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Rois et Hors-la-loi


Il y a ce murmure dans Poiscaille. Oui. Ce murmure que je capte, dont je prends conscience alors que je passe la tête par l'une des fenêtres de la suite. Il y a cette plainte, ce désaccord que l'on chuchote mais que l'on ne prononce point. Il est poussé par tous, par tout un chacun, il s'immisce dans les ruelles, entre les bâtisses et les gens, il glisse le long des artères, souffle dans les échoppes et les usines, s'élève dans les logis et les tavernes. Il est poussé par Maurice, qui est facteur et qui chaque matin doit porter des chèques de Portdragon à des gens dont il doit oublier les noms et ferme sa gueule parce qu'on le paye et qu'il a quatre enfants. Il est chuchoté par Eddy qui organise de grandes réceptions dans sa petite auberge qu'il fait louer aux plus riches et qui, parfois, doit verser le contenu de cette certaine fiole illicite dans un certain verre dédié à un certain ennemi de Keudver en échange d'une liasse de billets, mais aussi par Wallace qui est journaliste et à qui on demande d'écrire sur la nouvelle portée de chiots de sa grand-mère plutôt que sur le énième empoisonnement alimentaire chez Eddy et tout ça parce que sinon on fermerait son journal et il perdrait son boulot. Ce murmure passe aussi par la bouche de Marcel, qui n'a jamais vu Grand Line et qui mourra en la voyant, qui est pêcheur et qui connait le meilleur coin de pêche de l'océan, mais qui doit allègrement ne pas en parler et se la boucler pour que les marchés restent équilibrés et que le coin reste accessible à Malsouin si une pénurie survenait. Tous le profèrent, ce murmure, et mes tympans le devinent à défaut de pouvoir l'entendre. La voilà, la vérité sur Poiscaille. Tous connaissent les inégalités qui s'y développent, tous ont conscience des illégalités qui y sont commises, mais tous n'osent parler.

Nous les ferons parler.

Ils sont là, derrière moi, mes hommes. Après une bonne nuit de sommeil, ils sont fin prêts à agir. Blop, lui, est assis sur le lit, toujours prisonnier de notre suite. Je quitte la fenêtre par laquelle entrent d'agréables rayons matinaux, dans les yeux des Héritiers, il y a la détermination et l'attente. Les trois grands Videurs de Poiscaille dominent la ville, sa population et ses lois. Ils sont des rois vautrés sur leur montagne de mensonges et de tricheries, à se battre les uns avec les autres pour un morceau de poisson. Ils me dégoûtent… De nous ils pourraient apprendre ce qu'est un véritable souverain, n'est-ce pas, Napoléon ? Nous qui sommes dignes et qui connaissons ce qu'est le véritable leadership. Toutefois, pour cela, il faut les faire descendre du piédestal sur lequel ils se sont montés. Il faut obliger cette Marine corrompue à agir face aux Videurs en leurs soumettant les faits. Il faut que la vérité éclate au grand jour, que les innombrables marchés gangrénés par la corruption des Videurs puissent s'émanciper en dénonçant les exactions de l'Élite.

Voilà ce que nous ferons de Poiscaille. Nous y répandrons la vérité.

Et pour cela, ils nous faut des preuves, des faits indéniables sur lesquels s'appuyer. Et plus que ça, il nous faut quelqu'un pour répandre l'information.

Ma main passe dans ta crinière, mon cher Napoléon, alors que je m'adresse à mes hommes.

- Il nous faut récolter de l'information, messieurs. À défaut de savoir que cette ville est complètement avilie par Keudver, Malsouin et Portdragon, nous devons aussi le prouver. Soyez discret, informez-vous, infiltrez-vous, mais trouvez les preuves dont nous avons besoin. Je me chargerai de convaincre quelqu'un de publier la vérité.

N'oubliez pas; désormais, nous sommes pirates, et tous les moyens sont bons pour faire régner la Liberté.


Je jette un regard narquois vers Robert Blop avant de dégainer mon sabre d'abordage et d'en appuyer la pointe sous son épaisse gorge. Quelle effusion ce serait si la malencontreuse idée de crever cet énorme tuyau gras comme un fruit mûr me prenait… Il se plaque contre le dos du lit, ses yeux globuleux exorbités tentant d'apercevoir ma lame s'immiscer entre ses deux mentons. Gros porc prisonnier dans sa propre fange, pêcheur tombé dans ses propres filets.  

- Et je suis persuadé que Blop sait exactement où nous devons aller pour recueillir toute ces témoignages dont nous avons besoin.

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Désormais nous sommes pirates… Vous les jeunes, ne savez pas encore ce qu’est la piraterie, hein ? A part vous, mon Capitaine. Vous avez l’audace, l’ambition et la prestance qu’il faut pour dresser l’étendard des Rois et Hors-la-loi.

Fils d’Empereur, vos souhaits sont de vous hisser à la place que vous travaillez à mériter. Et vous commencez plutôt bien, de mon point de vue. Vous rassemblez des hommes qui vous suivent naturellement. Parce que c’est inscrit au plus profond de leur être, parce que vous leur insufflez l’espoir et la confiance qu’ils recherchent, dont ils ont besoin. C’est une chose d’être un chef, c’en est une autre d’être un leader. Et vous, meneur d’hommes, êtes probablement promis à devenir un leader parmi les chefs.

J’ai beau avoir vécu suffisamment d’années pour accumuler une expérience plus que nécessaire à ce qui va suivre, je ne peux m’empêcher de demeurer surpris par cette trouvaille. Une courte scène de bagarre en taverne sous mes yeux, puis une apparition fortuite dans une ruelle, nous chassions le même homme, moi pour défendre le Code, vous pour vous venger d’une trahison, qu’importe. Cela nous a réunis. Je vous ai rejoint pour réaliser mes rêves, et les vôtres semblent coïncider, alors je me suis empressé d’accepter votre invitation.

Mais là… Que faites-vous, mon Capitaine ? Quelle est l’importance de cette île à vos yeux ? Que venez-vous faire ici ? Pourquoi ne partez-vous pas tout simplement, laissant là ces pauvres hères qui ne méritent pas qu’un pirate tel que vous le deviendrez ne s’attarde à s’occuper d’eux ?

Toutes ces questions que j’avais, il y a encore quelques minutes de cela… Alors, heureuse fut cette petite discussion, tête penchée par la fenêtre. Mon Capitaine observait la ville, accoudé là, émerveillé par le brouhaha ambiant qui régnait, accaparé par cette écoute si passionnée. Et moi, fidèle à moi-même, la tête pleine de questions, je suis allé le rejoindre.

