Dans la cale, appuyé contre les planches de la coque, et avec dix centimètres d'eau croupie aux pieds, Kurn attendait. Il n'y a pas grand-chose d'autre à faire, de toute façon. D'après les dernières nouvelles ramenées par un pirate à l'air gentil et juvénile comme un mousse, ils étaient entrés en contact avec succès avec Navarone, qui acceptait d'ouvrir les portes.
S'ils refusent, nous le saurons bien assez tôt quand les canons retentiront. En parlant de canons, le son de ceux qui les poursuivaient gentiment s'était calmé. Ils avaient soigneusement visé derrière et sur les côtés pendant toute la traque qui avait été orchestrée par Red le pirate. Puis la tempête. Le bateau avait tangué, et dans la cale, ce n'était pas très sympathique.
« Pourquoi on est là, déjà ? Demanda Fantine.
- Parce qu’on est entré dans les appartements de Wilson, pour voler son frigo, et qu’on n’a pas eu le choix ensuite.
- Mais on aurait pu partir ! J’aime pas être dans la cale.
- On était tranquillement à l’hôtel, avec…
- Ah ouiiii, plein de bon manger et des lits super moelleux et…
- Et puis tout d’un coup, t’as décidé qu’on allait attaquer Mégavéga avec les autres. Alors qu’on aurait pu s’enfuir, par exemple.
- C’était quand ?
- Il y a trois jours, juste avant le goûter.
- Je devais m’ennuyer.
- Je crois aussi.
- Mais attends… T’es en train de dire que c’est ma faute ?!
- Un peu.
- Non ! C’est toi qu’aurais dû m’en empêcher !
- T’empêcher d’attaquer la base la mieux défendue de la Marine en étant en première ligne ? C’est vrai que je n’ai pas essayé du tout.
- Tu vois, encore ta faute ! »
La rascasse ignora son capitaine et leva la tête pour regarder vers l’escalier qui menait au pont. Le pirate leur fit signe que tout allait pour le mieux. Tout va bien pour le moment. Espérons que nous aurons le temps d’accoster.
Puis on leur rapporta qu’ils venaient de passer les portes titanesques de la base, en longeant une muraille bardée de canons. Kurn aurait bien voulu les voir. Peut-être au retour. L’homme-poisson savait ce qui se passait à l’extérieur comme s’il y était. Les premiers navires, devant eux, contenant le plus de pirates grimés en pauvres civils blessés, les cales pleines de combattants assoiffés de sang, devaient être en train de se répartir sur tous les quais de la base.
Le fracas de la tempête passa brusquement en sourdine quand ils passèrent les portes, les murailles de la base contribuant à bloquer le vent hurlant qui courait sur des centaines de kilomètres en mer. Tous les pirates de la cale, serrés comme des sardines, se relevèrent et commencèrent à vérifier leurs armes, leurs protections. Tout y était : les sabres d’abordage, les mousquets, et d’autres armes plus exotiques.
L’air était lourd d’une tension palpable, l’odeur d’eau croupie de la cale se mêlant à celles de la peur et de l’attente fébrile. Le calme avant la tempête, avant la bataille… La main de Kurn frôla naturellement la poignée de Respora, toujours accrochée dans son dos pour ne pas bloquer ses mouvements outre-mesure. Il faudra que je trouve un porteur. Après tout, je ne suis même pas un sabreur…
Alors que tout était calme, un coup de canon retentit soudain, rapidement suivi par d’autres. L’attaque a commencé ? Nous ne sommes même pas en queue de colonne, normalement ! A l’extérieur, les premiers navires à peine accostés avaient commencé à déverser leur flot de combattant, le cheval de Troie dévoilant son stratagème. Et tant pis pour ceux qui étaient encore loin des quais.
En même temps, il s’agit de pirates, j’étais probablement trop optimiste à penser qu’ils se plieraient aux ébauches du plan, en tout cas suffisamment pour donner du temps à tout le monde. Un boulet s’écrasa juste à côté d’eux, écrabouillant au passage trois pirates dans une éclaboussure de sang et de viscères. La masse en métal avait perforé proprement la coque, au-dessus de la ligne de flottaison, puis le sol, par lequel l’eau entrait maintenant à flots constants.
Sans hésiter, Kurn attrapa Fantine au collet et plongea par l’ouverture, atterrissant dans l’eau froide de la mer, déjà chargée de copeaux plus ou moins gros de bois. Pas le temps de paniquer, et hors de question de rester sur un bateau qui va se faire réduire en charpie.
Il jeta un coup d’œil à Fantine, qui était instantanément devenue un poids mort, et ne risquait donc pas de l’empêcher de nager. Tournant sur lui-même, il repéra le quai le plus proches, à quelques mètres à peine. Finalement, ils n’avaient pas trahi le plan tant que ça.
D’un battement vigoureux des nageoires et des pieds, il se propulsa vers la terre ferme, grimpant puis hissant Fantine à sa suite d’une main.
On est à quai. Et ensuite ? Les portes ou les canons ?