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Voyeurs

Precedently, in Sharks Mind
Quelques jours après.
Oui, le décompte bien propre façon journal de bord a pas duré longtemps.
Parce que le calendrier avait la même couleur que la neige.

La neige là-dehors forme une piscine de croûte glaciale, chaque jour alimentée par les blizzards joggant matinalement entre les sapins. Et les sapins, ces fourbasses, servent de perchoirs parfois à suffisamment de poudreuse pour servir de tombeau à un gars poissard qui se la prendrait sur la tronche un jour où le vent veut sa mort. Les alentours d'mon cabinet demandent pas mal d'entretien, histoire de pas devenir un cimetière pour patients, que les gens qui viennent se faire redessiner leurs corps n'amènent pas en promo une vilaine hypothermie. Le froid est le caïd de Drum, et les touristes payent souvent leur tribut en engelures.

La faune locale, dont j'ai investi l'territoire, se pare de plus en plus d'affreux lapins carnivores que j'dois dissuader de venir à la ceuillette autour de chez moi. Alors j'suis allé chopper une hache au village d'à côté, et j'ai commencé à découper leurs portées en fines lamelles. Hihi. Non, en fait, j'ai juste abattu des arbres, les mêmes vicelards qui stockaient une tonne de neige sur leurs branches. Avec le bois, et une patience qui m'a rudement assoupli les nerfs, j'ai élevé des p'tites barrières autour de "mon" domaine, puis ait tacheté la forêt de flaques de marais en appétit. Les jours ont alors appris aux sales bestioles mon concept de la propriété privée : mon cabinet n'est PAS un putain d'garde-manger.

La marine m'a surtout appris à distribuer des pains en vrai petit boulanger aux palmes sales, ainsi que tout un tas d'astuces qu'agissent comme les aiguilles d'une boussole en pleine jungle : reconnaître le danger, l'identifier, l'éliminer -ou le fuir-. J'dois lui reconnaître qu'après m'avoir amené à traîner avec des ordures, j'sais maintenant en distinguer les relents à des kilomètres. Et la nature à côté, soit disant indomptable, me paraît être un minou boiteux déguisé en lion alpha, et elle miaule faiblement en cette sortie d'hiver, comme émergeante d'une hibernation qui lui a sapé toute sa virulence.

Ouaip. La forêt plie sous mes bottes, aussi friable qu'une pâquerette, aussi jolie également. Elle m'a paru intimidante jusqu'à c'que j'découvre qu'elle est vachement moins organisée que moi, et à partir de là elle n'a pu que m'observer passivement désamorcer un à un ses pièges, et piller son frigo. J'équarrisse ses pions fraîchement morts, affalés sur le plancher froid de ce frigidaire à ciel ouvert, des carcasses de bestioles tièdes que l'hiver, dans sa grande miséricorde, a préféré achever plutôt que leur permettre d'atteindre le printemps pour s'y faire boulotter vivants. J'revends la bidoche au village, pour aiguiser mes fins d'mois. Et j'bouffe assez de fruits, de baies et de fougères pour transformer mes intestins en sentier rupestre.

Sur le pallier d'mon repaire, la bouche de mon antre encore bien aphteuse à l'haleine frétillante mais pas avenante, j'accueille cette silhouette qu'ondule au bout du sentier, noircie par les ombres des rangs de sapins au garde-à-vous ; car même si ces cons pointus transforment la forêt en un genre de tapis fakir épineux, on peut leur concéder qu'ils font d'sacrés parasols, c'qui sera pas d'trop face à un Soleil hargneux bien décidé à déchiqueter ces nuages qui lui masquaient la vue sur son jardin de cerisiers endormis.

Bienvenue ! ...
Quoi ?
Je disais BIENVENUE !
Mais oui, attendez. Je viens.

... j'vais attendre qu'il s'approche. J'sais déjà pas articuler à voix basse, alors en hurlant, autant demander à un clebs d'aboyer la gueule pleine de glue. Quand il parvient à s'arracher aux ombres, et qu'les rayons de ma bonne vieille boule de feu descendent féconder la planète, j'aperçois sa face. Carrée, géométrique. Né avec des équerres sous les fronts et une grande règle dans le fion.

Il a l'autorité greffée sous le visage. Et quand il devient à portée de murmures, il se force à sourire, bien qu'ça me paraît évident qu'il risque le claquage facial à tout moment. Des grandes balafres lui barrent la face, comme des ratures, des gribouillages d'un môme qui a raté son dessin, difficile d'être secret quand on a son histoire personnelle écrite au surin sur son corps. J'entrevois c'qu'il me veut avant même que ses lèvres ne remuent.

Bonjour, docteur Kamina. Mes cicatrices, mon visage, une autre identité. Que me proposez-vous ?
Je vous fais un prix à dix millions pour la totale ?
Vendu. Et la discrétion...
Regardez où nous sommes... Nos seuls témoins seront des piafs. Et la saison de la chasse est bientôt ouverte, si vous avez peur qu'ils se fassent trop bavards.

Mon argument hérisse ses sourcils et rend son sourire tout flasque, il dégouline jusque sous son menton. Bah. Au moins, il a l'air convaincu.

J'ai l'argent sur moi.
Une idée de ce que vous souhaitez devenir ?
Une femme.
D'accord.
...
Une ... ?

Une femme. Avec deux seins. Et un organe génital féminin. Une femme.
Ça risque de coûter plus cher...
Mon budget de cinquante millions.
... et de me demander un peu de préparation...
D'accord. Un ou deux jours ?
Disons qu'il suffit pas de s'épiler le maillot pour devenir une femme. Donnez moi une semaine.
Je pourrai rester ici en attendant ?
Ouais, vous êtes recherché à quel point ?
Il y a cinq zéros sur mon avis de recherche.
Ah, cinq, quand même.
Cinq, oui. Cinquante millions commence aussi par un cinq.

Est-ce qu'il me prend pour un suceur de flouze ? Ma microseconde d'hésitation sort de ma faim de solitude. Partager ma piaule avec un croque-mort n'est pas s'engager dans une simple soirée-pyjama, non, c'est avoir une paire d'yeux roulante perpétuellement dans mes affaires. Mais ça reste un client flanqué d'une lourde prime, et même si les primes, c'contagieux, et qu'il y a un nid d'mouettes pas si loin d'ici, j'peux pas couler dans le béton une si belle occasion d'peaufiner les ballets de mes grands doigts griffus dans mon théâtre sanglant.

Puis changer d'sexe, merde ! J'vais faire mes premiers pas là où X et Y sont de pauvres arriérés obsolètes !

On se débrouillera. Essayez juste de pas trop salir le carré d'opérations, j'l'ai rénové y a pas longtemps.
Très bien.

Modo m'a aidé a aménagé un p'tit sanctuaire, recalant toutes les bactéries dans le ghetto miniature qu'est le reste de mon gourbi, qu'est mon vrai de vrai espace privé... la chambre d'un ado qu'a grandi trop vite.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
Bienvenue dans ma cave, les champignons en rongent encore un peu les coins. Ma cave schizophrène, un côté noir, un côté beau, elle est aménagée comme mon esprit, avec une frontière si grossière qu'elle ferait passer le schisme qui sépare les braves marines des gentils révos pour une bonne plaisanterie entre amoureux. Le "client" tire la tronche de quelqu'un qui explore une nouvelle dimension, p'tete qu'il pensait pas la planète assez forte pour supporter un tas aussi dense de barda. Avec mes réserves de vivres, j'empile des bouquins, des pavés qui gonflent le crâne à la souffleuse, comme des manuels de médecine, ou au contraire de fins magazines qui m'font pousser des ailes autour de l'aileron, des bédés et des journaux.

On cause pas encore de moi dans les journaux. J'suppose que c'est bon signe, mais m'étonnerait qu'ça dure. Ce corbeau lassé d'sa virilité traîne son lot d'mauvais présages. Jamais vu sa bouille nulle part, pourtant les primes sont de luxueuses ambassades pour loger sa réputation de boucher au doigts de fée. Pas vrai ? P'tete qu'il est un spectre. Ce serait pas le premier que j'reçois. Être hanté, c'est pour moi comme inviter de vieux amis à dîner.

Vous avez un nom ?
Tim ?
Hmm. C'votre vrai nom ?
Eh bien, je n'aime pas mes parents. Ils m'ont forcé à porter un nom bien lourd.
Bon, d'accord, Tim.
Ou Daniel, s'il est encore possible de changer d'avis. Ainsi il me suffira d'ajouter "le" pour le féminiser, une fois que vous aurez accompli votre office.
Soit, Daniel. Vous avez été suivi jusqu'ici ?
J'ai donné à manger aux rapaces. Ils resteront repus quelques semaines, ne vous inquiétez pas. Nous sommes tranquilles, vous et moi.

J'sens que le silence va devenir le liant d'notre relation, du beurre dans une salade déjà rongée par les asticots. On s'échange nos répliques sans convictions, et pourtant par sa seule présence, j'en suis certain, il sait qu'c'est comme s'il m'enchaînait les pattes et la gorge. J'peux pas fuir, ni rien dire. Pas avant de savoir qui il est, et encore moins après, probablement.

Alors ?
Euh ?
Vous disiez que vous devrez vous préparer.
Ah... Oui. Je dois passer à l'académie demander conseils...
Vous n'êtes pas un grand garçon, docteur Kamina ?

Ben voyons, le client est roi, ou même, tyran. Manquait plus qu'ça. Un général à l'âme d'acier venu prendre les commandes de ma base miteuse. Mais plus vite j'saurai inverser sa place dans le drame reproducteur, et plus vite j'retournerai à mes songes d'ermite, en encore plus virtuose. Alors il a raison sous son voile d'allusions : bouger mes p'tites fesses pour qu'il accepte de lever son gros cul d'chez moi. J'lui réponds en choppant mon sac, mon sac tout mou, et en murmurant entre mes crocs dressés.

Restez ici.
Je peux vous emprunter à lire, pour m'occuper ?
Euh... Ouais.

Hmmm, on dirait qu'il se croit dans la salle d'attente du docteur au plus massif des retards du monde, sauf qu'en feuilletant ces magazines, il feuillette des pages de ma nostalgie. Et j'trouve ça vachement plus compromettant qu'une prime à six chiffres parce que môsieur refuse son nom.

///

Et toutes ces brutes qu'ont pas peur de l'enfer parce qu'ils sont nés en un lieu bien pire, la stèle qu'ils laisseront en héritage au monde ne sera bardée que d'insolence mal orthographiée, et si un p'tit chauve à lunettes nous attend tous aux portes de la mort pour nous demander de remplir un questionnaire de satisfaction, j'espère qu'il y aura des cases "Autres : Précisez" sous toutes leurs propositions.

Oui je divague, marcher sans penser c'serait comme manger sans mâcher, ça passe mal, et ça pèse sur le bide. J'franchis l'seuil de l'académie, un peu plus lumineuse chaque jour, gonflante comme un second soleil dans le ciel de Drum. J'me dirige tout naturellement vers l'bureau de Modo, qu'est devenu mi-conseiller mi-sponsor, en priant paisiblement pour qu'il soit pas en déplacement. Changer de sexe, c'est renier pour de bon le projet que la nature avait pour nous, car faut pas s'leurrer, elle nous voit que comme les machines d'une gigantesque usine à chair et biomasses.