M’accoudant à son côté, l’œil torve et suspicieux, je l’ai informé de mes craintes et de mes doutes, lui dévoilant mon incompréhension au sujet de son comportement. Car même si je vois en lui un homme d’exception, une part importante de son être demeure embrumée à mes yeux, cachée derrière un voile d’inconnu que je ne parviens pas à percer. Mystérieux. Vous aviez l’audace, l’ambition et la prestance, il ne vous manquait que cette caractéristique pour prétendre à attendre les sommets que vous convoitez. Car nul ne saurait se hisser aussi haut qu’un homme entouré d’un voile de mystères qu’aucun simple mortel ne saurait déchiffrer.

Alors, à ces interrogations, l’homme m’a répondu. Un éclair flamboyant a illuminé son regard, alors que ses yeux se sont posés directement sur mon seul œil valide, pénétrant au plus profond de mon âme. Il y a lu, me donnant les réponses que j’attendais, car il avait pu comprendre à la perfection quelles étaient mes questions, aussi maladroites ais-je pu les poser. Son honnêteté ne fait aucun doute. Et si ses réponses ont été celles que j’attendais, c’est parce que cet homme est bien celui que je recherche.

L’homme m’a donc répondu, petit à petit, entamant un dialogue d’égal à égal avec moi.

- Monsieur Ellington, qu’est-ce que la piraterie, selon vous ?

La piraterie. Mon domaine, ma vie, ma raison.

- Je conçois la piraterie exactement telle que le Code la décrit.
- Et si vous deviez n’utiliser qu’un mot, un seul, pour résumer ce que le Code exprime, quel serait-il ?
- Sans aucun doute, « Liberté ».

Là, mon Capitaine a détaché son regard du mien après avoir esquissé un sourire de satisfaction. Il a porté ses yeux toujours emplis de cette lueur ambitieuse vers la ville, et continua :

- C’est pour ce mot que je me bats, que ce soit hier, aujourd’hui ou demain. C’est ce que tout pirate désire, n’est-ce pas ? La « Liberté » ! Alors qu’est-ce qui fait que je peux être différent de « tout pirate » ?

Il a laissé un blanc, appréciant l’effet de style, puis reprit :

- La Liberté que je pourchasse, Monsieur Ellington, c’est aussi celle des autres. Je ne puis me distinguer du commun de la piraterie si je ne fais que les imiter. Je vis pour faire plus que cela. Alors, pourquoi je m’occupe de ces « pauvres hères » ? Pour lutter contre les inégalités et pour la Liberté. La mienne, la vôtre, la leur.

Et il m’a à nouveau regardé, ses yeux plus lumineux que jamais. Le paroxysme de ses rêves remplissait son visage. Ses traits étaient tirés en un large sourire, bouche fermé.

Et maintenant, maintenant qu’il s’adresse aux autres, leur rappelant qu’ils ont fait leur premier pas dans la piraterie, maintenant qu’il donne ses directives, maintenant qu’il parle à Blop de manière indirecte, comme s’il ne se souciait pas de lui outre mesure, je comprends.

Cet homme laissera son nom ici, comme à chaque endroit qu’il traversera. Ce nom résonnera dans le monde entier. Et moi, je porterai le Code à ses côtés, prônant ses vertus. Car mon Capitaine a décidé de respecter le Code, de vivre tel un vrai pirate, selon cet écrit sacré, selon les anciennes traditions. Et de cette manière, en suivant ce crédo, il réalisera ses rêves. Et nous prouverons, ensemble, que le Code est la seule Loi viable.

Je suis avec vous, mon Capitaine. Alors, Blop, grassouillet-gras-du-bide, nous écoutons.


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Blop regarda nerveusement l’assemblée que nous constituions. La coutume veut qu’il y ait un bon et un mauvais flic. Je serais bien en peine de le trouver. Maxwell, le regard aussi inflexible que le sabre pointé vers la gorge du maire. Erik Ellington, observant davantage son nouveau capitaine que l’interrogé. Dimitri placé juste à côté de Napoléon, ses yeux allant du capybara à Blop. Uriel au regard vague, vaguement intéressé, ou inintéressé. Landacier, un sourire goguenard aux lèvres, en retrait, appuyé sur une guérite. Et Kurn, inexpressif mais attentif. Menaçant par ma simple nature d’homme-poisson. Petits hommes, et je ne parle pas de vos corps.

Blop avala audiblement sa salive, sa pomme d’Adam faisant l’ascenseur. Déjà son regard, effrayé comme celui d’un lapin quand passe la diligence, se refaisait neutre, calme, probablement calculateur derrière les bourrelets graisseux. La pointe du sabre appuya un peu plus fortement dans le double-menton, faisant perler une goutte de sang.
« Je… j’ai quelques informations, effectivement. Je vous les échange contre ma vie sauve et ma liberté.
- Oh que non, Robert Blop. Vous n’êtes pas en position de négocier. Vous n’êtes qu’en position d’obéir, et de nous donner ce que nous voulons. Mais rassurez-vous, nous n’allons pas vous tuer. En tout cas, pas à moins d’y être poussés, et cela, seul vous pouvez l’éviter. Et je vous ai déjà dit comment.

Ma patience s’amenuise, acheva le capitaine en traçant un léger sillon rouge. »

Blop se figea, puis prit une inspiration.
« Portdragon. Il veut absolument étendre les routes commerciales, les accords. Il souhaite de l’expansion économique forcenée. Bien évidemment, c’est lui qui a le plus de contacts de par le monde, donc il serait celui qui en profiterait le plus. Les autres familles lui mettent des bâtons dans les roues pour ça.
- C’est donc pour cette raison qu’il a voulu les éliminer à la soirée ?
- Tout à fait. De plus, nous ne sommes pas sûr qu’abuser des ressources de l’île soit bénéfique sur le long terme, mais il ne s’en soucie pas.
- Sans surprise.
- Il a différentes planques en ville. Il est probable que les Jazzmen, les tueurs à gages, se trouvent dans l’une d’elles.
- Très bien, nous prendrons les informations. Kurn, Landacier, vous vous en chargerez. Kurn en raison du danger, Landacier car ta couverture de chasseur de primes est déjà détruite par la soirée d’hier. Faites profil bas.
- Je dois te protéger, Capitaine.
- Ne t’inquiète pas. Retrouve les Jazzmen, extorquez-leur des informations, des preuves, des aveux. Tout deviendra clair plus tard. »

