navire de l'association. Pour vous dire, même l'équipage du Crabe Bouilli ignore que je les ai arrêtés en réalité pour l'utilisation de la Dance Powder. La semaine qu'ils ont passé à mijoter sans visite les a rendu tendus et anxieux au maximum, prêts à être cueillis donc.


- Donc s'il voulait s'enfuir, le vendeur de Dance aura reconsidéré sa position, parce qu'une semaine durant, il n'a pas été inquiété.

- Oui, lui aussi doit avoir repris ses aises. Il doit se dire que ses clients ont vraiment été chopés pour une affaire de pèche illégale et qu'ils ne le balanceraient pas. Donc, il serait temps que nous fassions sa connaissance. Mais pour ça, il nous faudra d'abord parler avec l'équipage. Voulez-vous les cueillir avec moi ?

- Mais avec grand plaisir, répondit Loth.
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5.
- Sergent Folks ! C'est quoi ce bazar ?!  

Le Lieutenant-colonel ne faisait pas référence à la marée humaine protestataire que Loth et lui avaient dû braver pour entrer dans la base. Les militants de Green World étaient plus d'une centaine, agglutinés en une masse compacte braillante, hurlant à la pendaison et condamnation des braconniers des mers. Une fois les massives portes blindées franchies, Arsène et Loth avaient eu la surprise de constater qu'à l'intérieur de la base régnait une effervescence comparable à celle de l'extérieur. Les marines se hâtaient dans toutes les directions, la plupart mouillés comme s'ils venaient de faire trempette dans leurs uniformes de service.

- F..fuite d'eau, mon Colonel, répondit le sous-officier, trempé et frigorifié.  

- Comment ça "fuite d'eau" ? Explicitez Sergent !

- Les canalisations du Niveau 2 ont cédé d'après les plombiers.

- Comment cela a-t-il pu se produire, n'êtes vous pas en charge de la maintenance de la base ? Et d'ailleurs, n'ai-je pas signé il y a trois jours des factures relatives à des travaux sur ces mêmes tuyauteries du deuxième ?

- Oui, oui... bredouilla le sergent, déconfit. Il semblerait que... le travail ait été mal fait, dit-il en choisissant bien ses mots sous le regard impérieux de Dickson.

- Donc, l'état des lieux ?

- Tout le Niveau 2 est inondé, monsieur. Nous tâchons de colmater les fuites et …

- Assez. C’est contrariant. Le Niveau 2 comporte les salles d’interrogatoires, expliqua-t-il à Loth. Réaménagez moi en priorité absolue la vielle salle A5. C’est la seule salle encore équipée et susceptible de servir de lieu d’interrogatoire. D’ailleurs, ça devrait jouer en notre faveur, se ravisa Dickson en esquissant un sourire.

- Pourquoi donc ?


6.
Loth comprit une heure plus tard pourquoi la salle A5 serait bénéfique pour leur interrogatoire. Réaménagée en toute urgence, maladroitement débarrassée de ses crasses, de ses moisissures et algues, la salle n’en demeurait pas moins inhospitalière et d’une violente intimidation. Située dans les catacombes de la base, elle avait été taillée dans la falaise qui supportait la 19ème. Représentante d’un passé révolu, l’A5 aurait des tonnes de choses à raconter si elle pouvait parler, se dit Loth qui contemplait avec admiration les menottes chaînées suspendues au plafond et aux murs. Elles y rouillaient depuis des années, de même que les dizaines autres instruments de tortures qui constellaient le caveau. Cet endroit avait vu souffrir plus d’un.
Les hommes de Dickson y avaient installé une table et deux chaises disposées du même côté, celui des interrogateurs.

- Ma recommandation, fit Dickson. Pour donner le ton. Au lieu de chaises dotées de menottes, je pense que les faire tenir debout, sans le confort minimum que consiste l’acte de s’asseoir leur donnera l’impression d’être jugés, rigola-t-il.
Maintenant, Sergent Folks, amenez-nous les suspects, un à un, du moussaillon au capitaine et qu’ils ne se parlent pas et… Que fabriquez-vous Sergent ?!

Le sous-officier arriva avec un plateau de bâtonnets de poulets. Il s'en suçotait d'ailleurs quelques tranches, inattentif aux ordres de son Colonel. Sous le regard sévère de Dickson, il crut bon de marmonner « chai l’vieux Alg qu’a'porter ça », ce qui ne fit qu'empirer son cas. Heureusement pour lui, la personne susceptible de lui éviter un renvoi immédiat déboula dans les cachots chargée d'un caisson de rafraichissements en bouteille. C'était un homme d'un âge très mur, à la voix profonde et grave. Mais tous les détails de son corps étaient insignifiants face à son ventre impressionnant. Pendant un instant de sarcasme, Loth pensa demander s'il attendait des sextuplés mais se ravisa et rigola intérieurement.

Alg Hor

- Désolé de m'incruster, Colonel Dickson ! déclara l’homme à la voix de ténor. J'ai apporté à manger et à boire à la garnison, ma façon de soutenir et de remercier les troupes pour la capture de l'équipage du Crabe Bouilli.

- Euh... mâchonna Dickson visiblement gêné par cette attention. Merci, monsieur Hor.

- Je vous en prie. Alg, ça devrait suffire. Vous n'êtes pas un marine, vous, n'est-ce pas ? demanda-t-il à Loth, intéressé.

- Loth, je vous présente Alg Hor. C'est le président fondateur de Green World mais aussi un des plus grands mécènes et donateur de la marine à Bliss. Hor, Loth est un consultant privé venu m'aider sur cette affaire épineuse.

- Enchanté. C'est à vous qu'on doit la marée humaine devant la porte ? demanda Loth en tendant une main chaleureuse que Hor serra avec grand sourire.

- C'est dur de calmer les ardeurs des militants. Si ça ne tenaient qu'à certains, les braconniers seraient déjà pendus par les quatre fers... Ils sont échaudés, c'est tout. Merci de l'aide que vous apportez alors, Consultant Loth.

- Et vous, M. Hor ? Vos militants veulent pendre ces pêcheurs. Et vous ?

- Moi ? Je veux que la procédure légale suive son cours. A mon goût et à celui de Green World, le braconnage d'espèce en grave voie d'extinction n'est pas encore assez sévèrement puni. La sentence de mort pourrait être très dissuasive. Et c'est pour ça que nous nous battons. On peut vous condamner à mort pour le simple fait d'arborer un drapeau noir sur votre bateau même si vous n'êtes qu'un gamin, mais décimer des créatures qui existaient bien avant les humains, ça non ! exposa-t-il, amer et dégoûté.

- Loth, je crois qu'on devrait laisser Alg à ses affaires et nous concentrer sur notre travail, mais je prendrai avec plaisir ces bâtonnets de poulet. Venez ici, Sergent Folks, ne soyez pas goinfre !

- Non, Arsène, je crois que M. Hor est venu jusque dans ces caves pour vous parler, pas uniquement pour nous rassasier et étancher notre soif. J'en tiens pour preuve cette enveloppe qui dépasse de l'intérieur de son manteau. Et puis, personne ne porte un aussi épais manteau par ce printemps radieux, à moins d'y dissimuler des choses.

- Il va faire du bon boulot, Colonel, je vous le dit. Très observateur ! Oui j'avoue, je suis venu vous exposer des éléments de preuves qui ne doivent pas être connus tout de suite, de peur de déclencher un véritable scandale, dit-il d'une manière  "conspirationniste" qui passait mal à cause de sa voix lourde et haute en timbre.

- Vous tombez bien alors M. Hor. Depuis que le Colonel m'a dit qu'un bateau de Green World était sur les lieux de l'arrestation de l'équipage du Crabe Bouilli, je voulais vous poser quelques questions. Veuillez nous suivre,  fit-il en tendant une main vers le cachot réaménagé en salle d'interrogatoire.

- Mais non Loth, on ne va pas interroger une personnalité publique telle que M. Hor dans ce lieu de torture de jadis ! intervient Dickson, choqué. Venez plus tôt dans mon bureau, Alg, vous y serez comme chez vous.

- Noon, ne vous mettez pas en quatre Colonel. On y sera bien d'ailleurs dans ces cachots, loin d’éventuelles oreilles indiscrètes écoutant aux portes. Tant que vous n'avez pas l'intention de me torturer, ça me va, horhorhorhorhor ! rigola-t-il.

Malgré sa bonne humeur, il entra dans la pièce avec une certaine appréhension à cause des nombreux outils de torture qui y rouillaient -à moins que ce ne fût à cause de son ventre qui l’alourdissait-. Quand il franchit l’encadrement de la porte taillée dans la roche, il s’emmêla les pieds, trébucha et s’étala de tout son long sur la roche humide envahie d’algues. De sa poche intérieure s’échappa l’enveloppe repérée par Loth. Celle-ci s’ouvrit et éparpilla sur le sol une quinzaine de photos. Maudissant sa maladresse, Hor se releva aidé par Loth tandis que le Colonel ramassait les clichés.

- Ce sont vos lacets, lui fit remarquer Loth. Ils sont dénoués, vous avez marché dessus. Tenez, asseyez-vous là et essuyez vous.  

- Vous allez bien ? intervint Dickson, tout à coup inquiet. Vos pupilles sont très dilatées.

- Oui, oui, marmonna Hor. Juste ma vieille arythmie congénitale qui recommence. Il suffit que j'ai un peu peur ou sois sujet à un soudain ressenti pour qu'elle fasse des siennes. Je vais prendre mes comprimés. C'est rien, horhorhorhorhor !

Pendant qu’Alg Hor se penchait en dessous de la table pour nouer les lacets de ses souliers, après avoir avalé des comprimés contre sa maladie, Arsène et Loth se concentraient sur les clichés apportés par le militant. C’étaient des photographies provenant d’une discrète surveillance de l’équipage du Crabe Bouilli bien avant son embarcation pour la mer d’Alun une semaine plus tôt. Les deux limiers se montrèrent avidement intéressés tout à coup par les images, torturés par une seule question : Green World avait-il pu saisir, sans le savoir, l’image du fournisseur de Dance Powder du Crabe Bouilli ?
Les photographies étaient éloquentes, montrant l’équipage à plusieurs endroits de Portgentil, mais principalement sur les docks. L’objectif s’était plus concentré sur le capitaine qu’on pouvait voir aider ses subordonnés à transporter des caisses et des sacs sur le Crabe Bouilli, ou négocier avec X ou Y. En tout, les images le montraient en parlotte avec quatre individus qui pouvaient tous prétendre être le fournisseur de Dance Powder. Ces photos avaient besoins d’être profondément analysées.

- Oh mais c’est… murmura Dickson, les sourcils froncés.

- Et oui Colonel ! s’égaya Alg Hor qui semblait revenir d'un combat acharné contre ses lacets. Vous avez mis la main dessus, vous savez maintenant pourquoi je faisais tant de mystère avec le manteau et tout pour ne pas qu’on me soupçonne d’avoir des preuves. Sur la photo que vous avez, c’est Mat Grantz, troisième du nom.

- Qui est ce type ? demanda Loth en prenant la photo qui affichait le capitaine du Crabe Bouilli sur le pont de son navire en compagnie d’un homme aux longs cheveux blonds richement habillé.

- Mat Grantz III est le frère du roi de Bliss.

- Et comme vous pouvez l’imaginer, très puissant, reprit Hor. Je n’ai pas encore révélé cette image à la presse, mais une fois fait, le scandale sera terrible ! Terrible ! Penser que la famille royale engagerait des braconniers pour contourner les lois qu’elle a elle-même instauré ! Scandaleux ! beugla-t-il. C’est pour ça que je suis venu vous voir, Colonel Dickson. Je sais que vous êtes un pitbull -pardonnez moi la comparaison-, mais ce que je veux dire par là, c’est que quand vous tenez une proie, vous ne la lâchez jamais ! Je sais aussi que vous êtes contre tous les lobbys et que vous ne vous ferez jamais acheter au cas où l’affaire sera publiée. Dans l’immédiat, je n’ai d’autres preuves que cette photo et ça peut facilement se démolir.

- En effet. Il leur suffira de dire que Mat et le capitaine sont de vieux amis et que le prince tentait de le détourner de son côté obscur...

- Voilà, donc ce qu’il nous faut pour faire plonger Mat, ce sont des preuves solides ! Et vous seul pouvez les trouver.

- D’accord, merci de votre confiance. Je vais devoir garder les clichés et nous allons travailler dessus.

- Bien sûr, allez-y. Je les ai amenés pour ça, dit Hor, visiblement très soulagé de la réponse d’Arsène.

- Moi, je ne comprends pas, fit Loth dubitatif et soupçonneux. Pourquoi, pourquoi en effet avoir attendu tout ce temps pour faire part de vos preuves à Dickson si vous êtes si convaincu que lui seul puisse faire la lumière et confondre ce noble ? De quand datent ces photos précisément ?

- De deux semaines. Vous n’êtes pas familier de Bliss, Reich, vous ne pouvez pas comprendre. Le Colonel vous l’expliquera mieux que moi, mais pour faire simple, à Green World, nous ne faisons pas confiance à la marine. Je lutte depuis dix ans contre la pèche illégale et la protection des espèces rares mais il a fallu l’arrivée du Colonel Dickson il y a quatre ans pour que nos relations avec la marine changent un peu. Lui, il est sensible à nos préoccupations et lutte avec acharnement pour la protection des espèces quand les autres officiers nous prennent pour des allumés. Vous vous étonnez qu’on cherche d’abord des éléments de preuves nous même ? C’est ce que nous avons fait durant ces deux dernières semaines, nous avons enquêté sur les relations entre le prince et le capitaine mais comme ça n’a rien donné, nous nous tournons vers le seul officier qui nous est favorable et par chance, incorruptible. Vous aviez des questions à me poser sur notre présence en mer d’Alun, aviez-vous dit ?

- Non, c’est bon, ces photos y répondent largement. Merci M. Hor.


7.
- Que pensez-vous de lui ? demanda Dickson après le départ d'Alg Hor.

- Drôle de personnage. Et en plus, j'ai l'impression de l'avoir déjà vu ou entendu parler de lui quelque part sans savoir où... Alg Hor, Alg Hor, Alg Hor... répéta Loth comme si ce simple fait allait lui raviver la mémoire et ça marcha. Oui, oui, Hor ! Femme d'Hor ! Je trouvais l’orthographe étrange. C'est une maison de stylisme ici à Bliss, je crois ? Celle qui fait les parapluies "Hello Bruine !". Je l'ai lu dans une revue.

- Oui, tout à fait. C'est en fait la plus grande agence de stylisme et de mannequinat de l'île. Quand je suis arrivé ici y à quatre ans, Femme d'Hor ne faisait que dans la photographie et ça reste leur activité première. Ce qui fait, comme je vous l'avais dit, de Hor un homme très riche et très influent qui met son pouvoir au profit du bien de la nature mais aussi de la Marine.

- Oui, un philanthrope, je vois... En tout cas, y a quelque chose chez lui qui ne me plait pas.

- Sa passion,  peut-être ? suggéra Dickson. Alg Hor est un homme très passionné par sa cause et la défend bec et ongle, c’est ça que j’aime chez lui.

- Il n’y a qu’un pas entre passion et fanatisme, renchérit Loth qui n'arrivait pas à chasser l'impression que Dickson lui cachait quelque chose à propos d'Alg Hor. Impression confirmée par le fait que malgré qu'il eût prit les bâtonnets du poulet amenés par le mécène, Dickson n'en mangea jamais...

- S'ils étaient fanatiques et extrémistes, croyez-moi, je n’aurais jamais arrêté l’équipage du Crabe Bouilli intact. Green World était sur les lieux avant mes hommes et moi, ils se sont contentés de les asperger de canon à eau pour les empêcher de pêcher, là où d'autres auraient utilisé des canons à poudre. Il apparait aussi qu'Alg Hor ne sait rien de la Dance Powder mais ces clichés peuvent avoir saisi le revendeur… On voit le capitaine parler avec quatre personnes y compris Grantz III. Je vais mettre mes meilleurs hommes sur le coup pour nous trouver le maximum d’infos sur eux. Que Grantz III finance la pêche illégale, ça va, il va juste se faire taper sur les doigts par le Roi qui est un homme très intègre. Mais s’il s’avère que c’est un homme d’Ashura…

- Bonjour le scandale du siècle ? Questionnons l’équipage du Crabe Bouilli alors.
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8.
L’interrogatoire des cinq membres d’équipages débuta un moment après. Assis, impérieux derrière large table en bois d’if, Arsène et Loth mitraillaient d’un regard menaçant les suspects qui passaient à tour de rôle. Conformément à la volonté de Dickson, ils avaient eu toute une semaine pour mijoter, enfermés dans des cellules individuelles, sans contact les uns avec les autres. Ils n’avaient eu aucun moyen de se mettre d’accord sur une défense commune, à moins qu’ils ne l’eussent fait avant leur arrestation. La salle A5 était aussi une très bonne idée qui eu un effet immédiat sur le premier à être interrogé, le moussaillon de l’équipage. Debout devant ses juges et peut-être bourreaux, du moins, c’était surement ce qu’il avait dû se dire en voyant les milles et un instrument de torture du cachot, le jeunot de quatorze étés qu’il était trembla comme une feuille sous la bise. Larmes et pisse survinrent inévitablement après. Aux questions d’Arsène et Loth, il jura ses grands dieux -ses yeux fixés avec horreur et dégoût sur une petite faucille de laquelle pendait un enchevêtrement d’algues qu’il prit surement pour un scalpe- qu’il avait intégré l’équipe la semaine même et qu’on lui avait proposé cent mille Berry pour trois jours de travail. Étant un enfant des bas quartiers qui n’arrivait même pas à se faire quarante milles de l’an, il accepta sans se faire prier.

- Et la pluie alors ? Tu ne t’es pas demandé comment elle est survenue ? Le temps était calme quand vous êtes arrivé sur les lieux de la pêche non ? Mais tout à coup après, ça ne s’est pas gâté ?

- Oui, oui, m’sieur. Mais c’la mer qui veut ça… L’climat bouge très vite en mer… C’est c’qu’a dit l’cap’tain’.

Il s’avéra qu’il ne savait rien du tout et qu’il n’avait aucune notion de navigation. Son embarquement sur le Crabe Bouilli était son vrai premier séjour en mer et toutes les manœuvres de l’équipage lui étaient apparues comme de la magie. Arsène décida de le libérer sans plus tout en lui conseillant d’éviter désormais le port.
Les trois autres qui suivirent étaient plus aguerris que le moussaillon mais tous semblaient n’avoir aucune idée de ce dont parlaient leurs interrogateurs en insistant sur la pluie survenue d’un coup. Tous s’en étonnaient franchement et avec curiosité, ce qui était remarquable au vu de la frousse que leur flanquait l’A5. Ils étaient braconniers depuis un moment déjà, mais n’avaient jamais eu à faire à la directement à la marine. Cette nouveauté en sus d’avoir été seuls sans aucun contact avec des humains autre que la nourriture distribuée deux fois par jour les avait rendus très aptes à tout balancer pour que se termine leur calvaire. Pour eux, on les accusait du braconnage d’une espèce très rare de poissons en plus de la tentative de détournement du Green Seed (le bateau de Green World). Ils ne voyaient pas ce que la pluie avait d’étrange.

- Il ne s’est rien passé de notable juste avant la pluie ? Réfléchis bien. Il n’y a rien eu de singulier que tu aurais remarqué sur le coup mais auquel tu n’a plus prêté attention après ? insista Loth.

Le second du Crabe Bouilli se gratta le nez un moment et réfléchit à l’interrogation de Loth. Il affichait une intense mine concentrée comme si le seul fait de réfléchir menaçait de faire imploser son cerveau. Après quelques minutes, il leva l’index au ciel avec l’air de quelqu’un ayant trouvé le paradis.

- La fumette ! s’exclama-t-il en tapant du poing dans la paume.

- Pardon ?

- J’me rappelle d’cette fois, y a deux mois. Z’étions en mer des balsacs, et juste avant qu’l’temps n’change, l'tuyau d’échappement de la chambre de combustion a rejeté une fumée verdâtre dans l'air ! L’Crabe est un bateau à vapeur, m’voyez ? Nourri avec du charbon de Boréa, donc fumée noire ! J’ai d’mandé après au captain d’quoi il en retournait vu qu’il était dans la salle des machines juste au moment où la fumette est apparue. M’a répondu qu’il faisait brûler d’l’encens pour nous porter chance. Pour prier l’dieu Noyé, m’voyez ? J’ai vu l’captain faire ça plusieurs fois, donc, j’lui ai plus posé d’questions, parc’que ça nous portait chance !

- Intéressant. Et il a fait ça à chaque fois que vous avez pris la mer, par dix fois exactement ces derniers mois ?

- Oui, c’t’un vieux rituel d’marin ça. On brûle d’l’encens en masse pour invoquer l’dieu Noyé.

- Et à chaque fois après, il pleuvait, ça ne vous a jamais semblé étrange ?

- Bah non… L’temps en mer s’gâte vite, les gars. Et comme j’l’ai dit, les prières marchaient, on attrapait des poissons orgasmes. P’quoi la pluie vous intéresse ?

C’était donc cela, se dirent Arsène et Loth sans se parler. Le capitaine du Crabe Bouilli, le dénommé Kristoff Popov était le seul maître à bord de la machinerie. C’était lui le loup de mer qui connaissait le secret de la capture des Ombles drogués, lui seul qui était au fait et employait la Dance. Quand les marines l’emmenèrent devant eux, le vieux loup de mer se posa de son maintien droit et fier, nullement impressionné par la salle à torture. De mépris, il cracha au sol révélant beaucoup de dents manquantes. Les balafres sur sa joue, son auriculaire et son annulaire gauches manquants (probablement croqués par un poisson à dents acérées), ses cheveux sales et hirsutes ressemblant à s’y méprendre à des algues marines en disaient long sur lui. Il en avait vu des belles et des non mûrs et il en fallait beaucoup plus pour l’inquiéter.
Mais ce qu’apprécia particulièrement Loth, c’était le modus operandi, la manière de procéder de La Truffe. Même au moment de leur arrestation en mer, en aucun cas, il ne leur avait laissé soupçonner qu’il était venu, attiré la Dance Powder. Du capitaine au moussaillon en passant par Green World pour finir par les éléments de la marine impliqués, nul ne savait à propos de la Dance. Sauf Dickson et ce scientifique, cette Mme Cocorico dont il avait parlé plus tôt et que Loth attendait de rencontrer. Même le capitaine pensa durant une semaine au trou que la marine en était après les poissons. Alors, lui révéler qu’il risquait bien plus qu’une condamnation pour braconnage l'estomaqua assez pour lui faire perdre de sa superbe.

- Le Gouvernement est vachement anti-Ashura ces derniers temps. Le Vice-amiral Swiffer Jones est anti-Ashura et paraîtrait qu’il brûlerait au feu de bois tous les employés ou clients du Réseau. Et toi, je peux te faire rôtir pour te soutirer toutes les informations que je désire, fit Dickson d’une voix sadique en se levant. Nous savons toi et moi que tu as un fournisseur qui te vend de la poudre verte, celle qui fait tomber la pluie, celle qui te permet de capturer ces petits poissons valant un million le kilogramme. Tout ce que je désire, c’est un nom, rien de plus.

- Va au diable Nickson ! T’y connais pas ces gens-là, vont m’zigouter si j’parle ! Et tu sais c’qu’ils font en prison aux balances ? J’préfère encore crever !

- C'est Dickson, pas Nickson. Et puis, parole n’est que parole, la puissance réside dans l’action, vieux, murmura Dickson qui se tenait maintenant dans le dos de Kristoff de sorte qu’il lui susurra directement dans le cou. Pendant un éphémère moment, Loth pensa qu’il lui faisait la cour…
Mourir pour une cause n’est pas aussi facile qu’on croit, hein. Tu préfères mourir, dis-tu ? Regarde cette arme au mur. Tu constates que sa rouille fait bien plus "rouille" que la normale non ? C’est parce que pendant dix longues années, elle a servi à extraire de la moelle épinière sur des sujets vivants. Enfin, sujets, je parle de forbans, bien entendu. Mon grand père, feu Contre-amiral Dickson était en poste ici quand les chantiers de Bliss en étaient en plein essor. Il commandait les marines ici quand, par vagues successives, les pirates se sont abattus sur ce pays, désirant leurs parts du gâteau. Le Contre-amiral Lupin Dickson alias "le Dégoulinant"… Tu sais pourquoi ? Parce nul ne l’avait jamais vu une seule fois au sec. Toujours, suintait de lui du sang.  On pensait alors qu’ils tuaient les pirates en mer, mais non, c’est dans ces caves qu’il faisait ses œuvres… Je te laisse imaginer, t’imprégner de la souffrance qu’ont dû endurer ces malheureux en ces lieux… Ils se croyaient forts, inébranlables, mais le Dégoulinant les aura brisés, tous. Et toi, tu refuses de parler aux petits fils du Dégoulinant… C’est pour ça que j’ai fait réaménager ces caves, pour m’en resservir. Là-haut, nul ne t’entendra crier, pas plus que nul n'entendit crier les 689 pirates qu’écorcha grand père de son temps.