J'dois pas décevoir le crâne d'oeuf, qui doit pas avoir l'impression de mijoter à la poêle, plus j'le ferai attendre et plus il risquera d'se retourner contre moi. J'ai signé un accord avec ma conscience crapuleuse : m'occuper de n'importe qui, même si c'est un oeuf pourri qui roule jusqu'à moi, embarrasser mon scalpel d'une âme l'alourdirait trop pour qu'il reste fiable. Et au fond, c'sont mes préjugés qui me lestent du plus de doutes. Autre chose d'intéressant qu'la marine m'a appris sans s'en rendre compte, c'est qu'le catalogue des primés ne contenait pas que des chacals. Le gouvernement brise tout ceux qui ont la malheur de basculer dans son colimateur, peu importe la raison, et sa justice n'est qu'un rouleau compresseur piloté par un aveugle. Quand il entend les os craquer sous ses roues, ça lui suffit souvent parfaitement. Bref. Lorsque ces gens là te traquent, il n'y a guère qu'ici, sous mon serviable bistouri, que tu peux trouver la délivrance.

Monsieur Modo ?
Entrez.

Mon coeur se désintoxique d'un peu d'son angoisse. Prof est là.
Comment tourner ma demande de formation pour une opération si complexe sans mentionner la présence d'un super client VIP dans mes quartiers ? J'aurais pu y penser avant... mais j'préférais planter des épingles sur ma poupée vaudou gouvernement mondial. Oups.

Euh...
Bonjour, Craig. Comment puis-je t'aider ?
Vous pensez que ce serait possible de sauter au chapitre du changement de genre ?

Il fait la moue sous son masque de peau ravagé. J'lui demande la Lune, qu'on dirait. Et malgré tout, j'ai conscience qu'il a aucune raison d'essayer d'la décrocher pour mes beaux yeux.

"Sauter", c'est le terme, oui. Hier, on a fait...
Greffes de peau sur le thorax.
... c'est ça. Un autre monde.
Hmmm... J'irai à la bibliothèque emprunter quelques bouquins là-dessus pour prendre de l'avance de mon côté, et...
Et pourquoi ?
Pourquoi ?
Oui, pourquoi t'intéresser subitement à la réassignation sexuelle ?

Ah, "réassignation", c'ça le terme technique... Ça confirme c'que j'pensais, c'est rien de plus qu'un échange de rôle...

J'ai un client que j'aimerais pouvoir traiter dans les prochains jours.
... Tu es doué, Craig, et tu es parti sur de très bonnes bases de connaissances. C'est pourquoi tu as progressé si vite. Mais en quelques jours, je crains que tu ne puisses pas maîtriser suffisamment le domaine pour t'occuper de ton patient en toute sécurité.

Car oui, on dit "patient", pas "client".

Dé-Désolé...
On en reparlera à ta prochaine leçon. Demain matin.
D'accord. Navré pour le dérangement.
Je t'en prie.

J'me fais ombre qui glisse hors de sa lumière. Mes grandes joues blanches assaillies par le douloureux sang d'la honte. Oh la gaffe. Oh la gaffe. Et l'affreux étau dans lequel j'ai plongé, tête la première, que j'entends déjà s'resserrer sur ma caboche.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t10413-fiche-de-craig
Y aura sûrement une grosse part d'autodidactisme dans cet apprentissage où j'apprendrai à effacer l'épaisse frontière des genres. J'boufferai plus de papier en deux-trois jours qu'une blatte dans toute sa vie, et contrairement à un encarapaçonné, j'garderai les livres en digestion jusqu'à la mort. Après avoir été mis en échec et mat par Modo, j'me suis replié dans la bibliothèque, j'y ai pillé de quoi m'assécher les prunelles jusqu'au petit matin. Et les collines de bouquins de ma cabane deviendront montagnes, et la fontaine de savoir qui me maintient hydraté, cascade.

Le tout toujours surmonté par mon nouveau vautour domestique qui se prend à rêver d'autres sensations, bien sûr. Lui aussi suce des bouquins, un tas, puis régulièrement, des mots se glissent dans ses bâillements, et parfois, ses mots me sont destinés.

Vous avancez ?
Ouais. Ça serait plus rapide si vous m'interrompiez pas toutes les heures.
C'est que je n'ai moi-même pas d'éternités à perdre, vous comprenez.

Des éternités, j'en balance à la corbeille à chaque gribouillage foiré. Le Temps est un bien de consommation, et chez moi l'offre écrase souvent la demande. Il reste dans sa complaisance timide, barricadé dans un coin d'mon matelas, encerclé d'une poignée d'ma librairie qu'il a épluché, surtout des magazines de bédés, il a bizarrement l'air d'adorer les cabrioles de Plop l'homme-dauphin, ça m'renforce mon idée que quelque chose de mou et de vulnérable se terre sous cette glaciale mécanique qui m'avait gelé les doigts au premier contact. Il est loin d'être chaleureux, mais n'est pas un bloc de glace éternelle non plus.

Même s'il est une ombre de trop dans mes ténèbres, j'suis prêt à fermer les yeux pour assombrir tout ça du même noir et oublier qu'il existe, annexe mon duché et taxe mes réserves.

Vous n'avez que des fruits... et des légumes.
Je digère mal la viande.
Pour un requin, c'est troublant. Vous êtes bien un requin ?
Un HOMME-requin.
Votre système digestif n'est pas celui d'un carnivore ?

Bon, pour le coup, mon système digestif l'emmerde, cordialement -mais pas littéralement non plus, ouf-. Comment expliquer à un néophyte persuadé qu'être garni d'rasoirs plein la gueule n'est pas forcément synonyme de dons innés en charcuterie et d'une attirance pour le tartare ?

J'imagine la viande remuer sous mes palmes lorsqu'on m'en présente. Comme si elle était encore vivante, frétillante.
Et ça ne vous excite pas ?
... au contraire.
Vraiment curieux.

Imagine toi en train de boulotter vif une vache beuglante : elle va passer ses derniers instants à suffoquer dans sa propre sauce, en ne pouvant rien de plus que te contempler t'empiffrer de ses organes. La Marguerite s'éteindra, le museau ensanglanté de son prédateur en ultime image incrustée à jamais dans ses mirettes -du moins jusqu'à ce que son bourreau ne décide de lui gober les prunelles comme des olives-. Ça te ferait rien hein ? Connard insensible. Trop misé sur ton empathie.

Même le poisson ? Vous ne mangez pas de poisson ?
Non plus.
Incroyable. Un squale végétarien. Je n'avais jamais croisé ça en vingt ans ; et pourtant j'ai croisé suffisamment d'autres créatures anormales en vingt ans pour en remplir un livre gros comme le vôtre.

Incroyable ? Ton culot l'est aussi, mais vivre dans un monde incroyable rend le tout atrocement banal. Des philosophes qui se creusent le crâne à la pelleteuse en réfléchissant à c'qui peut bien avoir été écrit d'travers dans mon ADN, ils en sont tous, dès lors qu'ils découvrent mon régime, mais aucun n'a l'bon sens de noter l'important, je suis PAS un putain d'squale, nos génomes résonnent mais j'ai d'point commun avec ces sales bestioles que le profil.

Par contre, l'idée de se séparer volontairement de sa banane et de ses deux abricots, les fruits d'la masculinité, ça l'fait pas plancher, qu'on dirait. Son choix macère depuis quelques temps en lui, ou bien il en a rien à cogner, ou alors c'est une excentricité de fugitif bling-bling. L'est décidé à changer de sexe, et semble certain qu'ça se fera sur coussin d'air, alors que non, ça s'fera sur six planches de bois léché par le moisi. Et que ça sera de la chirurgie, pure et dure, qui profane la nature. Parce que les hormones seront pas d'accord que j'vienne comme ça ravager le temple de chair qu'ils ont érigé et entretenu des décennies durant. Et quand les hormones sont pas d'accord et qu'elles se décident à le faire savoir, c'est le corps entier qui milite avec elles.

Donc Daniel pense que j'fais dans la mécanique : j'ouvre, je remplace des pièces, j'referme puis appuie sur On, puis la machine en version 2.0 repart en cliquetant gaiement. Eh bien non. Le métabolisme est un brin plus contestataire qu'une horloge...

Ensuite, concernant l'éthique, moi qui déteste mon reflet comme s'il prenait tout mes rêves en otage, j'peux pas trop le juger, devenir femelle me traverse régulièrement l'esprit, parce que j'collectionne les déviances comme une catin empile les maladies vénériennes, elles me rongent peu à peu et j'sens leurs petites dents m'arracher des miettes de santé mentale. Elles me consumeront un peu plus chaque jour, jusqu'à, je suppose, que je n'devienne plus que poussière que les vents mauvais trimbaleront dans cet air pollué par le vice. Aujourd'hui, l'éthique peine à faire entendre sa petite voix criarde tandis que la curiosité gronde à ses côtés. Chez moi, la curiosité a toujours eu l'droit de véto, de toute façon. Quand la curiosité veut, elle l'a, même si ça implique d'effaroucher ma bonne conscience -voire carrément de la séquestrer-.

Savoir convertir un couillu en donzelle, ça m'ouvrirait d'innombrables portes. J'aurai plus qu'à les visiter une à une jusqu'à dénicher mon graal, devenir un templier chevauchant sa seringue, qui pourfend la nature de son bistouri, et qui se MÉTAMORPHOSE EN UN PUTAIN D'HUMAIN A VOLONTÉ !

Comment s'appelle-t-il, ce dauphin, déjà ?
Flop. C'est le héros.
Il affronte un gang de requins dans ce tome-là.
Ouais.
De VRAIS requins, je veux dire. Ils n'ont rien à voir avec vous.

Mi-homme, mi-cador des océans, je sais, les squales ont toujours le mauvais rôle dans les fictions, et servent de nettoyeurs pour pirates, mafieux, crevards en tout genre dans le vrai monde. Mais le dauphin, derrière ses ricanements béats, reste un brutal holocauste ambulant pour le plancton, et les crocs qui lui ornent la bouche n'sont pas là pour décorer, l'évolution déteste la décoration.

C'est quand même beau, la nature. La vie. Son cycle.
Vous trouvez ?
Je l'admire comme j'admire le travail d'un horloger. Tout s'emboîte et se complète. Tout fonctionne en silence, sans accrocs. Vous savez, je crois en une puissance supérieure qui aurait été capable d'agencer tout ça avec autant de précision.
S'il existe un Dieu, il doit se délecter du sang de ses créatures.
Oh, cruel, mais magnifique.
Ou malsain. Il avait le choix entre un tas de systèmes harmonieux, il a choisi de nous diviser en prédateurs et en proies.

