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Pour l'amour de mes camarades

Lieutenant Angst ! Le Colonel Ymir souhaite vous voir de toute urgence.
Dis lui que j'arrive.

Les mains derrière la tête, je suis totalement perdu dans mes pensées. Sans ce soldat pour me ramener à la dure réalité, qui sait combien de temps j'aurai ainsi dérivé dans les méandres de mon esprit ? Je me lève, tout doucement. Les douleurs sont encore bien réelles. Les bandages trop serrés enveloppent mes côtes fracturées et mon bras est en écharpe. Sympa, plusieurs de mes camarades sont venus me mettre un petit message. Ouai, ils sont sympas, parce que c'est pas tous les jours qu'un tout fraîchement promu Lieutenant fait foirer une mission.

J'emprunte les couloirs sans grandes envergures qui contribuent à la réputation de faible forteresse qu'est le G-6. Le bureau du Colonel Ymir apparaît devant moi et j'ouvre la porte. Sans toquer, non. Je sais qu'il ne va pas me faire de cadeau alors je compte bien ne pas lui en faire non plus. J'entre et tombe sur un homme d'une quarantaine d'années que je ne connais que trop. Ce fut mon instructeur lors de mes années en tant que nouvelle recrue. Ses cheveux poivre-sel, ses yeux vert perçant et donnant l'impression qu'il peut sonder votre âme en toute occasion. Je n'ai pas peur de lui mais je le redoute un peu. Après tout, à tout moment, il peut décider de mon renvoi direct de la Marine, sans sommation. Il a le pouvoir et moi, je ne suis qu'un pantin.

« Bonjour, Todd. Enfin, si tu me permets cette familiarité.»
« Nous sommes ici pour juger de mes actions. Alors, s'il vous plaît, j'aimerais que nous restions un minimum distant dans notre relation, Colonel.»
« Entendu, Lieutenant Angst.»

Le ton de la conversation est donné. Ni lui, ni moi ne nous ferions de cadeau. Il attrape une bouteille de whisky et se sert un verre. Il ne m'en propose même pas le bougre alors qu'un petit remontant m'aurai bien fait plaisir. J'suis crevé après tout. C'est moi qui ai bravé le danger, pas lui. Distraitement, alors qu'il sirote toujours sa boisson et que j'attends là, comme un crevard, il regarde une pile de papiers entreposée sur son bureau. Mes derniers faits, très certainement.

« Alors bon,je vous passerai les formalités d'usages, Lieutenant. Venons-en plutôt directement à la raison de votre visite. Vous la connaissez j'imagine.»
«L'échec de la mission Bravo 17.»
« C'est cela. Votre rapport est plutôt succinct et j'aimerais donc que vous m'en fassiez un oralement afin de juger ou non de votre renvoi immédiat du bras armé du Gouvernement.»
« Malheureusement, comme je vous l'ai dit, il n'y a que très peu de choses dont je me souviens. Et même dans cette liste, c'est relativement long à expliquer.»
« J'ai du temps à perdre, allez-y.»

Je le fixe, droit dans les yeux. «Il ne m’impressionne pas». Je crois que je me répète ces mots surtout pour donner du courage, un semblant de consistance devant cet homme. C'est vrai, après tout, c'est moi l'accusé ici.

«Très bien. Voilà donc tout ce dont je me rappelle...»

    Mer de North Blue, non loin de l'île populaire d'Inari.


    « Hey, attrape-ça Yvon !»

    La pomme de terre s'écrase contre un des murs de la salle de réunion.

    « T'es con, t'aurai pu toucher le Lieutenant.»

    Oui, parce que moi, je suis là, à tout simplement un mètre de l'impact de patate. J'ai le sang qui commence à battre à mes tempes, mais je les laisse faire. On est censé être en réunion là en fait. Mais ça se passe toujours comme ça. J'suis très jeune pour être Lieutenant et la moitié des hommes que j'ai sous mon commandant pourrai être mon père. Alors bon, ils respectent réellement mon autorité que quand je me mets en rogne, ce que j'aime pas trop faire non plus.