- Tu bluffes ! s'écria-t-il, plus pour se rassurer qu'autre chose.

- Haha, ouais, je bluffe, avoua Dickson en rigolant. Mon grand-père était bel et bien sur nommé le Dégoulinant par contre, mais c'est parce que, pas une seule fois dans sa vie, il n'a été sobre. Il dégoulinait toujours d'alcool, haha. Pas besoin de te torturer capitaine Kristoff Popov, tu nous a révélé toi-même ce qui t'effrayait le plus.

- Être vu comme une balance t'épouvante au plus haut point hein ? Tu préfères mourir plus tôt que d'être connu en geôle pour avoir balancé ton fournisseur hein ? Bah, il est onze heures trente là, Arsène. Si on se dépêche, la nouvelle apparaitra dans le journal écrit du soir. Je vois d'ici le titre "Il balance : le capitaine du Crabe Bouilli, principal indic de la marine sur l'affaire d'Ashura à Bliss". Rien qu'avec le braconnage et la tentative de piraterie, tu en as pour quinze ans minimum. Ouch... tout ce temps en prison avec des haineux... Combien de temps vas-tu tenir, je me le demande...  

- Le Crabe Bouilli n'est-ce pas, le nom de ton bateau... Prémonitoire ? Ils vont peut-être te faire bouillir...

- B...Bandes d'enfoirés... N'oseriez pas... Fils de... marmonna-t-il, tout aussi tremblant que le fut son moussaillon.

- La fin justifie les moyens non ? C'est pour ça que tu pêchais une espèce quasi-éteinte non ? Nous, pour faire notre boulot, on sait appuyer où ça fait mal. Alors dit nous, lequel de ces quatre gusses est ton fournisseur et le Colonel s'arrangera pour ne pas que t'ai un lien direct avec les opérations anti-Ashura qui vont suivre.

De son œil droit convulsé de tics nerveux, Kristoff regarda successivement les photos de Green World que lui montrait Loth. Il les regarda passer sans broncher, sans manifester de signes de surprises ou quelque chose de notable, jusqu'à la dernière photographie. Pas celle de Mat Grantz III mais celle où il (Kristoff) papotait sur une jetée de Portgentil avec un petit homme étrangement sans teint, au visage allongé, la bouche en museau et les moustaches en crocs. Globalement, l'interlocuteur de Kristoff sur la photo ressemblait à un rat.

Rattus

- Parfait, capitaine. C'est qui cet homme, pour qu'on puisse passer à autre chose ? Et tu n'as pas intérêt à vouloir nous doubler. Donne-nous son nom.  

- R...Rattus. Il s'appelle Rattus.

- Sans déconner ? Rattus ? Hahaha ! Surement un surnom bien trouvé. Où peut-on trouver ce Rattus ?

- Dans les Everglades... Quartier 6. Au croisement des anciennes rues Shalam et Coffee. Il fait ses affaires là-bas, marmonna-t-il, déconfit et défait.

- Merci, capitaine. Tu vas retourner au frais dans ta cellule unipersonnelle jusqu'à la fin de mon enquête.
Maintenant, nous avons du pain sur la planche, mon bon Loth. Je me demande si je ne vais pas faire appel à la 54e. Les Everglades, je t'explique, c'est l'endroit le plus dangereux de Bliss. En fait, ce n'est pas "un endroit", c'est un regroupement de dix anciens quartiers désaffectés, délaissés ou inondés parce que situés en dessous du niveau de la mer. Ils forment une zone plus ou moins compacte cancérisée par le crime. Tous les trafics y ont cours. Chaque quartier porte un numéro qui représente sa dangerosité selon une échelle établie par la 54e division. Là où nous allons, c'est le quartier N°6 aussi appelé Lz ou Little-zaun. Vous êtes basé sur North Blue, vous devez en savoir quelque chose non ?


- Little-zaun ? Carrément ?! Ça en dit long alors sur le niveau de criminalité et de non droit qu'il y a là-bas.

- Totalement.
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9.
Les Everglades

Le Cimetière d'épave, Zaun, Carcinomia, Luvneel...
A chaque fois que Loth s'aventurait dans une zone à la criminalité exacerbée, il se sentait comme un poisson dans l'eau. En fait, il se sentait chez lui partout, dans le calme, comme dans la guerre, dans un temple comme dans un bidonville. Il se sentait aussi chez lui, dans la luxure de son train de vie mais il tendait à nettement préférer les quartiers miteux où le crime foisonnait. Il aimait ce genre d'endroit pour ce qu'il offrait d'opportunités et d'épreuves de forces. Il aimait découvrir de nouvelles zones hors la loi, ce qui était à chaque fois une occasion d'élaborer un plan, même infaisable, pour s'emparer des lieux et rentabiliser le flux de Berry qui y passait. C'est en outre ces sentiments mélangés qui le secouaient en ce moment, blotti au milieu d'un peloton de marines lourdement armés.

Trois heures s'étaient étiolées depuis leur entretien avec Kristoff Popov. Après des tergiversations d'ordre purement procédurales, le Lieutenant-colonel Dickson décida de demander l'aide de la 54e division des Marines de Bliss, celle qui avait tout pouvoir pour les opérations à l'intérieur des terres. D'un point de vue technique, ils étaient mieux entrainés et plus au fait de la lutte anti-criminalité sur terre ferme et dans les Everglades que la 19e qu'ils surnommaient "les poissons d'eau douce" alors qu'eux même étaient surnommés "les vers de vase" par leurs collègues de la 19e. Il fallut deux heures pour qu'une équipe tactique mixte se mette en place. A vu d’œil, Loth comprit pourquoi La Truffe demandait l'aide de la 54e, ses éléments ressemblaient à des trolls et à des montagnes de muscles sur pattes alors que ceux de la 19e pouvait aussi bien être atteint de kwashiorkor qu'il n'y aurait aucune différence. Après, avoir établi une rapide tactique qui consistait à prendre en tenaille Little-zaun (Lz pour les locaux) et de lui couper tout accès à l'extérieur, le groupe se sépara en quatre pelotons de vingt individus chacun. Deux des équipes seraient amphibies sous le commandement de Dickson tandis que les deux restantes progresseraient sur terre sous le commandement du Lieutenant-colonel Mustapha Al-Misrî de la 54e division.

Lt-Colonel Al-Misrî "L'anguille"

Al-Misrî surnommé "L'anguille" pour une raison qu'ignorait Loth était un petit monticule de muscles au teint basané. Peu expressif, il avait accueilli avec agacement et impatience l'ordre de mission du Colonel Godric Orbea, commandant de la 54e de prêter main forte à la 19e sur cette opération visant à capturer le cerveau d'un réseau de braconnage en haute mer. Dickson préféra dissimuler les réelles raisons du coup de filet pour minimiser les risques de fuite, quitte à se mettre dans une position assez inconfortable si ça tournait mal.
Loth, quant à lui, était plus intéressé par les raisons de l'agacement manifeste de Misrî. Il se demandait si cela avait un rapport avec l'entente plus ou moins difficile des deux divisions sur le rôle de chacun dans sa juridiction (difficile pour la 19e de mener une opération sur terre et compliqué pour la 54e de pourchasser ses forbans en mer) ou si l'opération ce jour même l'avait en quelque sorte dérangé alors qu'il était absorbé par une profonde tâche.

- La seconde idée semble être la meilleure, avait opiné Dickson. Il est tout le temps dans son atelier à inventer des trucs, à expérimenter de nouvelles sources d'énergie apparemment.

- Quelle source ? avait demandé Loth, intéressé.

- L’électricité. C'est pour ça qu'on le surnomme "L'anguille", comme l'anguille électrique. Selon les rumeurs, il aurait toute une piscine de ces créatures qu'il étudierait. Heureusement qu'elles ne sont pas protégées, sinon, on aurait notre boss du braconnage, avait rigolé Dickson.

Quoiqu'il en fût, une heure plus tard, et après une coordination millimétrée, toutes les équipes étaient en place, prêtes à lancer l'assaut qui isolerait Lz des autres Everglades et qui ralentirait l'arrivée d’éventuels renforts de trafiquants armés. Par chance pour la marine, Lz était ancien quartier où étaient entreposés les produits chimiques usagers servant au traitement des cuirassés. Par convention de sécurité, ce genre de dépotoir était éloigné de tout. Lz n'était relié aux autres quartiers des Everglades qu'en deux endroits précis.

Quand le signal de l'attaque coordonnée -une mélodie diffusée par escargophone- raisonna et tous passèrent à l'assaut comme un seul homme. Pas seulement eux, mais aussi les défenseurs de Little-zaun. Les Marines étaient attendus. L'information avait fuité. Ils avaient été trahis. Ils morflèrent. Et en beauté.


10.
Pour couper Lz de toute aide extérieure pendant un bon moment, il avait été planifié de détruire et de sécuriser ses deux points de liaisons principaux avec les autres Everglades à savoir la jetée et la plate forme de la cimenterie. La jetée que devait détruire l'équipe Alpha reliait Lz au Quartier 3 (Q3), un endroit de basse délinquance. L'ancienne cimenterie quant à elle était concubine du très dangereux Q8 où circulaient armes et munitions en tout genre. Et c'est sur la plate forme de la cimenterie qu’émergea l'équipe Bêta du Colonel Al-Misrî. En troisième position dans la file, Loth fut le témoin privilégié du carnage qui suivit. Il ne s'était pas encore totalement dégagé de l'égout qui les avait conduit là que les deux premiers Marines qui le précédaient s'écroulèrent comme des marionnettes dont on aurait coupé les fils. Du sang gicla et éclaboussa les verres de Loth rendant sa vision écarlate. Ensuite, ce fut l'enfer. Ça crépita de partout, les marines sortirent en trombe et à ras de terre de l'égout puis se mirent à mitrailler dans toutes les directions pendant qu'en face, on leur répondait avec la même fougue.

Il était près quinze heures moins. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais sa lumière n'arrivait pas à percer le lourd manteau de pollution qui nimbait les Everglades. La luminosité était crépusculaire, juste assez pour discerner des hommes planqués de ça et de là de hautes citernes semblables à ces silos de blé. Sûrement, se dit Loth, y stockait-on quelques intrants dans la fabrication du ciment.
Les Marines étaient désavantagés par la configuration du terrain, la plate forme étant trop à découvert et les ennemis en hauteur. Le Colonel ordonna la dispersion et ses troupes se séparèrent en plusieurs petits groupes. Deux autres Marines tombèrent durant cette manœuvre. Ils furent vengés dans la seconde qui suivit par un tir de roquette Marines qui toucha une des positions adverses puis explosa avec fracas. Trois truands -dont on ne vit que les silhouettes- voltigèrent, éjectés par la déflagration, s’écrasèrent crument sur le sol marbré puis se turent à jamais.

De son côté, Loth n'avait pas attendu l'ordre de Al-Misrî pour se dissimuler. Dès les premiers coups de feu, il avait rampé à toute vitesse et s'était jeté derrière un tonneau en acier. Blotti là, il réfléchissait rapidement. Ce traquenard n'avait pas lieu d'être, c'était certain que quelqu'un était au courant de leur arrivée. Quelqu'un les avait trahi mais pour l'instant, il fallait agir, pas se perdre en hypothèses. Marines et bandits se répondaient bombe pour bombe, balle pour balle avec un avantage certain pour les criminels. Leurs tirs tonnaient en rafales successives crachant sur eux des centaines de balles à la fois. Nul n’eut besoin de dessin pour comprendre qu’une mitrailleuse lourde était à l’œuvre. De part et d'autre, la fusillade s’intensifiait et s'étendait dans tout Little-zaun si Loth devait se fier aux multiples crépitements qu'il percevait par delà la brume où d’autres Gatlings faisaient le malheur de ce qui se trouvaient du mauvais côté de leurs crachats. L’équipe Alpha était aux prises avec ses propres ennemis.
Pour prendre le contrôle de la cimenterie, pensa Loth qui se concentra sur la situation de son équipe, il fallait déloger les ennemis en hauteur mais pour ce faire, il fallait une accalmie, il fallait faire taire cette mitrailleuse. De sa position, il voyait le Lieutenant-colonel Al-Misrî planqué avec quelques hommes derrière un muret de béton. Celui-ci dévisagea Loth et ce dernier lui expliqua par des signes qu’il désirait une diversion. L’officier acquiesça avec un sourire en coin comme s’il planifiait la même chose puis remit quelque chose à ses hommes. Il fit un signe que Loth interpréta comme « garde des lunettes » pendant que lui-même revêtait des lunettes de soleil. Le binoclard sourit à son tour, il devina ce qui allait suivre.

Lancées par cinq Marines, des bombes aveuglantes explosèrent au milieu de la plateforme, inondant d’une lumière vive, acérée et crue la brume ambiante. Protégé de cette lueur par ses verres monochromes, Loth fusa, agile comme le Singe. Il pratiquait le "Inner Beast", un art martial qui se proposait d'imiter certains éléments du règne animal et de regrouper le tout en un ensemble de techniques de combats complémentaires. A cet instant, il opta pour le Style du Singe. Le Simien était gracile, vif et imprévisible ; pour atteindre en quelques bonds les hautes citernes de la cimenterie, il avait besoin de l’acrobatie et de l'agilité simiesque. Le mouvement ne dura que deux secondes pendant lesquelles les ennemis étaient éblouis. A quatre pattes, Loth évolua sur la dalle crasseuse, puis un triple salto l'amena au plus près des réservoirs. Ils étaient hauts de vingt mètres environ mais cabossés par endroits, offrant ainsi des prises fermes qui permirent à Loth d’y grimper sans soucis. De biais, il vit une ombre toute aussi agile que lui escalader une autre citerne et crut reconnaitre Al-Misrî. La cime des cuves avait été transformée en place forte par les bandits et c’est seulement en s’approchant de plus près que Loth en prit conscience. Il y avait deux rangées de quatre sacs (de sables probablement) empilés les uns sur les autres qui protégeaient les tireurs des ripostes adverses. Des meurtrières aménagées permettaient aux bandits de tirer en toute sécurité. Une d’entre-elle, plus grande que les autres attira son attention juste au moment où l’aveuglante lumière s’évanouit. C’était la mitrailleuse cracheuse…

Prenant une solide prise sur ses doigts entraînés, Loth se propulsa en avant, fit quelques saltos qui le parachutèrent par-dessus les forteresses de sables. Là, dans la brume, il discerna une dizaine d’ennemis atterrés par cette visite inattendue. Trois fatales secondes durant, ils peinèrent à riposter, leurs armes étant coincées dans les meurtrières. Loth n’en demanda pas davantage, et se tassa par terre. Il laissa s'évanouir le Singe et se mua en Serpent, un serpent qui louvoyait et ondulait à ras de terre -ou de citerne- fauchant au talon ses ennemis. Ils tombaient sur le dos avec un petit cri et de sa main dressée telle une tête de reptile, Loth les mordait à la trachée ou à la tempe, obstruant ainsi leurs voies respiratoires ou les assommant. Il se releva au milieu d’adversaires assommés ou luttant pour reprendre leur souffle. Il s’était rendu maître des lieux et sur la cuve voisine, il sembla que le Lieutenant-colonel fût aussi en passe de l’être. Loth le vit foudroyer, littéralement, en projetant de ses mains gantées un arc électrique sur un truand qui le tenait en joue. Probablement un Thunder Dial dissimulé sous ses gants, analysa Loth. Le dernier ennemi restant, Misrî le saisit à la gorge, attendit qu’il suppliât pour sa vie puis de rage, le balança par-dessus. Un dégoûtant bruit mat indiqua que le malheureux s’était rompu le cou en tombant de cette hauteur.

Si la cimenterie et son aire étaient sécurisées, il n’en était pas de même pour les autres équipes qui luttaient toujours contre leurs ennemis. Des flashs provenant de chambre de mise à feu de fusils apparaissaient sporadiquement dans la brume crépusculaire et parfois, un éclat plus persistant qu’un autre indiquait une mitrailleuse. Plus rarement, une fusée s’illuminait, filait puis explosait en un grondement sourd. C’est en outre ce qui se passa juste après la victoire de l’équipe Bêta de Loth. L’explosion de la fusée au loin engendra un feu qui brûla d’une intense lumière orangée.

- C’est l’équipe Alpha ! dit Loth qui rejoignit les autres Marines en bas. Ils ont détruit la jetée !

- Avec nous maîtres ici, Lz est totalement coupé du reste des Everglades, confirma le Lieutenant toujours rageur. On continue ! ordonna-t-il. Ça va se payer, quelqu’un va payer cher pour ce traquenard, murmura-t-il.

Un quatuor bien planqué derrière les forteresses de sables et ayant sous contrôle deux mitrailleuses fut laissé pour sécuriser la cimenterie. Les quatre victimes Marines furent délicatement posées là et leurs corps inertes emplirent d’une rage supplémentaire leurs confrères décidés à faire payer le prix du sang. Combien d’autres avaient péri chez les Alpha ? Aussi ne firent-ils dans aucun détail durant leur progression, tout individu armé étant abattu sans sommation. Le plan avait été vu et revu : la phase Une consistait pour les équipes Alpha et Bêta à isoler Little-zaun; la phase Deux qui impliquait le débarquement amphibie des unités de la 19e répartie en deux équipes Gamma et Delta pouvait alors commencer dès la Une complétée.

Profitant de la pacification et de la sécurisation relative de certains points clés par les équipes Alpha et Bêta, empruntant des venelles maritimes qui s’insinuaient au cœur même de Lz, la 19e débarquerait au plus près de la zone cible à savoir le croisement des rues Shalam et Coffee. C’était le but final, ces anciennes rues formaient un carrefour qui, selon les infos de la 54e, regroupait l’organe dirigeant du crime à Little-zaun.
Avançant depuis la cimenterie, il était difficile pour les Bêta d’arriver rapidement sur les lieux, non seulement à cause de la résistance locale mais aussi à cause de l’impraticabilité de certaines voies, soit détruites ou inondées par l’eau de mer. Lz se trouvait en dessous du niveau de la mer et si partiellement inondé que dans l’ensemble, le quartier pouvait être considéré sur pilotis, ce qui justifiait le débarquement amphibie

Des coups de feu retentirent encore et encore. Les Bêta étaient loin de l’action décisive et Loth percevait leur hargne. En chemin, ils croisèrent certains éléments de l'équipe Alpha. Ensembles, ils convergèrent vers le cœur de la cible alors que la résistance se faisait de plus en plus moindre, les cadavres de criminels plus nombreux. Les Gamma et les Deltas avaient nettoyés le chemin. Quand ils atteignirent enfin le haut lieu de l’administration du crime de Little-zaun, tout était déjà fini. Une quarantaine de truands étaient menottés contre un mur tagués de motifs appelant au meurtre et une vingtaine était morte. Longue d’une centaine de mètres, les rues Coffee et Shalam étaient en brique d’argile rouge, ce qui leur donnait un certain air antique. Des maisons aussi en argile s’alignaient de chaque côté des voies. Comparé à l’ensemble de Lz, cet endroit était un palace. Des lampes tempêtes accrochées aux murs par intervalle régulier éclairaient les deux rues. Des digues avaient été érigées aux périphéries des rues pour empêcher l’eau de mer de s’infiltrer et sans qu’il n’eût besoin d’explorer la trentaine de maisons s’alignant là, Loth savait qu’elles déborderaient d’un luxe qu’il ne pourrait sûrement pas s’offrir. Les barons de Little-zaun vivaient là avec leurs familles.

Occupé à détailler l’architecture des lieux, Loth se fit héler par Dickson qui apparut dans l’encadrement de la porte d’une maison à sa gauche. Loth s’y précipita en même temps que Al-Misrî qui était toujours animé par une fureur indicible. Des deux mains, il empoigna le col de Dickson, le souleva de terre et le coinça contre un mur. Ce dernier, trop surpris par cette violente réaction ne peut qu’écarquiller les yeux d’effarement. Les marines de la 19e tentèrent de venir en aide à leur Colonel mais furent rapidement bloqués par les éléments de la 54e qui s’interposèrent. L’ambiance se chargea tout à coup d’électricité et Loth fut le seul assez libre de ses mouvements, n’étant entravé par personne.

- A quoi rime ce geste ? demanda Arsène qui resta très calme, détaché et insouciant même.

- ON NOUS A TRAHI ! tonna Misrî. On nous attendait à la cimenterie. Dès que nous sommes sortis, ça a tiré ! C’est ton opération Dickson, alors qu’est-ce qui a merdé ?!

- En fait non, je ne crois pas, intervint Loth. J’ai, moi aussi, pensé ça au tout début mais, vous avez vu comme moi la cime des citernes, Lieutenant-colonel. Ils y avaient installé un poste de défense avancée avec les sacs, les mitraillettes et tout. Nous avons choisi de nous attaquer aux deux seuls points de liaisons entre Little-zaun et les autres Everglades. Ils ont choisi de les défendre pour les mêmes raisons. Vous avez dit vous-même qu’il y a des guerres de territoire ici dans les Everglades. C’est une bonne raison pour ces bandits de se protéger.

L’argument de Loth sembla faire son effet sur le Lieutenant-colonel vénère jusqu’à ce qu’Arsène Dickson déclare d’une petite voix désinvolte :

- En fait, Loth, y a bien eu fuite quelque part, mais lâche-moi Mustapha, moi aussi j’ai perdu deux hommes dans cette opération, je veux tout autant savoir que toi !

Mustapha Al-Misrî le laissa retomber sur ses pieds. L’anguille était toujours furieuse et son regard mauvais sous son turban ne faisait que le confirmer. D’un geste de la main, Dickson les pria, Loth et lui, de le suivre dans la maison d’où il était sorti avant de se faire prendre à partie. Elle était constituée d’une cour moyenne et d’un bloc d’habitation qui comprenait un grand vestibule et plusieurs chambres. Comme l’avait prévu Loth, le luxe dont était décoré l’intérieur n’aurait sûrement rien eu à envier à celui de la noblesse de Bliss. Sol recouvert du luxueux tapis Abraxam d’Alabasta, meubles en bois noble, miroir à encadrement doré, etc… Sur la table à manger, un festin royal rependait dans le salon une odeur irrésistible qui fit gronder quelques estomacs. Mais aussitôt une pointe de faim se fit-elle sentir que Loth vit quelque chose qui lui retourna l'estomac.
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11.
Exécutés, tous. Dans le salon gisaient les corps de trois personnes, deux hommes et une femme. A vue d’œil, Loth aurait imputé la cause de leur mort à l'orifice béant à la base de leur nuque. Mais voilà, chacune des victimes baignait dans une telle marre de sang qu'il fallût en chercher la cause ailleurs et en retournant les cadavres, on s'apercevait vite que le meurtrier voulait s'assurer qu'ils demeurent morts. En sus de la balle dans la nuque, il les avait égorgés.

- C'est quoi cette comédie... murmura Misrî, abasourdi.

- Je vous présente notre cible et sa famille. Quelqu'un nous a devancé. Mustapha a donc raison de penser que nous avons été trahis. Si je me fie à la température de leur foie, j’estime qu’ils ont dû être tués il y a une heure de cela. Entre midi et quatorze heures donc. J’ai fait les tests avant votre arrivée.
 
- Y a deux heures, tu étais dans notre base pour solliciter l’accord du Colonel Orbea pour cette mission.

- Je sais, la fuite vient de notre côté, reconnut Dickson, amer.

- C’est encore plus incompréhensible, fit remarquer Loth. Avant d’aller solliciter la 54e, il n’y avait que vous et moi qui savions pour la cible. C’est après l’accord du Colonel Orbea, après avoir choisi les membres du commando, et après avoir établi le plan que le visage de la cible a été révélé au commando. Si on se fie à l’heure des décès que vous énoncez, alors ils étaient déjà froids alors que le commando n’était même pas encore formé.

- Donc les suspects, c’est vous deux plus votre informateur.

- Logiquement, oui. Vous pensez que Popov aurait pu en parler à quelqu'un ?

- Hautement improbable, vous avez vu comment il avait peur d'être perçu comme une balance. A moins que quelqu'un ne l'ait menacé de nous dire ce qu'il nous avait dit et...

