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Torn Apart.

La fièvre était le pire.

La rouquine tremblait à ne plus pouvoir s'arrêter. La tête en train de bouillir, comme plongée dans une marmite sur le feu, et le reste de son corps comme prise dans un glaçon. Elle se lova dans une couverture miteuse, s'enroula un peu plus dedans en tentant de serrer les extrémités dans ses mains. Mais les muscles de ses doigts étaient trop faibles. Elle n'avait plus aucune énergie, à cause de la température qui lui rongeait le cerveau, à cause de tout ce qu'elle avait vécu ces derniers jours.

Linus plaça sa paume froide sur son front bouillant, la soulageant brièvement. Il poussa un long soupir, portant sa gourde à ses lèvres pour permettre à la jeune femme de boire quelques gorgées. Il lui permit ensuite de reposer sa tempe sur son épaule, pour qu'elle continue à se reposer. Mais ses nuits étaient faites de réveils intempestifs, avec l'impression qu'une main glaçante venait lui tordre les boyaux. La douleur à ses côtes n'avait pas diminué un seul instant, et c'était sans parler de la blessure à son cou qui s'était infecté durant le trajet.

Le répit n'avait été que de courte durée. Linus lui avait promis de la sortir de là, mais il voyait petit à petit les solutions se réduire comme peau de chagrin. Impuissant, incertain, sans savoir de ce qu'il pouvait dire ou faire, ou confier à l'équipage qui les avait embarqué.

Tout s'était déroulé trop vite de toute façon. Il avait improvisé comme il avait pu, faisant preuve d'une capacité d'adaptation à toute épreuve. Mais en pensant sortir Lilou de l'enfer dans lequel elle s'était mise, il était certain désormais de l'avoir fait tomber de Charybde en Scylla. Au fond, il cherchait surtout à se rassurer, en se disant que c'était le mieux à faire, pour elle. Rester entre les quatre murs d'une chambrette à Marie Joie revenait à l'amener directement entre les quatre planches d'une tombe.  
Et il n'arrivait simplement pas à se résoudre à planter le dernier clou pour l'enfermer dans cette boite sinistre.

L'homme porta son écharpe à son nez, pour le couvrir et s'épargner l'odeur forte de moisissure qui régnait dans la cale du navire qu'ils squattaient tous deux. Il tira sur la couverture de Lilou, histoire de la rabattre au mieux devant son visage et cacher ses cheveux trop reconnaissables. Mais malgré tout ça, son teint palissait à vue d'oeil, la rendant presque verte par moment. Ses yeux rougies par la fatigue et la fièvre sondèrent l'endroit où ils se trouvaient.
Les bas fonds d'un navire misérable, où ils n'étaient visiblement pas les seuls à vivre. Les poutres soutenant le parquet des pièces du dessus étaient attaquées par les mites, le bois s'effritait progressivement. L'aération était apparemment dispensable, ce qui faisait que la moisissure s'en prenait souvent aux couvertures de laine qu'ils laissaient aux passagers. En soi, le mot « passager » était sans doute trop beau pour retranscrire vraiment la vérité. Des miséreux de tous les horizons, vendus pour une bouchée de pain, envoyés ailleurs...

Lilou ne savait même pas où elle se rendait. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle avait froid, que son crâne allait exploser, ou encore que son corps entier la faisait souffrir, et qu'elle n'était pas certaine d'arriver à la prochaine île vivante. Peut-être qu'au fond, elle n'en avait pas forcément envie non plus. Elle se lançait dans une fuite éperdue pour sa survie, sans certitude de si ça valait le coup de survivre simplement. Elle avait mis de côtés des rêves, qu'elle avait foulé du pied sous le coup de la colère. Elle avait du sang sur les mains qu'elle ne pouvait plus faire partir.

« Ça va aller, répéta Linus pour s'en convaincre. »

Quelqu'un pouffa dans la pénombre. Lilou tourna de l'oeil l'instant d'après, ne parvenant pas à entendre les mots qui tranchèrent finalement le silence. Linus, lui, les perçut parfaitement, et n'en fut que plus renfrogné :

« Elle ne passera pas la nuit. Ils jetteront son cadavre par-dessus bord demain matin. »

C'était sans doute vrai. Le chimiste s'en doutait au fond, mais se refusait à l'admettre. Il se refusait d'avoir mis toutes ces choses en danger si elle ne survivait pas à cette fièvre de cheval et à l'infection qui la rongeait de l'intérieur. Mais c'était le problème avec les brûlures. Elles avaient tendance à être un champ d'exposition à ciel ouvert, appelant comme une trop bonne aguicheuse les bactéries. Et ils évoluaient dans un monde de crasse indicible. L'homme déglutit péniblement...