    « Bon, comme je vous disais...»
    « Passe-moi le rhum Octave steuplait ! Et bouge toi !»
    « STOP ! Yvon, tu dégages de la salle. Pas d'briefing pour toi, t'avais qu'à te tenir à carreau. Et viens pas t'plaindre après si tu comprends rien lorsqu'on sera dans la mission.»

    Yvon, marmonnant dans sa barbe, se lève et part en direction de la porte. J'aime pas avoir l'air sévère mais j'vous jure, des fois, j'ai l'impression de tenir une garderie. Je sens le métal dans mes mains s'agiter. Merde, c'est vrai que mes griffes réagissent à mes battements cardiaque. Je me calme du mieux que je peux. Le trouble-fait étant parti, je me rassois autour de la table ronde qui se trouve être le seul meuble de notre salle de réunion et fait passer un papier à tous mes subordonnés. En tout, une douzaine quoi. Sur ce papier, on peut lire l'ordre de notre mission.


    "Mission Bravo17

    Suspect du nom de Dairiech Piettot, aussi appelé Pierrot L'Auguste. Fin
    En possession d'une bombe de nature explosive pouvant causer beaucoup de dommage. Fin
    Aperçut en mer il y a peu non loin d'Inari. Fin
    A stopper avant qu'il n’amarre sur une île. Fin."


    « C'est une blague ? On doit arrêter le bateau d'un pirate en pleine mer ? Donc c'est comme un abordage, c'est ça ? Et on est seulement douze mecs ? Ils se foutent de nous, là-haut, non ?»

    Je fixe Norman, celui qui vient de réagir. Il a pas totalement tord dans ses propos. Je comprends totalement les décisions de nos supérieurs tout aussi bien que le message caché dans cet ordre de mission. En cas d'échec, si jamais on ne parvient pas à neutraliser le capitaine pirate, on devra tout faire sauter. Alors autant envoyer le moins d'Hommes possibles si on veut pas réduire les rangs. Mais je ne veux pas faire part de mes impressions à mes soldats.

    « Réfléchissez un peu. Ces mecs ont une bombe avec eux. Et apparemment, elle est capable de ravager la moitié d'une île. Si on veut pas qu'il y ai un massacre, il faut agir avec la plus grande vigilance. Un nombre restreint d'hommes permet de s'infiltrer plus discrètement et de contrecarrer plus aisément les plans de l'ennemi avant qu'il nous remarque.»

    Je les laisse cogiter sur cette pensée tandis que je prends une craie et commence à dessiner notre plan d'action sur le tableau noir derrière moi. Des flèches, des symboles bizarres et de petits bonhommes franchement mal faits s'agitent et je me retourne vers mes hommes pour tout leur expliquer.

    « D'après nos renseignements, leur bateau est une simple caravelle, à peine plus grande que la notre. Nous avons donc estimé les membres de cet équipage à une trentaine maximum. Cela reste jouable, même si on est moins. On a l'effet de surprise de notre côté. Marc, tu prendras Célia, Yvon, Octave et Théodore. Vous cinq, vous attaquerez de front l'ennemi. La première vague, si vous préférez. Norman, avec César, Auguste, Brutus et Laya, vous serez la seconde vague. Passé l'effet de surprise de l'attaque de la première, vous agirez et viendrez en aide à l'équipe de Marc. On peut espérer que ça les déstabilisera assez longtemps.»

    « Et Michelle et moi, on fait quoi ?»

    « Vous deux, vous m'accompagnez. Notre mission sera de trouver au plus vite la bombe des pirates. On attendra sur un petit radeau que nos camarades acculent l'ennemi et on foncera par la suite. Notre but ultime est bien évidemment la mise sous verrou du capitaine Pierrot.»

    Pourquoi Michelle et Paul ? Tout simplement parce que c'est, à mes yeux, les deux plus à même de m'accompagner. La fille est toute jeune et fluette et ne rivalise pas avec des gros bras mais est capable de se défendre. Cependant, je l'ai choisie pour son étonnante habileté à détecter le moindre indice, ce qui fait d'elle une traqueuse hors-pair. Paul, lui, c'est tout simplement parce que c'est le mec le plus fort de mon escouade après moi. Donnez lui une épée et il vous tranche n'importe qui sans forcer.