« Ensuite, Malsouin. Il a le contrôle sur une partie des institutions publiques, y compris et surtout les pompiers. De nombreux incendies ont déjà eu lieu dans les quartiers les plus pauvres. D’après ce qu’il propose lors des conseils municipaux, il souhaiterait déplacer les habitants. Et comme il dirige les pompiers, il y a des chances qu’il baigne jusqu’au cou dans les feux. Surtout que les pompiers arrivent systématiquement en retard.
- Le pompier pyromane ?
- Il leur ordonne d’arriver tard, voire de ne pas venir du tout. L’objectif est de laisser les incendies se propager à tout le quartier, mais jusqu’à présent les actions des habitants sont parvenues à l’empêcher.
- Il faudrait donc enquêter là-dessus. Interroger les habitants, voir ce qu’ils ont vu. Essayer de mettre la main sur un des pompiers, peut-être, si vous y parvenez. Monsieur Ellington, Dimitri, je pense que vous êtes les mieux placés pour cela. Ellington parce que vous devez bien connaître ces milieux, Dimitri car ton charme devrait te permettre d’obtenir des informations difficilement accessibles. »

Blop soupira ostensiblement.
« Keudver. La Matriarche. Elle a la main-mise sur tout le secteur de la santé de l’île. On ne s’en est aperçu que trop tard, parce qu’elle a utilisé de nombreuses sociétés-écrans, pour tout racheter petit à petit. Ses plus virulents opposants ont d’ailleurs tendance à ne jamais se lever de leurs lits d’hôpital.
- Elle ne les soigne pas ? »
Le maire haussa les épaules.
« Qu’elle ne les soigne pas ou les empoisonne, cela n’a que peu d’importance. Toujours est-il qu’il ne fait pas bon de se la mettre à dos.
- Uriel ? En raison de ton contact privilégié avec elle, nous comptons sur toi pour trouver des preuves. Bien, sortons, maintenant, et laissons le maire ici. »

Rengainant son arme et ignorant les demandes diverses et variées du gros homme, Maxwell Percebrume sortit le premier de la chambre, rapidement suivi par son équipage. Kurn ferma la marche, se baissant pour passer le chambranle de la porte, avant de la refermer derrière lui.
« Bien, Messieurs, je vous ai proposé ce que vous alliez faire. Toutes les pièces s’emboîteront parfaitement lors de la fête du Poisson. Je vais trouver un journaliste sur cette île pourrie jusqu’au trognon. Ce journaliste publiera l’article et les preuves, et nul doute que le peuple s’insurgera à la vue des méfaits commis par ses rois.
- Et si le journaliste ne collabore pas ?
- J’ai moi-même longtemps été journaliste, à Marie-Joie. Je les connais bien, tous ces scribouillards qui vivent par l’intermédiaire de leurs écrits. Cette existence par procuration, il la voudra. Et, ma foi, s’il ne collabore pas, il restera toujours la manière forte… Pirates nous sommes, et si la liberté est à ce prix, alors nous paierons pour que tous y aient droit.
- Et le peuple, va-t-il nous suivre ? Voire même réagir ? Si cela fait si longtemps qu’il est sous la botte des trois familles, peut-être ne conçoit-il pas la vie sans cela.
- Ils auront la Liberté, j’en fais le serment, sur mon sang de Toreshky et sur mes idéaux de pirate. »

Ellington souleva son chapeau d’un air appréciateur, et nous partîmes tous.

Les Jazzmen. Le capitaine a parlé. Nous les trouverons.

Landacier fit une courbette pour enjoindre Kurn à passer le premier.


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La peau écailleuse de mon compagnon m’accroche au courant, je ferme la marche. La porte de la bâtisse grince à quelques mètres, l’air du sang s’engouffre et remue chaque morceau de tissu qui compose nos accoutrements. Le capitaine continue de forcer sur le mécanisme de la poignée, chaque rayon de soleil nous transperçant de part en part. Les particules de poussière s’aperçoivent à l’œil nu, le renfermé se renifle à plein nez. Le boucan de la ville s’approche de plus en plus de mes tympans, passant d’un chuchotement au cri de détresse d’un cochon égorgé. Nous avançons, en ligne droite. De dehors, on pourrait avoir la légère impression qu’une ombre à trois têtes, dix jambes et trente doigts est en train de sortir de l’endroit. Un beau groupe de héros, hein. La chevelure blonde étincelante de Maxwell ne cesse d’éblouir les yeux exquis de Dimitri, qui le seconde. S’en suit le pas traînard d’Uriel qui dégage une douce mélodie de frottements, accompagné d’un petit bruit de foulées propre au roi des capybara. Je toussote légèrement, une soudaine envie de cracher mes poumons s’empare de ma trachée. J’remercie Erik et plus précisément son livre qui parfume le couloir de ses innombrables péripéties. J’savais que le papier et les intempéries ça n’faisait pas bon mélange mais de là à sentir mes tripes se mettre à danser, jamais.  J’emboîte le pas avec celui de Kurn, je n’vois que son grand dos et ses muscles se contracter lorsque le soleil lui fait plisser des yeux. Une fois les deux pieds dehors, j’ferme la porte du bout du bras. Chacun de nous s’active, se séparant pour les diverses tâches qui nous ont été confiées. Seule la rascasse — un mètre au-dessus de ma caboche soit dit en passant — est restée afin d’unir nos forces. Evitez l’insolation, n’est-ce pas. Pas besoin d’ma casquette en fin d’compte, j’ai l’couvre-chef parfait en face de moi. On s’regarde un instant, la voix de Kurn se cogne sur chaque paroi de ma cage thoracique.

"- La première planque se trouve à quelques mètres d’ici, dans un vieux bâtiment délabré.
- Et la seconde, une usine désaffectée à une rue ou deux de la première.
- Je propose qu’on se sépare.
- Chacun sa planque, tu veux dire ? – réponds-je avec une mine étonnée.
- Oui, on doit aider le capitaine, rapidement. – me lance-t-il avec un sérieux à en faire pâlir de la semence de cheval.
- Certes, on suit ce plan là.
- Le capitaine.
- Ouais ? – rétorque-je avec curiosité.
- C’est un brave homme, je le sais.
- Je n’en doute pas mon ami.
- Je voulais dire que je suis fier d’être là à l’heure act...

Je l’interromps tout en me mettant sur la pointe des pieds, le bras tendu en l’air et la paume de la main difficilement posée sur son épaule.

- Le plaisir de faire équipe avec toi est partagé, Kurn.

Son expression faciale change brusquement, j’devine la joie à travers ses yeux globuleux. Deuxième fois que l’environnement glacial qui l’entoure se réchauffe en un coin de paradis, ‘faut briser la banquise mon bon manchot. J’suis sûr que derrière ce colosse de gel se cache un cœur flamboyant, j’en mets mon sang à couler. Et non, je n’fais pas de la propagande pour des nouveaux gâteaux dégueulasses mais j’fais plutôt l’éloge d’une délicieuse âme que je cherche à atteindre.

- Nous devons faire vite.
- J’m’occupe de l’usine, tu prends l’autre coin ? – lui demande-je avec un sourire amical.
- On fait comme ça."