Elle avait eu au moins un sursis, un semblant de traitement. Lorsque Linus avait trafiqué une solution instable qui avait pris feu dans le laboratoire du Végapunk, couvrant leurs traces au passage et leur donnant un délai, il ne s'était pas attendu forcément à ce que tout soit simple. L'homme avait d'ailleurs eu des sueurs froides quand une unité de la Marine avait réussi à pénétrer enfin dans le labo verrouillé par les bons soins du Docteur mort, tombant nez à nez sur eux tandis que le feu prenait à vitesse grand V en arrière plan.
Les choses s'étaient juste goupillées différemment. En tant que deux représentants de la marine, dont l'une blessée, les hommes intervenants sur place pour éteindre le feu placèrent Lilou dans une unité de soin rapidement, parant au plus pressé. Linus et elle s'étaient donc retrouvés séparés durant quelques heures, le temps que la jeune femme reçoive les premiers soins, un bandage digne de ce nom, et des anti-douleurs pour soulager ses fractures aux côtes.  

« Shiro, souffla-t-elle doucement.
Ne force pas... Repose-toi...
Il... Il est venu me voir... »

On lui avait donné une dose de cheval en arrivant, pour lui permettre de dormir. Elle s'était réveillée à plusieurs reprises, car malgré les injections qu'on lui faisait contre la douleur, son poumon touché faisait des siennes, et elle avait eu beaucoup de mal à respirer. Intubée, elle se souvint justement s'être éveillée une fois, et avoir vu la silhouette massive de l'amiral à la fenêtre de sa chambre. Ça n'avait été qu'une poignée de minutes où elle avait entendu distinctement la voix de l'homme lui promettre de trouver ce qu'il s'était déroulé dans le laboratoire.

L'incendie qu'avait provoqué Linus avait brouillé les pistes, et une enquête avait été ouverte dans la foulée, une fois le feu chimique contrôlé dans la zone sinistrée. Ça n'avait pas été une mince affaire lui avait expliqué Linus entre deux moments d'inconscience, mais les marines y étaient parvenus. Puis il y avait des constations. Les pacifistas anéantis, le corps de Vegapunk carbonisé. La thèse de l'accident avait été avancé, jusqu'à ce que les premiers éléments de l'autopsie qui avait suivi révèlent la véritable cause de la mort.

Personne n'était dupe.

Mais Linus avait profité du temps de l'enquête pour sortir son amie de là. Amis. C'était ça, n'est-ce pas ? C'était ainsi qu'il la voyait désormais. Et il avait fait son possible pour l'aider. Pénétrant dans l'hopital de Marie Joie en se faisant passer pour un médecin, habillant Lilou en vitesse en cachant ses cheveux pour la faire passer pour une autre patiente. Il l'avait tiré de là en faisant au mieux, avant de prendre la direction des bas fonds de Marie Joie, Shabondy et ses quartiers tendus.
Le temps où il l'avait laissé seul sur son lit d'hôpital à se rétablir, à ne pas être à ses côtés, Linus l'avait passé à essayer de trouver un moyen de transport viable. Un navire, une embarcation, acceptant leur présence à bord. Avec quelques berries pour graisser la patte à quelques pirates sans trop de morale, il avait réussi à dénicher une issus de secours, et s'était hâté d'y amener Lilou.

De tout ça, la rouquine n'en avait aucun souvenir. Incapable de marcher sur le moment, elle se souvint juste que le chimiste l'avait faite passer pour une cousine extrêmement malade, et qu'à sa vue, les hommes à bord avaient rechigné à l'embarquer en craignant qu'elle ne contamine d'autres gens sur le navire. Linus dut sortir quelques berries supplémentaires et promettre de la laisser à l'écart pour qu'ils l'acceptent enfin, et pressa par la même les hommes à lever l'ancre. Sa hâte parut étrange, évidemment, mais le chimiste avait saigné son compte en banque pour s'extirper au plus vite d'ici, malgré les événements. Alors on avait accepté, parce qu'il payait.