- STOP !!! beugla Mustapha, coléreux et troublé. Ne me prenez pas pour un con les gars ! Ne contournez pas les vraies questions avec vos grands mots ou vos grands gestes. L'équipe Bêta a perdu quatre hommes et l'Apha, trois. Je vais devoir dire aux familles de sept de mes hommes qu'ils ne reverront plus jamais leurs aimés et tendres et j'aimerais foutrement savoir pourquoi ils sont morts ! hurla-t-il, les yeux lança des éclairs de fureur. Et je vous conseille tous les deux de ne pas me rabâcher l'histoire que vous nous avez servi à savoir le démantèlement d'un réseau de braconnage de poisson !
Dickson, tu sais que je peux faire un rapport sur toi qui te donnera un billet gratuit en cour martiale pour dissimulation et mise en danger délibérée de tes collègues, en plus d'avoir sciemment menti sur les buts d'une mission à ton Colonel ? Hein ?
Tout ceci,
fit-il en montrant d'un geste de la main la luxure de la pièce tout en désignant aussi la résistance armée qu'ils avaient essuyées et pour finir les cadavres écorchés, tout ceci, vole bien au dessus de l'histoire qui nous a été proposée ! Alors, Dickson, ce mec, Rattus, qu'est-ce qu'il vendait exactement ?


12.
- Dois-je comprendre que vous m’avez menti, Lieutenant-colonel ? demanda syllabe par syllabe le Colonel Orbea en se levant doucement de son fauteuil.

Trois quart d’heure s’étaient écoulés depuis que le Lieutenant-colonel Al-Misrî avait apostrophé Dickson sur la nature réelle de l’opération qui avait entraîné la mort de neuf Marines au total, sept dans les rangs de la 54e et deux dans la 19e. Dickson qui préféra ne parler qu’une seule fois au lieu de se répéter reporta au plus tard l’inévitable confrontation. Dans une tension palpable, la maison de Rattus fut fouillée de fond et comble. Comme si le sort donnait un semblant de réponse à L’anguille, ce dernier dénicha dans une cachette secrète sous le canapé du vestibule un petit sac contenant de la Dance Powder. Ils ne trouvèrent rien de significatif sur l’identité du meurtrier à part une espèce de poudre blanche sous les ongles de Rattus. Dickson pensa que c'était sûrement de la drogue.
Comme ils s'y attendaient, les voisins n'avaient rien vu, ni rien entendu et même des menaces de tortures ne les firent flancher, si bien que les enquêteurs se résolurent à penser que le meurtrier se fondait peut-être dans le paysage, était habitué des lieux. Ils restèrent encore un moment à la recherche d’indices supplémentaires sur le tueur sans rien trouver de plus. Les Marines levèrent les voiles ensuite par la mer sur une grande embarcation rapide de la 19e.

Présentement, ils étaient dans le bureau du colonel commandant de la 54e division des Marines de Bliss. Godric Orbea, pensa Loth qui observait la scène en retrait, assis dans une chaise rembourrée, ressemblait à un de ces vieux chevaliers des contes et légendes. Ceux qui venaient toujours à la fin rafler la gloire et le cœur de la gente princesse. Négligemment barbu et beau, musclé et haut en taille, le Colonel devait faire un malheur parmi le personnel féminin de sa base. Accroché au mur juste derrière son bureau, se trouvait un bouclier cuivré frappé aux armes de la royauté de Bliss. Le bouclier Ecarlate, se dit Loth en se souvenant du surnom de l’homme. Ecarlate, le bouclier ne l’était pas en cet instant mais il avait dû l’être autrefois quand Orbea saignait plus d’un pirate dans les mers de Bliss. L’homme était très aimé et admiré dans son pays, jouissant d’une réputation d’incorruptible. On le disait aussi sévère, mais juste et à ce titre, Loth comprenait son énervement graduel face à l’omission volontaire de Dickson. Il espérait juste qu’il ne le soit pas au point d’entraver sérieusement leur enquête parce qu’en l’absence du Colonel commandant de la 19e, Orbea coiffait tous les marines de Bliss…

- Oui, mon colonel, répondit Dickson de son habituelle voix désinvolte. Mais je pensais bien faire. Le secret a été notre plus grande alliée dans cette affaire et j’entendais le préserver. Je précise que malgré ce que pourrait en dire le Lieutenant-colonel Al-Misrî ici présent, cette omission n’a joué aucun rôle dans nos tragiques pertes. La menace n’a pas été sous-évaluée et nous y serions allés équipés pareil si je vous avais révélé le fond du dossier.

- Certes, Dickson, certes. Mais je n’apprécie du tout votre attitude ! Quitte à laisser les hommes dans l’ombre, et moi ? Vous vous méfiez de moi aussi ?!

- Non, monsieur. Avec du recul, c’était une erreur de ne vous avoir rien dit. Mes plus plates excuses, dit-il de manière si détachée que Loth doutât qu’il les pensât.

- Hmmm, trop facile, marmonna Misrî qui se tenait juste à côté de lui.

- Alors, qu’est-ce qui se passe ? Et vous n’avez pas intérêt à omettre des parties cette fois, Dickson !

Contraint, il leur raconta tout, de sa traque solitaire des restes d’Ashura sur South Blue, de la mystérieuse série de pluies en haute mer dans les eaux de Bliss jusqu’à la traque de l’équipage du Crabe Bouilli en finissant pas les photos de Green World et la traque de Rattus dont ils étaient déjà au fait.

- Je le savais, fit Orbea en s’asseyant lourdement dans son fauteuil. Un consultant privé pour une affaire de braconnage, qui plus est un consultant célèbre sur North Blue, Loth Reich. Il ne m’a fallu que quelques coups de fil pour connaître son identité et à partir de là, le lien était vite fait. Tu te plais à Bliss, Reich ? demanda-t-il en penchant la tête pour mieux dévisager Loth.

- Pour l’instant ça va, admit Loth. Ashura gangrène votre pays comme il cancérise Boréa. Je suis venu aider à son élimination. Allez-vous nous laisser continuer notre enquête, monsieur ?

- Pas sans quelques amendements, répondit-il, une main caressant sa barbe fournie. Vu la chronologie des faits, quelqu’un a été au courant de la préparation de la traque de ce Rattus entre le moment où Kristoff Popov vous a révélé son identité et le moment où Dickson est venu me demander la permission de lever une escouade spéciale. Ce quelqu’un a ensuite, soit sous-traité l’élimination de Rattus, soit l'a fait lui-même. Mais en terme de procédure, ça revient au même, il faut trouver l'espion.

- Bien résumé.

- Qui aurait pu savoir pour la confidence de Popov, à part lui-même et vous deux ? Popov serait à exclure parce qu’il ne peut raisonnablement pas hurler sur les toits qu’il a balancé son fournisseur de Dance. C’est grâce à cette hantise des représailles qu’il vous a craché le morceau. Et malgré nos différences de méthodes, je répondrai de Dickson comme je réponds de moi-même et Reich a acquis une certaine notoriété dans sa lutte contre Ashura alors, je lui accorde le bénéfice du doute.

- Euh, merci…

- Donc, si ce n’est pas l’un de vous trois, c’est qui ? Popov a été interrogé dans les catacombes non ? N’y avait-il personne d’autre à proximité ? Avant ou après ?

- Avant, il y avait eu Alg Hor de Green World qui nous a fourni les photos, mais il était déjà parti depuis longtemps quand nous avons commencé à interroger l’équipage, du moussaillon au capitaine, par intervalle de trois minutes. Le précédent interrogé était transféré dans sa cellule personnelle avant que le suivant ne soit amené à l’interrogatoire. Aucun d’entre eux ne s’est croisé.

- Qui les amenait et ramenait ? demanda Misrî.

- Le sergent Folks, je crois, n’est-ce pas Dickson ? Aurait-il pu nous espionner ?

- Non. Dès que l’interrogatoire commençait, il se tenait dans l’escalier reliant les catacombes au hall pour veiller au grain. Loth, souvenez-vous du bruit que faisaient nos pas dans les cachots ? Vous avez comparé ça à un concert et à l’occasion, je vous ai répondu que le granit de ces catacombes disposait d’une acoustique très spéciale qui amplifiait le moindre contact et choc si bien que de simples et légers pas se transformaient alors en un concert de claquette. Donc, à moins, qu’il n’ait volé -il n’a jamais maîtrisé le Rokushiki- ou n’utilise la technique du pas de velours, Folks n’aurait pu écouter aux murs.  

- Peuuuuh, cracha Misrî. Vous supposez qu’il se tenait dans les escaliers ouais ! Il était seul si je ne me trompe ? Sans un autre sous-officier ou supérieur pour confirmer ? Il aurait pu rester à côté pour écouter sans que vous ne le sachiez et c’est probablement ce qui s’est passé ! Une fois l’info entre ses mains, il s’est dépêché de contacter un tueur à gage, à moins qu'il n'ait eu la possibilité de quitter la base sans se faire remarquer. Comment, il nous le dira quand nous irons l’appréhender. Colonel Orbea, permission d’arrêter un sous-officier soupçonné d’espionnage et de trahison.

- Tu aurais bien du mal à lui faire avouer quoi que ce soit, Misrî. Folks a trouvé la mort dans la fusillade suivant notre prise de Lz, répondit sombrement Dickson. Et voilà qui prouve définitivement que ce n’était pas un ripou.

- Ça prouve juste qu’il a pris une balle perdue ! Et de toute façon, ceux qui défendaient Little-zaun n’étaient pas d’Ashura. Ils protégeaient leurs territoires et n’avaient aucun moyen de savoir qu’un des marines les attaquant était des leurs. Folks a sûrement commandité le meurtre de Rattus, il devait avoir une certaine place dans Ashura.

- Ce n’est pas un ripou, je l’ai formé moi-même, affirma Dickson sans se laisser démonter.

- Ne fais pas de tes rêves des réalités, Arsène ! Lui seul aurait pu vous entendre parler, à moins que tu ne penses que l’espion possède un pouvoir quelconque lui permettant de vous entendre à distance, bien loti chez lui ?! répliqua Misrî, furieux. Je n’ai jamais aimé tes procédés de filou et aujourd’hui plus que jamais, je les déteste et ne te pardonnerais jamais d’avoir mis en danger mes hommes tels de simples pions sur ton échiquier de gloire !

- Calme-toi, Colonel ! ordonna Orbea d’une voix lasse. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que tu perdras des hommes au commandement. Et à chaque fois, rappelles-toi de te contrôler. C’étaient surtout mes hommes, et en tant que leurs supérieurs, ce que nous pouvons faire est d’œuvrer pour ne pas rendre leur mort vaine. Si Rattus a été éliminé, c’est parce que vous étiez sur la bonne voie, il était en contact avec une Cellule d’Ashura ici. Si feu le sergent Folks était effectivement un de leur cador, si c’est lui qui a mis un contrat sur la tête de Rattus pour protéger le business, pour l’empêcher de cafarder si vous mettiez la main sur lui, alors, il faut trouver celui qui a éliminé notre cible. Il faut débusquer ce tueur à gage.

- A vos ordres ! L’équipe scientifique est passée dans la maison de Rattus. Je me mettrai au fait de leur avancement et de là, orienterai l’investigation vers la traque du Taxidermiste.

- C’est maintenant que mes amendements rentrent en jeu, Dickson. A partir de maintenant, vous serez trois dans cette enquête. Mustapha Al-Misrî représentera la 54e et dirigera désormais les opérations. Vos décisions seront les siennes.

- Quoi ? Mais non, monsieur ! protesta énergiquement Dickson et Loth fut étonné de le savoir capable de hurler. C’est mon enquête, depuis des mois j’y travaille et…

- Et ça vous apprendra à cacher la vérité à un supérieur ! Vous pensiez des excuses suffiraient ? En outre maintenant, l’enquête aura plus lieu sur terre qu’en mer, donc c’est légitime que la 54e en prenne les rênes. C’est une histoire de juridiction, comme vous autres de la 19e, vous vous plaisez à nous le rappeler dès qu’on poursuit quelqu’un en mer. Allez, rompez, fit-il d’un geste de la main comme s’il chassait des insectes importuns. Je dois appeler le vice-amiral Swiffer Jones, il sera content d’apprendre que nous avons un filon sur Ashura.

Loth se leva et se dirigea vers la porte. Misrî, revanchard, marchait droit et fièrement tout en restant placide toutefois. Les pas de Dickson se firent plus lourds et Loth s’attendit à voir dans ses yeux de l’écœurement et un intense dégout. C’est effectivement ce qu’il vit, mais, pas seulement. Derrière l’expression faciale de profonde déception arborée par Dickson, Loth crut entrevoir une franche lueur de victoire… Du moins, c’est ce que son instinct profondément suspicieux lui suggéra.
Soudain, Loth se surprit à machinalement penser aux paroles de Misrî quand il tempêtait. Qu’avait-il hurlé à Dickson déjà ?  «[…] Ne te pardonnerais jamais d’avoir mis en danger mes hommes tels de simples pions sur ton échiquier de gloire ! »

L’échiquier… Ce fut à cela que pensa Loth quand La Truffe le dépassa de ses pas trainants pour s’engouffrer dans l’encadrement de la porte. L’étincelle qui brillait dans ses prunelles, Loth pensa l’avoir reconnue car elle était caractéristique de tout limier à un moment donné. Cette ineffable lueur précédait souvent le parfait agencement des rouages d’un plan soigneusement élaboré depuis longtemps. Quel intérêt, se demanda Loth, quel intérêt Dickson pouvait-il diable avoir dans la nouvelle direction de l’enquête ? Avait-il délibérément caché les raisons du raid à Orbea pour provoquer sa propre éjection du commandement ? Avait-il sacrifié la direction de son enquête comme un simple fou sur un échiquier ? Qu’escomptait-il de ce revirement ?  

Les questions qui se bousculaient dans le cerveau de Loth étaient légions. Mais d’un coup de chiquenaude mentale, il les relégua au second plan. Cette enquête n’était pas une collaboration mais un concours non déclaré entre Dickson et lui. La Truffe venait sans doute de jouer un coup des plus insolites et il lui fallait découvrir les raisons sous-jacente à ce mouvement.  
Intensément ravi d'être confronté à une nouvelle donne qui rendait l'enquête d'autant plus épineuse, Loth sortit du bureau du Colonel, un franc sourire aux lèvres? Une strie de lumière provenant du soleil crépusculaire se décalqua sur ses lunettes les rendant intensément jaunâtres, sulfureuses.
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13.
Le retour à la 19e ne fut pas de tout repos. Loth s’y attendait, il s’était préparé à voir les éléments de Dickson manifester ouvertement leur mécontentement que leur commandant ait été éjecté de la direction des investigations. Il ne s’était sûrement pas imaginé qu’en approchant la base, il verrait une véritable scène d’émeute.

- Mais qu’est-ce que c’est que ça… murmura-t-il, abasourdi.

- Ils ont des pancartes... L’emblème de la feuille verte surfant une vague, c’est Green World non ? Pourquoi caillassent-ils la porte de ta base ?

En représailles, des marines perchés en hauteur sur les différentes tours de la base lâchèrent des gaz lacrymogènes dans la foule. A deux cents mètres environ de la scène, les trois hommes observèrent avec un mélange d’incrédulité et de stupéfaction les militants naturalistes s’enfuir dans toutes les directions. Certains d’entre eux, casque sur la tête ou turban sur le nez, bravèrent le gaz, s’emparèrent des bonbonnes encore fumants de lacrymogènes et firent un retour à l’envoyeur en les lançant dans la cour de la 19e. D’autres munis de lance-pierres ciblèrent les marines juchés.

- Il y a quatre heures, quand nous quittions la base pour Little-zaun, ils nous souhaitaient bonne chance avec des chansons guerrières. Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ?

- Ça, je vais vite le savoir, marmonna Dickson en sortant un escargophone.

Un coup de fil plus tard, il ordonna à ses hommes d’arrêter les mesures restrictives contre la foule. Loth, Misrî et lui s’approchèrent donc et quand ils les virent, les hommes de Green World se ruèrent sur eux. Doués de bonnes intentions ou pas, ils semblaient menaçants à approcher telle une horde de bisons en furie. Les trente soldats de la 54e qui les accompagnaient s’interposèrent, formèrent un barrage et tirèrent en l’air à balles réelles ce qui eut pour effet de stopper la foule. Dickson qui semblait très apprécié, calma ensuite les ardeurs avec un discours très apaisant. La multitude protestante devenue ainsi pacifique par la seule force des mots, ils purent se frayer un passage entre les militants qui formaient deux longues files latérale de chaque côté telle de haie d’honneur quoique agressive. Dans la cour de la base, certains soldats soignaient leurs blessures légères et d’autres, victimes de leurs propres gaz, avaient les yeux rouges et larmoyants. Des explications suivirent ensuite, et l’on connut la cause de l’émeute.

- Vous avez arrêté et écroué une militante de Green World ? demanda Dickson d’une voix sourde.

- Oui, il y a une demi-heure, monsieur, répondit solennellement le lieutenant, Moralès de son nom, qui leur exposait la situation. Elle se nomme Amanda Keen et s’est infiltrée dans les cachots pour soit disant photographier l’équipage du Crabe Bouilli. Leur chef, Alg Hor, est venu pour la faire libérer par un consensus et comme nous l’avons aussi gardé pour de plus amples questions, le bruit a couru que nous l’avons également arrêté. Donc leurs amis ont pété les plombs et se sont mis à nous lancer des cailloux.

- Keen… C’est pas la journaliste d'investigation là ? demanda Misrî la main sous le menton. C’est le N°2 de Green World, elle m’a toujours paru extrémiste sur les bords.

- Vous n’avez pas arrêté Alg hor, quand même ?

- Non monsieur. Juste retenu pour les besoins de l’enquête. Keen est rentrée dans la base en se faisant passer pour une livreuse de pizza. Nous voulions savoir si c’était une opération coup de poing montée par Green World. Alg Hor jure que non et que c’était de l’initiative personnelle de Keen.

- Bon, bon, je n’avais pas besoin de ça, marmonna Dickson en se frottant les yeux de lassitude. Keen s’est gourée de toute façon, les prisonniers ne sont pas retenus dans les cachots, nous les y avons seulement interrogés. Et puis qu’aucun mal n’a été fait à personne, et qu'il n'y en définitive que des blessures superficielles de part et d'autres, nous allons tous oublier cette histoire pour nous concentrer sur l'essentiel. Nous avons d'autres chats à fouetter.   Relâchez-la, Lieutenant, ainsi que son patron. Qu’ils me fichent le camp.

- Hum, hum, toussota Misrî pour interrompre Dickson. Je ne crois pas que nous allons faire ça, Lieutenant-colonel. Cette personne est coupable d’une infraction grave à votre sécurité. Tu n’as pas pensé qu’elle s’est peut-être infiltrée dans les cachots poussée par autre chose que son sens du journalisme ? Peut-être qu’elle voulait en finir avec l’équipage ?

- Elle n’avait aucune arme sur elle, monsieur, intervint le lieutenant Moralès.

- Parlez seulement quand on vous y invite, lieutenant ! tonna Misrî. Et ça ne change rien qu’elle n’ait pas eu d’armes sur elle, les gens qui peuvent tuer sans armes sont légions. Donc, Dickson, je ne suis pas d’accord, on va pas la relâcher.

- Et qu’est-ce que ça change que tu sois d’accord ou pas ? demanda-t-il d’une voix sans réplique, sur un ton tout à fait banal.

- T’as pas entendu le Colonel Orbea ? siffla Misrî d’une voix outrée. Je commande…

- L’enquête, pas ma base. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est une affaire isolée. Je connais mieux que toi ces gens de Green World, vu que je suis le seul à prendre leurs préoccupations en considération. Ce sont juste des passionnés pas des fanatiques.

- Je suis d'accord avec Dickson. Attenter de cette manière à la vie de l’équipage ne leur serait d’aucune utilité dans leur lutte. Ils veulent qu’ils soient jugés et c’est par ce biais officiel qu’ils les veulent morts. Pour faire jurisprudence. Pour mettre un frein au braconnage par la peur de la Justice. Pas les assassiner en catimini dans une cave sombre. Ça ils auraient pu le faire en mer d’Alun.

- Donc, Mustapha, reste dans le cadre strict de ton mandat où tu vas te couvrir de ridicule, trancha Dickson d’une voix sèche. Lieutenant, relâchez les puis ordonnez un rassemblement. Le Lieutenant-colonel Mustapha Al-Misrî sera ravi de nous annoncer qu’il prend les rennes de la suite l’enquête, ajouta Dickson en s’éloignant et encore une fois, Loth aperçut cette imperceptible lueur satirique dans ses yeux pendant que Misrî bouillait d’une rage contenue.


14.
- C’est bon, vous êtes libre de partir, dit Loth quelques temps après à Alg Hor et Amanda Keen fraîchement relâchée.

- Merci, et je suis confus de tout ceci. Transmettez mes respects et mes remerciements au Colonel Dickson, bafouilla le mécène.

- Je vois pas pourquoi tu les remercies, Alg, je faisais juste mon métier ! répliqua Keen, une blonde tirant sur la quarantaine, la chemise et les doigts constellés de pierres précieuses aux éclats fanés depuis longtemps.  

Amanda Keen

- Mme Keen, comment vous est venue l’idée comme quoi les prisonniers étaient détenus dans les cachots ?

- Bah, c’est logique non ? La plupart des prisons marines se trouvent aux plus bas niveaux de leur base.

- Pas ici.

- Bah, fallait le dire plutôt, j'aurai pas perdu mon temps à aller dans ce puant trou ? Ils sont où au fait ? J'peux les prendre en photo pour mon article ? Mais au fait Alg, c'est pas toi qui disais que...

- On ne va pas les ennuyer plus longtemps, Amy, on s’en va. l'interrompit Alg Hor en la poussant dans le dos, comportement que Loth trouva un tantinet suspect.   Qu’est-ce qui se passe là-bas ? demanda-t-il en pointant du doigt les marines rassemblés en bas d’une estrade sur laquelle se trouvait Misrî et les trente soldats de la 54e venus avec lui.

- Un autre genre d’émeute, rigola doucement Loth. Partez avant que ça ne dégénère.

Comme s’y était attendu Loth, la 19e ne prit pas avec plaisir la nouvelle surtout quand un Misrî hautain et fier leur annonça qu’il prendrait désormais toutes les décisions attenantes à l’enquête sur les braconnages de poissons orgasme. Pour une raison qu’il n’expliqua par à Arsène et Loth, Misrî décida de taire le réel but sur la traque d’Ashura. Pour apaiser ses troupes, Dickson monta au créneau en rappelant à tous qu’ils portaient le même uniforme et défendaient la même justice.

- Il n’y a pas de 19e, il n’y a pas de 54e, je ne vois que des Marines ! avait discouru La Truffe. Des marines désireux de servir. Souvenez-vous de vos camarades tombés sur le champ d’honneur aujourd’hui et mettez chaque seconde à œuvrer pour capturer les responsables de leurs morts. Pour leurs familles, pour vous-même et surtout, pour la Justice ! acheva-t-il en levant un poing en l’air.

- POUR LA JUSTICE ! répondirent ses hommes, les poings en l’air à leurs tours.

- Oh il a de la verve ! commenta Alg Hor. J’aimerais avoir quelqu’un comme ça dans nos rangs, on soulèverait les foules à coup sûrs.

- Hein ? marmonna Loth qui avait oublié sa présence, complètement aspiré par le discours de Dickson. Vous êtes encore là vous deux ?

- Hé, hé, hé, désolé, mais c’était trop entrainant pour partir, mais là, on va vraiment y aller. Il commence à faire nuit et j’ai un diner avec le maire !


15.
Un altier quartier de lune illuminait Portgentil de sa lumière argentée. Toute tension était retombée dans la base de la 19e division des Marines de Bliss (à part peut-être l’irritation voir l’animosité que semblait avoir développé Misrî à l’égard de Dickson). Des bureaux de travail avaient été trouvés à Loth et à L’anguille. Après le dîner au mess des officiers sous les coups de vingt-heures, les trois têtes de l’enquête se mirent en branle vers le dernier étage de la tour nord. Ils répondaient ainsi à l’appel du chef de l’équipe scientifique, la mystérieuse Mme Cocorico que Loth attendait de rencontrer avec impatience.

Le laboratoire du scientifique était moyennement grand, surchargé de tubes à essai, de conteneurs en verre où marinaient des créatures ou des plantes mortes depuis longtemps. Une lampe à huile à verrerie bleutée répandait dans la salle une douce lumière tamisée qui seyait parfaitement bien à l’ambiance morose voir mortuaire qui se dégageait des lieux. Dans le coin le plus à gauche du labo, un certain nombre de longues tables étaient disposées les unes collées aux autres et sur trois d’entre-elles reposaient les corps de la famille de Rattus.

