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Graver mes initiales

On progresse dans l'esprit marécageux du squale, alors que ses ambitions scientifiques prennent forme au loin. Eh ! Je vois mon frangin là-bas !

J'suis observé par des mirettes savantes, qui décortiqueront le moindre de mes gestes pour en remonter les nerfs jusqu'à ma cervelle flambantes de sous-entendus. J'ai toujours eu un rôle à jouer, dans c'monde, des masques étroits qu'il m'fallait enfiler sur mon museau protubérant pour me hisser hors de la case de poiscaille sauvage dans laquelle les collègues, les bons citoyens, les nobliaux et les gradés essayaient d'me tasser. Les bons sentiments n'suffisent pas, c'sont des barreaux rongés par les termites sur une échelle décrépite : la HARGNE, un putain d'ASCENSEUR. Aujourd'hui mon déguisement me colle à la peau, devient une seconde couche d'écailles sous laquelle turbine un coeur qui rompt ses artères sous la pression de l'excitation !

J'donnerais tant pour qu'frangin contemple mon envol par là-haut, parmi les colombes en blouses blanches, les toubibs 20, des mirettes bienveillantes penchées cyniquement au-dessus d'une terre putride. Des anges-gardiens surveillant les démons.

La moindre planche de ma cabane est maintenant imbibée de ma marque, et ma marque commence à rimer avec ambitions démesurées ; les mêmes que celles qui m'faisaient courir tout gosse, j'me ferai pas avoir deux fois. La réalité est une pute bien peu pédagogue qui m'a appris par le fouet que ce que l'on obtient, par la sueur et parfois le sang, n'est qu'un trésor éphémère dont la valeur s'estompe, taxée par le Temps, si l'on ne le surveille pas. J'suis né homme-requin, et je mourrai humain. Et Tark sera mon témoin, malgré les crises qu'il me piquera pour m'enfoncer au burin dans le crâne que le but de la vie est "d'apprendre à se servir de ce qu'on est" plutôt que "se façonner une existence artificielle". Tark est loin de par les mers, mais notre lien, malgré les distances, qu'elles soient mesurables en kilomètres ou en idéaux, ne s'est jamais effrité. Toujours aussi solide, la banque de souvenirs que j'ai érigé avec toi ne sera jamais braquée par des opinions divergentes, Tark,

j'espère que tu vois les choses sous mon angle.
Parce que le p'tit frère que tu retrouveras ne sera pas l'alevin naïf et paumé que tu as appris à aimer. J'espère, j'espère tant que tu ne seras pas déçu par le monstre amoureux que tu découvriras à sa place. J'ai p'tete grandi trop vite, ou à l'envers : j'me suis enfoncé dans la boue plutôt que m'étirer vers le ciel. Mais peu importe : j'ai renouvelé mon carnet d'rêves, je n'suis plus la coquille creuse que la marine s'acharnait à remplir de valeurs obsolètes et hypocrites, qui n'sont qu'les reflets d'un gouvernement pour qui l'honneur et la tolérance ne sont que deux grosses coliques qu'on ne purge que par des lavements de choc.

Prochainement : Craig Kamina, toubib 20. Et à l'ombre, par là où les héros purs se meuvent la langue confinée derrière des lèvres douloureuses : Craig Kamina, révolutionnaire. J'cherche une cause juste à laquelle rallier mon scalpel et ma bouillasse : la révo' doit bien avoir ça en stock. Même si je garde mes plus vaillants espoirs muets pour l'instant. La révo n'est pas le remède miracle, et elle aussi doit patauger dans les noirs secrets -et les fumeuses magouilles d'encapuchonnés du style de Raf'-. Le sang de ce monde est gâté, ses globules ne charrient que drames et angoisses. Le monde a besoin d'une transfusion, d'une vraie : je suis prêt à donner de MON sang.

Mon sang que je n'ai que trop versé sur des carcasses inanimées de pirates déments, qui resurgissent en boucle comme une peste que rien n'endigue. La marine ne s'attaque bêtement qu'aux symptômes du Mal, sans en chercher un vaccin. La piraterie, c'ça, un symptôme, une démangeaison fulgurante sur un cuir irrité : quand tu grattes, ça gratte de plus belle, et ça saigne. Si tu veux éradiquer la piraterie, faudrait d'abord se poser la question : d'où elle sort ? Pourquoi elle existe, merde ?

Pourquoi des minables décident de s'emparer d'un navire et d'étriper donzelles et mômes à la recherche de gloire et de piécettes ? QUI SONT ces minables ? La réponse ne se résume pas à un simple buster call : la psy ne se déroule pas aussi facilement. Dérouler la dense pelote que forment la complexe toile de ce monde, et remonter chaque fil et défaire chaque noeud jusqu'à dénicher ce qui les tricote. La mémère gâteuse qui nous a tissé un monde aussi moche. Ça peut être une mission de révolutionnaire, que de déchirer ce tissu pour en reprendre le motif depuis le début.