    « Bien évidemment, attendez-vous à ce que beaucoup de facteurs jouent en notre défaveur, voir, fasse capoter notre plan. Dans ce cas, référez vous à Marc et Norman pour savoir quoi faire. Hors de question de s'enfuir avant d'avoir détruit cette bombe, c'est compris ?»

    Un garde à vous significatif salua ma remarque et la réunion fut ajournée. Normalement, d'ici quelques minutes, nous devrions être en vue du bateau ennemi. Nous n'aurons alors qu'une très courte marge de manœuvre si nous ne voulons pas nous faire repérer. Premièrement, nous laisserons notre navire derrière un récif émergé, ce qui masquera sa présence. Par la suite, les chaloupes nous aideront à nous approcher du navire le plus discrètement possible. Et là, ça commencera.

      Les mains traînant dans l'eau, je suis sur le qui-vive. Nous longeons la coque du navire ennemi. Les lumières commencent à s'allumer sur le pont et j'entends les rire tonitruants de certains pirates. La vigie, perchée sur le mât, ne semble pas avoir d'occupant et nous ne sommes donc pas en danger pour le moment. Encore quelques instants et je donnerai l'ordre à Marc et son équipe de commencer l'assaut. J'ai bien conscience que mon plan n'est pas parfait et que de nombreuses inconnues peuvent tout faire basculer en la faveur de l'ennemi. Pourtant, c'est la seule stratégie à adopter pour limiter la casse. Mission suicide s'il en est, mieux vaut sacrifier douze hommes plutôt qu'une centaine de soldats. Mes griffes pointent de temps à autre le bout de leur nez mais je calme ma fréquence cardiaque pour les faire rentrer dans mes mains mécaniques. Pas question de montrer à mes hommes mon inquiétude.

      C'est l'heure. Le soleil commence à se coucher et la lumière baisse à l'horizon. Le moment opportun même. D'un mouvement de main, j'ordonne à Marc de lancer l'assaut. Il lance une échelle de corde qui s’agrippe à la balustrade du pont arrière. Puis, avec ses hommes, il entame son ascension de l'arcasse du navire. Des bruits retentissent, des explosions ça et là. J'ai bien peur d'avoir envoyé mes soldats au casse-pipe. Comme prévu, deux minutes plus tard, c'est au tour de Norman et son équipe d'entreprendre la montée en direction du pont arrière du petit bateau. Nous nous retrouvons donc, Michelle, Paul et moi, à attendre durant encore quatre minutes. Selon mes estimations, c'est le temps qu'il faudra à mes hommes pour neutraliser l'équipage ennemi.

      L'écho des cris et des entrechoquements de lames résonnent sur la mer de North Blue. Nous ne sommes plus que trois. Il reste encore une minute à attendre, qui me semble interminable. Michelle semble inquiète – ce qui est normal – et Paul tente de la réconforter – ce qui est moins normal quand on connaît le caractère du jeune gaillard. Je ne peux m'empêcher de sourire malgré la situation. Je suis en train d'assister à un amour naissant, c'est pas tous les jours. Oh ! L'amour. Si seulement je pouvais m'octroyer ce passe-temps...

      C'est l'heure. J'indique silencieusement à mes camarades la direction de l'échelle de corde. Nous devons nous faire le plus discret possible, passer au milieu du tumulte et s'attaquer au capitaine pirate. Tout un programme. J'entreprends donc l'ascension, suivie de près par mes deux camarades. Le vent frais me fait courber l'échine et je manque de glisser plusieurs fois à cause de l'humidité ambiante. Vous avez déjà tenté de monter à une échelle de corde ? C'est pas facile hein. Imaginez maintenant le faire en étant bercé par le remous incessant de l'océan. Ça donne une montée pas des plus agréables. Soudain, je me stoppe. Juste en dessous de moi, Michelle manque de tomber par ma faute mais est retenue de justesse par Paul.