L’homme-poisson met fin à la discussion et se met en route, sa silhouette s’engouffre dans l’effervescence de la ville. Quant à moi, je laisse mon manque de sommeil de côté. J’expire un souffle chaud, j’dégage la fatigue de mes entrailles. Un bâillement, c’est ça ouais. J’prends mon itinéraire une minute après Kurn, il n’est déjà plus là. J’entame un rythme de course régulier, un genre de marche au trot. Les visages défilent devant moi, le flou s’empare de ma vision périphérique. Je m’fais bousculer à droite et à gauche tel un boulet de destruction en coton, la vitesse ne gagnera jamais contre le poids mort. S’écoule alors une dizaine de minutes avant d’arriver devant mon objectif.

Un grand bâtiment en pierre se dresse devant moi, un endroit aux murs craquelés et enchevêtrés par de gargantuesques racines de lierre. Une haie abandonnée fait le tour de l’usine quant à ses feuilles, elles commencent à se propager sur la chaussée telle une maladie contagieuse. J’secoue le pied, des millepattes commencent à établir un nid près de mes bottes. C’est vraiment dégueulasse comme endroit. J’m’aventure dans la jungle urbaine, les lianes d’humidité me fouettent le visage de plein fouet. Ça sent le marais, l’eau contaminée par une floraison plus qu’hasardeuse. J’m’enfonce littéralement dans les flaques de boue tout en repoussant les attaques multiples des branchages avec mes avant-bras. L’entrée n’est pas loin, j’entends un rouage qui est encore en service. J’déblaye mon chemin jusqu’aux vibrations avant d’apercevoir une porte miteuse qui ressemble à une biscotte. C’est sordide, je n’pense pas que les jazzmen ont les couilles pour venir les poser ici. Qui sait, ils se font peut-être des jouets à leur effigie, je n’sais pas. J’inspire un bon coup en observant les traces de sang séchées sur les murs de l’enceinte. J’relâche tout, putain.

J’explose la porte en mille morceaux d’un coup de talon sauvagement préparé, les deux flingues dégainés pour abattre de la vie humaine. Les copeaux de bois flottent dans l’espace-temps, la lumière de l’usine s’active soudainement. Là, des silhouettes ombrageuses paralysées par la surprise. J’vise les genoux, j’presse la détente. Deux balles viennent se loger dans leurs jointures. L’un des deux se met à flancher, il tombe à terre laissant une nova de poussière se soumettre à la gravité. Pour l’autre, une substance farineuse s’échappe de son articulation. Les restes du bois flottant finissent par s’accumuler au sol, j’souffle sur la fumée que dégagent mes deux pistolets avant de les ranger subtilement dans leurs étuis. C’est qui l’patron, bitchies.

Une lumière angélique expulse abruptement les dernières ténèbres restantes. Sacrebleu, quelle connerie. J’me retourne et d’un bond, j’m’allonge dans l’herbe gluante de l’extérieur. La poudre à canon se transforme, une grande déflagration décongèle les fondations. L’usine s’effondre partiellement, j’fais venir la pompe à sang dans mes mollets. Une multitude de pierres commencent à descendre en rappel sur le haut de mon crâne, j’impulse et j’enjambe l’environnement tropical. J’tombe nez à nez avec une ombre colossale.

"- Ils sont là-bas."

La voix ne fait qu’un tour dans ma tête, j’lève les yeux au ciel. Il est là, Kurn. J’force un peu sur la vue, pour l’dévisager. Putain, qu’est-ce qu’ils t’ont fait. Une goutte de son sang s’écrase sur mon front, sa gueule a été malmenée. Entailles, brûlures et vêtements déchirés, c’est tout ce à quoi a survécu l’homme poisson. J’me relève avec la gueule pleine de cambouis, la main posée contre son torse pour souffler un coup. On va faire comprendre deux ou trois choses à ces musichiens et à cette putain de Blop qui refourgue des adresses à but mortuaire. J’saisis mes deux joujous à en faire craquer la crosse, en avant. La rascasse nous ouvre le chemin, ses muscles sont tellement contractés que les veines sont prêtes à se faire la malle. Nous voilà, jazzmen.




    Austin Woodridge est un homme calme, intelligent et curieux, de l'espèce de ceux qui sucent les branches de leurs lunettes. Bien habillé, redingote en cuir, chemise de tweed, l'homme siège derrière un bureau couvert d'articles découpés et de paperasse en tout genre, juché sur un fauteuil de velours saignant juste devant une machine à écrire ma foi très imposante. Partout dans la maigre salle de rédaction s'empilent des tonnes de livres, de journaux et de vieux cadres poussiéreux. Si le chef de la rédaction de Poiscaille est un homme de goût, il me semble aussi être de ceux qui apprécient conserver des tas de choses à l'utilité questionnable. Tandis que tu furettes les alentours, en fin limier que tu es, Napoléon, je prends place dans un fauteuil similaire à celui de mon interlocuteur. De derrière ses petits verres rondelets, il pose des yeux curieux sur mon accoutrement huppé, qui contraste tant avec ma barbe de plusieurs jours. Je me doute que l'homme garde ce silence parce qu'il espère que je parle le premier. Après tout, c'est bien moi qui l'ait convaincu, à l'aide d'argument sérieux et de promesse d'information croustillante, de me faire pénétrer dans le bureau de son quotidien.

    - Vous étiez là, hier soir. N'est-ce pas, Monsieur Woodridge ?
    - Effectivement, avance-t-il d'un ton à la fois langoureux et fatigué, du genre que seuls les hommes occupés et désintéressés peuvent réellement assumer, et vous y étiez aussi, jusqu'à ce qu'on braque plusieurs armes sur vous. Capitaine Percebrume.

    J'arque un sourcil, puis ose un délicieux demi-sourire. Malgré ces petites lunettes, il semble que Austin Woodridge y voit très clair dans cette purée de pois qu'est la situation politique de cette île au nom si évocateur. Et malgré cela, il s'est tout de même fait un devoir de m'accorder sa confiance, l'espace de quelques minutes, afin d'écouter mon histoire. Même si de tous les habitants de cette île, je suis celui qui pourrait lui sembler le plus dangereux, le plus à-même d'être craint. J'aime les hommes qui outrepassent les premières impressions et qui laissent des secondes chances. Dans ton coin, Napoléon, tu couines avec approbation.  J'ai un nouveau partenaire dans cet intéressant jeu de pouvoirs, et pour l'instant, la balle est dans mon camp.