Et la compassion dans tout ça est un oasis sous un désert cuisant. Tu peux la trouver réconfortante mais sous un cagnard aride, elle ne survivra jamais bien longtemps. Une autre raison pour moi de bafouer sans scrupules le torchon divin : il prône la mort comme outil, comme solution et comme unique issue. La mort est partout. La mort te scrute dès la maternité, ce n'sont pas les fées qui se penchent sur ton berceau mais bien elle, car elle seule peut juger de ton aptitude à remplir le rôle que la patronne Nature t'a confié. Bouffer ou être bouffé, j'entends. Et si tu dois être bouffé, il s'agirait d'éviter de rendre malade ton bourreau glouton, c'serait trop cruel.

Les squales, les vrais, sont ovovivipares, c'est à dire qu'en le bide de la femelle mûrit toute une grappe de jeunots fougueux qui vont devoir s'entreboufer jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'un, grand vainqueur de l'arène de maman. Les faiblards, les malingres, ceux qui n'auraient pas pu s'acquitter correctement de leur rôle de prédateur à grands crocs à l'extérieur, ne servent donc que de pitance pour renforcer leur aîné, le plus balèze de la portée. Autant dire qu'avant même d'être nés, ils ont du sang d'innocent sur les dents, et ne survivra donc que le meilleur des fratricides. A partir de ça, à quoi bon ne lutter pour ne grailler que des algues ? La nature n'est pas belle, c'est une catin cruelle et logique, une guerrière implacable sur un champ de batailles maculé d'hémoglobine grasse. Oh, pour sûr, l'est joli, c'champ de bataille, il s'incruste dans de sublimes paysages, aussi bien intégré qu'une boule de charbon dans une verroterie hors de prix. Une tragédie à échelle planétaire dans un décor paradisiaque ! V'là c'qu'elle est, ta si vénérée nature, une salope déguisée en nonne !

... je hais la nature.
Elle risque de ne pas vous porter non plus dans votre coeur si vous ne la respectez pas.
Demain, Daniel, je m'entraînerai à l'académie, puis je préparerai le terrain chez vous dans la foulée.
Parfait.

J'suis p'tete particulièrement rancunier envers la nature pour m'avoir doté d'autant d'armes superflues, de crocs acérés, de palmes bien en chair, de pupilles pour vriller les coeurs de proies fragiles, l'arsenal du squale quoi, qui n'est qu'une invitation à faire gicler de gros mollards sur mon miroir de bon matin. Refile une mâchoire monstrueuse à un agneau, il restera un agneau. Refile la même mâchoire à un homme, il deviendra un monstre.

Et la vie d'un monstre se ponctue toujours de tâches de sang.
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Modo semble avoir passé l'éponge, il a oublié la bourde d'hier, quand j'ai fais crisser la craie sur son tableau noir. Une grosse goutte de bave sur mon CV jusque là impeccable, ça m'aurait fait mal. Être dans les bonnes grâces d'un toubib 20, c'est s'assurer un avenir d'érudit dans les plus hauts étages de son domaine. Plutôt qu'de rester barricadé dans mon cabinet en compagnie de Daniel et bavasser avec lui du job de Dame Nature, j'vais de l'avant et repart pour un séjour dans l'académie, que je n'quitterai qu'une fois fin prêt à transformer mon patient en patiente. Je forge mon talent avant d'le laisser se ramollir : mon marteau est mon scalpel, et l'acier en fusion est la chair de mes mannequins. Quand je franchis le seuil de l'école, je sais désormais que j'en ressortirai fardé d'un nouveau savoir ; un nouveau pas en direction d'mon idéal. Mon idéal qu'est encore loin et y a encore de bien hautes montagnes en vue, mais j'ai l'habitude des hauteurs.

Délicat.
Quoi ?
Je ne trouve plus de masques pour toi. Pour te couvrir tout le museau.
J'utilise des grandes serviettes d'habitude.
Ça suffira. Tu éviteras de trop te pencher au-dessus du patient.

Le patient, il est sous nos pupilles, un mannequin, encore un, qu'imite superbement les ressorts du corps humain. Celui-là est sexué : l'inévitable nouille lui pendouille sous l'entrejambe. Modo a aussi amené une boîte, un petit coffre à l'allure de glacière, ce qu'un pirate confondrait probablement avec une cassette de pognon camouflée en boîte insipide.

Alors. Comme promis, je vais te faire un petit aparté sur la réassignation sexuelle.
Chouette.
Au sens chirurgical du terme. C'est du remplacement d'organes à la main. Mais les paramètres du corps, telles les hormones, resteront inchangés suite à l'intervention.

Rien de neuf pour le moment. Les hormones sont des chieuses huissières qui saisissent notre patrimoine : pour ces sales bêtes, notre corps ne nous appartient pas. Rien de neuf. Il ouvre son caisson, qui dévoile donc son trésor, que même un boucanier velu lubrique au crochet dressé trouverait de très mauvais goût : des sachets, qui doivent représenter des... organes de femmes, j'présume.

Donc, nous ferons dans la transplantation. Ce qui implique, en plus de la précision habituelle, une vitesse d'action et une organisation infaillible.

J'suis déjà un ninja du scalpel, sautiller de blessés en mourants sur les champs d'bataille, devoir colmater les brèches sanglantes gigantesques d'un corps en plein naufrage, calmer des os qui menaçaient à tout moment de déchirer dans la panique toute la viande qui les enroulait, ou fermer des robinets qui transformaient des boyaux en tuyau d'arrosage... C'est là que j'me rends compte que je suis doué, et qu'mon orgueil ose pointer son museau timide hors de son terrier infesté de rats. Parfois, j'avais qu'une pincée de secondes pour arracher quelqu'un des griffes de la mort, et parfois, ça me suffisait.

La transplantation, jamais tenté, mais ça doit ressembler à un déménagement avec plein de tubes et de canalisations à colmater pour éviter d'inonder la baraque. Je me demande comment Daniel vivra l'idée de promener la barbaque d'une altruiste donneuse d'organes, aujourd'hui sûrement généreux buffet d'asticots. Ça semble être un partage peu galant, que de trimbaler des pièces d'une morte sous son ventre. Sentir que ce nouvel organe dont on est si fier n'est que le dernier don d'une macchabée à l'humanité. Cette impression qu'en nous, elle ressuscite, s'offre un prolongement de chaleur humaine au creux d'un transsexuel, que son spectre errant déambule à nos côtés, attendri par nos âmes friables et naïves de moribonds encore vivants. Ça revient à visiter un proche au parloir d'une prison ; sachant qu'faut pas s'leurrer, on est tous en train de crever, en perpétuels décharnements, on s'occupe comme des taulards condamnés à vie. En une prison cruelle dont la seule perspective d'évasion se situe ad patres. Normal qu'on soit tous obnubilés par la perspective d'améliorer nos cellules. L'embellir, mais aussi s'en trouver une confortable avec vue sur l'extérieur, qui autorise les rêveries et la communication frauduleuse avec le ciel pour s'évader. A quoi j'pensais, déjà ? Le glauque tombe en un météore qui ravage toutes les belles idées qu'étaient nées sur mon esprit, putain. Une ignoble extinction.

Modo dessine le contour au scalpel, des deux abricots et de la banane, s'apprêtant à les cueillir. On va y aller par métaphore, ce sera moins cru. Comme les fruits.

Il ne suffit pas de tronquer les organes masculins pour faire de ton patient une femme, bien sûr. La transplantation nécessitera implants et organes de rechange. Ajoutés aux coûts en anesthésie, ça devient très onéreux et, en les temps qui courent, difficile à dénicher, d'autant que l'académie a revu son budget à la baisse.
Je rembourserai en triple ce que je vous prendrai.

Aucun remord à saigner mon porte-feuille. J'ai même hâte de trouver le moyen de défenestrer mes derniers soucis de pognon en me trouvant un financement durable, ou un bon mécène. Le pognon, j'remarque pas sa présence jusqu'à ce que j'en manque. Comme le bonheur, bizarrement.
L'intérieur du mannequin, toujours aussi réaliste, dévoile ses tubes fluorescents travestis en veines, sa chair de mousse creuse, et d'autres sacs pétillants simulant les organes. Le monsieur pantin saigne sa sauce par petites cascades, un gentil niagara rouge se déverse sur le bois brun, s'étale dessus en mer intérieure. Mes globules à moi bouchonnent en carambolages, tant la hâte confond mon coeur avec un tambour sourd. J'adore sauter des étapes, ça m'donne l'impression d'fixer des réacteurs à mes ambitions, j'avance si vite que si un mur apparaissait en mon horizon, j'aurais même plus l'temps de freiner avant de m'y encastrer.

Une tuyauterie complexe, n'est-ce pas ? Ai-je besoin de te donner quelques rappels en anatomie ? Tu n'as jamais du beaucoup visiter cette région en guerre.
Non, ça va, j'ai pris de l'avance avec mes bouquins.
Nous retirerons un système bien défini pour le remplacer par un autre qui n'a rien à voir. Ce n'est pas une simple greffe : c'est une mise à jour complète. Avant d'interchanger deux régimes, il faut avant tout être certain de connaître absolument comment ils interagissent avec leurs environnements.

*** Une ellipse sauvage surgissant des buissons. Parce que cinq paragraphes sur la composition des organes génitaux et toutes les ficelles rougeaudes qui les relient au ventre vous auraient ennuyés, pas vrai ? ***

Pas vrai ?
C'est à mon tour de mettre les palmes au fourneau, de pétrir le pain et de le rendre tendre avant de l'extraire de sa chaude cage. Sur un nouveau mannequin, un nouveau sacrifice sur l'autel du savoir, j'dois m'exercer à retirer sans dommage tout ce qui fait de lui un homme. Puis apposer à la place le sceau de la féminité.

Tu n'es pas en train d'ouvrir un robinet, Craig. Pose ta palme libre ailleurs lorsque le scalpel travaille. Autrement, tu risques de le déchirer.
Aïe.
Tu sembles un peu moins concentré depuis quelques temps. Plus évasif.
Ouais, ces derniers mois. Ont été chargés.

Pour me dédouaner. C'serait malpoli de demander des détails, hein ? Le passé, faut le laisser macérer en paix, sinon il pue.

***

Attention à la position des pinces. Il y en a une qui est sur le point de glisser.
Oups.
Un oups ne sauvera pas ton patient de l'hémorragie interne si tu fais chuter des ustensiles dans son organisme.

Vous êtes stressant, prof, et j'ai parfois l'impression d'me retrouve en culotte-courte devant un plateau de doc Maboul, alors que, merde, j'suis LE toubib de JAYA, celui qu'a fait repartir des coeurs si las qu'ils en oubliaient leurs espoirs.

***

J'pose doucettement l'organe -ou plutôt la poche à saucisses- dans le trou béant offert par mon mannequin. Relier chaque canal, suturer chaque capillaire et veiller à c'que tout s'emboîte à merveille. Un boulot d'horloger, encore une fois, qui sonne la dernière heure de la mécanique à la moindre gaffe.

Ça... va... Là ?
Rien à redire. Tu sais suturer des vaisseaux sanguins. Tu as probablement fait ça toute ta carrière, hm ?
Une bonne façon d'la résumer, ouais.

Recoudre des veines. Éviter au sang d'se répandre.