      «Il s'passe quoi, Lieutenant ?»
      «Tu n'entends pas ?»
      «Non, j'entends rien.»
      «Justement.»

      J'accélère la cadence et saute d'un bond sur le pont ennemi. Celui-ci est assaillit des pirates les plus étranges qu'il m'ait étés donné de voir durant ma courte carrière : tous affublés d'un nez rouge, ils sont habillés de costumes des plus ridicules et de chaussures bien trop grandes. Sur leur visage, je note un sourire malsain. Au milieu trône une jeune fille, habillé de la même manière. Elle est blonde, élancée et me fixe d'un air carnassier. L'Arlecoquine, seconde du pirate Pierrot, recherchée pour 500,000 de berrys. Et sur le côté, ficelés dans ce qui semble être des foulards multicolores et encerclés par six pirates, j'aperçois mes hommes. Merde, on est tombé dans un piège.


        Mes griffes sortent en une fraction de seconde, libérant six lames finement aiguisées qui me servent à lacérer mes ennemis. Habituellement, je les fait retourner dans mes mains mécaniques quand elles sortent ainsi. Pas aujourd'hui. Quelle émotion les a fait pointer leur nez ? La peur ? La surprise ? L’excitation ? Non, la rage.

        Je fonds sur mes adversaires, laissant à Michelle et Paul le soin de libérer nos compagnons. Dix clowns, en plus de l'Arlecoquine, m'attendent de pied ferme. Cinq mètres nous séparent encore lorsqu'une balle en caoutchouc est lancée dans ma direction. Par pur réflexe, je freine mon élan et fait une roulade sur le côté pour l'éviter. Grand bien m'en fasse puisque cette dernière finit sa course dans le plancher du pont et y creuse un trou béant. Sûrement pas en caoutchouc alors. C'est à ce moment là que je me suis senti acculé. Ouai, c'est à ce moment là qu'ils ont commencé l'assaut. Les dix pirates-clowns m'envoyèrent alors des projectiles tous plus étranges les uns que les autres. Je me retrouve donc là, à cinq mètres d'eux, à esquiver des rubans extensibles multicolores qui ne désirent que s'enrouler autour de mes chevilles, des chapeau-boomerang équipés de lames dont une est venue me couper une mèche. J'esquive, je pare de mes griffes, je saute de gauche à droite mais je ne parviens pas à faire un pas en avant. Ils me bombardent littéralement et je suis perdu dans ce tumulte. Heureusement qu'ils sont plutôt lents et que j'ai de bons réflexes. Soudain, ce qui semble être une tarte à la crème m'arrive droit dessus.

        «Merde, ils se foutent de ma poire là !»

        Sans sommation, je mets mes mains en croix devant mon visage et découpe la tarte. Ce n'est qu'au dernier moment que j'ai aperçus la mèche enflammée qui dépasse sur le côté. L'explosion retentie et me rend sourd un moment tandis que je suis projeté en arrière. Je tente de me relever mais je perds l'équilibre. Je ne vois rien, je n'entends rien. Mon corps est comme meurtri et mes mains ensanglantées. Je tombe à genoux devant l'ennemi, contre mon gré et j'entends de nouveaux projectiles dans ma direction. J'ai le souffle court et j'halète comme un pitoyable chien. A cet instant, je ne suis rien. Rien du tout, rien de plus qu'un putain de soldat de la Marine sur le point d'être vaincu par des pirates. Je ressens alors ce qu'on ressentit toutes les personnes qui sont mortes à cause des ennemis du Gouvernement.

        Je tente d'éviter une balle en caoutchouc que j'aperçois entre mes troubles visuels mais je n'y arrive pas. Celle-ci me touche au ventre et m'explose au moins deux côtes. Je retombe à genoux, les mains sur l'estomac. Et ça dure ainsi, durant plusieurs secondes. Je me relève, je tombe. Je souffre mais je reste silencieux. Je ne peux me résoudre à crier. Pas devant des pirates, pas devant mes hommes. J'entends les clowns maléfiques rire, je perçois l'Arlecoquine pouffer. Michelle et Paul continuent de se battre mais j'ignore l'avancée de leur situation. Je n'y vois rien, alors qu'ils sont juste à quelques mètres sur ma gauche. Je me mets à tressaillir, indécis.