Une frêle silhouette émergea d’une pièce contiguë à l’antichambre principale et Loth fut étonné de voir que "Mme Cocorico" était en fait un "Monsieur". Un homme d'un âge avancé qui plus est, avec une épaisse tignasse blanche sur le crane et une moustache excentrique en spirale. Même avec son dos si voûté qu'il en semblait bossus, Cocorico était bien plus grand qu'eux mais ce qui titilla, dérangea même Loth, c'étaient les paillettes rosées qui constellaient sa blouse blanche de travail, sans parler des couleurs vives de ses bottes qui agressaient littéralement la rétine. Loth occulta les détails de ses longs ongles vernis aux couleurs de l'arc-en-ciel et son rouge à lèvres intensément orangé. Mme Cocorico (ou monsieur, Loth s'en fichait) était un Okama.

- Je vous présente le Commandant… pardon Given, le Dr. Given Cocorico qui n’aime pas qu’on l’appelle par son grade, mais plutôt "Mme".

- Tu f’rais mieux de t’en souv’nir mon choux ❤ ! Mais en voilà, des p’tits bouts bien juteux qu’nous avons là, hein, ♥♥, fit-il d’une voix flutée en s’approchant pour mieux scruter Loth et Misrî. Bien musclé, commenta-t-il en tâtant les abdominaux d’un Misrî momentanément choqué puis il s’occupa à tirer les joues de Loth de chaque côté.

- Veuillez arrêter ces simagrées, Commandant ! ordonna Misrî toujours sous le choc de ce toucheur envahissant. Vous n’êtes pas dans une cour de récréation !

- Tiens, tiens, l’faon s’prend pour un lion, minauda-t-il piqué à vif par ce rappel à l’ordre. J’équarrissais déjà du forban quand tu n’étais même pas un spermatozoïde et tu veux m’donner des ordres. Cocoricooooooooo ! rigola-t-il de manière théâtrale. Dis lui Dixie, que mon seul maître, c’la science.

- Oui, oui. S’il te plait, fais-nous part de tes découvertes. Sans toi, nous sommes dans un cul de sac.

- Bah fallait l’dire ! répondit-il, joyeux, changeant si brutalement d’humeur que Loth et Misrî jugèrent ça des plus inquiétants. Vous vous souvenez de la poudre blanche que vous avez trouvée sous les ongles du chef de famille ? Rattus, c’est ça ?

- C’était de l’héroïne non ?  

- Non petit choux, ♥ , c’est un mélange de plusieurs principes actifs avec pour dominante de la digitaline.

- Hein ?

- La digitaline ? murmura Loth pour qui tout était à présent plus limpide que de l’eau de roche.

- Non… Vous êtes sérieux ?  

- Vous allez m’expliquer ce que ça veux dire ?! s’exclama Misrî avec colère.

- La digitaline est une molécule, un cardiotonique qui a pour effet majeur de ralentir le cœur. Elle est principalement utilisée dans le traitement de la tachycardie.  

- Et ?

- Et nous connaissons quelqu’un qui était sur les lieux de l’interrogatoire et qui souffre de cette maladie. Et d’ailleurs, vous avez eu l’occasion de le voir il y a quelques heures.

- Amanda Keen ?

- Non, son patron. Alg Hor.  


Dernière édition par Loth Reich le Ven 11 Déc 2015 - 19:03, édité 1 fois
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16.
Il fallut un moment pour que la vérité imprègne leurs sens, mais pour Loth, c’était du tout vu. Depuis ce moment où, dans le bureau du Colonel Orbea, Misrî avait déclaré "A moins que tu ne penses que l’espion possède un pouvoir quelconque lui permettant de vous entendre à distance, bien loti chez lui", il avait eu son idée sur la manière dont le magnat du mannequinat et leader de Green World s’y était pris pour les espionner.

- Le vieux Hor dono ? T’es sûr Dixie ? demanda Cocorico la bouche ouverte d’étonnement.  

- Il était dans les cachots juste avant que Loth et moi commencions à interroger l’équipage. Il a glissé, est tombé et a avalé des comprimés blancs sous nos yeux. S'ils se sont retrouvés sous les ongles de Rattus, c'est sûrement parce qu'il a dû y avoir altercation.  

- Ce type est un des hommes les plus riches du pays, même si son militantisme a fait de lui une sorte de persona non grata. Par quel moyen, vous a-t-il espionné, d’ailleurs ? Je ne comprends toujours pas.  .

- Et bien, Hor a bien calculé sa manœuvre au millimètre près. Comme l'a expliqué Dickson, après nous avoir convaincu qu'il était là pour offrir du poulet et des rafraichissements aux Marines en remerciement de leur lutte contre le braconnage, il a voulu nous montrer d'autres choses. Des photos prises en espionnant l'équipage du Crabe Bouilli et c'est à cet effet qu'il a insisté pour être écouté, non pas dans le bureau de Dickson comme le proposait ce dernier, mais dans la salle A5. Il a prétendu que c'était pour prévenir d'éventuelles espions mais la vérité maintenant, nous la connaissons. Il voulait mettre la salle sur écoute pour ne rien rater des interrogatoires.  

- Mais comment aurait-il pu planquer cet escargophone-talkie sous la table sans qu'aucun de vous ne s'en aperçoive ? C'est pas crédible.

- C'est ce qui s'est passé pourtant, insista Dickson. En entrant dans la salle d'interrogatoire, il s'est effondré en marchant sur ses lacets dénoués. Une série de photos qui nous intéressait au plus haut point a alors été répandue par terre. Vous voyez le piège dans lequel nous sommes tombés ? En faisant mine de lacer ses souliers, Hor avait toute la latitude de coller son dispositif d'écoute sous la table et de toute manière, il ne risquait absolument rien vu que nos attentions à Loth et à moi étaient accaparées par les photos où nous pensions découvrir le revendeur d'Ashura.

- Alors qu'en fait, de membre d'Ashura, il y en avait un juste devant nous... Le seul élément qui l'a trahi au final, c'est sa tachycardie. Même si sa chute était simulée, ça n'a pas empêché son cœur de s'emballer et nous l'avons remarqué. Il a alors été obligé de prendre son médicament.

- C’est à peine croyable ce que vous dites… Mais si c’est vrai, il faudrait juste aller vérifier si le dispositif se trouve encore dans les cachots ?!

- Non, il ne faudrait surtout pas y toucher. je pense que nous pouvons l’utiliser à notre avantage.  
 
- Oui, je pense à la même chose. J’ai d’ailleurs un petit plan que vous pourrez amender à souhait, parce que je ne connais pas bien la ville. Ce qu’il nous faudrait, c’est une maison un peu isolée. Écoutez…

- Ça me semble faisable,  acquiesça Dickson du chef. Simple comme plan, mais efficace pour l’appâter.  

- Attendez ! C’est moi qui décide si le plan est bon !  

- Il ne l’est pas d’après toi ?  rétorqua Dickson.

- Non, justement. Ne nous précipitons pas ! Je n’ai aucune envie de m’attirer les foudres de la presse people pour avoir trainé dans la boue le nom de Hor. Vous imaginez le scandale ? Vous rendez vous compte des implications de cette accusation ? Si c’est vrai, Hor serait un membre du Réseau Ashura  et un meurtrier ! D’ailleurs, ça n’a pas de sens, s’il était vraiment un membre du Réseau, il n’aurait pas eu besoin de vous espionner pour connaitre le nom du fournisseur du Crabe Bouilli. Il serait allé le terminer depuis longtemps déjà. L’équipage était au frais pendant une semaine avant l’interrogatoire, je vous rappelle.

- Vous avez tout faux sur ce point, Lieutenant-colonel. C’est justement parce qu’il est un membre d’Ashura qu’il ne devait pas connaitre le nom de ce revendeur local. Vous n’êtes pas un spécialiste du Réseau, et à ce stade de l’enquête, je ne puis affirmer connaître la position exacte de Hor dans la hiérarchie du groupe mais ce que vous devez garder à l’esprit c’est l’Omerta. La loi du silence qui gouverne Ashura fait que chaque tâche, la plus minime est spécialisée et segmentée de telle sorte que chacun ignore l’existence de l’autre et procède à une besogne routière, le tout faisant partie d’un ensemble plus grand. Voyez ça comme une ruche. Il y a des ouvrières, des gardiens, des récolteurs, des vendeurs, etc… Seul le Boss de la Cellule, le Chimiste-en-chef est à même capable de connaître tous les démembrements de son organisation.

- Tout à fait. Le scénario le plus vraisemblable c’est que Alg Hor ignorait absolument tout de l’utilisation de Dance dans la pèche illégale de l’équipage du Crabe Bouilli avant la dernière confrontation. Quelque chose, peut-être la pluie anormalement forte qu’il y avait ce jour là, peut-être a-t-il d’autres moyens pour déceler l’utilisation de Dance, mais toujours est-il que Hor a su d’une manière ou d’une autre que cette affaire dépassait largement le cadre d’un braconnage. Ce jour là, il était sur le Crabe Bouilli quand j’ai immédiatement contacté Loth pour mander son aide et pour un membre d’Ashura, ce nom ne peut être inconnu. Ensuite, il a sûrement parié sur le fait que je laisserais les prisonniers mijoter jusqu’à l’arrivée de Reich. Et pour être prévenu en temps et en heure, il aura demandé à ses petits camarades de camper et de manifester devant la porte. Ce qu’ils ont fait pendant une semaine. J’étais d’ailleurs intrigué par cette mobilisation inhabituelle, même pour Green World.  

- Et puis, de Boréa à Bliss, la transocéanienne met une semaine, ce n’est pas un secret. Ensuite, pour être sûr que son dispositif d'écoute espionnera l'intégralité des interrogatoires à venir, Hor devait s'assurer qu'une seule sale soit utilisée. Et par une coïncidence qui ne l’est pas, quand nous sommes arrivés, il y avait une inondation au niveau 2, là où se situent de multiples salles d’interrogatoire. M’est avis que Hor ou un de ses hommes est responsable de ce sabotage. Après ça, il n’y a avait pas beaucoup d’endroit où interroger les prisonniers dans l’intimité. Soit le bureau de Dickson, soit une réhabilitation d'une des salles des cachots. La Truffe a opté pour la seconde solution. C'est pour ça qu'Alg Hor a décliné l'invitation de nous parler dans le bureau de Dickson, parce qu'il savait qu'il n'avait aucun intérêt à mettre cet endroit sur écoute vu que les prisonniers n'y seraient pas interrogés. C’est notre homme, Misrî.

- Tout semble le pointer, mais il ne se peut pas que ce médicament vienne de quelqu’un d’autre ? s’entêta-t-il. Les maladies du cœur ne sont pas ce qu’il y a de plus rares, surtout pas dans ce pays où l’obésité commence à devenir un problème de santé publique. Ces médicaments, on peut les trouver n’importe où non ? D’ailleurs, n’y en a-t-il pas, ici ? Dans votre pharmacie, Dr Cocorico? N’y a-t-il pas dans les rangs de la 19e, quelqu’un souffrant de tachycardie ?  .

- En effet, j’ai de la digitaline ici ♥, fit l’Okama en prenant une petite boite bleutée dans son immense armoire à pharmacie. La tachycardie est une affection ponctuelle et commune chez les jeunes recrues qui ne supportent pas bien l’adrénaline des baptêmes de feu. Cœur de choux qui s’emballent, toussa. Du coup, une petite dose de digitaline pour les calmer ♥♥.

- Vous n’en avez plus beaucoup, fit remarquer Loth en notant les deux et esseulés comprimés qui se trouvaient dans la boite.

- Oui, ces petits amours ont le cœur qui pompe trop rapidement de nos jours. Ils sont si fraaaagiles ! Mais c’est ce qui fait leur beauté ! ♥ dit-il d’une voix aiguë en se tortillant comme un ver.

- Mustapha ! fit Dickson d’une voix ferme. Ne nous fait pas perdre notre temps plus que de raisons. Je comprends que tu doutes que ce soit Hor. Moi aussi j’ai du mal à y croire, je sais ce qu’il a fait pour la marine, je sais ce qu’il a fait pour ce pays. Et c’est ironiquement, ce qui me fait croire aussi qu’il peut très bien être le loup déguisé en mouton pour mieux s’infiltrer dans la bergerie. Nous ignorons ce à quoi nous avons affaire, nous ignorons s’il est le seul impliqué où si c’est tout Green World qui est Ashura. Mais nous avons un moyen de le prouver et ce moyen se trouve encore dans les cachots, donc, ne tergiversons plus. Agissons !

- Et puis, n’est-ce pas vous qui reprochiez à Dickson son manque d’action ? Vous qui étiez vénère et vouliez faire payer le responsable de la mort de vos hommes ? Vous l’avez là et vous hésitez ?

- Je ne confonds pas vitesse et précipitation, moi, dit-il en se réfugiant dans sa fierté. Je veux venger mes hommes, je les vengerai, déclara-t-il avec hargne, mais pas en ruinant la vie et la réputation d’une personnalité publique. Mais soit, allons-y, appliquons le plan de Loth. J’ai la planque, la maison isolée qu’il vous faut. Capturons l’espion.

- Bonne chances mes petits amours ♥ ❤ ❥


17.
Ils étaient de retour dans les caves sombres de la 19e qui avaient vu souffrir des centaines de pirates du passé. Marchant en cercle à grands pas, les trois têtes de l’enquête semblaient agitées et à la fois exultants. Quand L’anguille introduisit la conversation, ce fut d’une voie enjouée.

- Oui ! oui ! oui ! jubila-t-il. Je t’avais bien dit que ton équipe et toi faisiez de la merde, Dickson. De-la-merde ! hacha-t-il en mettant l’emphase sur l’injure.

- Qu’est-ce qui me vaut cette insulte, et pourquoi avons-nous besoin de venir ici pour en parler ? Mon bureau aurait suffi. Surtout si c’est pour me faire insulter. Mais écoute-moi bien Misrî…  

- Non, toi écoute-moi ! tempêta-t-il, complètement dément. J’ai poursuivi l’enquête de mon côté quand Rattus a été tué. J’ai mis mes meilleurs éléments sur le coup, sans t’en parler parce que ta division est infiltrée par l’ennemi. Ici dans ces cachots, on peut entendre quiconque s’approcher à cause de l’acoustique. C'est pour ça que ous sommes là. Donc, je disais que les chiens que j’ai lâchés ont entendu un nom. Rogue. Rogue Grantz.

- Un Grantz ? De la famille royale ?

- Tout à fait ! Ton Rattus n’était qu’une petite frappe de merde, Dickson ! Il ne revendait que la Dance que Rogue Grantz lui refilait. Grantz a le bras très long, il n’est pas le plus connu des petits cousins du roi et pour cause, ça a toujours été un enfant à problème. Drogue, alcool, sexe. Du coup, il a vite été écarté de la cour et c’est typiquement le genre à plancher dans une affaire aussi juteuse que la vente de Dance. Tu comprends pourquoi je dis que tu as fait de la merde ? Mes hommes sont morts pour que dalle ! Pour une petite frappe de merde ! Et l’espion aussi s’est gouré par la même occasion. On sort, on va cueillir Rogue Grantz et il nous dira ce qu’il sait. L’espion, s’il est sûr de ne plus être démasqué après avoir éliminé Rattus, c’est qu’il n’a encore rien compris !  

- Si ce Rogue a été écarté de la famille royale, où est-il  à présent ?

- Mes hommes ont trouvé sa planque au 17 avenue des Marronniers.  

- Je ne te féliciterais qu’après avoir constaté de visu la véracité de tes allégations, répondit Dickson froidement.

- Et tu vas bientôt être désolé mon pote, bientôt, répliqua sarcastiquement Misrî. Malheureusement, nous ne pouvons aller le cueillir tout de suite, c’est un membre de la famille royale, je dois d’abord introduire un avis auprès de la garde royale dont quelques membres vont nous seconder durant la mission pour vérifier au respect des droits du royal criminel. Cette procédure va prendre une petite heure mais tu ne perds rien pour te couvrir de honte, Dickson ! La Truffe ? Mon œil ouais ! Hahahahahaha ! acheva-t-il en s’éloignant à pas gais.

- C’est vraiment un détestable personnage,  marmonna Dickson en faisant un clin d’œil joyeux à Loth.

- C’est un acteur talentueux… pensa le binoclard.

Le piège était tendu.


18.
L’avenue des Marronniers.
Ce quartier pavillonnaire était sorti de terre moins de cinq ans plus tôt, poussé par l’explosion de la bulle immobilière à Portgentil. Il faisait partie de cette sélection de nouveaux quartiers pour nouveaux riches, ceux qui s’étaient enrichis grâce aux produits dérivés des chantiers navals. Ces nouveaux quartiers étaient toujours sous la forme d’une longue avenue bordée de ces maisons meublées, identiques à une ou deux piscines près. Toujours, une quelconque plante ou un arbuste particulier qui, par ailleurs, donnait immédiatement son nom à l’endroit était planté en rangée sur ladite avenue. En moins d’une dizaine d’année à Bliss avaient fleuri des dizaines de lieux comme celui-ci. Avenue des Peupliers, avenue des Citronniers, boulevard des Figuiers…
Aussi, nul ne pouvait se tromper de destination, surtout quand toutes les maisons d’une même avenue portaient un numéro de 1 jusqu’au maxima. La maison Trois était adjacente à la Deux qui était elle-même contigüe à la Une et ainsi de suite.

Mais pour notre homme qui se déplaçait à pas velours aussi rapidement que lui permettait sa silhouette, ces menus détails n’étaient d’aucune importance. Après la conversation qu’il avait entendu, un seul numéro comptait et avait accaparé son esprit. Le 17. La maison 17 de l’avenue des Marronniers… Là où se trouvait l’homme qui pouvait encore le dénuder et mettre à jour son vrai visage depuis dix longues années. Il avait fait attention pourtant et jusqu’à présent, aucun lien, aucun conflit n’était né de ses différentes activités. D’un juron, il maudit Kritoff Popov, le puant capitaine du Crabe Bouilli jusqu’à la centième génération après sa mort. Il fallut qu’il utilise de la Dance Powder... Pour pécher en plus… C’était d’un ridicule !

Il y était enfin. Sur le pas de la porte, il pouvait lire les chiffres écaillés qui montraient que cette maison était bien la 17. Un pas en arrière et un coup d’œil à gauche lui indiquèrent que la maison voisine était bien la 16. Il ne pouvait pas se tromper, dans la villa devant lui dormait surement Rogue Grantz.
Il était près de 4h du matin et c’était vrai, se dit-il, que les heures précédant l’aube étaient les plus noires. Parfaitement invisible dans sa combinaison de ténèbres, il crocheta la serrure et entra sans bruit dans la coquette maison. Il prit soin de ne rien bousculer à son passage, guidé par une faible lueur, celle de dizaines de lucioles enfermées dans un tube filiforme. Il ne lui en fallait pas plus, c’était tout ce dont il avait besoin pour gravir un à un les marches de l’escalier qui menait à la chambre à coucher du premier et seul étage de la villa.

Bon signe, se dit-il, Grantz ronflait.
D’une pichenette, il poussa la porte et s’engouffra dans l’entrebâillement. Une forme dans le lit indiquait la présence de Rogue Grantz et sans hésiter, le tueur sortit un pistolet. Avec une vitesse que ne laissait pas supposer son impressionnante masse, il s’empara d’un oreiller et s’en servit comme d'un silencieux. Quand, il tira, on n'entendit que des "plouf ! plouf !" éphémères.  Aussitôt après, une tâche vermillonne s’épancha sur le lit, à l’endroit où se trouvait la tête de Grantz.

Il jubilait, notre tueur était aux anges. Pas que l’assassinat lui procurât un quelconque plaisir mais la satisfaction d’effacer l’infime preuve pouvant le relier à la Dance Powder était orgasmique. Maintenant, il lui restait une dernière chose à faire avant l’arrivée de ces imbéciles de Marines. S’assurer que la cible était bien morte. Lui ouvrir la trachée.
A cet effet, il sortit un long couteau à équarrir et releva le drap, prêt à égorger ce corps comme n’importe quel animal sauvage abattu durant une chasse.

- Qu’est-ce que… marmonna-t-il, frappé d’horreur, une main sur le cœur.

- J’espère que vous n’allez pas nous faire votre crise Mr Hor, dit paisiblement Loth en émergeant avec les deux autres d’une armoire murale. Comme vous pouvez le voir, c’est sur une carcasse de cochon que vous avez tirée, fit-il en souriant.

- Alg Hor où l’histoire du plus grand militant et défenseur de la nature de South Blue. Demain, on parlera de vous comme d’un déchet. Un déchet météorologique et ça siéra au marchand de pluie que vous êtes.  


Dernière édition par Loth Reich le Dim 24 Jan 2016 - 22:40, édité 1 fois
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19.
Avec une force inutile, Misrî se jeta sur Hor, le plaqua et l’immobilisa sur le lit. A la protestation des autres, il répliqua que le suspect était armé et surtout dans un état second et qu’il pouvait très bien retourner les armes contre lui. La déduction se justifiait, dès que Alg Hor les avait vu, ses pupilles s’étaient dilatées de manière inquiétante. Même maintenant qu’il était de profil, entravé et menotté sur le lit à côté du cochon saignant, il avait le regard perdu dans les vagues comme s’il n’arrivait pas à croire qu’il ait été capturé. Le choc sembla l’avoir déconnecté de la réalité.

- On ne tirera rien de lui, amenons le à la Divison. D’ici là, il reviendra à lui. Enfin, c’est toi qui voit Mustapha.  

- Mouais, allons le cuisiner dans la cave où il nous a espionné, ça va lui redonner de la fraicheur. Allez debout ! Gros tas de graisse !  


20.
- Pouaauuuf ! Brrrrrrrr ! vociféra Hor quand L’anguille jeta sur son visage de l’eau de mer glacée.

Il secoua sa tête comme un chiot mouillé. Petit à petit, au fur et à mesure qu’il gagnait en lucidité, son visage se couvrait d’une horreur indescriptible. Il prit conscience qu’il était dans les cachots de la 19ème, il prit conscience qu’il avait été pris en flagrant délit de tentative d’assassinat. Il prit conscience qu’il était définitivement cuit quand sur la table, Loth déposa un dispositif d’espionnage escargophonique qu’il venait juste de retirer d'en dessous.  

- Je crois que cet escargophone est à vous.

- Mes médocs… Donnez-moi mes médocs ! cria-t-il avec une hantise démesurée en se tâtant le corps. OÙ SONT MES MÉDICAMENTS ? JE LES AVAIS SUR MOI !

BANG !

- Misrî ! beugla Dickson en empoigna la main de son collègue qui repartait s’écraser une nouvelle fois sur le visage d’un Alg Hor dont le nez saignait déjà. On ne torture personne ici, je ne tolérerai pas que tu portes encore atteinte à son intégrité physique !  

- Tu n’as pas besoin de le tolérer ! répliqua L’anguille fou de rage et cette fois-ci, ce n’était pas feint dans la dernière fois dans ces mêmes cachots. Je dirige cette enquête ! Je décide de comment interroger MES SUSPECTS !  

- Ça suffit tous les deux, vous êtes barbants à vous chamailler comme des enfants de cour de récréation. Et Lieutenant-colonel Misrî, je ne crois pas qu’il ait besoin de porter la main sur cet homme, il va tous nous avouer de lui-même, tout ce qu’on veut savoir. N’est-ce-pas, Mr Hor ?

- Donnez-moi mes médicaments, pitié ! supplia-t-il. Ils ont dû tomber dans la maison 17 !

- Je ne comprends pas que vous soyiez si fragile et que vous continuiez votre vie de militant. Enfin, elle est terminée maintenant. Dickson, je crois qu’on peut faire appel à Cocorico ?
 
- Tout juste, fit Dickson en lâchant enfin le bras de Misrî. Lieutenant Moralès ! Allez voir le Commandant Given Cocorico et dites lui de nous envoyer la digitaline, le médicament contre l’arythmie cardiaque. Et vite !  

- Voilà, votre drogue arrive. Donc dites nous, commencez à vous mettre à table. Oh que vois-je ? Non, enlevez-ça, faites-moi voir !