***

La médecine est un coup de blanco sur le grand bouquin du destin, dont l'auteur adore les drames et les morts. Trifouiller ces ressorts sensibles, c'est. Excitant. Jouissif. Une immense revanche sur les dés de ma propre existence, qu'ont forcément été pipés durant l'premier tirage. Mais plus j'progresse, plus j'suis certain que Tark détestera ce que j'poursuis désormais. Parce qu'il n'aime pas tricher. Lui qui s'est toujours battu avec les armes que la nature lui a donné, lui qu'a tant souffert pour permettre à des marginaux de vivre avec ce qu'ils sont, lui qui m'répétait que j'étais très bien comme je suis, poisson, timide, faible, dépendant, étrange, anomalie, que c'étaient les différences qui permettaient d'apposer une empreinte indélébile sur le monde, qu'elles apportaient des nuances à cette grisaille,

mais je me sens à l'étroit sous ma peau et je veux la déchirer.
Toi-même, t'as jamais été très attaché à nos congénères, au fond.
Enfermés dans leurs haines, les muscles étaient leurs langues, au rustre peuple sous-marin. Tu te souviens de comment ils te miraient, quand tu leur confiais ton attrait pour la surface ? Comme un PETIT MONSTRE. La curiosité, à la maison, était un très très vilain défaut. Aider un humain, c'était nourrir le Diable du bout des doigts. Tu te souviens ? Si on avait pas fugué, ils nous auraient jamais laissé partir. On était déjà des parias là-dessous, nos potes étaient faux et leurs poignards étaient acérés, papa et maman martelaient qu'ils nous aimaient mais ont jamais su nous le prouver. Des bourgeois pédants à la populace idiote, la faune de l'île des homme-poiscailles était tout aussi misérable que celle de la surface. Eux aussi, comme les humains, ils ont les paupières soudées au chalumeau, et rien ne saura les rouvrir sinon une bonne dissection : la peur de l'inconnu leur obstrue la raison, ils désirent tant la paix qu'ils sont prêts à annihiler tout ce qui vit aux alentours pour s'immerger dans le silence et la sécurité. Les homme-poissons... Ils feraient subir aux hommes les mêmes choses qu'eux leur font subir, si un jour ils devenaient majorité.

C'est ça, les fruits pourris. Que tu mordes dans une pomme ou une poire, peu importe, les pourries auront le même goût. J'trouve les humains et les poiscailles âcres.

M'accepter tel que j'suis, Frangin ? Si j'ai les moyens de devenir ce que je veux, de hisser mes ambitions au rang de révolution, pourquoi j'm'en passerais ? Regarde-le, ton p'tit frère devenu adulte ! Il a enfin trouvé sa place, un promontoire surélevé du haut duquel il mate le jeune monde percer son acné et haïr son reflet. Les différences sont aussi ces murailles qui se dressent entre nous et nos voisins, hein ? Alors non. Désolé. J'aurai aucun remord à les faire toutes tomber.

Bien, Craig. J'annonce la couleur : on en aura pour deux ou trois jours de travail pour peaufiner ta technique.
Cette nuit, on enchaînera sur les implants mammaires.

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Implanter ces grosses boursouflures sous une poitrine, ces excroissances gonflées dont les mâles humains sont si friands, c'est pas si difficile que ça, c'est encore une question de matos et de vitesse. J'ressors de l'académie en même temps qu'le soleil ne s'extirpe de son horizon gluant derrière un par-terre de nuages gris. Au p'tit matin, lessivé, j'retourne à la maison mordre mon matelas tandis qu'autour, l'île s'étire et bâille.

J'y trouverai sûrement un Daniel tout frais et rempli d'questions qu'il aura laissé mijoter durant son sommeil. C'est une espèce de mite qui ronge ma patience comme du vieux linge ; car le savoir campant sur mon territoire m'empoisonne carrément l'moral, il fout du plomb dans l'aile de mes fantasmes, j'adorais l'idée d'rester ermite pour des semaines, c'était l'occas rêvée pour moi d'en profiter pour apprendre à me dompter moi-même.

Mais... non. Une tonne de bruits parasites sur ma piste audio truffée de voix intérieure. C'est c'que mon Daniel est : un porte-poisse probablement, qui vaut des centaines de millions, et dont cette prime pourrait m'aimanter de gros soucis acérés en pleine face, mais il marquerait ma première grande victoire sous l'étendard des toubibs de Drum. Ça m'ouvrira des portes que j'aurais pas pu pénétrer sans devoir les défoncer, autrement.

Toc toc toc. C'est pas normal que j'doive toquer pour entrer dans ma propre baraque, hein ?
Bref, le majordome revient des courses. J'franchis l'seuil de mon chez moi en prenant soin de bien laisser couler mes cernes le long d'mon museau, que Daniel comprenne que j'suis pas au point pour lui pondre du rapport sur-mesure.

-Vous n'avez pas besoin de frapper à votre porte pour rentrer. Faites comme chez vous.
Vous avez du passer une sacrée nuit.
Et je crains de devoir ajouter mes questions sur la pile de votre fatigue. En espérant qu'elle ne s'effondre pas à cause de moi.
Hmmm. Ouais ?
Êtes-vous révolutionnaire ?
Je.

Il m'a littéralement crevé les poumons, j'y sens plus d'air. Et mon coeur passe en magnitude 9. Et ma cervelle cuit vive dans son four d'os. Comment ?

-Notez bien que je m'en fiche, je ne fais pas de politique. J'aimerais juste que nous échangions nos primes, pour éviter le plus possible les mauvaises surprises.
Je suis marine...
Plus maintenant. Tark est bien votre frère ?
Ouais.
Évidemment qu'il l'est. Le nom et l'air de famille... Ce genre de coïncidences n'existent pas, ce monde est bien trop petit.
Venez-en au fait.
Êtes-vous primé ?
Non. Et j'aimerais éviter de l'être.
Parfait, c'est tout ce que je voulais savoir.

Hihihi, mais moi, j'ai pas appris un centième de ce que j'voudrais savoir à ton propos, mon gros cafard.

Et vous ? Vous êtes qui ?
Je suis primé à cent vingt millions tout ronds. Mais vous n'avez probablement jamais entendu parler de moi, mon nom n'a longtemps été qu'un secret d'état.
Vous êtes QUI ?
Je vous mettrais en danger si je vous parlais plus de moi. Ou plutôt ; je vous mettrais en danger, vous et votre frère.
Putain...
Ceux qui veulent m'attraper se glissent dans la nuit et attrapent leurs proies dans leur sommeil, tandis qu'elles se pensent en sécurité au royaume de Morphée. La vérité, c'est qu'ils ont le bras bien assez long pour griffer leurs cibles où qu'elles soient, même en Enfer.
Et ici ?
Vous comprenez pourquoi j'apprécierais de pas m'attarder chez vous ? J'ai semé suffisamment de fausses pistes pour m'accorder un sursis. Mais chaque jour que je leur vole est un homme de plus qu'ils ajoutent à plein temps sur mon dossier.

Oh ouais, gros, très GROS cafard, du genre qu'on essaye de chopper dans les moindres recoins de sa piaule quand on le sait dans le coin, et qui emporte tout les innocents insectes résidents avec lui dans la benne lorsqu'on déploie l'insecticide de choc pour le chasser -définitivement-. J'reste un instant la langue nouée à mes crocs. Un costard du cipher pol qui aurait trouvé d'bon temps d'poser sa démission de manière... explosive ? J'vois que ça qui peut combiner un Secret plus puant qu'un cadavre sous un tapis, la prime astronomique qui s'embarrasse de plus de zéros qu'il n'y a d'planètes dans notre système, et... et sa gueule de fossoyeur.

-Ces cinquante millions seront à vous si tout se passe sans mésaventures sanglantes que j'aimerais éviter. Considérez qu'ils comprennent les frais de l'opération, ainsi qu'une généreuse prime de risques. Et bien entendu, je vous serai autant redevable après tout ce cirque que si vous m'aviez sauvé la vie. Car c'est bel et bien ce que vous ferez lorsque je m'allongerai sur votre billard : me sauver la peau.

C'est bien plus qu'un aimant à problèmes, c'est carrément un trou noir, un cas très dense et très inquiétant, qui risque d'aspirer tout ce que je suis en train de construire, et même ma lumière. Cinquante millions, cinquante fois le salaire gratiné que la mouette me chiait sur la crinière pour me récompenser d'avoir tenu un mois de plus en ses rangs suffocants. DEUX FOIS ce que j'ai entassé en six ans dans mon coffre. Pour mon papa à l'âme aussi froide que l'or qu'il couve, cinquante millions, ça doit presque commencer à sortir du seuil des sommes négligeables.

Sauver ta vie. T'en a de bonnes ! Aucune idée de la valeur de ta vie ! Rien ne me prouve qu'il est pas un psychopathe qui me demande gentiment de nettoyer la merde écarlate qu'il a répandu dans son sillage. Rien non plus ne m'assure qu'il n'est pas en train de tisser sa toile en priant pour qu'en réfléchissant pas trop, anesthésié par les cinquante millions, par exemple, je vienne m'y coller bêtement comme un moucheron bigleux.

Cinquante millions et une nouvelle expérience, un nouveau savoir.
Daniel. Un type brumeux qui tente probablement de m'enfumer.

Tark. T'aurais fais quoi à ma place ? Désolé d'invoquer tes souvenirs si souvent. T'es un fil d'ariane qui balise mon errance dans ce foutu dédale aux murs trop hauts pour que j'puisse me permettre de bondir par-dessus. Comment j'ai pu m'croire adulte ? J'suis toujours un ado bouffi d'orgueil. J'me suis cru capable de m'orienter dans cette jungle sans toi Tark, ma boussole, et vient le jour fatidique ou j'ai besoin comme jamais de connaître la bonne direction pour pas finir boulotté par les prédateurs nocturnes sans paner depuis quel talus ils ont pu bondir.

Bien parti pour que je sois prêt d'ici deux ou trois jours.
Très bien.
Je compte sur vous pour me prévenir s'il se passe quoique ce soit de suspect dans les parages...
Bien sûr. Dormez bien.

Pioncer sachant qu'un poignard enflé de haki pourra venir dans mon dodo me réduire en bouillabaisse ? P'tete même TON poignard ? Hinhin. De toute façon, la parano est devenue ma plus rigoureuse conseillère -un peu jalouse et possessive, mais toujours sécuritaire-. Dormir bien, pour moi, ça n'a jamais été que dormir d'un oeil. Et laisser l'autre attendre le danger.
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Bon. Mes rêves ont mis son histoire en scène. Mon sommeil a recyclé mon angoisse, ce fourbasse, par paresse de construire quelque chose qui m'permette de me relaxer, et de pas me réveiller en sursaut la gueule teinte de sueurs froides et l'esprit en vrac, les émotions sans dessus-dessous, la mémoire emmêlée dans ses archives. Alors j'ai du pioncer deux ou trois heures, deux ou trois heures intenses à m'débattre avec mon imagination. Mes cernes pendent jusqu'à mes joues, derrière mes mirettes creuses on peut percevoir mon âme devenue rance, dont le fumet s'échappe par la gueule béate, pâteuse, affligée d'un marais de bave et de grumeaux, férocement encerclé par des quenottes dorées par le tartre.