        Merde, je suis foutu.

          Ce que je ne sais pas, ou plutôt que je ne peux voir, c'est l'avancée de la situation de mes camarades. Heureusement, Michelle m'a fait un résumé détaillé par la suite, elle qui aime tant rédiger des rapports à tord et à travers. Voilà ce qu'elle m'a dit sur ce qu'il s'est passé de leur côté.
          Voyant que je partais vers le groupe de pirates protégeant l'entrée des cabines depuis le pont arrière du bateau, ils ont décidé de s'en prendre au groupe qui encerclait nos camarades. Paul et Michelle n'étaient que deux et ils durent faire face à six pirates ennemis. Paul engagea le combat en premier. Prenant de revers deux des clowns, il trancha sans demi-mesure leur gorge, éclaboussant le pont d'une mare de sang dégueulasse. Les quatre restants donnèrent cependant plus de fil à retordre aux deux Marins. Ils brisèrent la formation qu'ils avaient adoptée pour protéger leurs prisonniers et décidèrent d'entourer Michelle et Paul. Armés d'épées et de balles en caoutchouc, ils attaquèrent sans relâche. Formation rapprochée s'il en était, c'était dans ces cas là que Paul excellait. Il dansait au milieu des ennemis, tranchant des bras et des mollets plus rapidement que l'éclair. Les ennemis essayèrent tant bien que mal de riposter mais ils ne semblaient pas habitués à travailler en groupe. C'est bien évidemment souvent le défaut majeur des pirates. Ils sont solitaires, même au sein d'un équipage.
          Alors que nous, les Marins, nous passons toute notre formation à s'exercer aux stratégies à plusieurs.D'un coup de garde dans le plexus du dernier clown-pirate debout, Paul mit fin au chaos sur le côté gauche du pont. Ce n'est pas pour rien que je l'ai désigné comme étant le membre le plus puissant de mon escouade, après moi bien évidemment. Le boulot terminé, ils s'attelèrent à détacher leurs camarades en découpant les rubans étranges qui les enserrent.

          «Ben putain, ça fait du bien !», s'exclama Yvon.
          «M'en parle pas ! Mais regardez le Lieut'nant. Il est en mauvaise position. On fonce ?»
          «Ouai, on fonce.»
          Ils n'avaient qu'une dizaine de mètres à parcourir pour se rendre à mes côtés. Pourtant, et c'est là que nos points de vue se croisèrent, tout le monde aperçu les quatre tartes à la crème qui venaient d'être projeté par l'Arlecoquine. C'est déjà trop tard.

            L'explosion causa une détonation quatre fois – logique – plus grande que la précédente. Je vous promets, j'ai réellement cru que j'allais mourir. Et pourtant, lorsque j'ouvre les yeux, j'aperçois mes camarades, tous réunis autour de moi, créant un bouclier de fortune de leur corps. Blessés, oui, mais en vie. C'est le principe même du travail en commun. Si on s'entraide, on est plus fort, mais on réduit les dégâts également. Je me relève, soudain conscient que je suis leur Lieutenant et que je ne peux les laisser se blesser pour moi.

            «Les gars...»
            «Y a pas d'quoi, Lieutenant Angst.»
            «Ouaip, enfin, elles font mal ces putains de tartes à la crème. J'crois que j'ai plus de poils dans le pif là !»

            Malgré la situation, je ne peux m'empêcher de rire une nouvelle fois. Les conneries d'Yvon ont le don de détendre l'atmosphère.

            «Faut qu'on se concentre sur L'Arlecoquine – la fille du centre – et qu'on la neutralise. Le capitaine doit se trouver dans ses quartiers, bien au chaud, mais on peut pas l'atteindre sans détruire ces pirates. Par contre, tout seul, j'arriverai jamais à l'atteindre. Alors si c'est pas trop vous d'mander, vous voulez bien me couvrir.»
            «Foncez, on vous assure vos arrières !»