Cette fois-ci, ce fut Loth qui se jeta sur le prisonnier. Pas pour le violenter, enfin presque pas. Pour éponger le saignement de son nez cassé par Misrî, le bedonnant Hor s’était servi du col de sa chemise si bien qu’il l’avait déboutonnée au niveau l’épaule droite. Pendouillant, le tissu avait révélé la peau nue et tatouée de cette partie du corps du magnat. Et c’est ce qu’il tenta de cacher à l’œil acéré de Loth. Mais heureusement, Dickson et Misrî vinrent à la rescousse, l'aidant à mettre torse nu leur prisonnier. Sous sa clavicule droite était tatouée une figure :


Cela ressemblait fortement à un astérisme céleste. Et pour un féru d’astronomie tel que Loth, moins d’une seconde suffirent pour l’identifier.

- C’est… On dirait une constellation, mais je n’en ai jamais vu de telle… Enfin, je ne suis pas un spécialiste, marmonna Dickson.

- C’est la constellation du Chaudron, expliqua Loth. Et si vous ne la connaissez pas, c’est sans doute parce que vous n’avez pas longtemps séjourné sur North Blue. Le Chaudron est une constellation septentrionale, invisible depuis South.

La constellation du Chaudron

Et ce qu’il y avait de plus intéressant dans la constellation du Chaudron, c’était qu’elle était composée de six étoiles. Six… Le chiffre sonna en écho dans l’esprit de Loth et le rattacha immédiatement à ce dont il avait parlé avec Dena’ huit jours plus tôt. La Maxime de Marie-Curie.

« Elles sont Six et Unité. Six vaches à lait qui allaitent sous le chaudron de midi. »

Le binoclard ou comme on le surnommait ces derniers temps, "le Moine Hérétique", demeura totalement impassible alors qu’en fait, tout dansait la conga en son for intérieur. Ainsi, il avait retrouvé la piste des six vaches à lait mentionnées par Marie-Curie. Il était venu à Bliss pensant que Dickson le mènerait sur la piste du numéro 2 du Réseau et voilà qu’il se retrouvait confronté à la plus grande de toutes ses Cellules. Il n’était pas déçu, non, il était content. Content d’avoir la preuve, même indirecte de ses déductions. Maintenant, il fallait en savoir plus.

- Regardez, les étoiles de la constellation tatouées sur Hor ne sont pas de tailles égales, remarqua Dickson. Non, en fait, elles sont toutes égales sauf la troisième étoile en partant du sommet. Celle-là est plus grosse et d’ailleurs, elle est rouge. Qu’est-ce que ça signifie ? Que cette étoile serait une géante rouge, une de ces étoiles massives en fin de vie ?

- La troisième étoile porte le nom de Gamma Caldariam et non, ce n’est pas une géante rouge. Une géante rouge est une étoile en fin de vie et la constellation du Chaudron n’est constituée que d’étoiles de type G, trop jeunes en somme. Je pense que cette emphase graphique sur cette étoile particulière est directement en rapport avec la hiérarchie de notre ami dans la Super Cellule.

- La Super Cellule ? C’est encore quoi ça ?

- Je vous rappelle encore une fois que l’organisation d’Ashura est très fragmentaire, le Réseau étant émiettés en plusieurs Cellules dirigées par un Chimiste-en-chef. Il en a toujours été ainsi sur North Blue. Donc imaginez ma surprise quand j’ai découvert dans le journal intime de Marie-Curie, chimiste-en-chef de la Cellule Tempest que j’ai démantelée en début 1626, des notes tendant à indiquer qu’il existerait une Super Cellule née de la fusion de six autres. Six Cellules dirigées par un seul et unique Chimiste-en-chef. C’était tellement invraisemblable, d’abord au niveau organisationnel d’Ashura puisque c’était du jamais vu, mais aussi, je n’arrivais à imaginer qu’un seul chimiste puisse s’occuper de six Cellules à lui tout seul. Mais il semblerait que j’avais tort de penser ainsi, cet astérisme de six points semble indiquer que j’ai trouvé la Super Cellule, explicita Loth en se gardant de leur parler de la maxime. Il voulait garder un coup d’avance.

- Je vais vous contredire mon bon mais, vous avez tout faux sur une partie de votre conclusion. En fait, vous avez péché par généralisation, tout ce que vous savez de l’organisation d’Ashura est intrinsèquement spécifique à Ashura sur North Blue. Ici, sur South, les chimistes assez doués et criminels pour produire de la Dance étant très rares, le Réseau a opté pour une concentration de ses activités. Les Cellules Jade, Améthyste, et Obsidienne que j’ai démembrées de 1622 à 1623 avaient un seul chimiste en chef : Nurem Berg, de sinistre mémoire. Alors qu’il y en ait six fusionnées en une seule ne m’étonne guère. Vous auriez dû me faire part de cette information, j’aurais éclairé votre lanterne.  

- Dans ce cas, ça change tout et le doute n’est plus permis. Qu'il y ait emphase sur l’étoile Gamma Caldariam signifie surement que notre ami est un membre de la troisième Cellule de la Super C.

- Ne restez pas abasourdi, Hor, parlez ! Vos médicaments arrivent, alors parlez. Ne vous retenez pas, parlez seulement… Etes-vous oui ou non un membre d’une Cellule faisant partie d’une Cellule plus grande ?  

- Hum, hum, haleta-t-il visiblement toujours mal en point. Je suis… en effet, membre du Chaudron. C’est le nom … de la Super C. Je suis rattaché à Gamma, la troisième… Cellule. Hum, hâ, hum, hâ. Mais…

- Mais nous n’avons pas tout à fait raison à propos de la signification de l’accentuation graphique sur la troisième étoile n’est-ce pas ? Je l’ai vu dans vos yeux quand nous formulions nos hypothèses. Allez, parlez, parlez seulement…  

- Vous… hum… aviez raison. Mais à moitié… La géante rouge signifie aussi que je suis l’un… des Six Argentiers… Le Troisième à l’instar de ma Cellule…

- L’un des Six Argentiers ? répéta Loth. Ce qui veut dire ?  

- Ce qui veut dire que je demande une protection. Vous ne savez pas, je ne sais pas. Faut m’exfiltrer de cette île, loin, et je vous dirai tout ! dit-il, en reprenant un brin de souffle et de lucidité.

- Vous avez peur de vos anciens camarades ?  

- Je sais que je suis l’un des Six, les autres, je ne les connais pas. Pas plus que je ne connaissais Rattus. Si j’avais sû qu’en poursuivant le Crabe Bouilli, j’aurais attiré l’attention sur la Dance Powder, je l’aurais jamais fait, vous vous imaginez bien ! J’en ai déduit l’utilisation après la brusque tempête d’éclair qu’il y a eu en mer et me suis dit que peut-être, n’était-ce pas le braconnage qui vous intéressait…

- Et quand vous avez entendu son nom en espionnant l’interrogatoire, vous avez agi, et nous avons contrattaqué en vous piégeant. Maintenant, vous êtes fait comme un rat, donc parlez ! Vous n’obtiendrez aucun compromis ! intervint Misrî et Loth faillit sursauter de surprise tellement L’anguille était demeurée muette durant l’interrogatoire.

- PROTÉGEZ-MOI ET JE VOUS DIRAIS TOUT ! TOUT CE QUE JE SAIS ! beugla-t-il les larmes aux yeux.
Puis, soudainement, il s’agrippa encore la poitrine, en proie à une nouvelle crise.

- Là, calmez-vous, respirez. Tiens voilà vos médicaments, dit Dickson alors que le Lieutenant Moralès rentrait dans le cachot. Pourquoi ça a pris autant de temps, Lieutenant ?  

- Il n’y avait que deux comprimés dans la boite, Monsieur. Cocorico en a cherché dans la réserve sans rien trouver. Il dit que le stock qu’il lui restait a disparu.

- Peu importe, ça devrait faire l’affaire, non, Hor ? Allez, prenez en, fit-il en glissant les deux comprimés ovales dans les mains boudinées du magnat en crise.

Avec de l’eau pour humidifier le parcours, Hor avala les médicaments et souffla de soulagement. La main sur les hanches, Loth se demandait si le Colonel Orbea accepterait d’exfiltrer l’homme contre des renseignements de premières mais sur Ashura, parce qu’il était clair que la décision finale allait revenir à l’officier supérieur. Dickson et Misrî s’entre-déchireraient bientôt sur cette question.

Misrî… Ce type était plus un problème qu’un atout dans cette histoire.
Autant qu’il pût peser et soupeser l’enquête dans son ensemble, Loth ne comprenait en rien les manœuvres de La Truffe. Le Moine Hérétique était certain que Dickson trouvait ou espérait trouver un certain intérêt en faisant placer Misrî à la direction de l’enquête… Mais lequel ?
Déjà sur Boréa, ses manigances, ses coups avaient laissés Loth de court et impuissant. En serait-il de même cette fois-ci alors que le binoclard avait à cœur de lui rendre la pareille ? Même si lui-même gardait certaines armes et informations secrètes, il ne pouvait s’empêcher de penser que Dickson avait plusieurs coups d’avance sur lui. Loth avait l’impression que plus tôt il découvrirait pourquoi Dickson avait machiné pour se faire éjecter des décisions tactiques de l’enquête, mieux il pourrait aiguiser ses armes.

Car à présent que l’existence de la Super Cellule était confirmée, ses aspirations avaient changé du tout au tout. Certes, il fallait démanteler et désassembler le Chaudron mais son Chimiste-en-chef devait subir un traitement différent. Très différent de celui de Marie-Curie suicidée en voulant emporter Loth avec elle, différent de celui de Derek machiavel exécuté à bout portant par Avada Kedavra sur les ordres de Loth.
Si d’aventure le chimiste du Chaudron n’était pas une espèce de cinglé génocidaire, Loth pensa que pour la première fois depuis son attaque frontale contre Ashura en début d’année qu’il serait temps de recruter…

Oui, il avait emmagasiné assez pour ouvrir sa propre boutique, sa propre usine de production de Dance. Il avait le lieu idéal pour l’unité de production : une ancienne mine de cristal désaffecté à Inu Town. Il disposait déjà de 100 larbins et d’un bateau laboratoire, si besoin en était. Oui, il était temps de commencer à produire. Il était temps que sa propre organisation commence à germer sur les ruines d’Ashura. Il était temps que Shadow Law naisse des cendres d’Ashura. Et pour ça, il devait recruter ce chimiste de génie capable d’assurer la production de six Cellules à lui tout seul… Il ne pouvait pas trouver mieux…

- REICH !

Perdu dans les méandres de ses rêves de gloire et de succès, Loth fut totalement déconnecté de la réalité. L’exclamation de L’anguille le ramena brutalement dans la réalité et Loth se surprit à porter secours à Alg Hor sans même savoir ce qui se passait. Le magnat convulsait comme un épileptique, les deux mains crispées sur la poitrine côté cœur. Ses yeux exorbités roulaient follement dans leurs orbites. Hor était à terre et les Lieutenants-colonels tentaient vaille que vaille que le maintenir à flot.
Loth ne sut combien de temps dura son agonie, tout ce qu’il sut c’était qu’il se sentit étrangement vide quand enfin Alg Hor arrêta de trembler et qu’une dernière complainte rauque s’échappa de sa gorge au moment même où Cocorico arriva en dérapant sur le sol humide des cachots.

Le Troisième Argentier était mort et pour Loth, cela signifiait un coup de frein brutal à ses rêves de Shadow Law. Comment allait-il maintenant trouver le Chimiste du Chaudron ?


Dernière édition par Loth Reich le Dim 24 Jan 2016 - 23:02, édité 1 fois
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21.
- Mais... mâcha Cocorico hébété, le médicament aurait dû faire effet ! Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il tout en tentant de réanimer le magnat. Sans succès.

- Il l'a pris, mais n'a jamais semblé aller mieux. Il a fléchi de plus en plus jusqu'à s'écrouler puis convulser. Cet enfoiré a trouvé le moyen de nous filer entre les doigts quand il allait tout nous déballer ! déclara Misrî de rage.

- Tu parles comme s'il avait souhaité mourir. Peut-être l'avons-nous capturé trop tard, supposa Dickson, dévasté. Son état semblait déjà sérieux, la digitaline est arrivée trop tard. Sûrement.

- Je ne suis pas de cet avis, marmonna Loth d'une voix sans timbre. L'arythmie n'est pas la cause de sa mort, il a été assassiné, j'en suis sûr.

L'affirmation de Loth sembla frapper d'effroi l'assistance. Cocorico secoua la tête de négation et continua son inspection du cadavre pendant qu'une troupe de marine arriva sur les lieux. Après les examens préliminaires, Misrî autorisa la levée du corps pour une autopsie que Cocorico jugea inutile étant certain que l'arythmie congénitale du mécène avait finalement eu raison de lui.


22.
Les premières lueurs de l'aube commençaient à pointer à l'est. Trois heures s'étaient écoulées depuis la mort d'Alg Hor et le secret était toujours bien gardé. D'une part parce qu'il avait trouvé la mort à une heure où le pays dormait encore mais surtout au vu de sa renommée publique et de ce qu'ils avaient découvert, l'histoire risquait de prendre des proportions alarmantes et il fallait agir avec doigté. Le décès d'un tel personnage dans les murs de la 19e risquait de gravement radicaliser les militants de Green World qui ne sauraient pas de comprendre ce que les forces de l'ordre reprochaient à leur leader. Et tout le monde était d'accord pour dire que Portgentil n'avait pas besoin d'une émeute grandeur nature ou pire, d'une guerre civile. Le spectre n'était pas exagéré, les militants -passifs ou actifs- de Green World étaient estimés à quelques cinq milles individus dont milles catégorisés comme "radicaux".

Aussi, Dickson et Misrî disparurent-il immédiatement après la levée du corps pour une réunion hautement stratégique avec le Colonel Orbea et le roi. Jugeant qu'il n'avait pas son mot à dire dans cette histoire, Loth préféra rester seul à faire les cents pas dans son bureau. Cela dit, il imaginait bien la teneur de la réunion et le casse-tête des Colonels et des services royaux.
A 6h30, un Dickson lessivé entra d'un pas trainant dans le bureau et se liquéfia sur le fauteuil, face contre le coussin. Quand il parla, ce fut d'une voix ensommeillée.

- 'lors, ça roule ?

- Ça peut aller, et vous ? Qu'avez-vous décidé finalement ?

- De ne rien faire du tout. Trois heures de discussion pour en arriver là. L'épine dans le pied, c'est évidement la taille de Green World. Avant, on parlait de cinq milles passionnés et hippies. Quand on voit ça sous l'angle de cinq milles individus armés, là, ça change tout et on se pisse dessus. Et puis, plus important, on ne sait pas aussi si seul Hor était impliqué dans le Chaudron ou si la majorité des activistes de l'organisation sont avec lui. Du coup ça fait beaucoup de questions sans réponses et le roi nous a renvoyé à notre enquête pour les chercher ces réponses justement... Mais en attendant, si jamais quelqu'un signale la disparition de Hor, nous enquêterons comme si nous savions rien du tout. Le temps joue contre nous, on ne pourra pas garder ça secret éternellement. Surtout pas quand leur N°2, Amanda Keen, est une journaliste d'investigation des plus teigneuses.
Et vous ? Avez-vous avancé dans votre raisonnement ? Cocorico a fini l'autopsie non ?


- Oui, il a fini, le rapport est sur la table basse. Lisez-le.

- Hmmm, les examens semblent corroborer la mort par arythmie et tous les signes précédant sa mort la corroborent également. Cela dit, les examens ne sont pas encore finis, d'après ce que je lis. Il reste à analyser les contenus stomacaux du défunt et ça prendra beaucoup de temps...
J'ai évoqué votre théorie à Orbea et au Roi et ils ne semblent pas convaincus vu l'état maladif de Hor. Cela dit, vous avez toute mon attention, expliquez-moi pourquoi et par qui vous pensez qu'il a été assassiné,
acheva Dickson qui avait l'air d'un professeur demandant à son étudiant d'argumenter son exposé.

- Il avait peur. Alg Hor avait peur de recevoir la sentence qu'il avait lui-même infligé à Rattus. Il nous a demandé de le protéger, de le conduire loin de cette île parce qu'il ne connaissait pas le visage de ses compères et typiquement, vous, Misrî ou moi, l'un d'entre nous aurait pu être un des Argentiers ou un membre à un autre niveau du Réseau. Nous aurions alors une bonne raison pour l'éliminer vu qu'il s’apprêtait à passer à table.

- Accuseriez-vous l'un d'entre-nous de l'avoir éliminé ?

- Je n'accuse pas. Je l'affirme. C'était un meurtre par préméditation, orchestré et préparé par quelqu'un de l'intérieur depuis un minima de cinq heures avant la capture de Hor. Le gars souffrait de tachycardie, une pathologie qui affole le rythme cardiaque, discourut Loth en s'approchant de la table basse pour y déposer un tube contenant des comprimés ovoïdes d'un blanc nacré.

- C'est de la digitaline, remarqua Dickson en ouvrant le tube et en reversant quelques cachets dans sa paume.

- Fatale erreur, vous venez de mourir d'une crise foudroyante de tachycardie, mon cher, fit Loth en redressant ses lunettes. Ce n'est pas de la digitaline mais son jumeau maléfique. De l'atropine. Même forme, même couleur, effets diamétralement opposés. Là où la digitaline ralentit le cœur, l'atropine l'emballe. La digitaline est utilisée contre la tachycardie, l'atropine est prescrite contre la bradycardie.
Maintenant imaginez qu'on donne de l'atropine à quelqu'un souffrant déjà d’emballement cardiaque ? Son cœur affolé s'affole encore plus et c'est la crise mortelle. Alors, qu'on me dise que Hor est mort d'une crise de tachycardie, je signe tout de suite. C'est un meurtre parfait.


- Impressionnant... murmura Dickson qui semblait sincèrement étonné. Et vous pensez qu'on aurait échangé les comprimés ? Mais... mais...

- Mais, seuls vous, Misrî, Cocorico et moi savions pour Hor et son dispositif. Seul l'un d'entre nous aurait pu se préparer à sa capture et à son élimination. Et suis prêt à parier ma tête que ce n'est pas vous. Aussi, j'attirerais votre attention sur le débat assez inutile que nous avions eu dans le labo de Cocorico. Misrî voulait savoir comment on pouvait être certain que la digitaline sous les ongles de Rattus provenait d’Alg Hor. Et en ce faisant il a orienté la discussion sur la présence de digitaline ici, dans cette base en prétendant que des Marines espions auraient pu tout aussi bien avoir tué Rattus. M'est avis que par là, il cherchait à s'assurer que la boite à pharmacie de la base disposait effectivement de digitaline au cas où Hor serait capturé et en aurait eu besoin.

- Donc, durant l'arrestation de ce dernier, il a tout fait pour qu'il en ait besoin ? Il l'a brutalisé et quand il l'a entravé sur le lit de la maison 17, il aurait pu en profiter pour le décharger de ses médicaments, l'obligeant ainsi à prendre la digitaline de notre pharmacie ?

- Sauf qu'entre-temps, il a interverti les comprimés. L'atropine à la place de la digitaline. Cette boite d'atropine, je l'ai achetée dans la première pharmacie à l'extérieur, ce n'est donc pas un truc rare. Une chose aussi a joué en sa faveur. Je ne sais pas si vous vous souvenez mais...

- Mais, dans la boite que nous avais présenté Cocorico, il ne restait que deux comprimés de digitaline. C'était donc parfait, il les aura enlevés puis placés les atropines. Et ce sont elles que Hor a avalé faisant ainsi disparaître toute trace du meurtre. S'il y avait plus eu plus de comprimés, le coupable aurait été obligé de tous les intervertir et donc laisser une preuve du meurtre.

- Le Lieutenant Moralès a dit que Cocorico avait en vain cherché le stock de digitaline dans la réserve et que ça avait disparu. Misrî n'avait aucun intérêt à ce qu'il y ait plus deux comprimés disponibles. Et pour finir, j'attirerai aussi votre attention sur son manque de participation à l'interrogatoire. Aucune question sauf pour menacer Hor ou le brutaliser. Là aussi, il n'avait aucun intérêt à ce que Hor nous oriente sur la bonne voie. En se basant sur toutes ses déductions, je tiens pour certains que le Lieutenant-colonel Al-Misrî est un membre d'Ashura et mon instinct me dit que c'est l'un des Six Argentiers. Mon instinct me dit aussi une dernière chose.

- Quoi donc ?

- Que vous le saviez, dit Loth en redressant ses lunettes de son majeur, ses pupilles bleus saphir plongées dans les prunelles grises de Dickson. Du moins, vous vous en doutiez, raison pour laquelle vous avez tout fait pour que la 54e prenne part à cette enquête. Vous vous êtes débrouillé ensuite pour être éjecté de la prise de décision. Vous avez manigancé tout ça parce que vous aviez des soupçons sur votre collègue et l'avez mis dans une position où il était aux premières loges, prêt à agir pour protéger sa couverture de Lieutenant-colonel. Vous l'avez attiré au sommet pour mieux l'y pousser.  

Aux allégations de Loth, Dickson partit sur un franc rire en se tenant les côtes. Il rit pendant longtemps, en pleura même pendant que Loth le regardait impassible.

- Hahaha, mon bon, c'est magnifique. Votre flair est vraiment aiguisé ! Mais je suis au regret de vous dire que vous me surestimez. J'avais en effet un doute sur un individu et c'était Alg Hor, pas Misrî. Qui plus est, je n'ai pas vraiment manigancé pour le parachuter à la tête de l'enquête. "Improviser" serait le mot juste. Sa haine face à la perte de ses hommes à Lz ne m'avait pas semblé sincère et son regard quand il a appris que nous enquêtions sur un réseau de trafic de Dance et non de braconnage m'a confirmé que cet homme redoutait que nous découvrions une certaine vérité dérangeante. C'était ce que me dictait ma Truffe alors j'ai exposé les faits de telle sorte qu'Orbea le désigne pour nous aiguiller. Ce n'était pas compliqué, Orbea est un homme de principe et très droit. Deviner sa réaction n'avait pas pris une tierce. La suite, vous la connaissez, j'espérais que Misrî se trahisse mais je n'avais pas pensé qu'il puisse être si subtil. Sans vous, je ne suis pas sûr que j'aurais pu deviner l'utilisation de l'atropine.

- Je suis sûr que Cocorico en trouvera des traces dans les contenus gastriques d'Alg Hor.

- Oui mais en attendant, nous n'avons que des hypothèses et aucune preuve pour les étayer.

- On peut le confondre très simplement. Présentons nos soupçons au Colonel et demandons à Misrî d'enlever sa chemise. Si c'est un des Argentiers, on retrouvera le tatouage du Chaudron sur son corps.

- Oui mais non. Je ne vais pas me pointer devant mon Colonel et demander à un officier supérieur de même grade que moi de se dénuder parce que je suis incapable de produire des preuves. Et si c'était un membre d'Ashura sans pour autant être un des Argentiers ? Il n'aura peut-être aucun tatouage et là, je me couvrirai de ridicule et finirai ma carrière sur une île paumée à diriger un centre de formation de Marines qui sauront à peine courir un kilomètre sans tomber en syncope. C'est non, Loth. Pour le confondre, faisons ce que nous savons faire de mieux vous et moi. Dénicher des preuves.
Ce qui m'amène à me demander, mon bon, qu'est-ce exactement qu'un "Argentier" du Chaudron ?



23.
- Alg Hor était peut être le trésorier de sa Cellule, Gamma ? proposa Cocorico.

De débat en débat, Loth et Dickson avaient fini par atterrir dans le laboratoire du travesti. Ils prirent soin de ne pas l'informer de leurs forts soupçons sur Misrî et se contentèrent d'épouser sa conclusion sur la tragique mort par crise foudroyante de tachycardie.

- Vu la richesse de Hor, ce serait normal en fait qu'il soit le trésorier de Gamma. Argent, donc Argentier. Ses activités légales dans le mannequinat auraient d'ailleurs pu servir à blanchir l'argent sale de la Dance. Mais... marmonna-t-il en jetant un coup d'œil imperceptible à Loth.

Le binoclard devina ce qu'il ne pouvait pas dire devant Cocorico : « Mais ça ne semble pas correspondre au profil de Misrî. Il n'est pas riche lui et ne brasse pas des centaines de millions. »
Et c'était vrai, pensa Loth, "Argentier" devait signifier autre chose. Il y avait un autre point focal qui pouvait les rallier et en fait Loth avait eu tout le loisir d'y penser pendant qu'il faisait les cent pas dans son bureau quand les Colonels débattaient avec le roi de la sécurité de l'île.

- Au fait, où est Misrî chou ? ♥

- A la 54e et il doit être bien vénère en ce moment.

- Hmmm ? Pourquoi ? demanda Loth en réalisant qu'il n'avait même pris des nouvelles récentes du Lieutenant-colonel qu'il n'avait pas revu depuis la mort de Hor.