Quand ils mirent les voiles, l'agitation reprit sur Marie Joie. Les gros titres sortirent finalement pour annoncer le meurtre sauvage de Végapunk et la responsabilité de l'une des leurs.


Dernière édition par Lilou B. Jacob le Sam 19 Sep 2015 - 18:52, édité 1 fois
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Lorsque Shiro revint à la chambre de Lilou, cette dernière était partie depuis longtemps. Et la rouquine s'imaginait sans peine la déception qu'elle devait incarner pour l'amiral.

Avec la fièvre, ses rêves n'étaient que des délires insoutenables où on lui reprochait le pire. Le pire, elle l'avait déjà accompli, quelques jours plus tôt à peine, mettant tout le monde dans de beaux draps. Elle n'avait jamais voulu tout ça. Elle n'avait désiré que le bien autour d'elle, et rien d'autres. Maintenant, elle mettait en danger une personne à qui elle ne voulait rien de mal. Elle eut une pensée fugace pour ses amis restés à Water Seven. Rei la première. Rei, qui avait du apprendre l'abomination par le journal sans pouvoir comprendre ce qu'elle impliquait. Lilou eut un sanglot en retrouvant conscience. Linus s'affola à côté, la tirant à lui alors qu'elle essuyait ses larmes dans la couverture en laine miteuse.
Elle ne voulait pas que Rei lui en veuille. Elle ne voulait pas que son amie pense qu'elle était un monstre qui les avait tous manipuler jusqu'ici. Elle ne voulait pas qu'elle croit que son affection pour elle était feinte. Tout ça... Tout ça, ça n'était pas elle. Elle n'avait fait que mettre à terre le véritable monstre de l'histoire, et à tous les coups, personne n'entendrait ni même ne comprendrait sa version des faits.

Et il y eut un autre être dont l'absence pesa sur ses épaules...

« Bee... »

Son murmure s'étouffa à moitié dans sa gorge. Et il n'y eut que Linus pour l'entendre. Il eut l'air triste la seconde d'après. Elle l'avait laissé là-bas, avec Monty, Pun Bah et Serenity. Tous les trois, à bord de ce sous-marin. Et maintenant, tous trois devaient être dans de beaux draps. Elle craignait qu'il ne fasse du mal à son ami canard. Qu'ils le démontent, pour le laisser à l'état d'objet. Elle ne pouvait supporter cette image de lui sans sentir son cœur se briser en mille morceaux et sangloter de plus belle...

« Il va falloir l'oublier, souffla Linus d'une voix triste. »

Et cette phrase fut comme un couteau enfoncer profondément dans ses tripes. L'oublier ? Elle était écoeurée. Elle avait envie de mourir, là, de se laisser crever, de ne plus lutter. Elle ne pouvait juste pas imaginer qu'il puisse lui arriver quelque chose. Elle voulait rêver qu'il se soit enfuit, envolé, vers une île tranquille où il pourrait flemmarder pour de bon, comme il aimait tant le faire. Elle voulait sincèrement qu'il soit partout ailleurs qu'entre les mains des scientifiques de Marie Joie qui allaient le mettre en pièce, comme elle avait mis en pièce leur laboratoire...

Alors qu'elle ressombra, minée par la fièvre qui lui rongeait la tête, la trappe menant au dehors s'éleva et un homme aussi large que grand pénétra dans la cale. Il tenait dans sa main un journal froissé, et s'avança à pas lourds jusqu'à se planter devant Linus. Le petit homme releva les yeux vers lui, serrant son amie un peu plus près pour ne pas qu'il cherche à l'approcher. La peur au cœur, tandis que son vis-à-vis affichait une mine patibulaire, traduisant la colère qui s'était emparée de lui.

Quelque chose avait foiré. Le doute ne mit pas longtemps à s'insinuer, alors que les autres esclaves en présence se serrèrent pour s'éloigner de leur geôlier.