            Bien, c'est tout ce qu'il me faut en ce moment. Une preuve que mes hommes sont là pour me soutenir, prêt à se sacrifier pour ma petite poire.

            En avant.

            Toutes griffes dehors, je fonce. Mes compagnons sont autour de moi et s'affairent à détourner tous les projectiles qui empêchaient précédemment mon avancée. Ainsi en formation, nous progressons jusqu'à ce que je sois assez proche de l'Arlecoquine pour engager le combat. Celle-ci sourit. Malgré notre avancée, elle sourit. Maintenant que nous sommes tous au corps à corps et que les attaques à distance n'ont plus d'effet, mes hommes s'attaquent aux dix pirates qui me persécutaient auparavant. Moi, je donne un premier coup de griffe à la femme-clown. Agile, elle saute et esquive le coup. Mes lames continuent leur trajectoire et manquent de toucher un de mes hommes. Je me retourne, elle est juste derrière moi. Je tranche de revers mais d'une prouesse acrobatique, elle réussit à mettre tordre son bassin pour mettre le haut de son corps parallèle au sol.

            «Merde, elle a pas d'os cette meuf ou quoi.»
            «La Marine hein ? Petit faiblard, j'aimerai tellement que tu me frappe. J'adorerai ça, mon chou, mais t'en ai pas capable hihihihihihihi !»

            Je ne prends même pas la peine de répondre. Je continue mon assaut frénétiquement, déambulant au milieu de la cohue dans l'unique but d'atteindre ma cible. J'aperçois Norman qui est mis à mal par un des clowns mais je n'ai pas le temps de l'aider. Je griffe mais une nouvelle fois dans le vide. Elle sourit encore, la garce. Je tente de la frapper avec le pied. Pour seule réponse, elle fait un saut périlleux arrière qui lui permet de s'extirper de ma portée et se retrouve juste devant César, un de mes hommes, en proie avec un pirate. Elle me sourit une nouvelle fois avant de sortir une tarte à la crème de son sac en bandoulière et de l'écraser sur le visage de mon compagnon. L'explosion est puissante, assez pour envoyer le soldat par-dessus bord, inconscient. Elle rigole désormais. Et moi, je sors de mes gongs. Je n'en peux plus de cette fille totalement bargeot que je ne peux atteindre. Griffes en avant, je lui fonce dessus à toute allure, renversant au passage un clown pirate qui se trouve sur mon passage. J'ai la haine. Telle une bête féroce, je cours sans vergogne, faisant fit du fait qu'elle vient de sortir une nouvelle pâtisserie de son sac et qu'elle vise dans ma direction. J'accélère et me retrouve à quelques centimètres de son visage. Elle colle sa tarte contre mon estomac mais je force le passage. L'explosion manque de me faire perdre connaissance, mon uniforme se calcine mais je continue l'assaut. Je suis au-dessus d'elle. Je lui tranche la gorge.

            Calme plat. Le tumulte de la bataille s'est soudain fait silencieux. Pour ma part, je tombe à genoux, à moitié inconscient suite à cette nouvelle explosion. Je regarde autour de moi et je vois tous les pirates-clowns, soudainement réfugiés derrière un homme de petite stature. Habillé d'un costume violacé des plus indigeste, il est très pale et ne possède, contrairement à ses camarades, aucun nez de clown. Ses cheveux sont vert, couleur non moins habituelle qu'elle me rappelle un ami d'enfance que j'ai perdu trop tôt. Il a l'air en colère. Son regard passe de moi à la jeune fille que je viens de tuer. Mes hommes, eux, paraissent terrifiés. Devant nous, nous avons Pierrot l'Auguste, l'homme à 2,000,000 de berrys que nous sommes censé capturer.

            «Emma ? Emma ? EMMMMAAAAA ! HAHAHAHA ! Z'avez fait quoi à ma meuf ?»