Et j'me suis relevé du pied gauche, évidemment, après être tombé d'mon matelas pour palper le moisi d'plus près vérifier comment qu'il sent l'Amour et l'Hospitalité.

Puis en guise de cerise pourrie sur le gâteau au lait avarié, une farandole d'images de Jaya sont venues me secouer les tripes comme du vieux prunier, cherchant à s'gaver d'mon jus, qui sait, j'suis bonne poire.

Bref, j'ai mal dormi.
Mais comme le samouraï aiguise son sabre et sa volonté, j'dois faire de même avec mon scalpel et mon savoir. Me débarrasser vite de Daniel. Une fois barré, j'délesterai ma conscience d'un dangereux poids qui m'faisait traîner des pieds, et m'alourdissait la pensée -déjà qu'elle est pataude, la pauvre-.

Aucun croque-mitaine n'est venu pendant la nuit me transformer en déchets organiques... C'est déjà cool.
Après un rapide petit déjeuner à base de conserves de la veille, j'me prépare pour aller en cours. Daniel aspiré dans ses bouquins se fait bien moins bavard qu'hier, sa seule confession ce matin a été de m'avouer qu'il rêve d'un bon repas chaud. Et plus qu'un rêve ici, c'est une utopie -j'sais même pas comment allumer un feu-.

-Bonne journée. Et ne vous inquiétez pas pour ce que je vous ai dis hier : étudiez l'esprit tranquille. Il n'y a aucune raison que la foudre nous tombe dessus pour le moment. Le paratonnerre est trop loin.

J'marmonne une purée d'mots qui lui renvoie ses souhaits, approximativement, avec quelques jurons glissés comme des morceaux d'patate surnageant dans la bouillasse inaudible. Articuler avec des colonnes de bave gluante qui te plaque la langue au palais, c'est digne de l'exploit après trois heures de dodo tourmenté. Et je sors tout en laissant ma force prendre l'air aussi, elle claque la porte sans m'demander la permission, j'entends les gongs derrière moi gémir et couiner.

Merde. J'ai vraiment la tête ailleurs... comme un décapité peut l'avoir. Surpris et quasi mort de peur.

***

Mais bon.
On oublie vite les spectres qui nous hantent devant un cadavre humain. Un vrai de vrai. Qui empeste le fumet des enfers au point d'abattre vif mes propres relents. Qui semble pioncer sur la table de dissection, un roupillon abyssal dont les rêves ne sont plus que nuances de néant. Et une rigidité cadavérique qui allie le poids d'une contrefaçon en pierre à sa solidité. Malgré tout totalement conservé, s'il était pas couché à poil sous mon scalpel, j'aurais pu jurer vu de loin qu'il n'était qu'un pauvre bougre raplapla, aussi fin qu'un tapis, autant inerte et plat également, qui se réfugie dans son sommeil. Oui on les oublie, les fantômes qui font mumuse avec l'imagination, lorsque les mirettes sont confrontées à la vérité, à la réelle nature de la Fin. A un cadavre à l'apparence si fraîche qu'on le jurerait capable d'émerger en sursaut du grand vide.

Je ne vous présente pas, ce serait déplacé.
Hum.
Il a donné son corps à la science, et la science fut plus que redevable envers sa famille.
J'en doute pas. Ça m'a juste étonné.
Tu vas t'exercer sur un sujet de chair et de sang aujourd'hui, Craig.

J'sais pas. Donner à la science ? C'pas moi, la science. J'suis un apprenti sorcier, tout au plus, qu'a passé six ans à bidouiller dans les corps pour piger de lui-même comment tout s'emboîtait là-dedans. J'espère que de là où il est, il s'arrache pas trop ses cheveux spectraux d'être devenu aire de jeu pour un squale à l'aileron habile, notre gentil pépé qui s'offre une deuxième vie sous l'amateurisme d'un chirurgien à l'esthétique douteuse.

***


Cette viande froide houleuse qui se relaxe sous ma lame... J'ai l'impression d'la profaner. J'croyais avoir défenestré ma p'tite éthique égoïste pour la remplacer par une vraie morale qu'observe le monde comme un panorama, qui fouine le pour ou le contre sous chaque situation, mais... Rah. Profaner, ouais. L'impression d'souiller mon cobaye volontaire en faisant mumuse avec de fausses pastèques. Modo calcule mon malaise, et essaye régulièrement d'le désamorcer en jouant d'encouragements.

Détends-toi, Craig. N'oublie pas qu'il a offert son corps à l'académie pour aider les apprenants à parfaire leur méthode. Ce n'est pas la première fois que tu opères sur un cadavre ?
C'est l'opération en elle-même qui me gêne...
Si tu répugnes à l'exécuter sur un mort consentant, qu'en sera-t-il d'un vivant hésitant ? Retrouve cette détermination qui te rendait si motivé hier.

C'est que j'manque pas de carburant pour faire rugir mon moteur, et pourtant j'cale quand même. J'me fais violence en invoquant en moi c'qui m'rendait si fougueux hier, que j'redevienne un canasson fou au galop qu'hésite pas à broyer les obstacles sous ses sabots, et qui n'regarde les remords qui le suivent. Moi chirurgien. Moi vais greffer boules de silicone sous pectoraux. Moi pense pas. Moi machine muée par désir de modeler corps à ma guise.

Et Cadavre être joli bac à sable où bâtir fondations de mon talent.

***


Un marrant a décidé, sur un coup de génie un soir de beuverie, que les toubibs devraient chouchouter tout ce qui se présente à eux, sans disctinction de sexe, de race, de passé, ou encore d'épaisseur du porte-monnaie. C'est l'serment sur lequel repose toute l'éthique du boulot, bien qu'il ne soit rarement beaucoup plus en ce monde qu'un gros bouquin obsolète qu'on utilise pour caler une chaise bancale. Pour se rassurer. Pour s'assurer de ne jamais pencher d'un côté vertigineux. Pour couver une réputation de gardiens infaillibles des saines pensées, que jamais le toubib ne puisse être plus fou et vicelard que le patient qu'il ausculte.

Les lois sont les moules de la civilisation, elles l'empêchent de sombrer dans le chaos en pliant les individus à un même modèle ; quitte à les briser s'ils ne sont pas assez flexibles, ou à les broyer en une boue d'os et de remords s'ils ont au contraire été trop dociles. Les lois à la base ne sont pas faites pour priver la populace d'intimité et de libre-arbitre, mais bien de lui révéler ses libertés. Et d'ancrer fermement la société pour ne pas qu'elle se retourne à la première vaguelette dans un gigantesque océan tourmenté d'idéaux contraires.

Le grand public ignore TOUT jusqu'à ce que ce tout mute en grand danger, qu'il vient frapper aux portes du petit peuple pour faire incursion dans son quotidien, et déchirer le tissu même des familles éplorées. Tant qu'il a la paix, il est comme ça, il la trait jusqu'à la moelle comme une bonne grosse vache anémique dont le lait se gorge de toxines. Et quand la bovine clamse, la paix se volatilise avec elle ou il ne reste que quelques gouttes que s'arrachent les survivants. La guerre surgit, pleins tambours, pour abattre un à un les piliers d'une société insalubre. Et la voilà qui devient comme un molosse fou enragé, capable de se bouffer ses propres entrailles sur une crise. Et notre monde qui ne devient plus qu'un combat de molosses dressés par des valeurs obsolètes, nourris à la terreur et à la viande d'étranger par des maîtres inaptes.

C'est exactement la situation de la médecine.
Il y a quelque chose dont je vais devoir apprendre à m'affranchir si je veux percer tous les secrets du vivant, de cette bizarre alchimie se débattant en plein milieu d'un monde mort, afin d'en faire ma pâte à modeler entre mes palmes joueuses et tremblantes, mes palmes qui voudraient tant devenir mains. Il faut que je me déleste de l'éthique.
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Ces gouttes de sueur qui roulent en silence le long d'mon museau, des petits oeufs d'eau pondus par mon stress séquestré par l'implacable volonté d'apprendre. D'être meilleur. Les palmes gorgées d'une expertise nouvelle. Et une autre arme enfoncée dans la balle de vers électriques qui me sert d'armurerie, ma grosse cervelle de poiscaille dont j'pane pas encore bien le fonctionnement. Un jour j'me pencherai sur la lobotomie, j'franchirai cet interdit, j'visiterai l'intimité crânienne d'un brave cobaye en essayant de pas trop casser d'mobilier avec mes grosses pattes huileuses qui s'insinuent dans tous les recoins du corps, comme des mygales imberbes s'enfonçant dans les orifices d'un arachnophobe à son insu.

Encore une journée qu'aura apporté son lot d'pavés pour daller convenablement le terreau mollasson d'mon esprit, et étouffer les quelques mauvaises herbes qui voudraient le polluer en fourbe. J'ai transformé deux cadavres en femelles, à titre posthume, en priant pour que jamais les familles ne demandent à leur faire un p'tit coucou. Faut voir les morts comme des cages à tests en stase temporelle, dans lesquelles le sang est paresseux, la viande immortelle, où les organes ratatinés se fichent de c'qu'on leur fait subir car plus rien n'a d'importance, ils sont devenus de vulgaires pâtés au chômage technique, sans l'âme qui leur offrait job, gîte et couvert, ils doivent être satisfaits de conclure leur carrière sous le bistouri curieux d'un blouseux qui pue le marais.

Une fois qu'la vie a déserté un corps, il s'éteint, ne devient qu'une grosse chimie inerte et desséchée, privée de la source qui rendait ses mirettes pétillantes et ses entrailles bouillantes. Un mort est une carcasse complaisante. Pas lui qui ira se plaindre que je lui découpe son zgeg : ça y est, j'ai appris à relativiser.

Mais dans un vivant, dans un patient vivant, tout ça vit, tout ça souffre, tout ça s'abîme si on foire une maneouvre, et la marge d'erreur est infime lorsque la moindre de nos bourdes peut provoquer des effets papillons incontrôlables à travers tout l'organisme. Crocheter la serrure des portes de l'Enfer me paraît carrément moins tendu en comparaison. Je dessinerai un nouvel avenir à Daniel, et si je rate mon oeuvre, c'est sur la totalité de sa vie que s'étalera mon échec. C'est ça, la vie. Une flammèche faiblarde sous de violentes bourrasques. J'essaye de l'attiser.

Mais la vie, c'est aussi un clin d'oeil, où l'existence se situerait dans la fraction de seconde où tu fermes les yeux. Tu dois garder les paupières bien lourdes et fermées, car si elles s'ouvrent, tu risqueras de devenir fou. Profite de l'obscurité. Les grands projets naissent toujours dans le noir.

Sinon, comme chaque soir, je déboule fatigué sur mon pallier. Mais l'idée de m'affaler sur mon matelas miteux propulse cette lassitude à la nitro, j'suis un gros sac à sueur aux écailles fuyantes, catapulté par l'image réconfortante d'un chez moi qui m'attend. Dommage qu'elle soit sacrément ternie par Monsieur Secret, là, qui squatte ma bibliothèque de fortune en se gelant les miches pendant toute la journée. P'tete qu'il s'emmerde, car la quiétude de mon petit coin d'paradis n'est pas aussi grisant qu'une course-poursuite avec le hommes en noir du gouvernement, et que pour un vétéran dopé à l'adrénaline, l'univers doit finir par devenir un gigantesque parc d'attractions, dont la plus merdique et barbante doit être ma compagnie.