- Le roi l'a relevé en personne de la direction de l'investigation, enfin, il a demandé à Orbea de le faire parce qu'il a jugé que ses brimades sur Hor ont peut-être contribué à sa mort rapide. L'anguille commande maintenant les équipes tactiques qui vont se placer et surveiller en toute discrétion les membres de Green World répertoriés comme violents.

- Tant mieux, vous êtes un chef bien plus avisé que lui. Et pour revenir à notre sujet principal, je crois savoir ce que signifie "Argentier". Dickson, vous aviez dit que durant l'arrestation de l'équipage du Crabe Bouilli, vous avez recueilli une infime quantité de Dance Powder, non ?

- Oui, chou-fleur, et même qu'il me l'a donnée pour analyse.

- Ah oui, c'est vrai ! Mais la mort de Rattus et tout ce qui s'en est suivi m'a fait oublier cet élément, avoua Dickson en se tapant le front. As-tu découvert un truc particulier ?

- Particulier, oui. C'est la première fois que j'analyse la Dance Powder produite par Ashura et j'ai été vraiment surpris. Voyez-vous mes chéris, la Dance "classique" -comprenez la formule la plus connue- est majoritairement composée de produits chimiques à fortes affinités avec l’eau comme le sel de sodium, le calcium, le magnésium. La Dance d'Ashura est unique en ce sens qu'elle est...

- Saturée d'argent, compléta Loth. L'élément chimique, naturellement.

- Tout à fait, petit précieux ♥♥ ! Cette Dance est gorgée d'argent et plus précisément d’iodure d'argent, de chlorure d'argent et de nitrate d'argent. Comment le sais-tu, Lothounette ?

- Parce que c'est la signature d'Ashura, fit Loth en sortant de l'intérieur de sa veste le journal rosé de Marie-Curie. Elle y a mentionné que la formule "argentée" de cette Dance a été développée par Lavoisier lui-même et constitue une sorte de gage de qualité au produit estampé "Ashura". Là où le bât blesse et fait notre bonheur c'est que les trois dérivés de l'argent que vient de citer Cocorico sont des produits chimiques très toxiques, plutôt rares et dont l'utilisation est très réglementée. J'imagine que dans un pays tel que Bliss, avec un port si surveillé, des produits chimiques de ce genre ne doivent pas beaucoup passer inaperçu et c'est pour ça que je pense qu'avec six Cellules à nourrir en argent, Ashura aura opté pour la transparence. S'approvisionner légalement, au su de tous puis le détourner pour produire de la Dance.

- Ça semble en effet moins ardu que de créer tout un circuit souterrain d'approvisionnement, murmura Dickson, la main sous le menton.
Mais alors, si "Argentier" signifie "Qui approvisionne en argent" -l’élément chimique-, comment Alg Hor en fournissait-il à Gamma ?
Femme d'hor, bien sûr...
marmonna Dickson après une seconde de réflexion.

- Je ne comprends pas.

- Femme d'hor est la plus grande société de mannequinat de Bliss, je ne vous apprends rien Cocorico. Mais à l'origine, Dickson me l'a appris, c'était une société de shooting, de photographie. D'ailleurs, elle l'est toujours aujourd'hui, la photographie constituant une part importante de son revenu. Vous comprenez maintenant ?

- Oui, oui. Pour développer les photos en mode "argentique", l'iodure d'argent est utilisée parce qu'il est hautement insoluble dans l'eau et plus d'être photosensible.

- Tout à fait. Donc sous le couvert de cette activité parfaitement légale qu'est la photographie, notre mécène alimentait les cuves de sa Cellule en iodure d'argent. En toute légalité. C'est ainsi qu'Alg Hor est devenu, le Troisième Argentier.


Dernière édition par Loth Reich le Dim 24 Jan 2016 - 23:32, édité 1 fois
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24.
- Vu que Femme d'Hor s'approvisionne légalement en argent, nous pouvons facilement retrouver son fournisseur non ?

Quelques minutes après s'être débarrassés de Cocorico, Loth et Dickson étaient posés dans le bureau du Lieutenant-colonel pour plancher sur la marche à suivre maintenant qu'ils tenaient un bout de piste.
Un sous-officier entra dans le bureau, gratifia le Colonel d'un salut solennel, lui tendit une lourde enveloppe en papier kraft puis tourna des talons et s'en fut.  

- Voici la réponse à votre question, fit Dickson en tendant à Loth le contenu de l'enveloppe.

- "Gent Lab" ? lut Loth en prenant la feuille.

- Oui, c'est une entreprise royale en fait, instituée depuis près de cent ans. C'est le seul et unique fournisseur de produits chimiques de l'île. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est un secteur hautement stratégique pour des raisons de santé publique mais aussi de sécurité. Aussi, ils sont les seuls à même de fournir les solvants, les composés et toutes ces cochonneries qui servent ci et là. Si nous faisons une descente là, nous pourrons mettre la main sur leur liste de clients. Même si je doute que ça puisse nous avancer à quelque chose vu qu'ils doivent en avoir des centaines, de clients.

- Oui mais ce qui nous intéresse, celui qui nous intéresse, c'est Misrî. Si on a la confirmation par la liste qu'il s'approvisionne en iodure ou nitrate d'argent, on aura un début de preuve. Mais en fait, si la société est si sensible, elle ne peut livrer à n'importe qui, je me trompe ? Il doit y avoir des contrôles et tout.

- Misrî s'est peut-être servi de son grade pour infléchir leurs positions...

- Mais au delà, je me demande, si notre hypothèse est avérée, pourquoi se serait-il ligué avec ces gens d'Ashura ? Avec le Chaudron ? Vous qui le connaissez bien, relativement disons, qu'est-ce qu'il peut y gagner ? Du fric ?

- Non, je crois que c'est plus profond que ça, marmonna La Truffe une main sur le menton. C'est un fils d'immigrés qui est né ici à Portgentil. Garçon plutôt solitaire, il a rapidement gravi les échelons grâce à son talent au commandement et aussi grâce à son inventivité. Pour moi, Mustapha Al Misrî est un individu passionné, intensément et c'est uniquement là que nous trouverons les réponses à votre question. Vous faisiez partie de son équipe Reich, vous l'avez vu combattre non ?

- Oui, il utilise de l'électricité. Thunder dial, on avait dit. Mais je l'ai vu se couvrir le corps entier d'électricité aussi donc il doit avoir une très bonne résistance aux courants.

- Oui, et on le surnomme "L'anguille." Rappelez-vous, c'est de mauvaise grâce qu'il a accepté de se joindre à notre enquête parce qu'il était occupé par ses expériences. Misrî n'est passionné que d'une chose : l'électricité. Il pense que c'est la source d'énergie de demain, il voit déjà nos croiseurs propulsés à l'énergie électrique et il reçoit des subventions pour ses recherches dans ce cadre. Alors, moi je me demande : quel meilleur pourvoyeur d'électricité y a-t-il que la nature ?

- La foudre... murmura Loth. Vous pensez qu'il a rejoint le Chaudron pour disposer de Dance Powder à volonté et ainsi déclencher des orages pour étudier la foudre de plus près ?

- Certainement. Mais je pense qu'il a dû trouver le moyen de déclencher des orages très localisés pour ne pas attirer l'attention. Ses parents vivent dans l'arrière-pays, il doit y avoir un labo pour ce genre d'expérience, loin de la caserne.

- Dans ce cas, on trouvera des éléments de preuves chez Gent Lab. Mais pouvons-nous vraiment y aller perquisitionner ?

- Le roi m'a donné mandat de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour retrouver la piste perdue du Chaudron alors, il n'y a pas à lésiner. On y go !


25.
Un moment plus tard, Dickson était attablé avec la directrice clientèle de Gent Lab, une femme d'une cinquante d'années à l'air stricte, le visage ridé et les cheveux sévèrement et soigneusement tirés en chignon. A la demande de La Truffe d'avoir un duplicata de la liste de ses clients, elle le regarda soupçonneusement par dessus ses lunettes rondes.

- Pourquoi faire ? demanda-t-elle sèchement.

- Une enquête en cours.

- Mais vous -de la 19e- n'avez pas juridiction ici, Lieutenant-colonel. Je suis au regret de vous informer que je ne peux vous donner cette liste. Revenez avec le commandant de la 54e et nous en reparlerons.

- Pas plus tard que ce soir, fit Dickson en s'approchant du nez crochu de la dame, le roi lui-même a provisoirement aboli ces luttes intestines de territoire. Nous avons une mission, arrêter des fauteurs de trouble, des meurtriers. Ça vous intéresse ? C'est une course contre le temps et je n'en ai pas pour faire venir un officier supérieur de la 54e. Ils sont loin, occupés avec d'autres chats !

- Vous n'avez peut-être pas le temps, mais le temps non plus n'a pas le temps, Colonel, dit-elle d'un air sans émotion. Nos clients sont dans des secteurs très sensibles pour la sécurité du royaume que vos hommes et vous contribuez à assurer alors, je vous prierai de ne pas me rendre la vie difficile. Je ne fais que respecter les consignes signées du roi et de l'ambassadeur du Gouvernement. Notre liste est secrète, il me faut l'autorisation signée du Colonel commandant de la 54e Division des Marines de Bliss pour vous la donner.

A l'extérieur, dans le hall d'accueil de l'imposant bâtiment de Gent Lab, Loth riait à gorge déployée avec l'assistante administrative. Préférant rester avec elle plutôt que de partir quémander une liste avec Dickson, Loth avait papoté avec la rousse incendiaire pour finalement se trouver des origines communes.

- Sans dec' ? T'es du Royaume de Pétales ? Moi aussi ! mentit-il.

- Oui, j'ai fui la rébellion, toi aussi ?

- Nan, rien de tel. Enfin, depuis que Pétales est rentrée dans la fédération du Taldor, c'est devenu invivable. J'ai mis les voiles peu de temps après pour des contrées moins chaudes que notre vieille Pétale, hélas !
Boréa ! Il y caille 25h/24, mais c'est une bonne excuse...


- Une excuse pour quoi ? demanda-t-elle avide en baissant le ton d'un air conspirateur.

- Promet-moi de ne rien dire à personne...

- Promis !

- Bah tu vois, quand le temps est froid, les humains ont besoin de se réchauffer vois-tu ? La chaleur corporelle quand l'hiver vient, rien de meilleur ! Je te fais un dessin ?

- Hihihi, toi alors, fit-elle d'une moue du poignet. T'es un vrai cachotier ! Je pensais que tu allais me raconter des ragots croustillants.

- J'espère que vous vous amusez bien, Reich ! tonna une voix grondante et coléreuse dans son dos.

- Raisonnablement bien, Lieutenant-colonel Misrî, fit Loth souriant. Je suis en si bonne compagnie, comment ne pourrais-je pas m'amuser ? Et vous, ça va ? On ne vous a pas revu depuis l'interrogatoire, tout baigne ?

- Que fichez-vous là ?

- Moi ? Rien, je papote avec une compatriote Taldorienne. Et vous ?

- Moi, je fais mon job ! Et Dickson et toi empiétez sur ma juridiction ! C'est une perquiz' que vous êtes venus faire ?

- Non, juste obtenir la liste des clients, répondit La Truffe qui entra dans le hall suivi de la directrice de la clientèle.

- La... l..liste des clients de Gent Lab ?! tonna L'anguille qui devint tout blême d'un coup. Et pourquoi cela ? Et pourquoi je n'en ai pas été avisé ? Vous êtes sur...

- Oui, oui, on connait la chanson. Juridiction, héritage, toussa, toussa. Apparemment, madame la directrice refuse de me la fournir tant qu'elle n'aura pas affaire avec Godric Orbea lui-même. Mais au cours de notre passionnante discussion, je me suis rendu compte qu'on pouvait finalement passer outre cette liste. J'ai une solution de remplacement donc pas besoin d'aller voir le Colonel.

- Quelle solution ?!

- Oh rien, une petite solution à quelques miles marin d'ici et qui de facto se trouve hors de ta juridiction chérie, Mustapha. Allez, venez Loth, nous avons des poissons argentés à pécher ! fit Dickson d'un air goguenard.


26.
- Des "poissons argentés" ?

- J'y suis allé un peu fort ?

- Trop, je dirais, rigola Loth. En tout cas, ça se confirme, il est inquiet. Comme le roi l'a éjecté de l'enquête, il doit tenter de nous surveiller; ses éléments ont dû l'avertir de notre présence à Gent Lab et il est venu jouer les bureaucrates pour nous ralentir. Enfin, la vieille directrice vous a éconduit comme prévu ?  

- Ouais, sèchement. Elle n'a rien voulu lâcher. Je suis content de savoir des gens comme elle à nos points clés de sécurité mais tout autant inquiet de savoir des jeunes femmes comme votre rousse incendiaire à certains postes. Elle vous a donné la liste ?  

- Ouais, fit Loth souriant en donnant un papier roulé au Colonel. Cinq minutes de blabla, des poins communs, plus une invitation au restau des rois ici et elle m'a filé incognito la liste.

- Sacré tombeur ! Alors, regardons... Bon sang, ils sont nombreux... s'étonna-t-il devant la longue liste numérotée. J'ai du mal à croire que tous ces gens travaillent avec de l'argent.

- L'élément intervient bien plus qu'on ne le pense dans notre vie de tous les jours sans qu'on s'en rende compte. Jetez un œil au client N°122-A-4B.

- "L'équipe scientifique de la 54e Division des Marines de Bliss", lut Dickson en hochant du chef. Nice, vraiment très bien. En plus y a tout le listing du personnel de l'équipe scientifique qui travaille avec en fait et sans surprise... Mustapha Al Misrî. Apparemment, il utiliserait du chlorure d'argent dans l'étude des électrolyses.

- C'est le processus de conversion de l'énergie électrique en énergie chimique. On peut aller voir Orbea avec ce que nous savons non ?

- Oui, je pense que le plutôt sera le mieux désormais. Misrî se sait sur la sellette, il peut faire une bêtise...

N'avait-il pas fini de parler que Cocorico entra en trombe, dérapa avec force puis finit vautré de tout son long sur le vaste bureau de Dickson bondé de livres et de parchemins.

- Cocoriccoooooo, désolé Dixie choux ! ♥

- C'est un moindre mal. Que me vaut cette entrée ?

- J'ai carburé sur l'analyse des contenus stomacaux d'Alg Hor. Et j'y ai décelé des molécules d'Atropine ! Sa crise de tachycardie a été provoquée ! C'était un meurtre en fait !

- Euh... ouais, on le savait mon vieux. On sait même qui l'a tué mais merci quand même, fit Dickson en arrachant avidement les résultats imprimés des mains de l'Okama. Ça nous servira de preuve supplémentaire pour faire fléchir Orbéa. Qu'est-ce que c'est encore que ce boucan ?!

- Désolé de débarquer comme ça mon Colonel, marmonna rapidement le Lieutenant Moralès en arrivant à bride abattue, mais les manifestants de Green World sont revenus camper devant la porte nord. A leur tête, la journaliste Amanda Keen qui clame qu'Alg Hor a disparu depuis hier. Elle dit aussi que des témoins ont vu une silhouette ressemblant vachement à la sienne sur l'avenue des Marronniers entouré de trois hommes qui l'avaient "entravé". Elle est sure que nous l'avons capturé et dit que ça paraitra au journal écrit de midi.

- Oh merde... Okey, retenez-les à la porte, sans aucune violence, j'insiste. Déclarez que nous ne l'avons pas, qu'il est peut-être reparti en mer, je ne sais pas mais trouvez un truc. Allez, venez Loth, on passe par la porte Ouest. Direction la 54e.


Dernière édition par Loth Reich le Lun 29 Fév 2016 - 0:37, édité 2 fois
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27.
- Vous vous rendez compte de la gravité de vos accusations ? marmonna Godric Orbea derrière son massif bureau en orme.

- Oui mon Colonel, mais les preuves sont là. Alg Hor a été tué et raisonnablement, ça ne peut être que par l'un de nous quatre. Si vous pensez que Cocorico aurait pu falsifier les preuves de l'autopsie alors considérez notre escapade à Gent Lab. Mustapha est sur la liste au même titre qu'une partie de l'équipe scientifique de la 54e, il a accès à l'argent et à ses dérivés. Ni Cocorico, ni moi n'y avons accès. Mustapha Al-Misrî est un des Six Argentiers du Chaudron.

- Il se sait sur la sellette, Colonel, intervint Loth. Chaque minute de perdue à discuter est une chance que nous lui donnons de préparer sa fuite. Ordonnez son arrestation, je vous en prie.

- Allons-y ensemble, déclara Le Bouclier de Bliss après un temps de réflexion. Loth imaginait le combat déchirant qui avait lieu en son for intérieur. Son second était accusé d'être un criminel et un meurtrier. Orbea devait se remettre en question.
Laissons-lui une chance de s'expliquer et surtout, ne faisons aucun tapage qui puisse être dommageable à sa carrière si vos allégations se révélaient être fausses.

Le laboratoire de Misrî était à l'écart de la bâtisse centrale de la 54e mais dès que le trio mit les pieds dehors, ils surent tout de suite que quelque chose clochait. Il n'était pas encore midi et le ciel noircissait à vue d’œil. Moins d'une vingtaine de minutes plutôt, un soleil radieux de printemps réchauffait les âmes de Bliss, alors, nul n'eut besoin de dessin pour penser "Dance Powder".
Ils levèrent des talons et se ruèrent vers le laboratoire alors que le temps se gâtait à vitesse grand V. Dans la cour gazonnée de la base, les marines désemparés se beuglaient des ordres à tort et à travers pendant que le vent se levait et mugissait comme un taureau informe. Du coin de l’œil, Loth vit un sergent lutter pour décrocher le drapeau du Gouvernement. En lui tournant le dos, le Binoclard entendit une déchirure sèche qui lui indiqua que surement le blanc étendard était fourchu à présent. Le vent soufflait par rafales continues et de gros nuages noirs tapissaient à présent le ciel. La visibilité deviendrait bientôt nulle et pour y pallier, Loth et Dickson sortirent de leurs poches des lampes torches au lumino-dial. Elles étaient propriétés de la Truffe qui avait pensé que l'Anguille leur jouerait un tour pareil. A la sortie d'une ruelle délimitée par deux grands entrepôts, le trio débarqua devant le laboratoire.

Si Loth n'avait pas su qui y travaillait, il aurait opté pour un vieux fou de collectionneur-bricoleur. A l'origine, la construction devait ressembler à une grande dépendance mais aujourd'hui, ses murs extérieurs étaient tapissés d'étranges instruments qui tournaient, clignotaient et vrombissait. Le faîte du bâtiment était constellé d'antennes, de pointues à paraboliques. Quelque chose bulla à la droite de Loth et il dût se concentrer pour remarquer la présence d'une espèce de retenue d'eau aux encablures du laboratoire. Sporadiquement, une décharge électrique illuminait les eaux du marigot trahissant la présence d'anguilles électriques.
La porte du labo était fermée et rien n'indiquait la présence de Misrî à part l'utilisation récente de Dance Powder qui faisait tomber une pluie à grosses gouttes maintenant. Dickson se précipita vers la porte et en empoigna la manchette. Dès que la Truffa la toucha, Loth pressentit l'imminence d'un danger indicible. Il aurait voulu hurler mais le sinistre le prit de court.


Horrifié, il vit une formidable boule de feu naitre, grossir, s'épanouir, puis envelopper Dickson. Le son vint après. Un boucan d'enfer immédiatement suivit de l'habituelle onde de choc qui fit valdinguer Loth comme un fétu de paille. A la suite d'une vrille, il atterrit lourdement sur la terre trempée pendant que le ciel de Bliss pleurait encore et encore. Avant que son front ne percutât violemment le sol, l'entraînement prit le dessus et le Binoclard mit son avant-bras en opposition. Essayant de faire fi de la douleur qui lui lancinait à présent l'ulna, il osa un coup d’œil en direction du labo qui n'était que ruines. Des morceaux de tôles et de briques étaient éparpillés partout. De la verrerie brisée parsemait le sol mouillé pendant que des flammes nées de réactions chimiques à en juger par leurs couleurs inhabituelles consumaient ce qui restait encore du contenu du labo.

La pluie tombait toujours drue et Loth fut à moitié soulagé de voir une masse bouger lentement. Le geste fut plus sec par la suite, Godric Orbea, son bouclier au bras repoussa le pan de mur qui lui était tombé dessus. Il avait la barbe roussie, le bras tuméfié preuve que l'explosion lui avait léché cette partie du corps. Ses vêtements étaient en lambeaux. Couché, haletant à ses pieds, Dickson tentait de retrouver sa respiration. Incompréhensiblement, Loth ne vit aucune blessure apparente sur lui et quand La Truffe marmonna un "merci" à son Colonel, il comprit que si Dickson avait encore la vie sauve, c'était grâce à la réaction rapide du Bouclier de Bliss. Cela expliquait aussi l'état de ce dernier; malgré son bouclier, il avait subi une partie de l'explosion en y soustrayant Dickson. Ses réactions synaptiques et sa vitesse devaient être très bonnes, se dit Loth, il avait dû disposer de moins de deux secondes pour sauver La Truffe.

- Il avait prévu tout ça. Il a piégé le labo pour éliminer les gêneurs et les traces. Lieutenant-colonel Dickson ! Vous avez désormais toute la largesse pour capturer l'ex-Lieutenant-Colonel Mustapha Al-Mirsî soupçonné de meurtre et de trahison ! Je vais me plancher personnellement sur son avis de recherche !

- A vos ordres, répondit Dickson toujours à terre. Mais, monsieur, je ne pense pas que ce soit judicieux de lancer un avis de recherche maintenant.

- Ce qui fait la force d'Ashura mais aussi sa faiblesse, c'est la loi du silence imposée. Misrî est seul dans la nature, il ne peut pas faire appel aux autres puisqu'il ne les connait pas. Si ça se trouve, il ne connait même pas l'identité de celui à qui il livre les dérivés d'argent qu'il détourne. Mais, il y a des personnes qui connaissent les noms de tous les impliqués, je pense notamment au chimiste en chef du Chaudron. En lançant un avis, nous l'informerons qu'un de ses Argentiers est compromis. C'est en partie pour les mêmes raisons que nous n'avons pas encore rendu publique la mort de Alg Hor, je vous rappelle.

- Qu'est-ce-que vous préconisez ?

- Notre propre omerta. Disons que c'est un accident. Tiens, la meute accoure, ils ont été longs... fit Dickson en voyant approcher sous l'averse une horde de soldats.

- D'accord, mais grouillez-vous pour l'enquête. J'espère que vous avez encore des pistes ?

- Nous en trouverons, murmura Loth en se dirigeant vers les décombres de ce qui fut le laboratoire pendant que Godric Orbea s'éloignait à grand pas furieux.  


28.
L'averse s'était à présent transformée en bruine. Debout dans ce qui restait de ruines du labo, Loth et Dickson aidés d'une ribambelle de Marines cherchaient à tâtons n'importe quel indice pouvant s'avérer crucial. Misrî demeurait leur seule piste et à présent qu'il s'était volatilisé, les choses se compliquaient. Mais heureusement pour eux, comme le fit remarquer Dickson, tout ceci sentait la précipitation. L'anguille leur avait sûrement échappée dans un battement de dix minutes maximum, elle n'avait pas disposée de temps pour préparer sa fuite quand elle avait enfin compris à Gent Lab que Loth et Dickson ne tarderaient pas à remonter jusqu'à elle. Raison pour laquelle Misrî avait piégé son laboratoire pour le détruire par le souffle de l'explosion et le feu. Selon Loth, il devait stocker une certaine quantité de Dance pour ses recherches et peut-être n'avait-il pas pu tout emporter, raison pour laquelle il avait libéré le reste dans l'atmosphère.

De la part d'un scientifique étudiant cette poudre, c'était très bête, preuve que la précipitation faisait commettre de grossières erreurs, même aux esprits les plus éclairés. Comment Misrî pouvait-il espérer consumer son laboratoire par le feu et effacer des indices quand parallèlement, il déclenchait une averse digne du dernier déluge ? L'eau avait vite fait d'éteindre le feu laissant une pléthore d'indices à la disposition des truffes des deux limiers.
Après un quart d'heure de fouille, Dickson le premier, mit la main sur ce qui allait leur faire faire un grand bond en avant. La chose ressemblait à un registre à moitié brûlé. Ils se précipitèrent sous un hangar pour préserver le précieux de la pluie puis délicatement, comme si les pages du calepin était faites d'entrailles en décomposition, ils le feuilletèrent en exorbitant les yeux à chaque page de tournée.