            Bon, le gouvernement n'était pas au courant qu'une relation intime unissait les deux pirates, hormis le fait qu'ils appartiennent au même équipage, mais là n'est pas le propos. Ce mec... il est dingue. Il rigole et chiale en même temps. Dans ses yeux, je vois danser des flammes inextinguibles de folie. Il est fort, ça je le remarque aussi. Dès le premier coup d'œil. Pourtant, il n'est pas armé. Et là, même s'il me regarde, il semble plus concentré sur sa copine. Je me dois de saisir l'occasion. Le champ est dégagé. Je fonce. D'une traite, je me retrouve devant lui. Je ne dois pas laisser passer cette chance. Mais alors que je vais le frapper, il met sa main dans son gosier. Dégoûtant, oui, mais il en sort une épée qui semble venir du plus profond de ses entrailles. Encore baveuse, il stoppe mes griffes d'un coup habile. Je me dégage afin de me tenir à une distance raisonnable de l'arme. Mes griffes ont une portée de trente centimètres, son épée beaucoup plus. Je retente un assaut. Je me concentre sur son arme, afin de lui faire lâcher celle-ci. Grave erreur de ma part. J'ai pensé qu'il se servirait uniquement de son sabre. Effectivement, il le lâche, mais pas sous mon influence. Volontairement, il fait tomber l'arme au sol et me saisit par le col avant de me frapper dans les côtes. Je manque une nouvelle fois de m'évanouir. J'ai subi bien trop de dégâts à cet endroit pour aujourd'hui. Mes vêtements en lambeau, je suis suspendu quelques centimètres au-dessus du sol, incapable de réagir.

            «Ils me font rire ces chiens du Gouvernement. M'envoyer une équipe aussi faible pour m'arrêter ? C'est carrément se foutre de ma gueule. C'est la bombe que vous voulez ? HAHAHAHAHAHA. Jamais. Jamais vous ne mettrai la main dessus.»

            Sur ces tendres mots, il me balance telle une poupée de chiffon et je m'écrase quelques mètres plus loin, proche de la rambarde du pont. Mes hommes tentent de l'attaquer. Je veux leur crier de ne rien faire. Pourtant, ils agissent. Cet homme est fort. Bien trop pour eux. Je n'ose qu'à peine regarder le massacre. J'aperçois Norman se prendre un coup qui le traverse de part en part. Laya, Octave et Brutus le suivent de peu. Ils tombent, comme moi, sauf qu'eux baignent dans un sang que je ne sais que trop annonciateur de mauvais présages. Je veux crier, leur dire de partir, de retourner sur notre bateau, mais c'est impossible. Soudain, je vois Yvon s'avancer, épée tendue. Il pense pouvoir le toucher. D'un coup fin, Pierrot lui tranche la tête. J'entends, même de là où je me trouve, le bruit affreux des cervicales qui lâchent. Je vois le sang partir en une gigantesque cascade vers le ciel étoilé. Le corps tombe, la tête suit. Je suis au bord de l'évanouissement et mon estomac semble sur le point de régurgiter tout mon repas de midi. D'un ultime effort, je me mets à genoux. Je ne peux faire plus. Et mes pulsions sont vaines puisque soudain, coupant mon élan, quelque chose me percute et m'envoie par-dessus la balustrade. Je tombe, dans une chute qui me semble durée des années, vers l'océan. Juste avant de m'évanouir, j'aperçois la tête d'Yvon, que Pierrot vient de me balancer comme une ultime insulte à ma mort.