    - Et vous devez donc vous douter, mon cher Austin, que si je suis assis à ce bureau, il va de soit que les accusations que l'on porte envers moi sont tout-à-fait injustifiées.
    - Hmm… Je m'en doute, certes…

    Il ouvre la bouche, comme pour ajouter quelque chose, puis la referme et se met à rédiger des notes sur une feuille blanche. Pensif, il relève la tête, ôte ses lunettes puis se masse les yeux d'une main. On pourrait le croire atteint d'une migraine, mais je me doute bien que le journaliste ne s'amuse qu'à me faire quelques mimiques, il cherche à me faire comprendre l'ampleur de ce que je lui demande. Parce que. Bien entendu. Il sait très bien pourquoi je viens le voir.

    - J'imagine qu'il n'est donc pas nécessaire de vous dire que j'ai besoin de l'aide des médias de l'île pour faire tomber les trois grands Videurs. Et je sais très bien que ce ne sera pas une tâche facile, qu'il faut des preuves, des faits valides et indubitables et…
    - Vous ne comprenez pas tout, j'ai bien l'impression, Capitaine. Il en va de la sécurité de mon entreprise, dans tout ça, aussi.

    Il relève des yeux sévères et anxieux vers moi. Mon sourire me quitte. Tu pousses un reniflement de dépit, Napoléon, quand tu comprends toi aussi que Austin Woodridge, tout aussi malin qu'il puisse sembler, reste néanmoins un trouillard. Un trouillard ? Le mot est peut-être un peu fort pour décrire un homme qui craint de s'attaquer à la plus puissante institution sur l'île. Le journaliste doit probablement craindre pour la pérennité de son journal, mais aussi pour sa vie et celle de sa famille. J'ai horreur de la corruption et de ses affres. Je me penche vers l'avant, m'appuyant sur mes genoux, rapidement tu me rejoins pour poser tes billes sombres sur le rédacteur, mon brave compagnon rongeur.

    - Écoutez bien, Woodridge. J'ai avec moi les hommes les plus loyaux et les plus coriaces de tout West Blue. De tous les forbans, ce sont les meilleurs, de tous les compagnons, ce sont les plus braves, de tous les conseillers, ce sont les plus sages. Avec eux, je n'ai point peur de l'échec, et en entrevoir la possibilité ne m'effleure même pas. Ils sont déjà sur différentes pistes, ils vont valider des informations scandaleuses et des faits que vous connaissez probablement déjà. Mais j'ai besoin de quelqu'un pour publier ces choses. Pour les distribuer et faire savoir à la population de Poiscaille que le changement est possible.
    Si le quotidien de Poiscaille fait éclater le scandale des Trois Videurs au grand jour, la Marine corrompue sera obligée d'agir si elle veut éviter une inspection des hautes sphères dans ses petites affaires.


    Tout au long de ma tirade, Austin regarde le vide, une goutte de sueur perlant le long de sa tempe. Il gruge la branche gauche de sa lunette d'un air perdu, alors que je reprends de plus belle.

    - Demain, lors de la Fête du Poisson, il n'y aurait pas de meilleur moment pour faire connaître à tous la vérité sur ceux qui dominent la ville dans l'ombre, mais j'ai absolument besoin de votre aide pour cela Woodridge. Je-

    TOC TOC TOC !

    Je sursaute, tout comme toi et le journaliste, Napoléon. Les coups venaient de la porte, là où on a frappé avec véhémence. Personne ne frappe de la sorte pour une visite de courtoisie, encore moins pour annoncer quoi que ce soit de positif.

    - ESCOUADE DE LA MARINE ! OUVREZ LA PORTE !

    Austin rive sur moi une mine stupéfiée, alors qu'il blêmit et ne sait plus où se mettre. Les salauds… dans la peur que la vérité éclate, ils se sont mis en tête de paralyser les médias pour nous empêcher de leur faire part du complot. Ces Malsouin, Portdragon et Keudver sont encore plus machiavéliques que je l'aurais imaginé… De sous ma veste fuse mon pistolet à silex, alors que de mon fourreau chante mon sabre. Il n'y a pas cent façons de procéder, il va falloir combattre, et ce à n'importe quel prix.

    J'espère que tu t'aies aiguisé les dents ce matin, mon bon Napoléon.


    Dernière édition par Maxwell Percebrume le Dim 30 Aoû 2015 - 23:17, édité 1 fois
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    L’explosion du vieux bâtiment délabré avait été orchestrée de main de maître. Kurn était entré, méfiant, par le chambranle vide de porte. Tous ses sens aux aguets, il avait craint les armes à feu. Et avait comme de bien entendu trébuché sur le fil tendu en travers du couloir.
    Heureusement, sa main d’homme-poisson avait suffisamment adhéré au mur puis l’empêcher de chuter complètement, et une série de roulades s’achevant par un sprint à quatre pattes l’avait sorti de la barraque remplie jusqu’à la gueule d’explosifs. Mais le souffle de la poudre l’avait caressé, et les éclats volants l’avaient égratigné.

    Rien ne m’empêchera d’accomplir ma mission. Puis je retournerai protéger Maxwell Toreshky.

    Quelques instants plus tard, après avoir rejoint Landacier, ils étaient prêts à pénétrer dans l’usine désaffectée. Le fracas du canon voulait sûrement dire que les Jazzmen se trouvaient de l’autre côté de l’arme massive, en train de mettre à feu la mèche. Son binôme n’avait pas détecté de piège élaboré, et il était difficile de ne pas se rendre compte que l’ont venait de trébucher sur un fil.
    Qui plus est, les deux mannequins de bois démontrent bien l’intention de distraire l’attention. Kurn ouvrit la marche, repassant la porte maintenant fracassée sur le côté par le coup de talon et le coup de canon. Ses narines dilatées captaient l’odeur de l’abandon, de la végétation qui pourrissait sur place, et celles de la poudre, de la poussière. Poussière d’ailleurs lourde qui flottait dans l’air.

    Sans un regard en arrière, la rascasse se baissa pour donner un tant soit peu de champ de vision à Landacier et ses armes à feu, et, utilisant son centre de gravité bas et penché vers l’avant, accéléra. Ils veulent piéger la zone ? Très bien. Nous irons plus vite que les traquenards, tout simplement. Les branchies de l’homme-poisson palpitent, ses nageoires se déplient légèrement pour un effet esthético-aérodynamique encore à démontrer. Les épines sur sa tête oscillaient au rythme de ses longues foulées.

    Kurn dépassa les pantins de bois rembourrés de farine au pas de course, son collègue toujours derrière lui, qui battait frénétiquement des jambes. La différence de taille faisait qu’un pas chez le premier correspondait quasiment à deux chez le second. Quelle importance ? Il tient le rythme.
    Au détour d’un couloir, il aperçut la gueule béante de l’artillerie. Un roulé-boulé plus loin et le boulet s’enfonça dans un mur en plâtre, le démolissant proprement dans une cascade de fragments et de poussière qui se colla à sa langue, sa bouche, ses branchies. Ignorant l’escalier en face de lui, Kurn repartit vers le canon, couvert par Landacier qui, à l’abri de l’angle du mur, visait soigneusement les environs.