Patience, on arrivera bientôt aux sensations extrêmes. Vu que j'sais même pas si j'aurai assez d'anesthésie pour le rendre docile comme il faut sous mon bistouri...

Bonsoir.
'soir. Évitez d'me raconter des horreurs avant le coucher cette fois.
Oh, vous faire peur n'était pas mon intention. Je vous l'ai dis, nous avons encore au moins un ou deux jours de tranquillité. Au-delà, je ne vous garantis rien.

Bah, les garanties. 'fait longtemps que je m'en passe, des garanties. Que j'mise tout ce que j'ai dès que j'en ai l'occasion, quitte à finir sec et sur la paille. Et pourtant, j'suis toujours là, pas encore étalé ventre au ciel à laisser la vie s'enfuir d'ma carcasse, charriée par une haleine putride. J'imagine que j'ai d'la veine, au fond, la chance du débutant dans ses premiers pas sous ces vastes nuages gris. Alors les garanties... Tant que je garde celle qu'il se cassera une fois qu'j'aurai violé ses chromosomes, j'lui demanderai pas plus de promesses. C'est hors de prix, les promesses.

Modo m'a dit que j'progressais bien, encore une fois, que j'avais un bon potentiel que j'apprenais peu à peu à utiliser bien comme il faut, comme un filon bien brut incrusté dans mes parois qu'il faut extraire à coup de pioches instructives. Il m'a très clairement affirmé que j'serai prêt à opérer sur patient réel sous sa surveillance d'ici trois ou quatre jours.

Mais j'vais essayer de viser tout de suite la Lune, même si j'peux à peine effleurer les nuages.

J'vous opère demain.
Parfait.

Que les témoins, les cafards et les corbeaux, prennent acte ! Demain, mon premier grand bidouillage d'envergure ! Ça va encore saboter un peu le dur boulot de Morphée qu'a ces temps-ci beaucoup de mal à m'enlever, mais ce sera fait, dès demain, on arrêtera d'faire rouler les tambours et on décidera très vite s'il est temps d'enchaîner sur l'orgue funéraire. Mais j'pars confiant : les cours de Modo ont toujours été des catalyseurs bien efficaces pour mes dons, et quatre ans, quoi, quatre ans ! Quatre ans à visiter les entrailles humaines, dans tous les sens et dans tous les recoins, à partir en spéléologue dans la caverne thoracique, la jungle intestinale, voire la machinerie cardiaque, pour y déloger des balles, des lames, des sharpnels peu conciliants qui prennent le corps des soldats pour des couettes bien chaudes où il fait bon d's'enrouler dans les muscles tout en buvant un sang bien chaud.

J'ai l'expérience, et la méthode. Tout s'passera bien.
Et j'éloignerai ENFIN ce baratineur réfugié dans les bras sécurisants du mystère. Alors que derrière toquent les gros poings d'une menace invisible.
J'ai pensé qu'il pourrait être un gros mythomane en plein égotrip aussi : un comédien. Qui s'éclaterait avec un complot en carton pour trouver un sens à une vie linéaire, ou alors pour travestir un passé glauque qu'il aimerait ne plus avoir à reconnaître en se regardant dans une glace, un comédien, ou plutôt un tragédien, au rôle si fort qu'il a réveillé en mon coeur un aliéné qui se débat sauvagement dans sa camisole en ventricules.

La curiosité est un très vilain défaut qu'il faut que j'éloigne avant de succomber à ses charmes. Une source de flotte toxique pour un assoiffé de connaissance.
Demain, tu te barres, copain, toi et tes secrets. Avant de m'attirer de gros soucis.

"Demain, tu deviendras une femme, bonhomme".
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Il s'agite comme un pendu pas encore mûr sur ma table, il cherche ses aises. Histoire de pas se lever avec la colonne vertébrale en serpentin, j'suppose. En tout cas, il baigne dans la confiance, y a pas le moindre pincement d'angoisse sur sa gueule de plastoc rigide, il se noie dans l'impatience, autant qu'moi, on est deux à trépigner, à avoir envie d'bondir dans l'avenir, quand tout ce cirque aura rembarqué ses clowns et arrêtera de nous klaxonner dans les oreilles. L'angoisse, la tension. Le succès qui sera p'tete pas au rendez-vous, mais on va l'attendre quand même.

Avec quoi allez vous m'anesthésier ?
Ça.

J'lui expose mes piquouzes sédatives, une dose assez démente pour propulser un éléphant dans la stratosphère. Il écarquille un peu les mirettes, j'distingue un fond d'appréhension sous ses pupilles dilatées par la franche lumière blanche qui inonde mon lieu du crime. Les aiguilles sont gentilles par nature, d'toute façon, on fait difficilement plus sympa qu'un pieu au diamètre millimétré qui se faufile sous la viande en toute délicatesse, sans rien déranger. Comme un baiser de moustique.

Ça piquera un peu sur le coup, mais toute la douleur s'évaporera rapidement. Et vous vous réveillerez dans quelques heures, en tant que quelqu'un d'autre.
Ces caissons...
Des glacières. Vos nouveaux organes sont dedans.
Je peux les regarder ?
Si je les ouvre, ils risquent de...
Je plaisantais.

Hihi. Il veut cuver l'angoisse dans un humour qui m'arrache un pet de rire.
C'est quand tu veux sinon, moussaillon. C'est marée haute. Et le capitaine est en confiance. Mieux vaut battre le fer tant qu'il est chaud. J'me refroidi tellement vite...

-Ne perdons pas plus de temps.

Cool. On est sur la même longueur d'ondes.

-Montrez moi l'étendue de votre talent.

Sa veine. Mon aiguille. Son sommeil. Mon talent.
Il dort comme un gros bébé tout juste sorti de la maternité. A moi de jouer, en puisant mes gestes dans chaque ligne que j'ai lu dans mes bouquins, et dans chaque mot que m'a promulgué Maître Modo.
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Les seins sont la première étape. Il faut inciser tout autour des pectoraux pour les rendre accueillants. Ensuite la prothèse s'y glissera, et par la magie de la science belle dans sa folie, les faux seins camperont au chaud, sous une couverture d'épiderme mâle, tant que les sutures et les broches se sentiront aussi chez eux. C'est du camping, ouaip, je m'apprête à lever la tente. Sous le climat glacial d'un bloc opératoire improvisé, tandis que dehors les bestioles drumesques secouent la forêt, comme à leur habitude, sans rien ôter de ma focalisation. Sur ma tâche, mon devoir : ma mission, car malgré tout, j'suis un poiscaille de devoir,
c'que j'dis,
j'le fais,
même si c'est mal.

J'commence mon oeuvre, j'contourne les pectoraux en une traînée de sang vif et frais.

***

La chirurgie a des points communs avec la cuisine : particulièrement celle qui fait intervenir des tranches de jambon et de la bonne viande bien grasse qu'il faut traiter avec égard et respect. Si j'étais aussi "carnivore que j'devrais l'être", p'tete bien qu'ce métier serait impraticable, cause d'instincts primaux qui me foutraient des bâtons dans mes roues carrées. J'suis p'tete le seul homme-requin chirurgien au monde !

-Hfff...

Oh non, tu te réveilleras pas tout de suite, mon grand cochon. J't'ai pourtant rempli les tuyaux avec de quoi passer une journée à errer dans les abysses de ton âme, pourquoi tu "hfff" déjà ? T'aimerais pas c'que tu verrais si tu osais rouvrir les paupières : le premier sein est posé mais le second fait de la résistance, et n'apprécie pas son nouveau logis, et rechigne envers l'immobilier, c'est plus ce que c'était. Je crois qu'on m'a refourgué une camelote à moitié malformée, il a un angle droit, ce faux sein. Ça va demander un peu d'architecture.

***

Vulgairement arrondi l'angle du fake boob aux ciseaux. C'mieux que rien, je suppose, et ça a été aussitôt plus facile de l'installer à sa place. Les mamelles sont au frais sous sa peau, désormais, donnant au corps une étrange allure de créature hermaphrodite. Va falloir m'y faire, c'sera pas la dernière fois que je bâtirai une bestiole de Frankeinstein.

Ma seringue repart cracher son doux venin dans ses veines, plongeante dans son bras. Un peu, juste un peu, s'agirait pas de lui provoquer une overdose -même si ce serait pratique pour qu'il arrête ses spasmes louches de zombie comateux, alors que la suite de l'opération va demander autrement plus de dextérité et en appeler à toute la féerie de mes doigts magiques-.

***

Or donc je suis au scalpel ce qu'est le sabre au samouraï, ce qu'est la baguette au chef d'orchestre. Ou plutôt ce qu'est la pioche au mineur, car il faut avouer que je creuse très profond.

Je démarre l'ablation, le caisson plein de trésors organiques posé à côté de moi. Les pinces mordantes chaque vaisseau sanguin pour éviter qu'ils ne salopent ma table et ma blouse lorsque je les aurai sectionnés. Ainsi, les globules chargés de bulles de dodo se heurteront à un mur, s'entassant en un embouteillage pressant et klaxonnant. La pression grimpera et les risques de carambolage dangereux avec, c'sera comme un garrot localisé sur le zgeg.

Il ne reste qu'à sectionner tout ces liens rubiconds, et je pourrai lui extraire tout ce qui fait de lui un Homme, le séparer de sa virilité de naissance. Et lui greffer à la place l'appareil qui sert de couveuse à la vie. Le tout en. Une minute ? Au max.

C'est parti.
Coupe coupe chaque veine, chaque capillaire. Aucun saignement à déplorer : j'ai pincé le tout proprement. Soulagement.
Retire le matos génital. Qu'il dégage. Trou béant dans l'entrejambe, dérangeant. Un hypnotique vide. Pas le temps de plonger dedans, pas le temps de méditer dessus. Je sors l'organe frais du caisson. Il faut tout recoudre, tout suturer. Solidement. Avec le temps les fils organiques se dissoudront et le nouvel appareil fusionnera avec le corps comme s'il avait toujours été là. Mais pour l'instant. TOUT relier. Couture. Poupée de chiffon. On pourrait penser que Frankeinstein a été mon mentor mais non, du tout, c'est bien un toubib 20.

L'aiguille danse, suivi par son fil onctueux. On soude les vaisseaux entre eux. On fait s'épouser la peau mâle à celle femelle. J'recule le museau, prend du recul sur mon boulot. Ça me semble propre. Faut fignoler, consolider. Le tout s'est bien emboîté, rien de traviole, rien digne de suspicion. Je vais pouvoir enchaîner si vite sur la dernière étape ?

Et pas la moindre. L'heure de la tronche.