              Je suis certain de mourir. C'est étrange comme au moment de votre mort, les secondes semblent durer des heures. Vous me direz que je peux très bien nager jusqu'à notre bateau, qui n'est pas très loin non plus, et m'enfuir ? Mais non. Déjà, parce que je n'en ai pas la force. Et ensuite, tout simplement parce que je ne sais pas nager. Non, pas comme les utilisateurs de fruits du démon qui, selon la légende, sont maudits des eaux. Moi, c'est différent, c'est tout simplement que je n'ai jamais appris. J'avoue que sur le coup, j'aurai bien aimé savoir.
              Je vais mourir, j'en ai la certitude. Sans avoir trouvé un but à ma vie, sans avoir comprit les intentions des docteurs qui m'ont posé ces griffes. Sans avoir trouvé l'amour, sans avoir fondé de famille. Sans avoir retrouvé ma famille, sans avoir pu parler à mes vrais parents. Sans retrouver mon frère, sans rien. Je me disloque avant même d'être immergé. Le choc lors de mon entrée dans l'eau est, contrairement à ce que je m'attendais, pas si brutal. J'ai juste l'impression de mettre la tête sous l'eau dans un bain. Je ne tente même pas de respirer, ça ne sert à rien de se débattre. Je me résigne à mon sort.
              Je coule, doucement vers les profondeurs qui ont emporté mille pirates et tout autant de bateaux. Le paradis, ça existe ? Je ne le saurai peut-être jamais vu que c'est certainement l'Enfer qui m'attend. Non pas que je sois mauvais en soi, mais j'ai tout de même pris quelques vies durant mon existence. Même si c'est légitime, je ne pense pas qu'on nous donne l'accès au bien-être éternel après avoir tué quelqu'un. On verra bien.

              Je ferme les yeux, attendant paisiblement la venue de madame la Faucheuse.
                Je me réveille, tout doucement. Au départ, ce qui m'étonne, c'est la douleur. J'ai l'impression qu'on m'a roulé dessus avec un camion. Je ressens la présence de bandage sur mon corps. Moi qui pensais qu'on ne souffrait pas dans les Cieux. Puis, ce qui m'étonne après, c'est que je connais l'endroit où je me trouve. Ma chambre de Lieutenant, sur le navire qui nous a emmené près du bateau de Pierrot. «Et, le Seigneur, c'est pas cool comme punition de me faire revivre mes derniers instants en boucle !». J'ai formulé ces mots à mi-voix. Quelqu'un les a manifestement entendu puisque deux silhouettes se profilent dans l’entrebâillement de la porte. Elles approchent et je reconnais leur forme.

                «Michelle ? Paul ? Merde, vous vous êtes fait avoir vous aussi ? J'suis tellement désolé les gars...»
                «Lieutenant ? Z'êtes en train de délirer ou quoi ?»
                «On est pas mort ?»

                Michelle émet un petit rire sonore et mignon.

                «Non, heureusement que non. On a réussit à en réchapper, bien que ce ne fut pas simple. Paul a directement plongé pour vous sauver la mise et il a nagé avec vous jusqu'au navire.»

                Je regarde le grand gaillard qui vient de me sauver la vie. Je lui donne un maigre sourire et une tape sur l'épaule. Enfin, vu que je suis allongé, ça donne une situation étrange à vrai dire, puisqu'au lieu d'atteindre son épaule, je touche à moitié son entrejambe. Oulah, je dois encore être un peu sonné.

                «Z'êtes pas obligé de me payer en nature Lieut'nant, un simple merci suffira. Bon, on fait quoi maintenant ?»

                Malgré la douleur, je réussis à m’asseoir sur le bord du lit. Je pose ma tête entre mes mains et réfléchit. Je n'ai presque pas de souvenir de la bataille qu'on vient de faire mais elle semble avoir été violente.

                «On doit poursuivre Pierrot, bien évidemment. Sinon, qui sait ce qu'il est capable de faire. Allez prévenir les gars qu'on part immédiatement.»

                Pourquoi est-ce qu'ils évitent mon regard ? Je ne sais pas pourquoi mais ces deux là ne veulent soudainement plus me regarder droit dans les yeux. Je redoute le pire.

                «Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?»
                «Eh ben... quand j'ai sauté pour vous récupérer à la mer, j'ai du abandonner les autres. Ils étaient malheureusement pas assez fort sans mon aide, c'est malheureux à dire. Pierrot les a tous eut, à part Michelle, Célia et Théodore.»

                C'est là que je me rappelle. Toutes les images me reviennent en mémoire, notamment la tête d'Yvon qui m'a projeté par dessus bord. Je sens un flot d'émotions me submerger et mes griffes sortent d'elles même. Pourtant, je ne dois pas me laisser emporter. Pas maintenant. Mes hommes sont morts. Il ne faut pas que ça soit en vain.

                «Raison de plus. Cap sur Inari, on part venger nos camarades.»