    Mais, de l’autre côté du bestiau d’acier, il n’y avait personne.

    Ils ont dû fuir, se cacher plus loin dans l’usine. Déjà, que fait un canon ici ? Oh, non…

    « Landacier ? Chuchota la rascasse.
    - Oui, Kurn ?
    - On ne serait pas dans une fabrique de canons ?
    - Tu voudrais dire qu’il y en aurait d’autres, des comme ça ? Genre, partout ? »
    Kurn hocha la tête.
    « Et p’tet aussi de la poudre, tout ça ?
    - C’est possible.
    - Arf. Ben c’est nous qui allons leur exploser la gueule, alors.
    - Vivants.
    - Ouais, vivants. Juste un peu amochés.
    - Ne nous séparons pas, cette fois.
    - Ca tombe bien, j’ai jamais cru aux groupes de un dans les bâtisses soi-disant abandonnées. »

    Un escalier de service, au bout de la salle, leur faisait de l’œil. Il s’agissait, sans doute possible, de celui utilisé par les Jazzmen pour fuir après avoir fait rugir le canon. Autant dire qu’il s’agit de la route la plus probable, et donc du piège le plus évident. D’un commun accord, Landacier et Kurn décidèrent de revenir aux marches du couloir passé précédemment.

    Il est probablement piégé également. Peut-être moins.

    Comptant là-dessus, le binôme ignora la salle principale de l’usine, sur leur droite, celle dans laquelle se trouvaient encore quelques machines, des chaînes d’assemblage, les fours les plus vétustes pour fondre les fûts des canons. Mais les monteurs de pièges avaient probablement établi leur base à l’étage, d’un endroit où ils pourraient surveiller l’extérieur, à travers les carreaux sales des fenêtres, et réagir en conséquence.

    Laissant tomber la charge téméraire de départ, les deux pirates montèrent précautionneusement l’escalier, chacun de leur pas provoquant des grincements malvenus et soulevant de véritables nuages de poussière. Le peinture écaillée des murs et du plafond s’effritait, tombait par moment alors qu’ils passaient les mains dessus.
    Et pourtant, ils arrivèrent à l’étage sans encombres. Sur un côté, ils virent des bureaux, probablement ceux auxquels menait l’escalier de service de la salle avec le canon. De l’autre, ils purent contempler la salle de manufacture d’en haut, avec un balcon intérieur faisant le tour de la pièce.

    Les machines les plus grandes arrivaient d’ailleurs à leur niveau, formant au centre du hangar une forêt de pylones d’acier. Des grues et autres outils de manutention devaient servir à monter les stocks, le bois, ou à charger les fourneaux.
    Kurn intégra tout cela d’un coup d’œil, accroupi en haut de l’escalier, prêt à se jeter en arrière si nécessaire. A côté de lui, Landacier se redressa doucement, ayant également pris la mesure de la situation : c’était désert. Il gratta sa moustache de chasseur de prime et son début de barbe, pensif. Est-ce qu’il pense à se raser ? Ce n’est vraiment pas le moment…

    L’homme pointa les traces de pas qui se croisaient et s’entrecroisaient sur le sol, dans la poussière. Puis il se dirigea vers la fenêtre la plus proche, et tenta de laver le carreau avec sa manche, sans grand succès, avant de coller son visage contre la vitre pour regarder au dehors.
    « Putain ! S‘exclama-t-il.
    - Hm ? »
    La rascasse se rapprocha pour regarder lui aussi. Et il put voir des formes s’éloigner en courant du bâtiment, sans même un regard en arrière.
    « Kurn, tu t’souviens, quand on disait que y’avait probablement encore d’la poudre ? »

    Le temps que la nouvelle fasse son effet, l’ingénieur avait déjà fracassé la fenêtre d’un coup de coude bien senti et sautait de l’étage. Kurn le suivit sans hésiter, se ramassant d’une roulade amortissant mal le choc. Côte à côte, ils rampèrent puis se remirent à quatre pattes pour s’éloigner le plus possible, même de quelques mètres supplémentaires.

    L’explosion fut tonitruante. Elle avait dû retentir sur la moitié de l’île. Laissant tomber toute tentative de fuite, ils s’allongèrent dans l’herbe, les mains couvrant la nuque, le crâne. Le souffle de l’explosion passa en trombe au-dessus d’eux, brûlant, leur écorchant les tympans.
    Rapidement, il fut suivi par une avalanche de gravats, de morceaux de plus en plus conséquents qui s’abattirent sur leurs jambes, leur dos, leurs doigts. Heureusement que je me couvre, pensa confusément Kurn.

    Puis l’homme-poisson, malgré son gabarit conséquent, se sentit soulevé du sol quand un énorme pan de mur s’écrasa juste à côté de lui, là où Landacier se trouvait. Cela lui arracha une inspiration hachée, inquiète. Mais la tempête n’était pas finie. Il fallut encore une dizaine de secondes avant que l’air ne retrouvât son calme habituel, encore que la végétation tremblait encore du chaos engendré par l’explosion de la fabrique de poudre et de canons.

    Kurn se redressa, en regardant l’endroit où se trouvait Landacier. Si jeune, à peine membre de leur équipage nouvellement formé et… Et l’ingénieur des Veinstone se releva en position assise, juste de l’autre côté du pan de mur. Au dernier moment, il avait roulé sur le côté, esquivant, probablement par chance, l’énorme débris.
    « Ah, les salauds. Le canon, l’explosif. Ils prévoyaient depuis l’début d’nous attirer dans cette saloperie et d’tous nous faire sauter !
    - Ils sont entrés dans ce bâtiment, juste en face.
    - Cette fois, on va pas les louper. »


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    Les deux hommes se redressèrent. Il était important d’agir vite tant que cela était possible. Avec toute la poussière soulevée par l’explosion, les Jazzmen n’avaient peut-être pas pu voir qu’eux avaient survécu. Donc, avant qu’elle retombe, il leur fallait se mettre à couvert, de préférence suffisamment près pour les avoir sous la main.

    Remontés à bloc, ils sprintèrent jusqu’à la maison, une simple habitation qui appartenait peut-être au contremaître de l’usine. Et là, ils se plaquèrent contre le mur, de part et d’autre de la fenêtre principale. Et tout se calma à nouveau, se figea. Le fracas du bâtiment s’auto-détruisant allait probablement attirer du monde, des badauds d’abord, les autorités ensuite.