***

Une peau d'humaine est plus lisse que celle d'un humain. J'pourrai pas faire des miracles là-dessus, notre homme deviendra femme à barbe -bien que les hormones paniqueront suffisamment après mon braquage de virilité pour confondre leur corps avec un XX et enrayer la pilosité-. Ça va être laborieux, mais si j'veux qu'mon boulot soit impeccable, il va me falloir massacrer les derniers restes de poils au jugement implacable du rasoir. Mais pour le moment, j'dois lui arranger la trogne. En adoucir les angles, en gonfler un brin les lèvres, et raccourcir le nez, en étirer les cils. Sous mon masque s'dessine un rictus : probablement la fièvre créatrice qui me jette dans un grand brasier euphorique. J'me sens à l'aise, ridiculement à l'aise, galvanisé par l'apparent succès qui m'prend au pif.

Alors j'ondule autour de son visage, commence à parachever sa nouvelle identité. Il veut juste devenir quelqu'un d'autre, sans plus de précisions. Alors j'vais en faire une donzelle riante ! A la peau flexible, au nez taquin et aux joues caoutchouteuses promptes à se laisser percer par de grands sourires ! M'en vais injecter du DÉLIRE EN SERINGUE sous le cuir tanné de cet étalon acerbe. Car il devient jument, mais sera reconnu s'il sert les mêmes expressions qu'avant, ce minois aussi rayonnant de joie et d'empathie qu'une morgue en guerre, cette tronche de croque-mort dépressif auquel on prête forcément un passif hanté. Être gai comme un cimetière, exorciser ses zombies.

Allez, tu vas, grâce à moi, apprendre à te lâcher.
Souriez !
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Daniel est une momie désormais, un boudin sanguinolent enrobé de bandages. J'crois pas m'être loupé, restera plus qu'à confronter la rudesse de mes espoirs face au miroir, j'y crois très fort mais la réalité aime me décevoir. Daniel, ou plutôt, Danielle, devrait pas tarder à émerger d'son océan d'rêves sombres. Et j'me sens moi-même comme une épave fatiguée dérivante sur une mer d'angoisse tourmentée, dont la houle rend ma cervelle si molle que mes pensées coulent toutes, une à une, dans l'pathos et les regrets. J'vais à la pêche à l'erreur, la moindre que j'aurai laissée couler. J'me remémore chacun d'mes gestes, chaque pas du ballet, j'épluche ma mémoire comme un vieux citron acide, pour en tirer le jus amer qui, éventuellement, m'décaperait le palais de cet arrière-goût de succès qui stagne en moi comme un délice sucré.

L'opération se sera, tout compte fait, étalé sur cinq heures, presque six, une épreuve d'endurance pour les braves nerfs autant que pour leurs patrons neurones. Mais j'suis trop excité pour vouloir prendre du repos, puis faut quelqu'un pour veiller sur la momie, qu'elle se relève pas comme une sagouine en s'arrachant des morceaux, en ruinant tout mon beau travail par la même occasion. Alors j'reste là en tailleur sur mon matelas, à compter silencieusement les trous qui composent ce gruyère bondé de mites, y en a toujours de nouveaux qui apparaissent chaque jour, faudra que j'le nettoie ou le remplace avant qu'il ne finisse par y avoir plus de trous que de matelas, et que j'doive me résoudre à pioncer le museau contre le parquet. Reniflant des échardes, léchant le moisi, et des insectes qui confondraient mes naseaux ronflants avec des cavités naturelles bizarrement très chaleureuses comparées au reste de l'île glaciale. Bref. Me faut un autre matelas. Mon sommeil trime déjà assez laborieusement sous la pression des nerfs et des cauchemars, faut que j'lui facilite la tâche ou il arrivera jamais à empêcher ma cervelle de fondre sous un joli brasier de fatigue et de doutes.

J'vais mériter un peu d'vacances, moi... Même si j'en sortais déjà, techniquement.

-... Hum.

Ah. Le voilà. Ses yeux se rallument sous les bandages. Il prend connaissance des nouveaux reliefs de son corps, et semble tenter d'esquisser un sourire douloureux sous les pansements.

N'insistez pas. Évitez de trop parler aussi, pour l'instant.
Tout s'est bien passé ?
Ouais. Vous êtes une femme.
Ma voix...
Elle se modulera d'elle-même. Votre corps se fera à sa nature. Quand on le force à adapter des formes inconnues qui défient sa naissance, il finit toujours par plier et céder à la volonté du scalpel.
C'est fini.
Quasiment. On va raccourcir un peu votre convalescence, vous sortirez d'ici deux ou trois jours.

Le silence envahit l'espace entre nous, porteur d'un soulagement palpable, autant pour lui que pour moi. Je l'ai débarrassé d'un passé encombrant. Coupé le fil qui le reliait à une pelote de destins qu'il trainait comme un boulet. Son choix aura toutes les conséquences qu'on peut lui imaginer, ainsi que bien d'autres : ses poursuivants ne le reconnaîtront pas, sa famille, ses amis non plus, il aura intérêt à sceller son secret au plus profond de lui-même, à séquestrer ce qu'il est né, ce qu'il a été, pour ne jamais risquer de se retrouver de nouveau en tête d'affiche dans les comptoirs du gouvernement. Il a renié son ancienne peau, son ancien Lui. Il est une réussite, MA réussite, qui me placarde au visage la preuve que je SAIS faire les choses BIEN, et qu'un jour ce sera moi qui me relèverait du billard dans le coltar, en tant qu'un Craig tout neuf, au cuir sec et flasque, aux mirettes douces et profondes, aux petites lèvres discrètes pour orner une bouche au carrelage d'ivoire impeccable, puis un nez retroussé aux narines comme deux minuscules fosses qui se tiennent à leur rôle d'ajouter au monde les couleurs des arômes.

C'est un premier pas, un pas de géant, vers mon idéal qui apparaît inexorablement en mon horizon comme un soleil luisant à m'en défricher la rétine. Je deviendrai humain !

-Je sens ma peau... élastique.
Je vous l'ai un peu étirée. Pour la rendre plus féminine. Personne ne vous reconnaîtra.
Sacrée besogne. Je savais que vous ne laisseriez rien au hasard. Votre conscience professionnelle est prodigieuse. Trois jours de labeur acharné pour moi. Prenez l'argent, vous l'avez bien mérité.
Attendez d'être certain que je ne vous ai pas raté ?

J'imagine que j'saurai jamais qui se terrait derrière Danielle. Il n'a pas été un ami, encore moins un confident, pas même un invité ; juste un cobaye, aussi tristounet qu'ça puisse paraître déclaré comme ça. Un défi que j'ai relevé grâce à Modo et à moi-même, et qui lustre ma fierté pour la rendre scintillante : c'est rare, putain, que j'me sente aussi content, aussi satisfait, que j'sente mes rêves à portée de palmes et non pas voltigeant hauts par-dessus les nuages en train de me narguer. C'est une forme de revanche sur une existence cruelle, hérissée de déceptions.

J'me demandais souvent si là-haut, un type en robe blanche s'occupait de tenir nos comptes de mauvaises actions, de surveiller nos dépenses de karma. Si par exemple, on avait droit de nuire à une dizaine de gusses avant que notre dossier ne soit froissé en boule puis balancé dans la corbeille embrasée de l'Enfer. Parce que j'espérais, grâce à la bonté qu'j'ai économisé en avance depuis ma plus tendre enfance, cette bienveillance enterrée dans laquelle chacun d'mes gestes prend indirectement racine... Est-ce que j'pourrais faire un emprunt de folie pour me venger du monde ? Lui rendre la monnaie de sa pièce, devenir l'espace de quelques jours une bête sanguinaire aux pupilles rouges incandescentes, animée par un désir de Justice sanglante.

Ça me paraît très con maintenant. C'serait jouer le jeu de la société. Qui monte ses pions noirs contre les blancs, alors que tous ne sont que nuances de gris. La vraie revanche, ce serait de créer un embryon d'harmonie au sein même du chaos.

T'entends, Frangin ? J'apprends à redresser les destins croulants. Plutôt que les démolir, je les rénove.
J'approche d'une idée de Révolution. Ne rien raser, mais bâtir un nouveau monde sur les ruines de l'ancien. La société est une bête malade : le but devrait pas être de l'achever, mais de la soigner. C'est une bête malade qui ripaille dans ses propres tripes, soit. Elle grignote sa propre chair, dérive toujours plus fort vers l'autodestruction, comme par volonté de fermer un sinistre cycle. Faut la faire devenir végétarienne, la société, elle arrêtera de dévorer ses enfants maladifs, tout ces pouilleux qui s'emparent d'une bouteille de gnôle, d'un sabre ou d'un flingue parce que c'est la seule façon pour eux de négocier avec un avenir difficile. Elle cessera d'enseigner à sa progéniture décadente que survivre n'est pas loin d'être synonyme de tuer, et elle cessera surtout d'avoir ses FAVORIS, des petits protégés qu'elle garde enfermés dans des cages dorés en les nourrissant des os broyés de leurs frères et soeurs. Ces nobles, bourgeois, richards, croyant que leurs privilèges sont suffisamment solides pour endiguer le cours des pensées révolutionnaires.

C'est p'tete parce que j'ai jamais bâfré dans la bidoche d'autres vies qu'aujourd'hui, la violence ne m'paraît qu'être le symptôme d'une gangrène qui ronge le monde entier.

Plus qu'à diagnostiquer ce qui la provoque...
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Le jour J sous un soleil timide, la cabane prise dans une épaisse couverture de neige tourbillonnante. Mon premier blizzard ! Les arbres secoués gémissent bruyamment là-dehors sous les impulsions furieuses du vent, les sapins deviennent simples brindilles tordues par la tempête. Et ma cabane grince de toute part, tangue et couine, semble en plein naufrage au milieu de la froide colère de mère Nature. Une branche haineuse toque à ma porte, et n'va pas tarder à la défoncer si elle continue à s'montrer aussi grossière. Et Danielle grince fort fort des dents à s'en grailler la gencive, c'est aujourd'hui qu'il fait connaissance avec sa nouvelle apparence. Et qu'moi de mon côté, j'm'apprête à me flageller si j'découvre que mon savoureux succès n'est qu'un gros ramassis d'amateurisme dégueulasse. En tout cas, la clé de toute la tension, c'est l'déroulement de ces bandelettes.

Bon. Prêt ?
Allons-y, je meurs d'impatience.

Là-dehors le blizzard déchaîné me motive à pas m'éterniser en suspense. J'dévoile son visage, peu à peu, d'abord ses cheveux mi-longs imbibés de la sueur poisseuse du renfermé, la même qui perle sous mes écailles. Ses sourcils puis ses mirettes, interloquées, plus p'tits qu'avant, des genres de perles félines incrustées dans des orbites sombres, ils ont paumés dans l'opération toute la gravité pesante de leur regard d'antan. Le nez est plus fin, pas tellement changé si c'n'est qu'il est devenu plus saillant, ajouté à cela que quelques capillaires ont du trouver d'bon ton d'organiser des feux d'artifices sanglants dans ses narines il donne plus l'impression d'porter une lance ensanglantée en plein milieu du visage. Et sa bouche, enfin, aux contours dessinés par des lèvres grumelées, au sourire nettement plus marqué comme je l'espérais, qui annexe une bonne partie de ses joues lorsqu'il contracte ses muscles faciaux.