- Ça c'est... magnifique...

Pour Loth, il n'y avait pas d'autres mots pour décrire ce que lui dictaient ses yeux. Le bloc note était en fait une sorte de registre de livraison. Minutieusement daté, il retranscrivait à la perfection le calendrier des livraisons d'iodure et de nitrate d'argent que L'anguille fournissait au Chaudron. Si Alg Hor était le Troisième Argentier et dépendait de la troisième Cellule "Gamma", ils apprirent que Misrî dépendait lui de la cinquième des six Cellules composant le Chaudron. Epsilon.

- Donc Misrî est le Cinquième Argentier, conclut Dickson.

- Regardez, il a déguisé toutes ses livraisons sous la forme d'offrandes au temple de la Matrice.
Qu'est-ce que s'est ?
 

- La Matrice est une des premières religions importées par les vagues de migrations qui vinrent de North Blue s'installer ici. Je sais uniquement que ses adeptes vénèrent une sorte de Mère Unique pour toutes les créatures de l'univers. Dans leur temple, Misrî déposait des offrandes par intervalle de deux semaines. Chaque Vendredi. Vous voyez ?

Loth comprenait un peu trop bien, Dickson n'avait nullement besoin de lui faire une carte. Chaque vendredi, chaque deux semaines. C'était étrange, pensèrent les deux limiers, que Misrî fît ses offrandes chaque vendredi. Le vendredi était le cinquième jour de la semaine. Misrî était le Cinquième Argentier. C'était le genre de conclusion qui sautait aux yeux d'enquêteurs aussi aguerris qu'eux et sans preuve aucune, ils eurent l'intime conviction qu'ils avaient touché du doigt le calendrier de livraison et de production du Chaudron.

Six Cellules en Une pour six jours de production par intervalle de deux semaines. Durant la semaine de livraison, le jour correspondant à la numérotation de sa Cellule au sein du Chaudron, chaque Argentier fournissait sa cargaison de dérivés d'argent au temple de la Matrice. Ainsi, se dirent les limiers, le Premier Argentier devait livrer chaque lundi, Alg Hor devait livrer chaque Mercredi, et cetera.

- Il ne connaissait pas l'identité de celui qui recevait l'argent, fit remarquer Dickson. Il le nomme différemment selon les jours. "Collectionneur", "Magasinier", mais ça correspond bien à l'omerta d'Ashura. Je pense qu'il devait juste déposer un lot d'offrandes au temple, avec des vrais dons dans lesquels étaient dissimulés les dérivés de l'argent. Donc, celui qui se charge de collecter l'argent doit travailler dans le temple.

- "Le Manutentionnaire", murmura Loth. Sur North Blue, les agents d'Ashura qui endossent le rôle de "stockeurs" sont surnommés "Manutentionnaire".
Le Manutentionnaire connait tous les rouages de l'appareil de production. C'est une des pièces-maîtresses de la hiérarchie de chaque Cellule puisqu'il se trouve exactement au centre de tout ça. Il sert de trait d'union entre les fournisseurs de matières premières et le chimiste-en-chef dont il connait l'identité. Si nous capturons le Manutentionnaire du Chaudron, nous aurons le génie qui se cache derrière les Six Cellules Unies.



29.
- Dans ce cas, si nous nous rendons au temple maintenant...

- Nous allons créer encore un autre mort inutile. Si j'ai appris une chose ces dernières quarante-huit heures c'est qu'il ne faut surtout plus capturer vivant un membre important d'Ashura où un autre émergera de nulle part pour le zigouiller. Si nous capturons le Manutentionnaire, c'est le Chimiste en chef qui le fera exécuter sans pour autant se déplacer lui-même.

- Que proposez-vous ?

- L'infiltration. C'est une option risquée qui pourrait nous faire tout perdre. Faudrait exposer ça au Colonel Orbea pour son approbation, je pense. Nous savons maintenant que chaque deux semaines, les Argentiers livrent leur argent au temple de la Matrice. Du lundi au samedi. La dernière livraison de Misrî a eu lieu il y a une semaine d'après le registre, ce qui signifie qu'il reste une autre semaine pour qu'une nouvelle vague de livraison ait lieu.

Ma proposition consiste à infiltrer le temple de la Matrice. N'importe quelle organisation religieuse emploie des bénévoles, surtout si c'est quelqu'un qui cherche à fuir une vie passée. Je propose de me faire passer pour un riche X qui veut se délaisser de sa vie matérielle passée pour se consacrer à l'esprit et aux autres. Enfin, l'habituelle connerie quoi. J'y vais, je fais une offrande de 10 millions dont cinq en espèces (bijoux et nourritures) et je demande à dormir au Temple m'occuper des nécessiteux. Et pendant une semaine, je me renseigne seulement. Je n'aurai pas besoin de notes, j'ai une mémoire photographique. Tout ce que je vis, je le retiens.


- Ainsi, tu seras aux premières loges quand arrivera la semaine de livraison ?

- Exactement. S'ils acceptent des dons, c'est surement qu'ils disposent de nécessiteux, d'orphelinat ou des trucs du genre. Et s'ils ont de tels besoins à satisfaire, il y aura forcément une sorte de groupe, de service pour gérer les dons et les répartir. Ce n'est surement pas le travail d'une seule personne. Et Le Manutentionnaire doit en faire partie, ce qui lui donnerait une position stratégique pour extraire l'iodure et le nitrate d'argent des donations quand elles arrivent. Si j'arrive à intégrer ce groupe, je serai idéalement placé, à la fois pour identifier Le Manutentionnaire et pour démasquer les quatre autres Argentiers qui viendront faire leur charité bihebdomadaire.

- En effet, nous avons la liste de ceux qui se fournissent en argent auprès de Gent Lab. Un simple croisement suffira pour les démasquer. Mais les deux gros problèmes, c'est ton visage et Misrî.

- Il n'a rien mon visage, personne ne me connait sur cette île, à part les gens d'Ashura. Mais si vous voulez, je peux teindre mes cheveux ou me coller une barbe pour me déguiser. Cela dit, je reste un longs-bras et ça faudra faire avec. Misrî ne connait pas l'identité du Manutentionnaire, c'est sûr, donc il ne peut pas aller lui dire que Loth Reich de North Blue enquête sur le Chaudron. Qui plus est, pour la même raison qu'il a éliminé Alg Hor, il ne peut pas chercher contacter ses anciens camarades si d’aventure il en connaissait. Dans Ashura, on ne merde qu'une seule fois. La dernière.

- Donc nous en revenons à ce que disait Orbea. Il faut rendre ça public. La meilleure défense reste l'attaque. Si on prend les devants et qu'on publie nous-même l'histoire remodelée de Misrî, il deviendra persona non grata et un homme à abattre pour Ashura. Qu'en pensez-vous ? On fera d'une pierre deux coups en révélant qu'il a assassiné Alg Hor histoire de calmer Green World et d'éviter l'insurrection civile des ses cinq milles militants... Il me faut contacter Amanda Keen la journaliste... Oui, ça va le faire....

Dickson ne parlait plus à Loth depuis longtemps. Continuant son monologue, il s'éloigna vers le château central de la 54e pour entretenir le Colonel Orbea des plans du Binoclard et des effets bénéfiques qu'ils pourraient avoir sur toute cette situation enchevêtrée.

Une minute plus tard, l'escargophone de Loth brailla.

- Ouais ?

- Je suis dans la place.

- Parfait timing Avada, sourit Loth. Affûte une balle, je vais bientôt avoir un contrat pour toi.

- Une balle. Une vie. Dix millions.


Dernière édition par Loth Reich le Lun 25 Jan 2016 - 0:06, édité 1 fois
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30.
La semaine suivante fut longue et des plus fructueuses.

Le Colonel Godric Orbea en référa au Roi et ensemble, ils approuvèrent le plan de Loth. Amanda Keen, le N°2 (désormais N°1) de Green World fut mise au courant de la version expurgée de la Marine. Elle fit son boulot de journaliste et l'article sensationnel sur la mort de philanthrope Alg Hor des mains du second de la 54e Division fit grand bruit dans le royaume. Comme l'avait proposé Loth, on accabla Misrî de tous les maux et il en ressortit avec un avis de recherche pour meurtre avec préméditation, braconnage d'espèces protégées. Il fut primé à 25 millions de Berry.

Le lendemain, le Binoclard se présenta au temple de la Matrice. C'était un majestueux édifice bâti en terre rouge arborant le style architectural très caractéristique des peuplades de l'orient avec ses fresques et surtout ses toits arrondis, en dôme et ornés le plus souvent d'un croissant lunaire. Modestement habillé, il s'y présenta comme un homme d'affaire en perdition. Un bonze le prit sous son aile et toute cette journée durant, Loth (qui se fit appeler Gabriel) s'évertua à conter son passé de financier, de requins des affaires et de quelle manière le profit et sa soif inextinguible l'avaient rendu méconnaissable et éloigné de ceux qui l’aimaient. Sa femme et son fils, avait-il pleuré, étaient partis à l'autre bout du monde, dans les contrées de l'Orage sur West Blue sans laisser d'adresse. Il se complut ensuite en mea culpa à chaudes larmes puis évoqua son envie de faire pénitence et payer pour ses erreurs. Sous les yeux exorbités du bonze, il déroula dix millions de Berry en liasse et en bijoux. Sa permission de séjourner au temple le moment de trouver un sens à sa vie fut accueilli à bras le corps.

"Gabriel" fut vite adopté. Les premières heures après que gîte lui fut offert, il se promena dans le temple dont le domaine entier s'étalait sur plusieurs hectares. L'édifice principal l'intrigua plus que tout. Dans la salle de culte, il ne put s'empêcher de remarquer que sur l'autel était posé, ou même "cimenté" un énorme chaudron en terre cuite pouvant facilement accueillir quatre hommes adultes. Il se demanda à quoi cela pouvait bien servir quand il vit un fidèle y jeter une pièce. Bien que suspicieux, il considéra l'objet comme un élément du décor et attarda sa concentration sur autre chose.

Comme il l'avait prévu, le temple disposait d'un couvent pour les bonzes mais aussi d'un orphelinat qui justifiait les demandes de dons. Les premiers jours, il les passa avec les orphelins, jouant avec eux pour ne pas attirer l'attention. Quoi de plus normal pour un homme qui avait perdu sa femme et son fils ? En réalité, il passait déjà à l'action, se renseignant par le biais de ces jeunes esprits. Ils voyaient tous, étaient tolérés partout, savaient qui faisait quoi et qui était responsable de qui. Aucun adulte n'aurait pu lui donner de telles informations sans une once de suspicion. Il apprit notamment que les dons étaient gérés par deux femmes-bonzes et rapidement, il établit un profil provisoire sur la base de ses observations et échanges.

Mimish. Elle était dans la maturité de l'âge et avait encore des arguments. Et tant mieux s'était dit Loth, les religieuses de la Matrice ne faisaient pas vœux de chasteté. Aussi tâta-t-il innocemment le terrain pour que la quarantenaire lui avouât que rien n'était plus sexy qu'un veuf ou un divorcé. Eux au moins, clama-t-elle, avaient prouvé qu'ils pouvaient s'engager durablement. Mimish lui apparut alors comme une femme matérialiste qui avait embrassé cette vie de "bonzette" à cause de la règle ridicule de son clan "d'offrir" la cadette de la famille à la Matrice. Depuis quarante ans, elle vivait la vie qu'un autre avait voulu pour elle et du point de vue de Loth, il n'y avait pas meilleur argument pour faire des conneries. Donc Ashura.

Amish. Efflanquée comme un squelette, grincheuse comme un sanglier, rodant dans le temple comme un vautour, cette bonne femme était la terreur des enfants et de tous ceux qui ne respectaient pas les règles. Loth eut à faire à elle dès son deuxième jour au temple quand il se hasarda à une promenade dans le Jardin Sacré. Amish fondit sur lui tel un faucon sur un lièvre et le réprimanda sévèrement, arguant que nul n'était censé ignorer la loi et seule la Mère était autorisée à se promener dans le jardin sacré.

Ces deux-là constituaient "La Gratitude", le service de réception des dons. Et une d’entre-elles était le Manutentionnaire. Durant toute la semaine, Loth s'évertua à en savoir plus sur elles.
Entre-temps, il se rendit utile au temple en s'incrustant dans les fabriques, de petits ateliers où les orphelins apprenaient les travaux manuels de tissage, de forge et de conception d'à peu près tout sur la base d'ustensiles usagers récupérés. Il y développa leur esprit d'entreprise et les éclaira sur les nouveaux marchés à cibler, sur le comment améliorer leur circuit de distribution. Il s'y passionna si bien qu'à la fin sa "conférence", il fut certain d'avoir donné le gout de l'entrepreneuriat aux jeunes et pariât qu'aucun d'entre eux ne finirait bonze, comme lui-même n'avait pas voulu devenir un Moine Servite. Tant mieux.

Le quatrième jour après son arrivée, il intégra enfin La Gratitude à la suite d'un don particulièrement volumineux provenant de ses poches. Parti au port, il ramena toute une cargaison de poissons si bien que nul ne voulut s'en occuper. On le nomma membre de La Gratitude et le chargea de superviser la conservation de ce qu'il avait apporté. Rien de plus facile, s'était-il dit en relevant ses lunettes, un sourire en coin marbrant son visage. Il avait passé cinq longues années avec les Moines Servites, une communauté de moines mendiants. Quand on était aspirant moine et qu'on vivait de la mendicité et des dons, apprendre les techniques de fumage, de séchage ou de salinage était vital. Là aussi, il surprit la communauté et apprit aux jeunes ses techniques. Il prétendit pour sa couverture qu'il avait pendant des années fait de la spéculation et de la revente de produits de mer.
Une fois membre de La Gratitude, il réceptionna d'autres dons, plus maigres que le sien. Il nota que les dons matériels périssables ou non étaient stockés dans un entrepôt géant de près de milles mètres carrés à l'écart du temple et que seules Mimish et Amish en avaient la clé. Elles étaient aussi chargées de rationner les vivres.
L'entrepôt en question n'était pas surveillé et l'affaire allait en se corsant, n'importe laquelle d'entre-elle pouvait être le Manutentionnaire, réceptionner les dons des Argentiers, les stocker puis revenir nuitamment soustraire les dérivés d'argent qu'ils contenaient.

En attendant de disposer d'une piste plus solide, il se renseigna davantage sur la religion de la Matrice. Poussé par son envie insatiable de culture, il passa des heures à lire les livres saints de ce culte. Pour un individu disposant d'une mémoire photographique et d'une capacité de lecture de vingt milles mots/minutes comme lui, lire pendant des heures signifiait finir la bibliothèque sous l’œil médusé du bibliothécaire qui n'avait jamais rien vu de pareil.

La Matrice, il le découvrit, était une religion monothéiste vénérant la Mère Matrice, une divinité femelle qui serait, selon leurs textes, à l'origine de toutes vies dans l'univers. Loth trouva des plus intéressants que la Matrice ne soit pas qu'une seule et unique déesse mais une entité formée d'un agrégat de six divinités mineures. Ce chiffre six l'intriguant plus que tout et lui donnant des airs de déjà vu et entendu, il étudia plus en profondeur les légendes sacrées de ce culte et se prit de passion à chaque ligne. Il retourna au temple pour en discuter plus longuement avec les bonzes si bien qu'il oublia que la fin de la semaine d'infiltration était proche et que bientôt allait débuter la semaine critique d’approvisionnement rythmée par le balai des Argentiers. Quand il finit de discuter avec les religieux, il arbora le sourire de ces gens convaincus de détenir un secret qui resterait à jamais inconnu aux autres. Et plus spécifiquement à Arsène Dickson.

Cette fois-ci, avec les informations que lui seul possédait, Loth était plus que jamais proche de son but. La compétition était certes inégale, Dickson ne disposant pas de son niveau d’information, mais il ne pouvait pas se permettre d'être à cheval sur l'éthique maintenant. D'autres affaires viendront où il sera fairplay avec La Truffe mais à l'heure actuelle, il ne pouvait qu'oublier cette pseudo-compétition de limiers. Sa discussion avec les bonzes lui en avait révélé plus qu'il ne le désirait. Désormais, il savait où était situé le laboratoire du Chaudron et où officiait le plus talentueux des chimistes d'Ashura.
Mais, il ne pouvait en informer Dickson. Loth aspirait à recruter le chimiste-en-chef du Chaudron.

Donc, si l'enquête sur le Chaudron touchait rapidement à sa fin en ce qui concernait les objectifs propres de Loth, pour ceux de l'enquête, ce n'était pas tout à fait ça d'un point de vue global. En découvrant la cachette du chimiste-en-chef alors qu'il n'avait aucune certitude sur l’identité du Manutentionnaire, Loth avait l'impression d'avoir mis la charrue avant les bœufs. Les deux derniers jours avant la fin de sa semaine de grâce, il avait si peu d’éléments pour suspecter quelqu'une en particulier qu'il décida de danser plus vite que la musique et de prendre le taureau par les cornes. Aussi, alpagua-t-il Mimish la quarantenaire et lui fit son discours hautement rodé d'homme mur en mal de relation. Il savait que ce couguar y serait réceptif et après un moment intense de flirt à l'abri d'un pilier sous le soleil couchant, elle lui donna rendez-vous dans son dortoir quand la nuit serait bien noire.

En s'éloignant avec un sourire satisfait, Loth préparait déjà les excuses qu'il allait devoir déblatérer le lendemain quand il la recroisera, parce qu'il n'avait aucunement l'intention d'honorer ce rendez-vous. Il avait déjà obtenu ce qu'il voulait, et l'objet brillait dans sa main sous le soleil crépusculaire de Bliss. La clé de l'entrepôt qu'il lui avait subtilisée.  
Pour la première fois depuis le début de son infiltration, il passa un coup de fil à Arsène Dickson qui fut content de l'entendre. Sur les recommandations de Loth, un duo de soldats appartenant à la Brigade Scientifique de la 54e investit nuitamment le temple. Le Binoclard leur ouvrit les portes de l'entrepôt et ils y opérèrent rapidement leur magie, y placèrent des visio-escargophones dans les endroits clés du magasin. Un visio fut aussi installé sur le pilier central, à la devanture du temple. Ainsi, tous les futurs donateurs entrant ou sortant seront pris sur image.
Ne pouvant émettre sur de longues distances, l'escargo-récepteur et les écrans affiliés furent installés dans une dépendance déserte du temple que Loth connaissait comme sa poche maintenant. Les deux techniciens dont un Ingénieur en chef squattèrent également la dépendance, se chargeant de surveiller leurs moniteurs.

- Donc, c'est bon les gars ? Vous êtes cools ?  Ça va être une longue semaine de planque. Les sanitaires sont par là. Vous avez la nourriture nan ?

- T'inquiète, on est cool, on a les chips, répondit le Chef en mettant sa casquette à l'envers. Si quelqu'un entre dans cet entrepôt, nous le viserons direct et t'alerterons. Big up !

C'est ainsi que prit fin la première semaine d'infiltration de Loth au temple de la Matrice. La semaine qui pontait le bout de son nez allait être caractérisée par le bal des Argentiers à commencer par le tout Premier d'entre-eux et ça emplissait Loth d'une joie intenable.


31.
Le lendemain, il se répandit en excuse auprès du couguar arguant que finalement, il ne lui était pas si facile de déroger à ses vœux de mariage puisqu’ après tout, il était toujours légalement uni à la mère de son fils imaginaire. Profitant d'un petit baiser sur la joue, il glissa imperceptiblement la clé dans la poche de Mimish.

- Que faites-vous ? cingla Amish le vautour en sortant d'une allée. Il est neuf heures et les premiers donateurs arrivent, ils vont pas s'accueillir tout seuls !

- Bien sûr qu'on va les accueillir, fit Loth avec un sourire radieux.

Ce lundi-là, il eut beaucoup de bienfaiteurs. Les offrandes matérielles étant les plus nombreuses, Loth ne put réellement dégager un suspect dans la longue liste des donateurs. Ils semblaient tous décidés ce jour-là à apporter avec eux de grosses charrettes, ou tonneaux remplis de vivres. Ou de nitrate et chlorure d'argent. Le Binoclard n'en rata pas une miette, pas le visio-escargophone du pilier. A la fin de cette journée, dans la nuit, Loth alla les visiter la Brigade Scientifique dans sa planque. Et une surprise l'y attendait.

- Salut !

- Hé, vous êtes venu participer à la fête ?

- Et comment ! Je n'allais pas rester à me tourner les pouces alors que vous identifiez les Argentiers. J'en ai marre de chercher Misrî et d'enchainer les réunions avec les responsables de Green World, me faut autre chose à faire.

- Ça donne quoi sur ce terrain-là ?

- D'après des indics, il se serait réfugié dans les Everglades. Le très dangereux N°10. Un orage s'est abattu sur cette zone uniquement après qu'on ait mis sa tête à prix donc nous avons la confirmation indirecte qu'il y ait. Mais si nous voulons aller le chercher, il faudra perdre beaucoup d'hommes et ni Orbea, ni le Roi ne sont prêts à ça. On s'inquiétera de ce traitre après, voyons si nous avons flashé le Premier Argentier.

Sur une table basse était disposée des photos en vrac. Prises dans la journée, elles avaient aussitôt été développées par les Ingénieurs qui avaient transformé la dépendance en un labo.

- Lui ! fit Dickson en désignant la photo d'un homme dans la nonantaine. C'est lui, ici, fit-il en montrant à Loth la liste des utilisateurs d'argent qu'ils avaient obtenu à Gent Lab.

- Olu Segun ? lu Loth.

- C'est une figure publique, c'est un des meilleurs tradi-thérapeute de Bliss. Dans ce pays qui a perdu ses valeurs à cause de la vague massive d'industrialisation, les gens sont très réceptifs aux doctrines du passé. La médecine traditionnelle connait un vrai succès et cet Olu Segun est un des cadors du secteur.

- On utilise des produits chimiques comme l'argent dans les soins ? s'enquit l'Ingénieur en chef.

- L’argent et plus spécifiquement le chlorure d'argent est utilisé depuis des centaines d’années comme agent antimicrobien topique dans les soins des plaies et dans la prévention ou la prise en charge des infections, répondit Loth qui se souvenait de ses cours théoriques et bancals de médecine par le Moine Castiel sur l'île de Craie. Les sels d'argent sont impliqués dans le traitement des maladies vénériennes, surtout la syphilis.

- Olu Segun a énormément de clients, cela lui sert de motif pour justifier son approvisionnement en argent. Il est le Premier Argentier.

- Nous ne pouvons pas l'arrêter maintenant. Il faudrait attendre la fin de la semaine, conseilla Loth.

- Oui sûrement, mais je le place immédiatement sous surveillance. Dès que nous les aurons tous, on les capturera d'un coup ! fit-il en serrant des points. Sinon, rien du côté de l'entrepôt ?

- Non, m'sieur. Les offrandes y ont été entreposées mais nul n'est revenu y toucher depuis, dit-il en regardant l'écran.

- Le Manutentionnaire doit attendre la fin de la semaine, je pense, pour commencer à livrer. Les deux semaines de vide entre chaque semaine d'approvisionnement doivent servir à la production.  

- Dans ce cas, on verra les autres jours. Je vais faire des allers-retours chaque nuit. A plus.

Les jours suivants ressemblèrent au lundi. Dons, photos, identification.
Le mardi, ils reconnurent le Deuxième Argentier en la personne de Alima Sims, une célèbre artiste coloriste de Portgentil. Ils apprirent que le chlorure d'argent était utilisé dans la coloration de la porcelaine.
Le mercredi fut jour de détente puisque Alg Hor était le Troisième Argentier.
Le jeudi, ils confondirent le Quatrième Argentier. Dickson railla que celui-là, ils auraient pu le deviner eux-mêmes et qu'il était probablement le seul des Argentiers à correspondre parfaitement à son poste. Il s'appelait Norman Wight et exerçait la profession d'argentier. Il utilisait le chlorure et le nitrate d'argent dans le plaquage des argentures.
Le vendredi aussi fut jour de relaxation, Misrî s'en étant allé dans les Everglades.
Le samedi, la tension fut à son comble. Le dernier des six Argentiers devait venir ce jour-là, avec la promesse pour Dickson et Loth de décapiter les fournisseurs du Chaudron en capturant les quatre Argentiers restants d'un seul coup. Et il ne dérogea pas à sa promesse, le Sixième Argentier vint, drapé dans un épais boubou brodé de fils d'or.

- C'était qui ce mec ? demanda Loth ahuri en regardant sa photo, la nuit tombée. C'est limite s'il ne hurlait pas "je fais de la contrebande". S'habiller aussi richement pour venir faire des offrandes aux pauvres, tu parles d'une crédibilité !