    Mais en premier, les Jazzmen, qui devaient admirer leur travail de loin. Le fenêtre s’entrouvrit, et des voix indistinctes échangèrent quelques paroles.
    « … ler vérifier.
    - Ouais. Et puis bouger.
    - Oui, partir fissa, avant que le vacarme leur fasse taper aux portes et nous tomber dessus.
    - Une vraie saloperie, ce contrat. Devaient pas y avoir de résistance sérieuse, on devait tous pouvoir…
    - Tant pis, on sort de là. Il nous a préparé un navire pour le départ, jusqu’à l’île la plus proche. »

    Sans attendre davantage, Landacier plongea tête la première dans l’ouverture murale, rapidement suivi par Kurn. Une roulade et ils firent irruption au milieu des tueurs à gages, dont la moitié se trouvait à côté de la porte.
    Un coup d’œil suffit à l’homme-poisson pour prendre la mesure de la pièce. Une seule pièce, pas d’étage. En guise de mobilier, une simple couchette avec une table de nuit, une cuisinière et pas de table de la salle à vivre.

    Mais, surtout, cinq Jazzmen armes dégainées qui, bien que surpris, restaient suffisamment entrainés pour réagir au quart de tour. Les balles frappèrent le sol là où les deux pirates se trouvaient l’instant d’avant. Landacier avait bondi au milieu du groupe, semant le chaos à coups de poings parfois un peu brouillons mais largement suffisants. Quant à lui, Kurn avait roulé en arrière jusqu’au lit, qu’il souleva avant de le lancer dans le tas.

    Son binôme se plaqua contre le mur, laissant le meuble écraser deux adversaires et profita de l’intervalle pour en assommer un troisième, avant d’être rejoint par la rascasse. A deux contre deux, les Jazzmen furent rapidement subjugués et ceux qui se relevaient à peine furent couchés à nouveau.
    Kurn massa sa mâchoire, qui avait pris un mauvais coup, et regarda l’homme.
    « On fait quoi ?
    - On les ramène au capitaine…
    - Comment ?
    - On les attache ? Et on les porte ?
    - Cela va être lourd.
    - Même pour un grand gaillard comme toi ? Merde. Et si on les fait marcher, alors ?
    - Ca devrait aller, pour peu qu’on les surveille suffisamment. Attachés. »

    Le drap de la literie renversée fut prestement déchiré pour créer des longueurs de toiles qui furent enroulées autour des cous des tueurs à gages. Les nœuds, marins d’ailleurs, étaient faits bien serrés afin d’empêcher toute velléité de révolte. Une poignée de baffes en réveilla un.
    « Jazzman.
    - Vous voulez quoi, à la fin ? Qui vous envoie à notre poursuite ?
    - Personne. Nous travaillons pour le capitaine Maxwell Percebrume.
    - Vous vous vengez ?
    - Pas du tout. Nous ne vous ferons même aucun mal.
    - Enfin, si vous collaborez. Sinon, ça nous gêne pas d’buter trois ou quatre d’entre vous, tant qu’il en reste un ou deux… Et ensuite, on verra quelles méthodes on utilise.
    - … Donc ?
    - On veut qu’vous crachiez officiellement l’blaze de vot’ employeur.
    - Et ensuite ?
    - Ensuite, vous partez.
    - Je peux voir avec mes collègues ?
    - Faites. »

    Quelques phrases précipitées plus loin, le consensus était atteint, et tout le monde se leva dans un bel ensemble. Le drap qui attachait les Jazzmen s’achevait dans les poings de Landacier et Kurn, qui tenaient fermement leurs captifs. Il s’agissait maintenant de faire hâte : l’embuscade n’avait duré que quelques instants, et déjà les cris se rapprochaient, pour examiner les restes de l’usine.

    Ils s’engouffrèrent à la queue-leu-leu dans une série de ruelles qui les rapprochaient petit à petit de leur Quartier Général, l’hôtel réservé pour eux par le maire captif, Blop. Tout d’un coup, un homme totalement caché dans une cape et une capuche profonde surgit derrière Kurn, qui fermait la marche.

    Avant que l’homme-poisson ne pût réagir, le coup de poing de l’inconnu l’envoya contre le mur le plus proche, le sonnant une fraction de seconde avant qu’il ne se redresse instinctivement, les bras en croix pour parer un coup de pied droit sur son visage.

    « Kurn !
    - Continue avec les Jazzmen, Landacier, je m’occupe de lui.
    - Euh, t’es sûr que c’est pas l’inverse, là ?
    - Nous devons réussir la mission qui nous a été confiée, à savoir ramener les tueurs. Tu peux les menacer de tes armes pour être sûr qu’ils suivent. Et revenir m’aider ensuite.
    - J’suis pas sûr que c’soit l’bon pl…
    - Ca va aller ! Foi de T’Erlhitan !
    - Raah ! »

    Landacier tira une balle vers l’inconnu, qui l’esquiva d’un pas de côté, avant de partir en tirant sèchement sur la corde. Au moins, leur part serait accomplie. Kurn écarta toutes ces considérations et se concentra sur le combat : son adversaire semblait bien dangereux pour lui.
    « Qui t’envoie ?
    - Que t’importe, homme-poisson ? Tu vas mourir.
    - Nous verrons.
    - Je serai le seul à le voir. Ceux qui verront l’avènement d’une ère sans monstres de ton espèce seront les Mers Pourpres !
    - Voilà qui répond à ma question… »

    D’un mouvement presque trop rapide pour la rascasse, le tueur fut sur lui, enchaînant les frappes aux cotes, au visage, aux jambes. L’homme-poisson parait la majorité, mais des impacts et des contusions se mirent à apparaître petit à petit sur son corps.
    Avec un rugissement, Kurn accéléra la cadence de ses parades, puisant dans les techniques du karaté qu’il connaissait. Il bloquait du poing, parait du poignet et n’hésitait pas à y mêler des techniques d’autres arts martiaux, comme le muay thaï, utilisant ses genoux et ses tibias pour bloquer les attaques basses.

    Au bout de quelques minutes qui parurent des heures aux combattants englués dans leur duel, l’homme-poisson pensa avoir une meilleure perception de son adversaire, de son style de combat. Et, effectivement, il parvenait à mieux anticiper les assauts, identifier les feintes. Et même si les dégâts pris au tout début, au dépourvu, entachaient légèrement ses capacités, il parvenait à faire jeu égal avec l’inconnu.

    Le souci, c’était que le jeu était trop égal : plus aucun duelliste ne réussissait à toucher l’autre, les bras étant un flou qui ne s’arrêtait que quelques fractions de secondes sur des tentatives –avortées, de projection.

