-Manoir-sitting… ça me fait penser à Terehbor, tiens. Vous savez, l’armateur. Il m’a proposé qu’on passe nos prochaines vacances dans son château, du côté de Luvneelgaard.
-Nous devrions faire ça, non ? C’est une très belle région.
-Euh… possible, répondit Dogaku.
Un peu moins d’une heure plus tôt, les deux inséparables partenaires avaient débarqué sur Sirup, abandonnant le navire de la translinéenne faisant la navette jusqu’ici pour gagner l’intérieur des terres de la toute petite île. Même s’ils savaient à quoi s’attendre, ils n’avaient pu s’empêcher d’être légèrement déçus par le caractère perdu et vide de l’unique village de l’île. Haylor et Dogaku avaient été habitués à l’environnement cosmopolite de la cité de Norland, sur Luvneel, où ils avaient élu résidence ; rien de tel ne se retrouvait ici. Et contrairement à Tanuki, l’île des pâturages d’émeraude et foyer de la civilisation du mouton, Sirup manquait cruellement de traits de caractère saillants qui auraient pu les charmer au point de les rendre amoureux de l’endroit.
C’était juste un village de campagne, où ils n’auraient guère d’autres choses à faire une fois leurs premières balades achevées.
D’un autre côté, c’était la première fois qu’ils se prenaient un manoir en guise de gîte, et qu’ils auraient droit à toute une palanquée de majordomes qui se consacreraient exclusivement à les servir de leur mieux. Ce qui, forcément, relevait vastement l’intérêt de l’escapade. Ce voyage à Sirup correspondait à leur premier voyage loin de Luvneel depuis qu’ils avaient décidé de s’accorder tout ce qu’ils pouvaient se permettre. Et il se trouvait que, compte tenu du fort taux d’inoccupation saisonnière des résidences luxueuses de cette île, il était très facile pour qui en avait les moyens de trouver un manoir à louer le temps d’une semaine, ou même plus.
Un manoir, ou autre chose, d’ailleurs.
-Si j’avais su que y’avait aussi des châteaux, j’aurais bien tenté de négocier, haha.
-Je propose qu’on fasse les choses progressivement. Pas trop d’émerveillement d’un coup, ce serait dommage de ne pas en profiter.
-Ca me fait penser, j’ai commencé à zyeuter les devis pour se faire faire une piscine remplie de champagne, et… si on voulait, on pourrait le faire, hein.
-…
-…
-Vous n’êtes pas sérieux ?
-J’ai l’air d’être un type sérieux ?
-… je ne veux… pas répondre… tout de suite.
Et une fois arrivé dans leur petit nid de voyage, les deux voyageurs furent effectivement accueillis par leur nouvelle équipe de domestiques. Quatre personnes en tout, qui composaient l’effectif permanent du manoir lorsque le propriétaire ne s’y trouvait pas lui-même, et qui logeaient dans des bâtisses situées non loin de là. Le personnel promena ses deux visiteurs au sein de l’énorme bâtisse, empli de satisfaction à chaque fois que les deux parvenus s’émerveillaient devant la beauté de leur lieu de travail. L’endroit était réellement luxueux, de très bon goût, plaisant à vivre, et confortable. Au point que Sigurd se retrouvait déjà à composer des plans pour se faire faire la même chose, un jour, plus tard.
Et pourtant, ils n’étaient pas là pour passer des vacances. Ni même pour le loisir. Ils se contentaient de joindre l’utile à l’agréable, mais…
Ce qui les amenait là, c’était une autre histoire d’argent. De vie et d’argent. De prime et de vie. Du commerce des primes. De chasse au malfaiteur ; de leur dernier commerce.
Tout avait commencé lorsqu’un client inattendu, un dénommé Jevta Cofresi, les avait contacté via Denden pour leur proposer une bonne affaire. Ils étaient chasseurs de primes, et étaient donc référencés comme tels dans divers états publics. Et c’est ainsi que leur commanditaire en était venu à les appeler et à leurs détailler l’affaire de son choix. Pour des raisons personnelles liées à l’incident des Ludwig-clones, il s’était visiblement mis à mal avec un groupe de malfaiteur, des criminels d’East Blue établis en petites bandes sur quelques îles, mais à la tête de quelque chose de bien plus vaste qui brassait beaucoup d’argent.
Et à leur tête, un criminel dont la capture était rétribuée à près de 25 millions de berries. Un argument de premier choix pour obtenir l’approbation des deux nouveaux chasseurs de primes ; car outre l’homme qu’ils allaient aider à abattre, d’autre morceaux de choix risquaient de les attendre.
Ce qui amenait maintenant Haylor et Dogaku à là où ils en étaient. Une fois bien installés et en possession des lieux, ils n’avaient plus qu’à…
Attendre. Tout simplement.
Cofresi, leur client, avait leur adresse. Et ne devrait plus tarder à se présenter. C’était l’affaire de quelques heures. Il devrait arriver pour l’heure du thé. Et les deux chevaliers de Nowel mourraient d’envie de se poser dans le magnifique salon de la demeure qu’ils avaient loué.
Encore qu’ils disaient ça, mais…
-LA VACHE, HAYLOR, C’EST TROP ENORME, VENEZ VOIR !
-La chambre ?
-Mieux : LE PLACARD ! Quand ils disent que tout est épatant dans un manoir, ils disaient vraiment vrai. Ce truc est tellement large et la moquette est tellement classe que je pourrais dormir dedans et ça serait vingt fois mieux que mon lit !
-… arrêtez de dire n’importe quoi, rumina Evangeline en le voyant s’allonger à même le sol.
-Ah ? V’nez voir si je dis n’importe quoi, dans ce cas. Vous décollerez même pas du sol.
-Certainement p…
Haylor hésita. C’était tellement idiot. Et ça n’était pas parce que Sigurd l’invitait à s’étaler tout contre lui en lui tendant la main que…
Oh, et puis à quoi bon faire semblant, décida-t-elle en s’installant auprès de lui. Ils étaient riches. Ils pouvaient tranquillement faire n’importe quoi, pour peu que ça leur chante. Ils payaient bien assez pour ça.
-C’est vrai que c’est confortable, en plus. Encore plus que… je n’ai jamais… je ne… oh non. Je ne parviens pas à me souvenir de quelque chose de mieux, s’inquiéta-t-elle en se blottissant amoureusement contre la moquette.
-C’est mieux que de s’allonger dans l’herbe, suggéra l’autre, bien calé dans son confort.
-C’est mieux que de se rouler en boule sous un duvet.
-De s’enfoncer dans un fauteuil.
-De flâner sous ses bulles, dans sa baignoire.
-De m’endormir sur vous.
-Oh. Vous me placez un cran au-dessus de vos fauteuils ?
-Seulement quand vous me faîtes les grattouilles au-dessus des oreilles, mais carrément.
-Mmmh. Si je vous propose une sieste, vous me répondez ?
-Dans le placard ?
-J’ai envie de faire des choses stupides.
-Très légitime. J’approuve.