- Il se nomme Essiah Sessi. Sa famille produit le Purple Bliss, le seul vin du pays.

- Ah oui, le chlorure d'argent aussi est utilisé dans le processus de fermentation du vin. Pour en éliminer les odeurs... Bon sang ! On dirait qu'ils étaient tous prêts à servir Ashura, avec des passifs déjà posés.

- Je parie que si nous creusons plus, nous saurons qu'ils ont tous été à un moment ou un autre, en grave difficulté financière. Compte tenu de leurs activités légales, Ashura leur sera venu en aide puis leur aura proposé de continuer le partenariat. Une rentrée d'argent moyennement légale qui pouvait gracieusement arrondir des fins de mois.

- Et qui les conduira en prison sitôt le Manutentionnaire capturé.


32.
Le lendemain, ils étaient toujours fidèles au poste, prêts à capturer le Manutentionnaire. Ils étaient convaincus que la production commencerait le jour suivant la fin des six jours de livraison.

- Une favorite ? Je planche pour la grincheuse et famélique Amish.  

- Je serais plus sur Mimish moi, fit Loth. Elle a tout de la femme à problème.

Ils restèrent devant l'écran pendant ce qui leur sembla une éternité. Vers quatre heures du matin ce dimanche là, les visio-escargophones retransmirent en direct les images de l’intérieur de l’entrepôt dont les portes s'ouvraient doucement. Redressés sur leurs sièges, chargés d'adrénaline, Loth et Dickson attendirent que la silhouette de celle qui ouvrait la porte se fît plus nette. Et ils en tombèrent des nues.

- Vous avez tous les deux raisons, messieurs, marmonna l'Ingénieur.

- Deux Manutentionnaires ? Amish et Mimish... susurra Loth une main sous le menton en regardant les deux femmes entrer dans l'entrepôt et commencer à extraire les caissons d'argent des donations.

- Jouer les magasiniers de six Cellules est sûrement très ardu. Être deux est un choix avisé, commenta Dickson.

- Les équipes d'intervention une à cinq sont prêtes, monsieur.

- Qu'elles attendent. Si ces dames exfiltrent l'argent, c'est pour l'emmener quelque part. Nous allons faire d'une pierre sept coups ce soir, dit-il en s'approchant avidement de l'écran. On capturera les quatre Argentiers, les deux Manutentionnaires et le Chimiste-en-chef !

- Non pas vraiment, pensa Loth qui rigolait intérieurement. Je n'ai aucun intérêt à laisser ces deux-là transporter les cuves d'argent jusqu'au labo. Heureusement que j’ai l’ai mise au courant de tout. Désolé pour ton enquête Dickson et encore plus désolé mesdames. Puisse la terre vous être légère.

Aux sinistres pensés de Loth succédèrent deux coups de feu. Sur l'écran, un Dickson horrifié regarda Amish et Mimish s'écrouler comme des châteaux de carte. La Truffe hurla un "Nooooooooooon" et se rua à l'extérieur suivit de Loth. L'équipe tactique N°5, une escouade de dix Marines d’Élites dépendant de la 54e, était déjà sur place quand ils arrivèrent pour constater impuissants, la mort des Manutentionnaires du Chaudron.
Deux balles, deux vies.
Alors qu'un Dickson furieux ordonnait le ratissage du temple pour dénicher le tireur, Loth savait déjà qu'Avada Kedavra était loin. Immédiatement après, les quatre autres équipes disséminées dans Portgentil procédèrent à l'arrestation musclée des Quatre derniers Argentiers.


33.
Un soleil nouveau éclaira Bliss le lendemain. Sur fond de scandale national suite aux arrestations dans la nuit, on afficha sur les quotidiens les visages de Dickson et de Loth, victorieux défenseurs de la loi. Démonteurs de la plus grande Cellule jamais vue du Réseau Ashura.

- Ils ne comprennent rien ! marmonna Dickson en déchirant copieusement le quotidien N°1 de Bliss. On a juste coupé le circuit d'approvisionnement ! Le chimiste court toujours, les chargés de clientèles courent toujours, les trésoriers aussi ! On n'a rien fait ! On aurait jamais dû rendre cette histoire publique !

- Godric Orbea est certes un homme de terrain mais aussi un politicien. Idem pour le roi. Ils veulent montrer que quelque chose bouge dans le pays. Et cette vague d'arrestation ne peut que servir leurs intérêts. Mais ne soyez pas trop durs avec nous, nous avons considérablement affaibli le chaudron. Et d'ailleurs...


Loth et Dickson sursautèrent de leurs sièges et se précipitèrent à la fenêtre. Depuis le bureau de La Truffe dans la plus haute tour de la 19e, ils avaient une vue imprenable sur Portgentil. Le gros boom semblait venir de l'Est où un énorme panache et dégagement de fumée s'élevait en une épaisse colonne grisâtre.

- Bon sang mais qu'est-ce qui se passe encore ?! Loth, dans cette direction...

-  C'est le temple de la Matrice, messieurs. On nous informe qu'il vient d'exploser ! tonna affolé un sergent qui arriva à bride abattue dans le bureau.

- Putain ! jura Dickson en se précipitant dehors, Loth sur ses talons.

Intérieurement, le Binoclard jubilait. Cette enquête était terminée, le Chaudron n'était plus. Le chimiste-en-chef avait été capturé et exfiltré. Le labo, détruit. Et nul, jamais, n'y verrait son implication, il avait été avec Dickson tout le temps.

- Merci Avada, pensa-t-il.


Dernière édition par Loth Reich le Lun 29 Fév 2016 - 2:19, édité 3 fois
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34.
Le temple de la Matrice était complètement ravagé. Toute l'aile ouest, intégralement éventrée par la déflagration. A leur arrivée, il y avait déjà un attroupement conséquent que les premiers Marines sur les lieux peinaient à maîtriser. Des gravats d'argiles et d'autres projections jonchaient le sol. Loth ne se sentit nullement inquiet, malgré qu'il vît que l'explosion avait créé une dépression de plus de trente mètres de profondeur et plus d'une cinquantaine de large. C'était là qu'était situé le laboratoire du Chaudron, sous le temple de la Matrice et il en avait avisé le tueur androgyne.

- Des victimes ?

- Des enfants et des adultes choqués, m'sieur. Autrement aucun blessé.

- Comment est-ce possible ? marmonna Dickson en s'approchant du gouffre. Il y avait une église juste au-dessus, non ? Des appartements aussi ?

- Nous cherchons encore les plans du temple, mais il semblerait que tout le monde ait été évacué dehors avant l'explosion.

- Pourquoi cela ?

- Des chiens galeux, monsieur. Y avait une meute de chiens galeux qu'a pénétré dans le temple quinze minutes avant, y a eu paniques, se sont tous enfuis.

- Une diversion...

Dickson voyait juste, se dit Loth. Le Binoclard se sentit soulagé, il y avait déjà eu assez de morts dans cette enquête. Mais de toute manière, pensa-t-il pour se rassurer, dès qu'il avait stipulé à Avada qu'il ne désirait aucun dommage collatéral, l'affaire était déjà réglée. Il savait que le tueur mènerait à bien sa mission.

- On dirait que nous avons raté le laboratoire... dit-il. Sous le temple. A côté de quoi sommes-nous passé ?

- Rien, murmura Dickson rageur. Nous avons été minimaliste c'est tout. Hier, quand les Manutentionnaires déplaçaient les cuves d'argent, y avait-il un quelconque moyen de déplacement à côté d'elles ? Cheval ? Âne ? Nous avons été trop accaparés par la recherche du tueur et le coup de filet contre les quatre Argentiers restants pour nous poser les bonnes questions !

- Sûrement, consentit Loth qui se sentit heureux que Dickson ne se soit pas demandé ça la veille. Pas de moyen de déplacement parce que le lieu de livraison se trouvait ici. Mais pourquoi se saborder ?

- Avec la capture des fournisseurs, le Chimiste s'est peut-être dit que l'étau finirait par trop se resserrer sur lui... Et il a fait sauter le labo pour ne rien laisser du tout. D'ailleurs, il va pleuvoir, remarqua-t-il en levant les yeux vers le ciel. Satané poudre !

- La déflagration a dû en rejeter dans l'atmosphère.

Il plut durant toute cette journée-là. Juste une fine bruine mais qui demeurera jusqu'au soir, compliquant ainsi le travail de Cocorico et de ses hommes. Comme s'y attendait Loth, rien d'exploitable ne fut retrouvé dans les décombres du laboratoire. Juste des tubes, des machineries de production complètement émiettés. Ils découvrirent que les tuyaux d'échappements des fourneaux étaient joints à ceux de la forge du temple permettant ainsi de couvrir les rejets de gaz.

- Pas une photo ! Que dalle ! Un fiasco total ! se plaignit Dickson en se donnant de grandes tapes sur le front. Sur cette affaire, je me suis trop dispersé ! J'ai été trop naïf, concédant des angles morts exploitables !

- Ne soyez pas trop dur avec vous-même. L'ennemi aussi était rusé. C'était une opération d'exfiltration en bonne et due forme, avec destruction de preuves. Du travail de pro' et Ashura a les moyens de recourir aux meilleurs.

- Ouais, attendez de voir comment Amanda Keen va en parler dans son maudit journal. Orbea et le roi feront tout pour que ça apparaisse comme une victoire.

- Mais c'est une victoire Arsène ! dit Loth en claquant impatiemment des mains. Le Chimiste de la plus grande Cellule d'Ashura est en fuite. Plus de production, plus de cash. Nous venons peut-être d’asphyxier pour de bon ce qui reste du Réseau. Il a peut-être déjà quitté Portgentil et je doute qu'il se remette à fabriquer de la Dance de sitôt. Et jamais il ne pourra monter un mécanisme aussi bien huilé que le Chaudron. Vous rendez-vous compte de ce qu'on a accompli et sur quelle base ?

Partis de rien, d'une banale histoire de pluie en mer qui aurait pu passer inaperçue, nous avons lancé un raid contre un repère de criminels puis découvert deux agents supérieurs puis quatre, puis un Chimiste qui a pris la poudre d'escampette ! Pour moi, c'est un gros pas. Alors excusez-moi si je ne partage pas votre perfectionnisme !

Cela dit, j'aurais quand même une question. En partant de Boréa après l'affaire de ma Mort, vous aviez dit être sur les traces de Zéro, le N°2 de l'organisation. Jusqu'à présent, je n'ai pas relevé de ses traces dans notre affaire. Je croyais que vous m'aviez appelé à cause de ça.


- Pour trouver les empreintes de Zéro dans notre affaire, il faudrait simplement vous demander ceci. Où va l'argent du Chaudron ? Comment rentre-t-il dans les poches de Lavoisier qui se trouve probablement à Boréa et par quel biais ?

- La réponse, vous l'avez ?

- Bah non. Enfin, pas intégralement, je bute depuis trois ans, je vous ai dit. Je suis Inspecteur Financier mais j'ai atteint mes limites et Zéro est bien plus douée que moi dans ce domaine. C'est pour ça que j'ai requis votre aide. L'affaire des Six Argentiers n'était juste qu'une mise en bouche. La véritable enquête ne fait que commencer.

- Oh, une "mise en bouche" ? Une grosse tarte indigeste alors. Si c'est juste une entrée, je me demande de quoi aura l'air le plat de résistance... fit Loth une main sous le menton. Donc, je reste à Portgentil ?

- Restez dans le coin, oui. Vous avez quelque chose de mieux à faire à Boréa ?

- Non, aucune piste probante. Je vais me prendre une suite, tiens. La vie en caserne, ce n'est pas pour moi.

- Le Blue Saphir alors, je vous conseille. Quand j'aurai fini avec la paperasserie liée à cette affaire, réglé les questions des morts et des indemnisations et cherché Misrî, on pourra reprendre. Ça laissera aussi le temps à Ashura de penser qu'on s'est calmé.

- A la bonne heure !


Dernière édition par Loth Reich le Lun 25 Jan 2016 - 3:44, édité 1 fois
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35.
Trois journées passèrent après qu'il eût quitté la 19eme. Passant ses journées à flâner, à déjeuner sur les terrasses en bord de mer, il donnait l'image de n'importe quel vacancier lambda. Et c'est ce qu'il voulait paraître au cas où Dickson ou un tiers le surveillerait. Au troisième jour, il reçut un coup de fil brouillé à l'escargophone albinos alors qu'il finissait de diner avec la rousse incendiaire de Gent Lab qui leur avait donné la liste.

- Ouais ?

- C'est bon, j'ai été sur tes talons ces derniers jours. Personne ne te suit.

- Sauf toi.

- Ouais. Melcom Hostel. Suite Royale 200. Ce soir, 22h00.

- Hein ? Il reste dix minutes...

- Magne-toi alors, autrement, au-delà, tu attendras demain.

- Pourquoi cela ?

- C'est son couvre-feu. Extinction des feux à 22h00. Bouge-toi alors !

- What the... marmonna Loth complètement gaga. Couvre-feu ? Quoi ?

- En parlant de couvre-feu... minauda la rousse avec des moues. Et si on rentrait... ?

- Pas ce soir, fit Loth en demandant l'addition sous le regard courroucé de son rencart. Je suis vraiment désolé, mais c'est une urgence absolue. Une autre fois. Demain, si tu veux, mais pour l'instant, un ami a besoin de moi.
Fichue Avada,
maugréa Loth en s'engouffrant dans un carrosse-taxi. Elle a fixé ce rendez-vous juste pour gâter mon topo avec l'autre là.

Aussitôt qu'il eut cette pensée, il tapota un bout de bois dans la voiture pour conjurer ce mauvais sort. Même s'il préférait penser à Avada en tant que fille, il eut la chair de poule en supposant qu'elle puisse être jalouse de ses relations. Il n'y aurait pas plus flippant au monde...
La voiture attelée le déposa rapidement devant le hall de l'hôtel et il entra l'air d'un homme d'affaire pressé.

- Suite 200 ? Ah la princesse Hilda de Polaris ? Oui, une note a été laissée pour vous, monsieur Reich.

Impossible de passer inaperçu après avoir fait deux ou trois fois les unes des journaux locaux. Si Dickson le désirait, il pourrait aisément savoir que Loth s'était rendu dans cet hôtel, c'est pour ça que le Binoclard espéra -sans crainte- que la couverture choisie par Avada était totalement viable et explicable. Il savait que les Polaris régnaient sur l'île hivernale de Deneb mais qui était exactement la princesse Hilda... Il n'en savait rien.

Quand il pénétra dans la suite, il crut tout d'abord s'être trompé. Puis il glissa et tomba lourdement sur ses arrières trains. Se relevant avec peine, il constata qu'il avait marché sur des dragués multicolores. D'ailleurs, de dragées, la suite semblait en être tapissée. La pièce était décorée avec des couleurs si vives et meurtrières pour les rétines que pendant un moment, Loth pensa sérieusement que le Chimiste-en-chef du Chaudron était Cocorico.
Ensuite, une masse colossale se planta devant lui et le souleva comme s'il ne pesait rien. Avec un hoquet intérieur, Loth se dit qu'il venait de rencontrer la femme la plus grosse et moche que la création avait pu modéliser.

"Super" Nanie

Et quand elle parla, le rendement ne fut pas meilleur. Sa voix était à mi-chemin entre un grognement et un tapage.

- C'est toi l'nouveau chef ?

- Euh... apparemment, murmura-t-il en se massant le côte, un regard de biais à l'androgyne affalé dans un fauteuil. Tu fais les présentations, Avada ?

- Loth, voici Mandy Macnair alias "Nanie". Nanie, voici Loth Reich, lança-t-elle sans lever les yeux de l'arme qu'elle nettoyait.

- Et Nanie c'est ?

- La nounou.

- Nounou ? Non mais ça te dérangerait d'être plus explicite ? Nounou de qui ?

- Qui es-tu venu voir ? T'es lent mon pote.

- Nounou du Chimiste ? Attends... Ne déconne pas... Da fu...

Tout à coup, les rouages s'huilèrent mieux et il lia ces bribes d'informations à celle qu'il avait reçue au restaurant et qui l'avait tout aussi interloqué. Couvre-feu, nounou... Non... Impossible, se dit-il.
Et même quand il vit la chose approcher de lui en dandinant, un bocal de dragée dans une main, des tubes à essai dans l'autre, il n'y crut pas.

- Loth, je te présente Myléna Matryona Mendeliev's, anciennement Chef-chimiste du Chaudron. M&M's, je te présente Loth. Ton nouveau Tonton, fit Avada d'une voix où perçait clairement de l'amusement et Loth pensa qu'elle-même avait dû être surprise de la même manière.

Myléna Matryona Mendeliev's "M&M's"

- Nouveau Tonton ? Youuuupi ! L'ancien, c'était qui ? T'es gentil hein ? Tu vas m'acheter des dragées hein ? Hein ? fit-elle en voltigeant autour de lui, le tâtant de partout.

- Euh, oui attends, calme-toi. Je dois parler avec ta nanie d'abord, ensuite, on t'achètera tout ce que tu veux, dit Loth qui vit signe à la nounou et à Avada de le suivre sur dans une pièce annexe.
Okey, c'est quoi ce délire ?! Elle, chimiste-en-chef ? Elle a quel âge ?

- 12 ans.

- Comment est-ce possible ?

- Je croyais qu'une de tes maximes préférées était "Dans ce monde, rien n'est impossible" ? Pour te la faire très courte, son père était un chimiste très en vogue et anti gouvernement. Comme ce qui arrive le plus souvent dans ces cas-là, il a été tué, sa femme étant morte en accouchant. Nanie est une ancienne lutteuse pro' amie de la mère de M&M's, qui l'a recueillie. Elles ont été ensuite approchées par un homme du nom de Jean Chevalier, un ami au défunt père qui a repéré l’exceptionnelle précocité du talent de la fillette. Contre préparation de Dance, il les protège et leur donne tout ce qu'elles veulent. T'aurais dû voir le luxe des appartements sous le temple. C'était vraiment nécessaire de les faire imploser ?

- Absolument. Dickson l'aurait trouvé, ce n'était qu'une question d'heures. Et elle sait ce à quoi la Dance sert ? dit Loth en regardant la fille s'amuser à faire des bulles de savon.

- Elle sait que ça fait pleuvoir mais ne connait pas les effets ultérieurs de ce truc. Elle ne semble pas concevoir aussi qu'on puisse utiliser la "magie" de la chimie pour autre chose que s'amuser. Et pour finir, l'assassinat de son père l'a traumatisée à un point qu'elle a une mémoire très volage. Dans deux heures, elle ne se souviendra plus de toi, probablement.

- Vous allez la protéger maintenant ? Parait que Jean Chevalier ne peut plus.

- Je pourrais mais je doute de pouvoir lui offrir le luxe que vous aviez avec Jean. Pas maintenant. Mais si elle continue de produire de la Dance, pourquoi pas ?

- C'est ce qu'elle fait, elle y est habituée maintenant, ça fait partie de sa routine. Si vous prenez soin d'elle, si vous la protégez, elle produira pour vous. Mais nous ne pouvons plus vivre ici, n'est-ce pas ?

- Non, plus ici. Mais j'ai un endroit parfait pour ça, à Inu Town, mais me faudra l’aménager. Listez-moi tout ce dont elle aura besoin, j'enverrai mes gars s'y coller. Et quand ce sera prêt vous y déménagerez.

- Tes gars ? Les cent larbins que tu as recrutés après la chute de Black Box ? Ils deviennent quoi ?

- Aucune idée, Nivel les gère pour l'instant. Mais ça leur permettra de servir à quelque chose.  

- Héhé, tu viens de recruter ton premier chimiste, mec !

- Et le meilleur, susurra-t-il en dévisageant Mylena. Le monde est plein de gens extraordinaires...


Dernière édition par Loth Reich le Lun 25 Jan 2016 - 3:52, édité 2 fois
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Boréa - Présent
36.
 
- Il manque quelque chose à ce récit, fit-elle sèchement. Comment avez-vous déduit que le laboratoire était sous le temple ? Vous dites avoir parlé avec les moines. Que vous ont-ils appris de si crucial ?

- La mythologie de la Matrice bien sûr. Souvenez-vous de la devinette de Marie-Curie :
"Elles sont Six et Unité. Six vaches à lait qui allaitent sous le chaudron de midi."
Ashura ne fait jamais rien par hasard. En me renseignant à la bibliothèque du temple, je suis tombé sur le fondement même de la mystique de la Matrice. Une divinité mère de toute chose dans l'univers, une divinité composée de six autres divinités mineures. Ça ne vous rappelle rien ? Bien sûr que si, la Super-Cellule qu'était le Chaudron composée elle-même de six entités mineures...

Alors j'ai décidé d'en apprendre plus sur cette religion. Ils m'ont appris que les sous-divinités composant la Matrice étaient connues sous le nom d'Avatars. Les bonzes m'ont raconté l'histoire des Six Avatars nés, comme par hasard, dans le Chaudron de leur mère. Le tout premier chaudron de l'univers, une espèce de grosse marmite, celle qui contenait les ingrédients indispensables à la création de la vie.  

"Elles sont Six et Unité. Six vaches à lait qui allaitent sous le chaudron de midi."
Fort de mes nouveaux renseignements, j'étudiai plus attentivement cette devinette. Je savais déjà que le chaudron de midi désignait l'astérisme céleste qu'était la constellation du chaudron, le midi désignant bien évidement le sud donc South Blue. Mais après ma conversation, il m'apparut que le chaudron pouvait aussi désigner le Tout Premier Chaudron, celui de la légende de la Matrice.

"Sous le chaudron de midi".
Vous souvenez-vous de la description que je vous ai faite de l'intérieur du temple de la Matrice ? Sur l'autel où les offices religieux étaient célébrés, il y avait un énorme chaudron en terre cuite où quatre hommes pouvaient aisément tenir accroupis.

"Sous le chaudron".
Je décidai alors de tout parier sur ça, que finalement, c'était au sens littéral du terme. Vous connaissez la suite. J'envoyai Avada Kedavra vérifier l'hypothèse du laboratoire sous le temple et elle en exfiltra M&M's et sa nounou avant de tout plastiquer.


- Donc vous les avez recrutés ? Tant mieux, je suis soulagée qu'elles n'aient pas été tuées. Mais si vous les avez ça veut dire que...

- Que je connais l'identité de Lavoisier, oui, répondis-je en relevant mes lunettes. J'avais déjà de sérieux doutes sur son identité, il m'a fallu d'une photo pour que Nanie me confirme que c'est celui qui se faisait appeler Jean Chevalier.

- Je peux avoir de l'eau tiède ?

Naturellement. Je me levai et me dirigeai vers la bouilloire à thé et m'y affairai quelques minutes. Je revins avec du lait fumant alcoolisé pour moi et l'eau tiède de la dame. Je l'avais appréciée avant même de la rencontrer et ce sentiment n'en démordait pas. Calme, taciturne, logique, calculatrice, tout ce que j'aimais dans le genre humain. Elle se savait défaite mais abordait tout de même cette certitude avec curiosité.

- Mais vous avez dû vous rendre compte que le Chimiste-en-chef n'était pas la mine d'or d'information que vous escomptiez, dit-elle ensuite avec un sourire moqueur.

- En effet, ce n'était qu'une gamine dotée d'une mémoire très volage. Elle produisait la Dance, c'est tout. Et sa nounou n'était pas mieux, c'était une espèce de mère-poule qui n'avait d'yeux que pour la protection de Myléna. Elle non plus ne savait rien de ce que devenait la Dance après la production. Juste que les Manutentionnaires Mimish et Amish se chargeaient du transport du produit fini.

- Manutentionnaires que vous aviez faites exécuter par Bobcat Kedavra. Autant dire que vous n'aviez aucun élément sur le circuit post-production et commercialisation. Enfin, sauf ce Rattus qui avait acheté et revendu la Dance au capitaine du Crabe Bouilli. Mais lui aussi était froid. En résumé, Dickson et vous aviez défait les Six Argentiers et le Chaudron, mais ce n'était pas encore suffisant pour remonter à Prometheus, et encore moins à moi.

- Ne nous sous-estimez pas, Arsène Dickson et moi.
Mais revenons un peu au début de cette conversation. Quand je disais que les erreurs de vos subordonnés étaient finalement les vôtres parce que vous les aviez choisis pour collaborer avec vous. Savez-vous quelle fut votre plus grande erreur en montant Prometheus et plus généralement le Chaudron sur Bliss ?


- Engager Alg Hor ?

- A la votre, fis-je tout souriant, mon verre levé.


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