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La Rancœur

Il est tard sur Verne. Même si certaines machines sifflent encore au loin, le soir est là. Derrière les épaisses fumées de la journée, la nuit est tombée. Mais sur les quais, l’air est respirable, le vent marin parvient à éloigner une partie de l’haleine des cheminées. Louise est encore là, l’ahuri et son cormoran aussi. Elle n’est pas partie finalement. Comment l’aurait-elle pu après la réaction de l’autre con ?

Il connait William, il a déjà entendu parler de lui et, pour une obscure raison, il semble le détester autant qu’elle.

Putain. Pourquoi ?

Elle en sait rien, il a rien voulu dire. Veut rien dire tant qu’elle a pas déballé son sac. Alors ils en sont là, ce soir, assis sur un muret sur les docks, à avoir une conversation que Louise aurait préféré ne jamais avoir. Bien sûr, elle aurait pu se faire la malle avec son adresse et laisser l’autre dans l’ignorance, mais il a des informations aussi, il a quelque chose qu’elle veut savoir, qui concerne William, qui concerne son William, celui que ne sera peut-être pas l’homme mentionné par Seth.

Ils sont là.

L’autre con l’a invitée, comme promis. Mais comme elle aurait pu s’en douter, pour lui, une invitation, c’est manger liquide. Ceci dit, ça lui convient. Rien de tel qu’un alcool fort pour rassembler un maigre courage et délier une langue.

Le temps file. Il faut beaucoup d’alcool pour alléger une langue de plomb. Elle n’a pas la tête qui tourne assez pour commencer à parler. Mais ça vient. Difficilement. Mais ça vient.

Et finalement, la voilà, recroquevillée comme une petite fille. Elle embrasse ses genoux, les presse contre ses seins, comme si cela pouvait suffire à la protéger. Elle se sent petite. Comme à chaque fois qu’elle repense à « l’incident », elle se retrouve engoncée dans ses souvenirs, perdue dans  son incompréhension adolescente. Chaque détails du jour figés dans son esprit, irrémédiablement marqués au fer rouge dans sa mémoire, brûlants, incandescents et plus douloureux qu’ils ne devraient avoir aucun droit de l’être.

« William est… »

« il était ? »

« Il… »

« Merde. »


Louise, va chercher ton frère, il faut qu’il vienne souffler ses bougies.

Elle serre les lèvres à s’en faire mal, se les mord jusqu’au sang. Punition pour ne pas laisser sortir les mots.

« J’avais quatorze ans quand il nous a quitté pour la Révolution. Sans prévenir. Il est parti. Sans un mot, ni un regard pour moi. J’ai rien vu venir. »

Ces paroles, elle les a prononcé pourtant, il n’y a pas si longtemps. Parce qu’Elle en valait le coup.

Un frisson fait tressaillir Louise. Elle ressert son étreinte autour de ses mollets. L’alcool lui embrouille l’esprit et l’empêche de réfléchir.

Louise, qu’est-ce que tu penses des révolutionnaires ? Tu crois qu’ils sont aussi terribles que ce que le gouvernement veut nous faire croire ?

« Mon frère. »

On va faire un tour en ville avec Daniel, si tu veux venir, dépêche-toi avant que les parents nous voient ou je vais encore me prendre une rouste !

Dans le ciel, des sillons de fumées dessinent des formes abstraites et hypnotiques. Elle y perd son regard.

C’que t’es chiante quand tu t’y mets.

« Révolutionnaire. »

Elle avale quelques gorgées de rhum pour faciliter le passage aux mots. Elle s’enivre, tout se confond. Avec de la chance, elle ne se souviendra de rien demain.

« Il s’est tiré comme un… comme un… un connard ! Ouais, voilà, un putain de connard. »

L’alcool embrase les mots et les pensées. Les regards. Elle fiche le sien dans les yeux dorés de l’autre con qui tient tellement à la faire parler. Comme si c’était important ce qu’il s’est passé. Comme si c’était putain de nécessaire de ressasser ces. Foutues. Conneries. De merde.  

« La voilà l’histoire. T’es content ? Mon grand frère a foutu le camp. Il est passé tout droit devant moi sans m’accorder un putain de regard. Il a ruiné ma famille, il a tout foutu en l’air pour des conneries vouées à l’échec. »

Maman, pourquoi Will est parti ?

« Si je le retrouve, je le tue. »

Elle siffle le reste de la bouteille pour noyer les mots qui restent. Ceux qui sont trop durs à sortir, ceux qu’elle veut faire taire. Tuer dans l’œuf ce qu’elle refuse d’admettre. Nier en bloc qu’elle a déconné toute seule. Que si elle en est là aujourd’hui, c’est qu’elle a jamais été foutue d’admettre que c’est sa faute à elle si elle peut pas tourner la page. Que c’est elle, elle, elle, qui a rejeté le monde. Encore et toujours putain d’elle qui est trop lâche pour admettre qu’elle a déconné, qu’elle a tout foutu sur le dos de son frère jusqu’à ne plus pouvoir revenir en arrière.

C’est sa faute à elle.

Mais ça, elle ne l’admettra jamais.
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Depuis douze heures au bas mot, nous sommes là, toi et moi, et le Cormoran aussi, à voir nos oreilles souffrir d'un acouphène bien trop réel. À entendre nos yeux larmoyer, suintant par l'iris des eaux usagées, contaminées par les odeurs d'une sombre ville qui n'a pas été dépoussiérée depuis les années quinze cent et des broutilles. J'ai la salive âpre, c'est dire, et je sue rouge tant j'ai bouffé par tous les pores de la peau des gaz aux couleurs chaudes et aux significations plus floues que ta tronche dans ton cul. De bouteille, hein.

Dans les grandes lignes, j'aime bien me ressourcer. Ou tout du moins, j'aimais bien ça quand, en sortant du ranch de mes parents bouseux, j'ai vu pour la première fois une ville et n'en suis jamais reparti. Un dépaysement total, comme on dit. J'ai quitté l'herbe des pâturages pour gagner celle des villes : celle que l'on fume. Et j'ai trop aimé ça pour en partir. Les voies et les rues, les magasins, tous plus entreprenants pour violer ton portefeuille, les couleurs et les son. Les gens aussi. Des douze visages que je voyais en boucle durant mon enfance, je suis passé aux cent mile. Aux cinq cent mile. Au million. Y ai découvert le plaisir d'admirer une ribambelle de filles aux jambes nues.

Là, c'est tes jambes longues et fines auxquelles j'ai le droit, et en guise de dépaysement, une ville aux grondements incessants que même au plus loin possible, tout contre la mer et ses langues d'écumes, j'ai l'impression qu'on est toujours plongé dans le bain-marie des percussions et des sifflements ; avec sur la peau, la sensation d'avoir été plongé dans la mélasse à cause des vapeurs de graisses et d'huiles qu'ils utilisent pour nourrir leurs moteurs. Putain de ville de tarés.

Et toi, t'es là, le visage bas, penché sur ta boisson, comme une toxicomane, qui tremble et dont la voix chevrote, comme une vieille, qui arrive pas à aligner deux phrases. Je savais qu'il y avait un truc pas net chez toi, mais pas de ce genre. Enfin, tu me diras, c'est toujours mieux que le Sasuke qui poursuit un frère faussement salaud parce qu'il a soi-disant buté toute sa famille par plaisir. Ouais, je préfère largement ton histoire. Beaucoup plus sentimentale. Beaucoup plus crédible.

Beaucoup plus débile.

J'ignore le regard que tu me lances et je jette au Cormoran une pierre qui va rebondir contre un muret un peu plus loin. Il court comme un chien fou, manque de glisser sur une flaque d'eau comme s'il avait des putain de savonnettes à la place des palmes et tente de le gober avant de rediriger son attention sur un lézard aventureux qui s'est pas rendu compte que le soleil était allé baiser avec la lune depuis un petit moment déjà. Dans la main droite, j'ai le goulot d'une bouteille que j'essaie de siroter. Et rien que ça, c'est contraire à mes habitudes. Parce que d'ordinaire, c'est cul sec. Parce que d'ordinaire, c'est la main gauche. Mais la gauche est bandée, alors...

En gros, tu t'es fait un putain de film, t'as créé un complexe d’œdipe à la con, et quand ton frère a voulu faire sa vie, t'as eu envie de le tuer. J'peux pas dire si c'est puéril ou touchant.

Non parce que la crise d'adolescence, c'est avant qu'on la fait, en général, et ça dure pas si longtemps. Et c'est pas contre son frère que l'on envoie balader le monde entier. Théoriquement c'est contre son père, sa mère, à la limite son violeur. Parce qu'on a pas assez d'argent de poche, ou qu'on a refusé de te filer un poney, ou ce genre de choses. Non, en effet j'y connais pas grand chose. Je te rappelle que j'ai jamais vu mes filles grandir. Ou du moins, pas assez pour voir ce que ça fait. Quoique la grande s'est barrée avec un inconnu à douze ou quatorze ans. Niveau crise d’adolescence, elle se place là.

Ou alors c'est un syndrome de Stockholm inversé.

Je me lève du muret et déplie mes jambes parce que ce qui est pour toi un truc assez haut est pour moi juste une haie qu'il faut enjamber. J'sais pas trop pourquoi, mais en fait, tu m'amuses comme ça. T'as vraiment pas l'air dans ton assiette, et je crois que c'est ce qui me fait saliver. Te voir recroquevillée ainsi, à gueuler pour te défendre comme un goret que l'on retire d'entre les pattes de sa mère. T'as plus l'air aussi menaçante, aussi arrogante, aussi chiante. T'as presque l'air d'une gamine, et tu fais tout de suite vachement plus ton âge que d'ordinaire. Putain, vrai qu't'es jeune en fait. Tu dois pas avoir trente ans. T'as pas beaucoup plus de vingt même. Hé. T'as un putain de caractère pour ton âge, au quotidien en vrai. Moi je souris pas, je te regarde pas, je laisse les gongs distants d'une ville en constante effervescence me laver les tympans. Puis je termine.

T'as jamais pensé à balancer ta haine sur quelqu'un d'autre ?

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T’aurais mieux fait de regarder.

Ça lui aurait permis de voir la bouteille partir au lieu de la sentir arriver. Le bras de Louise a bougé si subitement qu’elle-même n’a pas eu le temps de comprendre avant de sentir l’impact du verre contre la gueule de l’autre abruti. Un geste, pur réflexe, qu’elle ne regrettera pas.

La bouteille explose contre la pommette de Diele, ou bien est-ce l’inverse, difficile à dire. Le long de ses doigts, Louise sent l’alcool couler, dans ses narines, il se mêle à l’odeur du sang. En l’air, les morceaux de verre redescendent comme au ralenti, attrapant au passage quelques reflets lumineux qui jouent d’une manière irréelle sur le visage des protagonistes. L’effet n’est pas sans rappeler les jeux de lumière dans la serre d’Hamm. Repenser au charbonnier n’est pas pour la calmer, de fait, la blonde colle un nouveau coup au charpentier.

De toutes les réponses, de toutes les réactions que ce connard de binoclard aurait pu avoir, celle-ci doit être la pire. Alors Louise frappe encore avec les débris de bouteille qui lui glissent entre les doigts et lui écorchent la peau. Elle ne se soucie pas de la profondeur des coupures, les siennes ou les autres, elle frappe. Trop ivre pour prêter garde à la douleur, trop saoule pour écouter la raison, elle laisse l’instinct primer. Cet instinct qui lui hurle de la boucler, de faire taire l’autre et ses paroles pernicieuses. Et elle aurait continué à frapper, dans sa colère éthylique, si un cri suraigu ne lui avait pas vrillé suffisamment les tympans pour détourner son attention.

« Braaaaak »

Le cormoran, toujours.

« Braaak, braaaaaak, braaaak ! »

Paniquée, la bestiole s’agite d’une palme sur l’autre, agite vainement les aigles en perçant la nuit de ses cris angoissés. Louise lui balance un coup de grolle pour le faire dégager, ignorant les éclats de verre fichés dans son plumage.

La situation fait tellement écho à celle d’Hinu Town que Louise pourrait en rire. Ou en pleurer, elle ne sait plus très bien. Les émotions sont confuses au-delà de la colère. Elle n’est plus certaine de rien. Peut-être même qu’elle se trouve encore à la Ville des sables et que tout ça n’est qu’un cauchemar débile qui va la réveiller en sursaut, pantelante et en sueur, comme souvent lorsqu’elle s’octroie le luxe d’une vraie nuit de sommeil. Peut-être que la douleur qu’elle ressent n’est qu’un reflet atténué de celle de sa gueule contre le comptoir de cette auberge maudite où elle a fait une mauvaise rencontre. Les bruits de rouages alentours sont sans doute dus au travail des ouvriers qui réparent le bar. L’odeur des fumées vient sûrement d’un feu de cheminée, quelque part, pour réchauffer une nuit glaciale du désert. Peut-être même que, quelque part, non loin d’ici, Waka l’attend. Elle doit être furieuse que Louise soit partie sans mot dire. La rousse au tempérament de feu n’est pas du genre à se laisser abandonner ainsi. Louise aurait probablement dû lui laisser un mot d’excuse, quelque chose. Lorsqu’elle se réveillera, elle devrait essayer de la retrouver pour tout lui expliquer, la convaincre qu’elles ne peuvent pas rester ensemble, que Waka n’en souffrirait que plus. Elle ne se laissera pas persuader facilement, mais au bout du compte, elle comprendra. Elle en voudra à Louise, probablement mortellement, mais elle la laissera partir, comme elle avait failli le faire à Las Camp. Elles se sépareront proprement et, avec un peu de chance, Waka s’en sortira mieux qu’elle.

« Braaaaaak ! »

Mais ça n’arrivera pas.

Louise est toujours sur Verne.
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La douleur est lumineuse. Un éclat, un flash. Et les couleurs chaudes qui lui correspondent irradient dans l'esprit comme des douzaines de fusées d'artifices aux nuances de rouge. Du rouge, toujours du rouge ; partout du rouge. J'ai l'impression d'avoir droit à un spectacle en son et lumière que j'avais pas prévu. Et je tournais le dos à la scène. T'es la seule actrice, la principale, et t'as l'arme du crime. La bouteille qui se brise contre mon visage me balafre lamentablement tout le côté. La joue. La lèvre. L'oreille. L'arcade. Mes lunettes s'envolent. La violence du choc me fait tituber ; me fait reculer. L'impact résonne dans ma tête comme le glas macabre du destin qui se fout de ma gueule. T'as voulu jouer t'assumes qu'il me dit et plus loin le tintamarre de la ville est relégué à la place de simple berceuse tant le glas m'assaille. Il est bien dit que mon bras gauche se tend pour limiter la casse, au même prix que mes yeux se ferment dans l'espoir de ne pas prendre un éclat qui serait fatal à ma rétine déjà bien bouffée. Mais ça ne changera rien. T'es trop vive pour mon vieux bras. Et bientôt je suis lacéré du poignet à l'épaule, puis de l'épaule à l'aine. Des blessures défensives. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ?


Y'a pas d'odeurs comme celle du sang.

Y'a pas de couleurs comme celle du sang.

Et des conneries comme celles-ci, je les connais bien. Parce que le sang, surtout le mien, imprégné sur mes vêtements, sur les murs, sur les miroirs, je l'ai apprivoisé. Ce soir, je le reconnais, lui fais la fête. Il me lèche le visage, se repend sur moi, amoureusement. Bordel. Il m'avait pas manqué. Cette odeur ferrugineuse et ce goût de pile ; ce poisseux qu'il laisse derrière lui en s'étalant. Ils sont uniques. Je le chéris encore puis plaide coupable. Coupable. Encore.

Je m'écroule au sol, la gueule et le corps recouvert de sang, l'esprit hagard. Tu aurais pu me tuer facilement, mais j'ai le cuir solide, épais, et toi une pauvre bouteille réduite au tesson à force de s'émietter sur ma peau et mes os. Ta peau de chagrin est réduite à néant et tu préfères filer des coups de pieds au Cormoran plutôt que d'achever un pauvre con comme moi. T'as laissé passer ta chance. Je secoue la tête et me redresse plus promptement que la mare de sang l'aurait laissé supposer. Hé. Je dois avoir un bon litre et demi de plus que le commun des mortels dans le corps. Deux mètres cinquante, ça a parfois ses avantages.

Si je devais compter, j'suis sûr que je trouverais l'équivalent de cinquante coupures écorchures égratignures ou truc du genre et une petite dizaine de belles balafres. J'ai la pommette qui hurle de douleur ; j'aurai sûrement un bel hématome. Par contre, j'ai l'arcade sourcilière bien amochée. Et ça doit être la blessure qui saigne le plus. Je peux plus ouvrir l’œil droit à cause de tout ce sang qui s'est planqué entre les paupières. Mais même avec un seul œil ouvert sur ce monde de brutes que nous incarnons tous les deux, j'peux voir que je suis pas forcément le plus hagard des deux. Mon bras droit fuse. C'est pas celui avec lequel je suis le plus à l'aise, mais il suffit à te prendre à la gorge avec hargne et véhémence. Je serre pas, ce soir. Ce soir, je te soulève pas. T'as juste cinq doigts gros comme des racines qui t'enserrent. Et je sais que ta réponse sera à la hauteur. Et quelque part, je l'attends. J'espère que tu m'éclates la tronche sur le pavé. Juste retour des choses ? Thérapie du sac de sable ?

Héhé. Putain de flagellant, ouais.

Tu le touches je t'écorche.


Dernière édition par Diele Timberwhite le Mar 9 Juin 2015 - 16:01, édité 1 fois
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L’étau qui lui enserre la gorge n’émeut aucunement Louise. Au contraire, elle gratifie le geste d’un crachat au visage ensanglanté du charpentier.

« T’es jaloux ? »

Louise n’envisage aucune répercussion en toisant l’autre connard depuis sa poigne de fer. Que ce grand con soutienne son regard plein de hargne. Puisse son œil unique s’aveugler dans la colère de son vis-à-vis, se crever dans le mépris qui l’honnit.

La blonde enfonce ses doigts empoissés de sang dans la chair qui lui étreint le cou. Ses ongles ras ne déchirent pas la peau, mais ses mains tordent et serrent. Elle sent le pouls rapide de l’autre, toutefois ce n’est pas un cœur affolé par la peur qu’elle devine ; c’est un battant enhardi par l’adrénaline. La douleur, la menace et la violence sont de vieux amis pour eux deux, plus fidèles et présents que ces familles regrettées.

Au loin, semblant faire écho à l’ambiance électrique, un coup de tonnerre secoue Verne. Jusqu’ici dissimulés par les fumées de la ville, les cumulonimbus se sont approchés furtivement, à l’insu de tous. Comme si, jaloux des vapeurs industrielles de l’île, ils souhaitaient étaler leur supériorité, imposer leur préséance sur ces brumes vulgaires et dépendantes de l’homme. Loin de s’en inquiéter, les volutes colorées s’animent soudainement avec fracas. Les gigantesques machines de l’île se mettent en branle. Le tonnerre a-t-il donné un sursaut de vitalité aux pendules ? Le temps s’est-il soudainement précipité ? De part et d’autres de la ville, les rouages grincent alors que surgit un champ de mats métalliques. Un autre coup de tonnerre éclate, suivi de près par un éclair, et les paratonnerres s’ébrouent. Leur tête d’acier tendue vers le ciel cherche à s’emparer de la première étincelle venue. Et quelque part, peut-être, un nouveau monstre de métal prend vie pour venir renforcer les rangs mécaniques de Verne.

Une violente bourrasque de vent agite les cheveux blonds de Louise, ses mèches folles se joignant au chaos de son esprit. Peu lui importe l’orage ou la pluie imminente. Au pire des cas, elle sera suffisamment gaugée pour dessaouler.

« Qu’est-ce que tu sais sur William ? »

Elle ne se fait pas d’illusion. La réaction de l’autre a été trop violente pour être honnête. Il sait des choses. Il peut bien étouffer la blonde tant qu’il le veut, elle n’abandonnera pas avant d’avoir eu ses réponses. Sa vie est trop pavée d’incertitudes pour laisser échapper ce genre de chances. Et s’il essaie seulement de mentir, de prétendre ou de feindre, elle lui arrachera la langue pour l’empêcher de débiter d’autres conneries. Elle n’a pas peur et elle ne sera pas la victime consentante ce soir.

Mais l’autre tocard, et sa grande gueule, il ne perd rien pour se prendre une nouvelle torgnole si l’occasion se présente. Comment a-t-il seulement pu oser proférer des paroles pareilles à l’encontre de Louise ? Comme s’il était en mesure de comprendre. Comme s’il pouvait seulement envisager ce qu’elle a vécu. A-t-il pensé à l’espoir douloureux des temps qui suivent le départ ? Est-il conscient du poids du regard des autres ? Ces voisins, ces amis, cette famille avec qui elle a un jour partagé des rires. Des traitres qui tombent dans la suspicion et qui préfèrent reculer que d’être impliqués. Comment l’autre tâche aurait réagi face aux accusations de la Marine ? Devant la surveillance après les premiers éclats de William ? Après les premiers sangs versés ? Il aurait supporté les enquêtes ? L’impossibilité d’oublier ? La colère de ce que ce faux frère est devenu, mais la crainte de voir un représentant de l’ordre annoncer le pire ? Ferait-il toujours le malin, ce connard de binoclard, en ayant conscience qu’il n’y a aucune chance de repentir pour celui dont elle a partagé les jeux ?

« Qu’est-ce qu’il t’a fait ? »

Quelle douleur peuvent-ils bien partager ?
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L'image est figée, comme posée sur une toile par un peintre admiratif. Une toile cirée où la pluie soudainement battante aurait lavé les contours, épaissi les émotions et brouillé les silences. Les lumières de la ville nous éclairent de profil. Nous sommes sous les feux de projecteurs qui n'ont rien à foutre de nous et de nos débats. De nos ébats. La lumière a enflé après l'apparition de l'orage qui réveille les esprit les plus impurs et cupides, avides d'électricité. Elle exacerbe nos gueules de connards et fait rejaillir la moindre de nos veines gonflée de haine ou d'ire affreuses. Les couleurs sont belles et si chaque goutte en brume un peu plus les contrastes, nous n'en ressortons que plus unis dans une émotion semblable et pourtant si incompatible ; un dégradé de colère que le pinceau d'un dieu obscur manie avec habileté.

Mais la toile est imparfaite. Elle nous dépeint inégalement. Car si visuellement je fais presque un mètre de plus que toi et que tu dois lever les yeux vers moi, et même si je suis couvert de sang pour tenter de parfaire ta propre image, j'ai la stature plus haute, plus imposante. Et c'est quelque chose que quelques traits et une bonne dose de réalisme peuvent aisément retranscrire.
Même si c'est subjectif, c'est complètement faux.

Car je ne te domine pas. Pas du tout. Tu es tellement plus grande que moi. Tellement plus droite dans tes pompes. Tellement plus mature. J'ai que la gueule d'un adulte. J'ai les caprices d'un gamin à qui on aurait volé un jouet. Son jouet préféré. En fait, son seul jouet. J'ai la mâchoire serrée, la poigne d'un rhinocéros pourtant. Mais Ionesco l'a bien compris, ce n'est pas la corne qui fait la grandeur d'âme.

Les éclairs zèbrent le ciel, éclairent les maisons. Ils les foudroient, les nourrissent, les abreuvent. Et nous, debout sous la pluie glaciale, c'est de lumière qu'ils nous abreuvent. Et par intermittence. C'est le tonnerre qui nous englobe, qui nous lie, nous, lie d'humanité. Lie d'espoir et de rêves. Oh ! Mes rêves ne sont plus que mare de café amer au fond de la tasse de ma carcasse. Et j'ai beau réfléchir à ce que tu me demandes, j'ai beau tourner en rond les phrases dans ma tête plutôt que mes phalanges dans la tienne, j'arrive pas à donner des mots à ce que je pense. Parce que je me calme lentement devant ton visage noir et dur et violent. Parce que la pluie rafraichit mes ardeurs. Parce que le sang qui me macule s'évapore à la chaleur de mon tempérament. Parce que mon sang sur tes vêtements, lui, est nouveau pour moi, habitué à l'avoir sur les doigts. Et que tout ça m'apaise malgré moi. Et qu'apaisé, j'ai plus de mal à me souvenir de ce que m'a fait ton enfoiré de frère.

Mais gaffe, hein, parce que même apaisé, j'ai la susceptibilité d'un taureau dans une arène.

-Braaaaak !!
-J'y crois pas ! Lâche la sale brute ! Laisse la !

J'suis pas sûr de comprendre ce qu'il se dit. Je tourne la tête, me détourne de toi, pour voir arriver mon con de Cormoran qu'est parti chercher de l'aide. Con de Piaf. J'savais même pas qu'il pouvait reconnaître le danger pour autre chose que lui. Même si le danger dans le cas présent est légèrement écarté. Et dans son sillage de plumes bleues qu'il largue à chaque fois qu'il éternue parce qu'une autre lui est tombée sur le bec, une femme plus petite que toi et au ventre bien rond hâte le pas. Hé. Allergique à ses propres plumes, ça doit vraiment pas être cool. C'comme si j'étais allergique à mon reflet dans un miroir. Hé.

-J'ai dit : « lâche la. »

Le ton est incroyable d'autorité, mais c'est le fusil à canon scié qu'elle pointe dans ma direction qui me fait accéder à sa requête. J'vais pas crever pour des conneries comme ça. Surtout pas la gueule charcutée en quatre par une bonne femme enceinte. Déjà que ma gueule a déjà bien été prise pour un jambon.

-Tout va bien ?

C'est à toi qu'elle parle évidemment. Moi elle m'a pas lâché du regard. Un regard méprisant qu'elle réserve aux misogynes. Elle a beau ne pas être très loin de la vérité par rapport à mon aversion pour les femmes, faudrait quand même qu'elle se rende compte que c'est moi la victime et pas la blonde aux yeux mal faits. Et je sais que la blonde en question n'en restera pas là. Faudra que je fasse gaffe pendant mon sommeil. Ou que je pense à lui répondre. Que je pense à faire le tri dans ce que son frère a réellement fait.

Elle a les cheveux dégoutants d'eau de pluie et son fusil aussi. Et ces détails, eux, sont beaucoup plus flagrants de beauté sur le tableau que nos deux corps déchiquetés par nos démons intérieurs. C'est peut-être ça que recherchait notre cher peintre dégarni. Cette beauté là.

Hé. Il pouvait l'attendre longtemps, chez nous.


Dernière édition par Diele Timberwhite le Lun 27 Juil 2015 - 2:06, édité 1 fois
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« Mêle-toi de ton cul, poufiasse. »

Les tableaux. Vestiges d’un instant, ils sont les témoins mensongers d’une seconde choisie arbitrairement au cœur d’un événement où se cache l’hypocrisie. Combien d’hommes ont vu leur visage souriant peint tandis que leurs mains sanglantes étreignaient les restes de leur dernière proie ? Combien de héros, portés aux nues, alors que leurs exploits dissimulaient quelques actes odieux ?

Et puis Louise, ses cheveux blonds et sa douleur tatouée sur la gueule. Une vraie tronche de martyr comme on aimerait en sauver. Thématique à la con sur cette île, visiblement, entre Susan et l’autre conne au fusil. Mais bordel, les fumées obscurcissent-elles tant la vue que personne n’est capable de voir qu’elle n’est pas une putain de victime ?

« Quoi ? »
« Je t’ai entendu… Non, pas ça, l’inverse. Tu m’as entendue. Casse-toi, c’est pas tes affaires ! »
« J’aime pas trop qu’on me cause comme ça. »
« Alors fallait rester chez toi, conasse. »
« Tu viendras pas te plaindre si tu finis dans le caniveau. Mais que je prenne pas ce type à toucher à une autre fille, ou je lui plombe sa grande carcasse. »
« Moi. Ouais… Moi d’abord. »

Sur ce, l’engrossée tourne ses talons humides et Louise se retient de faire de même dans la gueule de l’empaffé qui ne daigne pas lui répondre. Rapidement, le sploch, sploch des pas de la femme disparait sous l’averse. Le tonnerre gronde au loin et les éclairs continuent de frapper inlassablement les paratonnerres de la ville. Les rouages de Verne grondent et se mêlent à l’orage, donnant à la scène un air de fin du monde.

« Braaaaak ! »

L’oiseau volette en tout sens, affolé, impuissant, mais à bonne distance de l’étrange duo sous la pluie. Il piaille avec l’orage et hurle avec la foudre. Louise n’y prend plus garde.

L’alcool fait trop vite battre son cœur et dans ses tempes le sang afflue assez abondamment pour être palpable. L’adrénaline du danger momentané apporté par la bonne femme accélère sa respiration et fait trembler ses membres. Mais elle ne lâchera pas l’affaire. Elle se jure de ne pas démordre tant qu’elle n’aura pas soutiré les informations de l’autre con. Elle a besoin de savoir. Plus que tout, elle en a besoin. Respirer, manger, boire, dormir ne sont que des conneries futiles en cet instant. La nécessité de savoir, d’apprendre ce qu’il s’est passé avec William supplante tout le reste. Tout.

Alors elle se raccroche encore une fois à l’ahuri, elle empoigne sa chemise, sa main se crispe à ne pouvoir s’en défaire et elle tire. Elle tire jusqu’à lui faire courber l’échine, jusqu’à lui empoigner le col de sa main crasseuse de sang et d’eau de pluie polluée. Elle serre si fort le tissu qu’elle l’entend craquer, qu’elle sent l’écorchure de ses ongles sur sa peau à travers la poignée d’étoffe à laquelle elle s’agrippe comme si sa vie en dépendait. Et elle ignore la crampe qui menace de poindre sous la pluie glacée, son cœur affolé par son souffle nerveux.

Elle impose le silence à son corps et pose ses yeux durs et dépareillés dans le regard mordoré de l’autre.

« Qu’est-ce qu’il a fait ? »
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Dans la catégorie des bornées, des têtues, des pisseuses, tu tiens la palme. Héhé. C'est presque distrayant de te voir te mettre dans tous tes états pour ton frère qui t'a larguée comme on jette un slip sale sur une corde à linge et qu'on prendrait pas la peine de retirer malgré le vent et la tempête qui s'annonce. C'est enrichissant de te voir hors de toi parce que ton frère, ce William, t'as traité toi et ta famille comme du linge mité. Hé. J'aurais fait pareil, je crois, si je t'avais eu à la maison pendant – combien ? Dix-huit ans ? Ou alors je t'aurais scarifié les joues comme un clown. Je sais que j'en prends plein la tronche et que ta haine je la reçois à la gueule comme un mollard. Mais je prends mon pied à te regarder répandre tes sentiments autour de toi comme une incontinente.

Et quelque part je te comprends parce que je suis pareil la plupart des nuits.

Mais tu as raison, malgré ça. Je n'ai aucune fichue idée de ce que tu as vécu. Je ne sais pas vraiment ce que ça fait que de se faire regarder de travers dans la rue parce qu'on a une mauvaise image de toi. Je ne sais pas ce que ça fait que de se faire soupçonner sans cesse et d'être le centre des doutes des flics du coin dès qu'une merde arrive et qu'ils ne savent au premier abord pas appréhender. Je ne sais pas ce que ça fait que de perdre un membre de sa famille, de lui courir après parce qu'il est tout ce qu'il nous reste – ou du moins la dernière bouée qui nous empêcherait de nous noyer. Hé. T'as vu ? Y'a des nous dans la phrases. J'te l'dis pas, mais tu l'sais. On est pareil.

Mais ças, tu voudras pas l'entendre je présume.

Ta main ton bras ton épaule, tout ton buste est crispé dans cette poigne qui me rabaisse à ton niveau. On échange les rôles. Et je sais que je peux pas me dégager, même si je l'avais voulu. Ma chemise aurait craqué bien avant ta poigne, et elle est déjà bien déchirée. Ma nuque aurait craqué bien avant ta poigne, et pour ça, j'ai pas d'excuse. Tu me fixes de tes petits yeux brûlants. Je te vois, proche, incandescente, nette. Et mes lunettes sont à plusieurs pas. Faudrait que j'arrête de m'étonner de cette constante là : tu es nette, c'est un fait. Bordel.

Mais ça m'amuse de remarquer que même la pauvre bourgeoise qui vient t'aider, qui vient t'éloigner de ma poigne d'ogre, tu l'envoies bouffer de l'avoine dans sa cabane miteuse avec son mari peureux simplement pour avoir les réponses à tes questions. Je t'en serais presque reconnaissant, de l'avoir gertée : j'aimais pas son fusil. Puis sans raisons apparentes, je te souris. Un sourire supérieur que je ne me connaissais pas et que je suis pas sûr de comprendre. Ou plutôt si : on mène un bras de fer constant, toi et moi. Et aujourd'hui, maintenant, c'est moi qui ai le dessus.

Il a enlevé ma fille.

Le tonnerre gronde. La pluie tombe. La foudre claque. Et nous, seuls humains offerts aux affres de la houle à deux pas, et nous, deux soupes trempées par les éclaboussures de nos ires, nous luttons.

Quel monde merveilleux.


Dernière édition par Diele Timberwhite le Jeu 30 Juil 2015 - 1:44, édité 1 fois
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C’est presque par surprise que le rire la prend. Hystérique et maniaque, Louise ne cherche pas à le contrôler tant l’absurdité de la situation lui fait perdre corps et esprit.

Il a enlevé ma fille.

Vraiment ? Vraiment ?

Rire lui tourne la tête, ou bien est-ce l’alcool, elle ne sait plus. Tout ceci est ridicule, une mauvaise blague. D’abord, il y a eu Waka et sa haine des révolutionnaires, le but commun de la destruction pour une vengeance partagée. Coïncidence d’une rencontre, Louise n’a jamais remis cela en question. Mais maintenant il y lui. Cet attardé à lunettes, cet alcoolique qui l’a suivie (à moins que ce ne soit l’inverse) sans trop savoir pourquoi. Ce Con avec un grand C qu’elle voulait quitter, à peine quelques heures plus tôt, ce déchet qu’elle voulait larguer pour reprendre sa traque seule et sans attache. Et maintenant, maintenant, elle apprend qu’il connait William ? Non, la scène est trop belle et Louise ne peut s’arrêter de rire. Un rire sans joie, un peu fou qui n’est coupé que par les coups de tonnerre plus puissants les uns que les autres. L’orage est à son paroxysme, la pluie redouble de violence, s’allie au vent pour gifler de ses rafales les deux imprudents dehors. Les bourrasques emmêlent les cheveux de Louise, l’averse lui colle sa tignasse et ses fringues à la peau, lui donnant l’air un peu plus dément au cœur de la tempête.

« C’est n’importe quoi. »
Hm ?
« Casse-toi. »
Quoi ?

Elle relâche sa poigne, repousse l’abruti et répète, plus fermement malgré sa langue qui se fait pâteuse.

« Casse-toi. »

Elle ne rit plus. Elle a cessé aussi soudainement qu’elle a commencé. Elle n’est même pas sûre de savoir pourquoi cet accès d’hilarité l’a frappé en premier lieu. Ses pensées sont confuses et sa colère violente. Elle a encore envie de frapper, de se battre et de hurler pour expulser cette bile infâme qui lui ronge la cervelle. Elle ne doit pas. Les raisons sont incertaines mais cette conviction se fraye un chemin avec la clarté d’une vérité.

« Me r’garde pas comme ça, tocard. T’auras tout le temps de me reluquer quand on se tirera de cette île de merde. »
Je croyais que tu voulais qu’on se sépare.
« Ta gueule. Casse-toi. Non, je me casse. Et essaye pas de me suivre ou mon fruit te présentera un nouveau mur. »

***

Au final, c’est l’autre qui s’est barré. Louise est restée là, a attendu qu’il disparaisse de sa vue pour se laisser tomber contre le muret sur lequel leur discussion a débuté. Désormais seule, elle laisse l’excitation retomber, quand bien même ses muscles restent rigides et tendus, contrecoup du brutal échange. Au-dessus, l’orage se calme un peu et les éclairs semblent plus distants des coups de tonnerre. Comme si le rythme du temps s’était calé sur celui de la blonde et du grand con.

N’ayant au final aucune envie de bouger, la chasseuse de prime ferme les yeux, prête à somnoler ici jusqu’au matin, la pluie n’étant pas la sensation la plus désagréable en cet instant.

« Oy, tu vas pas dormir là ? »

Avec un temps de réaction singulièrement amoindri, Louise cherche du regard l’origine du bruit pour tomber à nouveau sur la femme de tout à l’heure.

« Quoi ? »
« Tu vas attraper la mort si tu restes là. Viens avec moi, t’auras un coin sec pour la nuit. »
« Pourquoi ? »
« Viens, je te dis. »

N’ayant pas d’argument valable contre la proposition, Louise finit par accepter, se relevant péniblement pour suivre l’inconnue jusqu’à sa petite maison à quelques pas de là. L’endroit respire moins la misère que le charbon, mais il y fait sec. Guère étendue, la petite maison semble se composer de seulement trois pièces dont les portes fermées ne donnent aucun aperçu. Peu de meubles occupent l’espace principal et aucun effet personnel ne se devine. Tout ce qui se trouve ici semble utilitaire, comme si la femme était arrivée récemment ou ne souhaitait pas rester. La seule exception semble le linteau de la cheminée où sont disposés divers outils et ouvrages de navigation. Sans s’attacher aux détails, Louise se laissa tomber dans un fauteuil défoncé, saisissant au passage la serviette tendue par la femme.

« Je m’appelle Lei, au fait. »
« Louise. »

Lei s’assoit sur un autre fauteuil à l’apparence aussi glorieuse que son jumeau.

« Alors, ce type avec toi… »
« Pourquoi tu m’accueilles ? »

Hors de question de parler de ce qui s’est passé à l’extérieur. Un peu surprise par la coupure, Lei se reprend rapidement et répond sans ambages.

« T’as l’air paumée. »
« Sympa. »
« Et je sais ce que ça fait, alors si je peux aider un peu. »
« Je crois pas, non. »
« Tu es du genre autonome, on dirait. »
« Plutôt. »
« Moi aussi je l’étais. Je me suis dit que je pouvais m’en sortir seule avec mes gamins et j’ai laissé mon homme filer sur Grand Line. Bilan, je suis coincée ici et j’ai pas les moyens de payer de quoi le rejoindre. »
« T’es navigatrice pourtant, non ? »
« Oui, mais sans bateau ou log pose, je ne peux pas faire grand-chose. Bref, toujours est-il qu’à ta place, je laisserais pas filer une main tendue. »

Louise ne répond pas, ses yeux fixés sur les outils de navigation.

« Eh. J’peux peut-être te faire une proposition. »

***

Le soleil était terriblement agressif ce matin. La gueule de bois de Louise y étant très certainement pour quelque chose. Elle s’était réveillé le dos en compote et de mauvaise humeur à cause des chialeries de marmots en bas âge. Avec gratitude, elle avait accepté le café serré au goût étrangement fumé avant de partir avec Lei et sa marmaille jusqu’aux quais pour rejoindre l’autre con. Con qui, présentement, dévisage la blonde et la petite famille avec un œil soupçonneux.

Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
« Une navigatrice pour Reverse. »
Tu te fous de ma gueule ?
« Arrête de gueuler, j’étais bourrée. Si t’en veux pas, tu les envoies chier. Moi je vais me pieuter. »

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J'en ai vraiment ma claque de raconter de la merde. Sérieusement. J'sais pas, je devrais prendre un forfait avec censure qui m'empêcherait de balancer des conneries plus grosses que moi. Je supporte pas quand je me plante, et je supporte pas quand mes erreurs, même orales, viennent se foutre de ma gueule en dansant devant mes yeux et en chantant que je me suis vautré en beauté. Encore.

T'es vachement plus droite dans tes pompes, que j'ai dit. T'es vraiment plus grande que moi, que j'ai pensé. Hé. Pour une fois, c'était pas une lubie passagère ou une prise de conscience comme un coup de marteau, c'était juste une belle stupidité comme j'en pense douze à la journée. Je sais pas trop, j'dois avoir besoin de t'idéaliser à certains moments, juste histoire de me rappeler à quel point je suis insignifiant. J'sais pas bien, peut-être que c'est une excuse pour t'épauler et t'accompagner sur un chemin que j'adore parcourir seul au quotidien. Je me dis alors que tu vaux tellement plus que moi, que je t'ai tellement coûté, qu'il est un juste retour des choses que je reste éveillé une bonne partie de la nuit, sous la pluie, malgré que tu m'aies hurlé d'aller me faire voir, juste pour m'assurer qu'il t'arrive rien de très fâcheux. Ta condition et ton désespoir m'attirent, c'est un fait, et j'me sens obligé de rester dans ton sillage, peut-être. Probablement que je me sens redevable envers toi de m'avoir tiré de mes rues hostiles. Putain je m'égare.

Mais c'est peut-être pour ça que j'ai passé mes cinq premières clopes sous les relents d'orages, à t'observer choper les crèves, de loin, jusqu'à ce que cette femme enceinte revienne te proposer gîte et couvert. Au moins pour une nuit. Moment à partir duquel j'ai pû aller finir de me souler dans une taverne ouverte toute la nuit et dont je me souviens que de l'odeur de charbon. Tel que tu me vois ce matin à traîner pas loin du Berkois, je suis encore rond. J'ai pas décuvé. Et mon portefeuille à dégusté. Et je saurais pas dire si c'est de ta faute ou de la mienne.

Par contre, les trois têtes blondes qui débarquent derrière toi, en plus de la tienne aux cernes aussi lourdes que les miennes, ça, j'suis persuadé que c'est pas de mon fait.

Tu vas quoi ? On va où ?
-Elle a dit qu'on allait à Reverse.
Ta gueule, j'te parle pas à toi. Tu veux aller sur Grand Line ? T'es suicidaire quand t'as la gueule de bois ou t'es juste conne ?
-Tu es d'une amabilité sans limites.
La ferme je te dis !
-La traversée va être éprouvante...
Mais tu viens réellement avec nous ? Est-ce que quelqu'un en a quelque chose à foutre de mon avis ? Au moins me prévenir bordel de merde !
« Maintenant tu es prévénu. Alors arrête de gueuler et laisse-moi dormir tranquille. »
Trois bouches de plus à nourrir... tu te rends compte ? Déjà qu'à nous deux c'était pas du luxe.
-J'ai quelques économies tout de même, hein, je suis pas à la rue comme vous.
Me fais pas rire.
-D'ailleurs, tous les deux, pourquoi...
Si tu montes, tu poses pas de questions. Deal ?

Elle me fixe comme on fixerait un morceau de viande chez le boucher. Elle a l'oeil expert de celles qui ont eu affaire à un bon nombre d'hommes dans leur vie, et pas des plus évidents. Je l'impressionne pas, et je suis quasiment certain que si elle devait me mettre un poing dans la tronche, elle me pèterait le nez. C'est quoi cette ère de femmes fortes, hein ? Elle me passe devant et monte à bord du navire sur tes traces. Et si toi tu as disparu dans les entrailles du petit navire qui nous sert d'embarcation, elle reste sur le pont étroit et y dépose deux sacs énormes. Elle a toujours ses deux mioches sur le dos, le troisième dans le ventre. Et ça, je sens que ça va être la pire des situations possibles. Je sais pas gérer des gamins. On le sait maintenant. Et encore moins des mères.

Au moins le Cormoran sera-t-il heureux d'avoir de nouvelles mains amicales pour le caresser.

Je rêve ou j'ai déjà abdiqué ? J'hallucine ou j'ai laissé une mégère monter à bord avec nous sur le coup de tête d'une Callipyge mal coiffée aussi paumée que moi et tout autant à côté de ses pompes. Je te retiens toi et tes décisions à la con. Parce que je suppose que c'est pour aller retrouver ton William, hein ? Parce que maintenant c'est la vengeance qui te motive, hein ? Putain. Et juste pour ça, je peux que te suivre. Et je suis sûr que j'arriverais à me convaincre que c'est mieux pour moi qu'on y aille ensemble. Alors qu'on a rien du tout, mais alors rien du tout, à faire ensemble.



Vers Reverse ?

Putain de sans couilles ! T'as aucune volonté !
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