Alors ?
Ça m'a l'air très bon. Regardez.

J'lui tends un miroir, devant lequel il se contemple langoureusement comme s'il se croyait en une cabine d'essayage. Changer de gueule et de corps deviendra un jour, peut-être, aussi banal que se refaire une garde-robe durant les soldes.

Je crois que j'ai failli tomber amoureux de moi-même.
Ah ? Faudra vous y faire. C'est vous, désormais.
Après un bon shampoing, je serai pour de bon magnifique.
Et différente. On passe au corps ?
Vous croyez que je peux me défaire de ses bandelettes tout seul ?
Euh. Sûrement. Après quelques contorsions, quoi.
Parce que je me sens subitement tout à fait pudique.
Prenez le miroir et allez finir dans votre coin, alors. Pendant ce temps, je vais prier pour que la cabane n'implose pas.
Prier ne sera jamais aussi efficace qu'un bon vieux tas de planches pour consolider votre demeure.
C'était une façon de parler.

C'est pas le Grand Barbu Mégalo qui fait mumuse avec ses grêlons là-haut qui ira me prêter quelques planches, j'le sais, ça. Il délivre beaucoup de promesses, mais bien peu de récompenses, le Dieudieu, et il est trop imbu et impitoyable pour qu'une prière ou n'importe quelle supplication avec yeux de cockers larmoyants ne puisse le convaincre de nous balancer un cadeau de miséricorde. S'il prenait l'temps d'se pencher au-dessus de mon cas, c'aurait fait longtemps que j'aurai arrêté d'errer en moi-même. J'ai demeuré si longtemps en mon vaste esprit que j'ai du en ressortir à demi fou, un vrai lion tournant dans sa cage qui n'a que sa propre queue à mâcher, et c'est bien c'que je fais, je rumine des bouts de moi-même. Probablement pour ça qu'mes émotions oscillent autant, que mon âme est calée sur des rails de montagnes russes. Je lèche le bonheur, et subitement le voilà qui se fait glacial et m'englue la langue sur du douloureux fer rouillé. Toute cette douceur éphémère, à peine née qu'on la déplore déjà... Déjà, la fierté que j'ai puisé d'mon succès pue le croupi.

Je sais pas pourquoi. Un remord d'un passé taquin, un pressentiment d'un avenir malsain, ou tout simplement ma parano qui vomit de l'insécurité sur l'tapis. Mais tu sais, j'ai largué tout le monde, sur Kamabaka, mes amis, mon "amante", même un Uriko qui me prenait pour une bouée qui l'extirperait des abysses de son amnésie. Hanté, j'le suis, comme un cimetière en pleine malédiction vaudou, j'entends les râles des rêves abattus jusque dans mes nuits. Et des grattements sinistres à la porte de mes tympans dans l'obscurité.

Quelque chose ne va pas, mais... mais chaque chose en son temps. Ce serait sympathique que ma baraque ne s'effondre pas sur elle-même durant un si beau-sympa-pas trop laid-mièvre jour. Mais quelque chose ne va pas. Mon instinct me le murmure...

J'fais face à ma porte, dont les gongs survivent miraculeusement aux tourments insistants qui viennent du dehors, ils couinent plus fort qu'une donzelle en plein viol -jamais essayé, j'imagine seulement-. Le bois lui craquelle en rythme comme si on lui administrait du coup d'marteau. Mon cabinet tremblote, frissonne sous l'blizzard, et n'me semble bientôt ne plus être qu'un château de cartes sous le souffle d'un grand méchant loup qui vient sortir les trois petits cochons de son frigo. J'entasse piteusement table et chaise devant ma porte, histoire que la tempête ne s'engouffre pas par là pour disloquer mon palace de l'intérieur, ça reviendrait à enfoncer une souffleuse dans le nombril d'un type et de le gonfler jusqu'à lui faire péter la panse : faut pas sous-estimer le vent, il est aussi violent que sournois quand il s'y met.

Ça réchauffe les pans gelés d'ma mémoire, tout ça, j'ai l'impression d'me retrouver en avant-poste barricadé sur un champ de bataille, à encaisser un assaut d'pirates hurlants, sauf qu'ici c'est de la neige roulante, une avalanche de brume et de gravats glacés, pas d'quoi paniquer. Des clous dont je truffe mon cabanon, des planches pour repousser les vrilles neigeuses qui tentent de s'infiltrer par les fissures. Cette baraque est un gruyère et j'suis comme un rat qui lambinait dedans en attendant que quelqu'un ne lui morde dedans. Faut dire que j'ai tout prévu, les visiteurs importuns, les bestioles agressives, mais PAS l'option où ce serait Drum elle-même qui secouerait mon cabinet comme un môme avec son hochet.

Des bruits de pas se frayent un chemin à travers mes esgourdes bouchées par la tempête folle.

Danielle ? Ça y est ? Ça vous va ?
C'est parfait, Craig.

J'me retourne contempler mon oeuvre, mais c'est une seringue qui me fonce dessus en gros plan. Le réflexe parle, ma trogne se décale, mon museau s'retrouve creusé d'une fine ligne sanguinolente par l'aiguille. Et Danielle en robe de chambre, la face redevenue froide, aussi mordante que le blizzard.

-Navré. Je ne peux pas laisser de témoins.
Ah.

C'était ça. L'antisèche de mon instinct. L'interro tombe, et j'connais déjà le sujet de ma leçon. Traiter avec un mec louche dont le passif se retourne contre moi. J'imagine que j'aurais pu m'en douter très tôt : j'suis la dernière ancre qui l'enchaîne à sa vieille identité. Et il veut larguer TOUTES les amarres. Malheureusement, je crois que cette ancre sera bien trop lourde pour lui.

Vous devriez pas faire ça.
Je vous l'ai dis. Je ne le fais pas par gaieté de coeur.

Son poing décolle, sombre et d'une rigidité surnaturelle, il s'encastre dans mon bide marécageux sans s'y enfoncer ; j'crache mes boyaux liquéfiés par le choc. Mes cottes réduites en une nuée de rasoirs osseux freelances sous ma viande : Danielle outrepasse mon logia. J'lui vomis ma douleur, sous forme d'une gargouillante méduse de vase qui lui administre un fangeux baiser. Et tandis que ma créature l'étrangle, j'lui rend sa salade de phalanges dans l'front ; tout le percutant d'un squale végétarien.

Elle recule en grognant profondément.

Vous savez... si vous vous agitez trop, les sutures pourraient lâcher.

Pour toute réponse, un déplacement, qui blouse ma rétine. Il se retrouve à mes côtés, son doigt creusant une cascade d'hémoglobine à même ma cuisse. Du rokushiki. De la souffrance battante qui se sert de mes nerfs comme de guirlandes électriques. Puis mon flanc. Puis mon épaule. Des électrochocs à travers tout l'corps, qui devient épave fracturée en plein naufrage. Fermez les écoutilles, que mes nerfs amputés hurlent aux muscles survivants. J'suis un sapin que la sève fuit, mais qui n'se laissera pas abattre si facilement par un toutou renié du gouvernement. Mes guiboles fondent en mélasse brune, ma cuisse gicle en même temps de cette substance boueuse. J'serre des crocs et déglutis mon arrogance : si j'sous-estime ce fumier une nouvelle fois, je suis foutu.

Il s'enlise les pattes dans mes propres jambes liquéfiées.
Ça lui arrache quelques secondes de surprise que je ne lui pardonnerai pas.
Mes poings de nouveau, mais mon museau aussi. Ma langue se modèle en une tentacule crasseuse qui se propulse en son joli minois -ce joli minois que j'ai sculpté de mon propre bistouri, putain de gâchis !-, il se retrouve avec un espèce de parasite boueux qui lui suce la chair. Tandis que mes poings lui frappent le ventre comme un tambour, élevant mélodieux craquements, grommellements et de ces écoeurants frottis que provoquent la chair que l'on meule.

Finalement, mes palmes enserrent sa gorge. Ma langue serpentine se détache, larguant l'étrange mollusque de vase une bonne fois pour toutes sur sa sale trogne de traître.

M'obligez pas à vous tuer.

Sa grande et douce paluche droite à son tour se relève en un spasme instinctif, errant dans les airs sous mon pif à la recherche d'une accroche à empoigner pour me faire plus de mal. Tiraillé par mon corps saboté, j'ai une faible fièvre qui me grimpe à la cervelle. Une nausée qui la trait comme une vache anémique pour en extirper un libérateur vomi. Mais j'me retiens, je reste sourd aux supplications palpitantes de mes plaies. Et je transforme finalement le cou de Danielle en une tige cassante reliée à une ampoule rouge vive dont toute la lumière s'est faite absorbée par ma boue.

Je perçois ses yeux là-dessous. Blanc. Pupilles creuses auxquelles on prête d'ultimes sentiments au mort. J'm'y enfonce, je m'aventure dans ce puits obscur donnant sur son âme en dérive. Il est mort terrorisé. Mais il y a une nuance à son regard que je ne m'explique pas. Une petite brillance, une larme cristallisée dans son oeil : une perle synonyme de libération.

La vie est une prison, la pire de toutes puisque la seule perspective d'évasion possible se fait ad patres.
Eh bien, je crois... Que j'ai ouvert sa cellule. Que je l'ai laissé s'échapper.
Que de bout en bout, j'avais les clés de son existence. La chirurgie, ou la mort.
Et qu'il cherchait à me les subtiliser, par tous les moyens.
Il... Ou Elle. Ou Danielle. Toi. Tu m'as pris du temps. Et tu m'as refilé en échange d'affreux virus.
Des questions et des remords, putain, qui de plus belle déchireront mon âme. Salopard.
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J'ai réussi, m'sieur Modo.
Réussi ? Mais nous n'avions même pas fini les cours ?
Ça a quand même marché. J'ai appliqué vos conseils à la lettre. En se relevant de sa table, il était devenu une femme.
Aucune complication sur la durée ? Tu l'as gardé en observation ?
Comme sur des roulettes.
... un dangereux dérapage auquel tu t'es risqué.
Faites-moi confiance, je...
C'est concernant ton patient que je nourris quelques méfiances. Qui était-il ?
Secret professionnel.
Tu ne pourras pas toujours te barricader derrière la confidentialité pour repousser les explications.
Désolé.
J'ai parlé de toi à mes éminents collègues.
Aux... Les autres toubibs 20 ?
J'hésite à te parrainer pour que tu deviennes l'un d'entre nous.
Pourquoi hésiter ?
Pour ça, Craig. Pour les secrets. Trop de secrets mettront le tissu même de l'ordre à rude épreuve.
Je ne vous décevrai plus.
Si tu m'avais déçu, je serais déjà en train d'en informer le cercle.
Qu'est-ce que j'devrais faire pour...
Rester humble, professionnel et talentueux. Éviter de te blesser aussi gravement pendant le service sans te justifier, également.
Ah... Vous avez remarqué ? Le blizzard de la nuit dernière...
Tiens-tu beaucoup à un siège parmi nous ?
Ouais. Ça laisserait la voie libre à mes ambitions. Plus de prestige, plus de moyens...
Et plus de responsabilités. Tu rentreras en période de test prochainement.
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