Celui qui sait reconstruire un corps apprendra également à reforger les esprits dans des matériaux plus nobles et plus solides, que les tyrans ne pourront jamais plier à leur guise comme du friable roseau ; leur pensée deviendront de véritables chênes aux racines ancrées dans la bonté et aux branches chatouillant le ciel. Et cette hauteur inspirera les paumés à grimper jusqu'à son sommet pour voir du paysage, un panorama impressionnant de nouvelles idées. Le peuple n'aspire qu'à l'égoïste tranquillité, peu importe si son voisin crève de faim à côté de chez lui, tant qu'il ne gémit pas assez fort pour lui rappeler chaque minute son indifférence teintée de crainte que la misère ne soit contagieuse. Il faudra le claquer pour le réveiller, le petit peuple somnambule, le secouer pour qu'il saisisse que l'inaction fait plus de ravages que la pire des exactions. L'éduquer.

J'ai aucune idée de comment. Mais je sais au moins où je vais, et la route sera périlleuse.

J'me suis remis du coup d'poignard de Danielle. Qui m'a embroché le coeur, m'a laissé un amer bobo à l'âme. Mais j'ai digéré, et ces souvenirs ne sont plus qu'des étrons largués dans les chiottes infectes qu'est un certain pan de ma mémoire. J'ai tendu une palme secourable à c'salopard, et il me l'a mordu jusqu'aux os ; c'est largement pas la première fois que ça m'arrive mais ça m'provoque toujours ces mêmes hauts-de-coeur qui me donnent envie de dégueuler sur l'humanité. J'étais le torchon qu'il voulait utiliser pour nettoyer sa merde avant d'le balancer négligemment dans la benne. Et faute de torchon, il a découvert que j'étais du papier de verre. C'pas la première fois qu'on profite de moi, qu'on m'apitoie, j'ai le coeur tendre et ça se voit dès qu'j'ouvre la gueule pour dispenser ma voix faiblarde et mon haleine de renfermé. Cette carapace de prédateur marin n'est qu'un pastiche fissuré qui couvre une authentique proie dans toute la splendeur de sa sensibilité. C'plus fort que moi, j'peux pas contrôler ma pitié. Mais la pitié est un vice de mort, en ce bas-monde habité d'ombres perverses, et à chaque fois que j'tourne le dos à quelqu'un, je m'attends de plus en plus à sentir un poignard effleurer mon aileron. Je perds confiance. C'est pour ça qu'sa manigance a avorté comme un maladif foetus bâtard.

Ma parano m'a sauvé.

Doc Modo n'sait rien de la mésaventure, j'ai empêché les vaguelettes que cette brique a provoqué en plongeant dans le bassin plat et calme de l'île de Drum d'arriver jusqu'aux autres baigneurs. Tout ce que l'académie sait, c'est que j'aurais réussi ma première réassignation sexuelle en solo après seulement trois jours d'étude, et ça pète probablement la classe. Les rumeurs me concernant s'entassent comme la neige sur les sapins, mais les toubibs 20 savent déterrer le vrai là-dessous, tâter et juger les feuilles de l'arbre sous ses guirlandes de tendre poudreuse.

Les coups de pub se sont enfilés comme des perles sur un collier. J'reçois quelques patients, envoyés là par Modo pour m'exercer la palme et le décharger d'une partie de la surdose de boulot qui lui accapare de plus en plus l'esprit, un parasite gourmand qui lui bouffe autant son temps que son énergie, ainsi que l'argent de l'académie. L'hécatombe de 1624 a rendu leurs rangs transparents et on perçoit la déchéance derrière leur placidité habituelle, aux blouseux, j'espère pouvoir leur servir de p'tites lueurs d'espoir dans ce bourbier de sang qu'ils n'ont jamais vraiment réussi à quitter.

C'est pour cette académie que je suis revenu ici. Un froid refuge pour un déserteur, doublé d'un pélerinage en souvenir du bon vieux temps. A chaque fois que j'me représente à son pallier, j'ai la mémoire qui la déguise en l'ANCIENNE école, la plus belle, l'immense, la légendaire, celle rasée par un discours à base de boulets, d'explosions et de sang jaillissant de plaies innocentes, traduit en la seule langue que savent parler toutes les races de cette maudite planète : la guerre.

J'pénètre dans le temple de la médecine, passer mes ultimes entretiens avec les cadors de leurs domaines. Le trac me noue les tripes et probablement joue-t-il à la corde à sauter avec, car j'ai l'bide en plein séisme.