    Son ennemi fut soudain destabilisé par un creux dans la route, là où un pavé avait été délogé. Kurn saisit sa chance. Le pirate abattit son pied droit au sol et pivota puissamment pour lancer un coup de poing qui toucha enfin son adversaire. Sa tentative de blocage fut trop faible pour réellement être efficace et l’envoya heurter le mur le plus proche, à trois mètres de là.

    Il se releva sans marquer d’arrêt, de douleur ni rien.

    Au grand dépit de Kurn.

    L’instant d’après, c’était trop tard. Son adversaire était à nouveau au contact, et une intense douleur suivie d’un engourdissement le submergea. Il ne pensa qu’à une seule chose.

    Electricité.

    Mince.


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    Les gonds de la porte sautent, mais nous sommes prêts. Sabre et pistolet à la main, j'offre un regard grave aux soldats de la Marine qui déboulent dans le bureau du quotidien de Poiscaille. Je te jette un coup d'œil, Napoléon, mon frère d'arme courroucé, alors que Austin Woodridge se carapate au fond de son bureau encombré. Le visage livide, l'air terrifié, il se fait tout petit sous une pile de bouquins. Le métier de journaliste perd tant de son éthique et de sa noblesse lorsqu'on y priorise la Peur aux dépends de la Vérité. Austin est un de ces journalistes dénaturés, dont la carrière a régressé au point de pion. Un pion réduit à l'état d'esclave sur l'échiquier du mensonge. Esclave de ses peurs, esclave du mensonge.

    Je pointe mon sabre d'abordage vers la dizaine d'hommes en uniforme armés de mousquets. Jeunots, vieux vétérans aigris, uniformes mal repassés, tâchés par endroit, barbes mal rasées. Visiblement, la corruption vient accompagnée l'assagissement des troupes, car de loyauté il n'y a plus même face à l'instance suprême lorsque l'or tinte plus fort que les ordres et le Devoir. Lorsque l'acier de ma lame chante face à eux, ils ont comme un mouvement d'hésitation. Pensant probablement avoir affaire à une arrestation de routine, j'ose croire que l'idée d'avoir à combattre ne leur était pas passée par la tête. Tu craches et couines avec colère, Napoléon, en leur montrant tes deux reluisantes et vengeresses incisives.

    - Messieurs, rentrez chez vous ou goûtez à ma lame. Je suis le Capitaine Percebrume, pirate et homme libre ! Et sachez qu'on ne retire pas facilement sa liberté à un homme de ma trempe !

    Ils s'échangent des regards, cherchant le courage dans les yeux de leurs compatriotes. Puis ce sont des ordres venant de l'extérieur du bureau qui fusent.

    - Allez ! Capturez-le ! lance une voix quelque peu blasée.

    Ils sont plus nombreux que nous pensions, puisque visiblement d'autres attendent à l'extérieur, l'espace du bureau étant trop exigüe pour permettre à toute leur patrouille de m'encercler. Eh bien, si l'intimidation n'a pas lieu de fonctionner, le combat semble inévitable. En garde ! Je braque mon pistolet vers le pied du premier soldat face à moi ! Le feu et le son ont tôt fait d'injecter un plomb directement dans la botte du vieux barbu à l'air torve qui braquait son mousquet vers moi. Il lâche son arme pour se rouler au sol, le pied en charpie.

    - Allez ! Foutez lui une raclée !
    - Lubies d'hommes corrompus ! Napoléon, en avant !

    Du sabre, je pare un premier estoc venu d'une baïonnette, avant d'assommer son propriétaire d'un rapide coup de la crosse de mon pistolet. Je repousse un soldat vers deux de ses camarades d'un bon coup de pied au ventre, puis frappe un homme de mon pommeau en plein sur la pommette. À ton tour, Napoléon, tu t'élances de tout ton poids vers un des marins, le renversant contre une bibliothèque dont plusieurs ouvrages s'écrasent sur le crâne du jeune soldat. Pauvre gamin assommé, il n'a à peine de poils sur le menton qu'il a déjà vendu son âme au culte de l'avarice et de la tyrannie. J'exècre tant ce que les hommes s'infligent parfois à eux-mêmes, victimes de leurs propres tares et de choix qu'ils ne font que par bénéfice et jamais par conviction profonde. Désolant, comme cet estoc que j'esquive d'un vif pas horizontal, avant de désarmer le sabre du soldat d'une habile botte. Une fois désarmé, l'homme fixe ses mains vides d'un œil hagard avant que je ne le tacle contre un de ses camarades.
    Je te suis de l'œil un court instant, mon brave capibara, pour te voir mordre à pleines dents la main d'un marine qui en hurle de panique. Fier compagnon, va.

    D'autres soldats s'engouffrent dans le bureau, ne me laissant qu'un bref répit avant que je ne bloque et ne pare des coups supplémentaires. Mon sabre chante et tourbillonne autour de moi comme une muraille d'acier, alors que ma crosse vole et écrabouille les crânes. Un croc-en-jambe à gauche, un désarmement à droite, un coup de pommeau en plein sur le nez pour un troisième assaillant. Rapidement, les effectifs frais et dispos s'amoindrissent autour de moi. Ceux qui osent encore me porter des coups le font avec crainte et hésitation, le regard médusé par mes bottes et mes vives attaques.

    Mon genou coupe le souffle d'un matelot avant que mon pommeau ne s'abatte sur son crâne. Toi, Napoléon, tu termines de t'occuper de ton propre adversaire en t'asseyant sur sa tête déjà dans les vapes. Les quelques soldats restants reculent vers la sortie du bureau avec lâcheté. Peuh ! Pleutres !

    - Vous voyez ! À brimer les rêves des autres on perd son propre chemin. Évitez-vous donc le sort de vos compères. Je n'ai pas osé utiliser ma lame, mais je pourrais très bien changer d'av-

    Je m'interrompt. Sur ma nuque, il y a la caresse glacée d'un canon. Tu couines de panique, Napoléon, lorsque tu aperçois celui qui tient ma vie en otage. Tsss… Je me doute bien de qui il s'agit. Un autre pathétique et manipulable pion qui s'est laissé emporter dans la spirale de la peur. Austin Woodridge, un six-coups entre ses doigts tremblants, la mine contrite, la respiration chevrotante.

    - Rendez-vous, Capitaine Percebrume…
    - Ils vous ont payé depuis le début. Vous les avez prévenu dès que je vous ai contacté.
    - …
    - Allez, dépose tes armes, pirates. T'es en état d'arrestation.

    Mes mains se crispent, puis je me résous à laisser tomber mon pistolet et mon sabre. Nous voilà dans de beaux draps, Napoléon.
    Hgh ! Un solide coup derrière ma tête ! La douleur se répand dans mon crâne à la vitesse d'une décharge électrique. Mon regard se révulse. Fondu au noir.  
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