« C'est elle, pas vrai ? Demanda-t-il d'une voix grave en désignant la rouquine du doigt. »

Linus sembla ne pas comprendre sur le moment, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Il lui balança le journal sur les genoux, en plein sur les gros titres, la première page, avant de répéter d'une voix plus forte sans prendre la peine de poser la question :

« Ta cousine ! C'est elle ! »

Le chimiste se releva, faisant tomber le journal à ses pieds. Les mains en avant, pour signifier qu'il ne ferait rien de mal, qu'il n'avait aucune mauvaise intention, sans pouvoir cacher la culpabilité sur ses traits. Il avait menti. Il ne pouvait le nier. Mais à sa décharge, il n'avait jamais envisagé l'idée que ces mous du bulbes arriveraient à faire le rapprochement.
Mauvais coup de poker.

« Messieurs ! N'en faites rien, elle... elle est souffrante, et ce n'est pas de sa faute, elle-
Je m'en branle ! »

L'homme le choppa par le col de son vêtement, le soulevant. Linus avait les jambes qui battaient le vide, et l'occasion aussi de profiter de l'haleine putride de son agresseur.

« On va avoir tous les croiseurs de la marine au cul à cause de tes conneries ! Tu m'as baiser, connard ! Tu m'as foutu dans la merde à cause de tes conneries !
Non, non ! Ça n'est pas ça du tout ! Ça n'est pas- »

De rage, le pirate lui asséna une violente droite, sans pour autant le lâcher. Linus en fut sonné, avant de comprendre qu'une seconde n'allait pas tarder à lui atterrir sur le coin de la figure. Sauf qu'une chape de plomb tomba sur les épaules de tous les gens présents dans la cale. Le pirate le premier fut contraint de lâcher Linus, qui tomba au sol. Les esclaves en retrait cherchèrent à fusionner avec le mur pour s'enfuir. Et elle, Lilou, toujours enroulée dans sa couverture, trouva la force de se remettre debout. Le drap épais glissa au sol, et elle releva ses pupilles ambres rougis par la fièvre vers le dernier arrivé :

« C'est moi qui ais fait ça, oui, souffla-t-elle d'une voix sombre en s'approchant d'un pas vers lui. Un pas seulement qui suffit à faire ployer l'homme à genoux. Sa colère n'avait pas désenfler, malgré la distance qu'ils mettaient avec Marie Joie. La haine battait toujours à ses tempes, ses yeux lancés des éclairs assassins malgré l'infection qui la rongeait. Je lui ai enfoncé si profondément un morceau de verre dans la gorge qu'il est ressorti de l'autre côté après lui avoir brisé la nuque. Et si c'était à refaire, je le referais. »

L'homme vomit sa bile à même le plancher de sa cale, mêlant maintenant à l'odeur de moisissure et d'urine celle du vomi.

« Et tu n'imagines pas ce qu'il adviendra de toi ou de ton équipage si tu ne le laisses pas tout de suite tranquille. »

Sa main toujours valide se posa sur le crâne de l'homme, elle lui attrapa une poignée de cheveux et lui redressa la tête. Elle croisa son regard, et entre deux respirations profondes pour s'éviter de tourner de l'oeil, elle prit le temps d'articuler :

« Tu vas faire ce que tu as prévu depuis le début. Tu vas naviguer, jusqu'au bout de la terre s'il le faut, pour mettre de la distance entre nous et Marie Joie. Et si un navire de la marine se pointe, tu te battras jusqu'à la mort, ou je t'arrache la tête. »

Elle avait fait face à un pacifista plus solide que ne l'était un homme. Elle avait déjà les mains tâchées par le sang. Un peu plus, un peu moins... Tout ça lui importait peu.

« Je ne le dirais qu'une seule fois, appuya-t-elle d'une voix ferme. Je suis peut-être souffrante, voire mourante. Mais jusqu'à mon dernier souffle, j'aurais assez de force pour te briser d'une seule main. »

Lilou repoussa sa proie, le laissant rouler au sol. Le pirate se redressa péniblement, rampant jusqu'aux marches avant de prendre la direction de la sortie. Et la rouquine prit le temps d'attendre qu'il disparaisse dans l'ouverture, sans prendre la peine de refermer derrière lui, pour tituber. Linus la rattrapa de justesse pour éviter qu'elle ne s'effondre, le nez en sang, l'oeil tuméfié. Il l'aida à se réinstaller par terre, alors que les jambes de la jeune femme ne la portaient plus.

« On en a pas fini, fit-il doucement avec une mine désolée. »

Non. Tous deux avaient entamé une fuite en avant qui n'aurait jamais de fin.

« Je sais, murmura-t-elle du bout des lèvres. »
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