J'essuie des regards souriants, de la curiosité qui m'écorche un peu. Tout ces figurants à n'pas décevoir tandis que j'm'apprête à chopper un rôle central en cette école. Mon moral, mes gestes, mes efforts, mes thunes, tout était pierres qui composent aujourd'hui l'escalier qui m'emporte dans les hautes-sphères du monde médical ! Et j'me sens aussi léger qu'une colombe qui serait accrochée à la terre ferme par une grosse ancre de stress. Y a rien qu'une victoire qui pourra n'm'en libérer. Léger, j'le suis tout de même un peu, sinon, j'me comparerai pas à une colombe mais plutôt au crapaud bavant d'arrogance que j'suis réellement. C'est qu'enchaîner en quelques semaines autant de succès que la marine ne m'a enseveli de foirades en six ans... Ça nourrit en moi une fierté que j'croyais asséchée.

Sympathique que de voir un ancien élève prétendre à nous rejoindre.


Une voix nasillarde de corbeau sous un bec d'acier cuivré m'accueille sur le seuil des amphithéâtre. Le "plus vieux médecin du monde", Mangue Zélé, toubib 2, enroulé sous une blouse blanche trop grande pour lui qui laisse percevoir le torse décharné qui lui sert d'armure charnelle ; j'déglutis mon courage à sa vision, me demandant un instant si cette bâtisse aurait pas besoin d'un exorcisme, mais c'est lui, pas un zombie, c'est l'un des toubibs qui outrepassent les règles en vivant confortablement bien au-delà du crédit que lui concède mère Nature, et en cela, j'peux l'admirer que bouche béate. L'éminent second de l'ordre, qui semble avoir été capable de réléguer la vieillesse à une obscure contrainte obsolète, et qui arpente les âges comme un guerrier traverse le champ de bataille : en répandant le sang sans être inquiété. Sauf que lui le fait pour de bonnes raisons. J'lui rends timidement ses politesses, 'vec des crocs jaunis par l'oubli et un museau frétillant, en serrant la main cadavérique qu'il me tend.

J'espère être à la hauteur...
Hinhinhin, nous verrons cela. Vous allez passer en entretien devant la totalité de mes collègues. J'espère que vous n'êtes pas trop stressé.
Euh...
Si, vous l'êtes. Saviez-vous que de légères incisions sur les tempes provoquaient des chutes d'angoisse chez les sujets ?
Ça sera pas nécessaire, merci.
Je n'ai jamais exercé sur un homme-poisson. Au plaisir, si ça vous dit, de m'aider à faire progresser la science.

Zélé est l'toubib, malgré son rang plus qu'honorable, qui traîne dans son ombre les rumeurs les plus sordides. On le dit grand consommateur de cobayes, et il ne l'a jamais nié. Sans qu'il n'en parle, je sais déjà ce qu'il en pense : la science avance au prix de sacrifices, un peu comme une Déesse avide d'hémoglobine. Et sous ce corps qui repousse sans cesse sa limite de péremption, j'me demande si une âme pourrie ne s'y cacherait pas, une éthique en décomposition et un vicelard sadisme qui aurait pas pris place pour se masturber aux côtés de sa dévotion à la médecine. Il serait un peu mon reflet à moi, un miroir ignoble venu du futur me démontrer que je m'engage sur une route périlleuse. Et ça m'triture un coeur déjà amplement peloté par le trac. Faut que j'me retienne de l'juger, ou lui s'en privera pas en retour...

Vous serez appelé dès que nous serons prêt. D'ici là, décrispez-vous. J'entends votre coeur s'alarmer d'ici.
Ou-Oui. A tout à l'heure.

Une nouvelle putain de pointure qui m'adresse la parole. Si ça se trouve, Avicenne, le boss des boss, le héros du diagnostic, le pourfendeur de virus au scalpel acéré, erre aussi dans l'coin. J'donne pas cher de l'étanchéité d'ma vessie s'il daigne m'offrir un mot... et faut que j'surveille mes sphincters aussi, son aura doit être un vrai feu roulant, et les questions piégées qu'il pose à ses élèves sont, paraît-il, comme des mines dans un grand pré fleuri, amical mais implacable, et j'veux pas trébucher connement sur ma dernière ligne droite, alors j'jouerai la carte du môme intimidé -que je suis réellement- devant une assemblée de doyens qu'il idole, pour tenter d'attendrir un peu les âmes, qu'elles deviennent plus réceptives à mes désirs.

Me décrisper alors que la tension éclate son cocon et s'envole joyeusement ? Ne distille pas un suspense de polar si tu veux me détendre... Une fontaine de sueur, un odieux pâté de nerfs électrifiés, v'là ce qui va se présenter à eux pour ce jour qui scellera -ou pas- un destin qui sent bon l'antiseptique. J'vide mes poumons en espérant que le stress s'évacuera avec l'air glacé de Drum.

Et j'attends, palpitant, l'appel des sommités.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig