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Taïaut

Alors. Comment tu t'appelles, encore ?
Craig.
Quel nom sauvage ♥
Sauvage ? C'est Craig quoi. Et vous, z'êtes qui ?
Je suis minière.
...
Je traque les filons de bonheur terrés en chacun de nous, sous plusieurs strates de caillasse !
Vous êtes psy ?
Les copines m'ont dit que ton regard de chien battu leur poignardait vraiment leurs petits coeurs sensibles. Et ça aussi, c'est sacrément sauvage ♥
Et... On va ?
On va parler, mon alevin ! Allez, tip top, résume toi en trois mots !

Première fois qu'la question retentit aussi fort en moi. J'suis quoi ? Tout sauf normal, certain. Mais quoi ? J'ai quoi de plus, ou quoi de moins qu'les autres -à part mon emballage pestilentiel que j'me serais bien déchiré à la cisaille si j'avais pas d'plan plus propre sous le coude- ? Qui peut me dire c'qui fait que mon pire ennemi est le miroir sarcastique, et le regard des autres qui s'abat sur moi comme les marteaux d'une tripotée de juges implacables ? J'ai été monté d'travers ? Frangin s'posait beaucoup de questions sur moi. J'le sais, j'le sens. Il tarissait pas d'éloges sur la purée d'asticots faisandée dans mon crâne, là, qui réfléchit vite, bien, sans laisser croupir l'empathie dans son coin, qui poursuivait la justice même si elle court définitivement trop vite. Un potentiel brut qu'on doit tailler comme le diamant pour le faire briller et en sertir le monde, afin d'le rendre un brin plus beau. Il me savait capable du meilleur, et du pire aussi, parce que l'un n'vient jamais sans l'autre, ils sont fournis dans l'même pack. C'sont ces extrêmes qui déforment l'esprit en l'tiraillant : ça aussi, Tark le savait, mais sa confiance en moi lui drapait la tronche d'un voile opaque : il me croyait incapable de faire le mal, même si le mal guide en secret la plupart de nos actions.

Paumé.... Ombre... Bizarre.
Oh. Comme nous tous ! Je diagnostique donc que tu as besoin... de... repères... de lumières... et de fantaisie.

Il grattouille son carnet, frénétiquement, d'son crayon rose acéré comme un pieu. Le coussin sous mes fesses mute en un parpaing, le dossier du fauteuil en planche cloutée. M'sens douloureusement mal à l'aise. J'ai déjà jamais encadré les psys quand ils se réfugiaient sous leurs costards étroits et leurs binocles comme des culs de bouteille : alors un clodo okama... Car ouais, assurément. Me racler l'intérieur du crâne est un job de clodo plus que de psy. Qui d'autre qu'un clodo ira retourner un dépotoir pour tenter d'y dénicher des trésors ? Job de clodo.

Comment tu te sens, là, de suite ?
Euh. Déboussolé ? J'me fais percer la cervelle par un clo-un travelo.

Percer la cervelle, puis il regarde par le p'tit trou. Ça aussi, ça résume bien son job. Enfoncer les portes de la conscience des gens, c'est quand même s'exposer à s'faire botter l'arrière-train par des traumatismes furax. Faut oser. Il pouffe sous sa barbichette de deux jours, un tapis d'poils sur une peau lisse comme le derrière d'un nouveau-né aplati sous une compresse, son sourire déchire sa sale trogne blême jusqu'aux oreilles.

Il te suffit que d'ça pour te perdre ? Hihihi ♥

J'me sens comme un grand brûlé. La chair à vif, consumée de souvenirs des flammes. Sombre, noir, et émietté, si carbonisé dans des brasiers de haine, de frustration et de rancune que j'me sens tas de cendres grossièrement agglutinées en une créature d'écailles qui se désagrège un peu plus à chaque courant d'air.

Ou bien, j'me sens bonhomme de neige à l'approche du printemps. Glacial et résigné. A laisser un soleil qu'il ne supporte plus peu à peu le dévorer, j'me mire fondre, impuissant.

J'me sens plus moi-même en tout cas. J'ai laissé dégouliner toute ma substance en une longue traînée visqueuse derrière moi. J'étais un marécage ambulant bien avant d'avoir gobé c'fruit, j'me traînais jour après jour au combat en absorbant toute la détresse ambiante. Qu'est-ce que ferait un psy pour moi, à part m'essorer le coeur comme une éponge pour se gaver des idées noires dont il s'est imbibé jusqu'aux ventricules ? On trimbale tous nos fardeaux, j'ai fais trop souvent l'erreur de penser que j'pouvais aider les autres à transporter l'heure. Si bien qu'mes épaules brisés ne savent plus supporter l'poids d'ma culpabilité qui enfle, de jour en jour, qui m'fait avancer voûté.

Le cocktail du stress mêlé à l'air brûlant et saturé d'rosée parfumée me monte à la tronche, en une ivresse nauséeuse. Des vapeurs oppressantes qui m'arrachent des seaux de sueur, qui transforment ma tignasse en une ignoble cascade peluchée. Ma méfiance crie Gare, il essaye p'tete de m'barbifier avec du gaz toxique. Ces enflures l'ont fait une fois, ont brisé la confiance de tout l'monde. Comme un môme avec un marteau au milieu d'un magasin de porcelaine, ils ont été sans pitié envers la fragilité.

Ils sont sympas, tes copains, hein ?
Ouais.
Tu les connais depuis longtemps ?
Depuis Jaya pour la plupart.

Jaya a été un jardin bizarre maculé d'chair ronflante. Sur lequel sont malgré tout parvenus à pousser quelques amitiés, et quelques retrouvailles. C'sont les drôles de rencontres qu'on fait au détour des sordides couloirs du destin, quand on arrive à passer outre la claustrophobie bouffante que procure la sensation d'avancer dans des tunnels étroits que le hasard a creusé à notre égard.

Tu as chaud ? ♥
Euh...
Oh, pardon ! Tu as chaud ?
Ouf, c'est moins louche là, ouais. Oui j'ai chaud.
Je vais t'ouvrir une fenêtre !

Ille s'active, sautille auprès d'la lucarne en forme de coeur puis l'ouvre en grand sans manquer d'écarter ses bras à s'en déboîter les épaules, juste par amour débauché d'la mise en scène. Libérant une lumière tamisée toute droit crachée par un soleil somnolent, escortée d'une farandole de souffles frais, qui s'déversent autour de nous et effraye ce salaud d'arôme ardent. Le mercure s'affaisse donc et le brasier parfumé semble vaincu, bien qu'sous mon crâne, ma cervelle reste une grosse bulle de magma flamboyante prête à éclater.

Ça va mieux ?
Un peu.
Juste un peu, alors. ♥ Un bon marine a tellement de raisons de se sentir mal ! Quelles sont les tiennes, Craig ?
J'ai pas vraiment envie d'les ruminer devant vous.

Les blessures sont toujours là, elles me fascinent tant qu'elles magnétisent mon regard H24. Elles cicatrisent pas, saignent toujours par giclées. Et tenter d'les résorber en les oubliant reviendrait à tenter d'boucher une fracture ouverte avec du coton. C'doux le coton, ça absorbe bien le sang chaud, mais ça résout rien, devient vite niche à infections, qui rappliquent en jappant comme des molosses affamés devant un agneau. Oups ! Déformation professionnelle.

J'vois déjà pas trop pourquoi j'me confierais.
Parce que je vais aller te chercher une gâterie ? Tu aimes les sardines, j'imagine ? ♥
Non. J'vois pas c'qui vous fait penser ç...
Laisse moi deviner... Que pourrait bien aimer un requin...
Salade de fruits.
Oh... J'aurais pas trouvé ! Je vais te chercher ça.
...
... et je ferme la porte ! ♥
Huhu.

Oh. Seul. En tête à tête avec ma tête. Tu t'accroches à mon esprit, Tark, je pense à toi.

Tu te posais des questions. Sur mes silences. Mes regards. Mes crises de honte et de panique. T'as jamais vraiment su ce qui se terrait en moi, embusqué dans l'ombre de mon âme. Et ces temps-ci, cette chose campe sous les projecteurs, sans encore que je n'parvienne à en discerner les contours, car elle est trop immense, trop floue, trop effrayante. Elle se penche sur ma haine, la caresse, la laisse ronronner. Oui, oui, cette haine, ma Bête, le tigre dans le chaton, le requin dans le têtard, elle gronde en moi. Elle gronde d'envie.

Les papillons sociaux, j'aimerais les dégommer au canon. Leur aise. Leur facilité à tisser des liens. La valeur banale qu'ils donnent à l'amitié, le prix ridicule de leur confiance, qu'on s'accapare par de simples sourires, par une pauvre apparence, peu importe qu'elle soit un mirage. M'agace. C'est pas leur faute, j'ai été codé comme ça. Jaloux, triste, insatisfait. J'me fais parfois des amis mais j'sais pas les garder. J'sais tisser des liens mais ils claquent dès qu'on les tend trop. Alors les joyeux fifous dont l'réseau d'francs compagnons s'étend à chacune des îles sur lesquelles ils ont posés leurs p'tits petons conquérants, ils me cognent sur mes nerfs comme sur des touches de piano, leur mélodie d'insouciance et d'amitié me nargue, et me force à dialoguer avec mon insupportable solitude. Et pourtant, aujourd'hui. J'me sens pousser deux ailes de papillon.

Je pourrais devenir quelqu'un d'autre. Meilleur. Mieux taillé pour remporter la course aux ambitions : l'épave morose renflouée deviendra fier cuirassé; et ses canons tonneront à travers le monde, dont la corne de brume se propage comme une promesse de justice à travers les époques.

Ille est parti, l'okama, et il pourrait revenir à tout moment. M'larguant seul, en tête à tête mon désir violent d'attraper un nuage. Rapidement il me tente. Rapidement.
J'entends la nuit roulante pointer à la fenêtre, toujours béante. Elle m'appelle. Elle me murmure des promesses de protection. Dans l'noir, les silhouettes se cousent entre elles. Les ombres s'embrassent et se marient. J'deviendrais qu'une tâche de gris obscur sur un monochrome sombre. Qui pourrait bien pouvoir faire...
ce qu'il veut...
y compris...
prendre le large.
A jamais.
Tout plaquer.
Oublier.
Recommencer.
Tomber, puis rebondir.
Rebondir plus haut que jamais.
Sauter.

Mes palmes sur le cadran d'la fenêtre, mon regard coulissant jusqu'en contrebas. Une chute d'une cinquantaine de mètres, sous la bénédiction d'ma foi. Et de mon logia...
...
Ma première guibolle enjambe le rebord.
Puis ma seconde, fièrement, suit son aînée.
Le vertige séquestré, baillonné, n'enraye pas ma volonté.
Je lâche tout, la gravitation fera l'reste.
Comme une grosse boule de boue qui s'arrache aux griffes du vent.
Comparé aux si légères tentacules de lumière agonisantes du soleil, j'me sens enclume. Sur laquelle rien de bon n'a été forgé jusque là.
Aucune foutue idée d'où aller, pour l'instant, j'me contente de filer en bas en ascenseur express. Les vitres défilent devant moi et j'crois prendre de la vitesse, pour devenir un météore d'écailles visqueuses et de pathos embrasé. J'vais éclabousser l'jardin dans lequel j'vais m'éclater, le souffle commence à m'arracher quelques particules de gadoue en une brume brûnasse.

Cet enculé d'fruit a intérêt à faire son boulot.


Dernière édition par Craig Kamina le Sam 30 Mai 2015 - 10:51, édité 1 fois
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La vase rampe dans les buissons, comme si l'terreau souhaitait prendre son indépendance. J'ai survécu à mon saut de l'ange, bien que pour me tirer vers le bas, j'suppose qu'il m'aimantait plus en direction de l'enfer. Le crash a été violent, mais mon pouvoir et ma volonté ont amorti le drame. Enfin, surtout mon pouvoir...

De quoi j'aurais besoin maintenant ? D'un navire, de fric ? Nan, d'courage. J'suis en train de littéralement jouer à la roulette russe avec mon gentil statut, mes camarades d'infortune, et tout c'que j'ai construit en six ans dans l'ombre -et les crottes- de la mouette. J'fais table rase de la pire des façons : en la renversant -la table-. Une fois mes morceaux parfaitement réassemblés, une fois qu'j'me suis assuré que j'aurais pas laissé traîné quelques restes de bouse dans les broussailles, j'm'emploie à accomplir c'que j'sais faire de mieux : courir, courir comme un dératé, sans savoir où aller, juste transformer mes jambes en putains de roues inarêtables comme si j'étais poursuivi par tous les enfers de toutes les croyances à la fois, ligués sous la bannière d'la marine.

Alors je cours avec tout ces enfers-là derrière moi, toute l'armée de souvenirs en rut, haletant sous mon masque de maquillage et m'prenant régulièrement les pattes dans ma mini-jupe de pouffiasse arpenteuse de ruelles sombres. Mon logia a écarté la mort brutale mais pas l'vertige ni les p'tites étoiles qui m'tournent encore autour du crâne, et mon estomac a du remonter câliner mes poumons en ces cinquante mètres de chute libre.

J'voudrais dégueuler. Mais pas l'temps. J'attendrai d'être sur un bâteau pour laisser ma nausée...
s'exprim...er...
...

ARRRRGGBLEURRG... ARF. Geuh.

Bon ben, elle a pris la parole, trop tard.

V'là c'que j'fais d'votre banquet, messieurs. Une galette chaude au fumet rance, le contenu d'une fosse commune de vieille bouffe rongés par mes sucs. Ça m'fait mal au coeur -pas seulement littéralement-, ils en ont chiés pour nous concocter un repas digne d'une table de rois, et ils en retrouvent l'contenu au pied du château l'lendemain matin, méconnaissable... et carrément moins appétissant. Mon crâne me fustige, mes globuleux roulent dans leurs orbites. La nausée veut pas décamper. J'ai sous-estimé... la gravité. Cinquante mètres. Putain. J'ai l'impression d'avoir. Tout les organes qui m'sont remontés dans la caboche, j'la sens prête à craqueler.

Et secouer tout ça, faire mousser ce carnage comme dans une canette de bière en sprintant a du aggraver l'chaos. J'suis toubib, comme j'ai pas pu y penser ? L'premier opposant à mon évasion, cette foutue migraine.

EURRRK...

Noté, les logias c'est pratique, mais ça doit pas être systématique. J'suis TOUBIB, COMMENT J'AI PAS PU Y PEN...

BLEEERG !

J'sais même plus c'que je dégueule... C'est limpide, transparent, gluant, de l'ectoplasme qu'a grimpé l'long d'mon gosier...

J'réapprends à marcher, pas à pas, titubant comme un faon tout juste sorti de maman. Moi qui m'imaginait mener une course épique en direction d'mon futur, v'là dans quel état j'me la farcis, la course épique. Pique. Pique. J'me lance dans une allée fleurie bardée d'roses acérées dans tous les sens, 'vec la mûre impression que si j'en frôle une seule pendant qu'je tangue, un espèce de système d'alarme va s'activer, ou alors j'vais m'faire empoisonner mortellement jusqu'à la moelle. Ouais, ma parano me manquait pas.

J'me tords la nuque de temps à autres pour mirer derrière moi des fois que j'serais pas suivi. Mais les ombres s'embrassent et se marient dans le jour endormi, et mes mirettes se fatiguent face à un trépané, car j'pane rien au cadre flou qu'elles me montrent. J'vois flou, j'pense flou, j'suis flou. Ça fait partie de l'histoire de ma vie, le flou, c'est en fait le monde entier qui m'semble être un tableau abstrait à la gouache tristement dégoulinante sous une averse tonnante.

A propos, j'aurai besoin d'un navire mais pas que.
Du matos chirurgical. Au moins d'quoi remplir un bâillon souvenir. J'veux pas partir de rien là-dessus.
Puis des provisions. De quoi tenir jusqu'à ma prochaine escale, peu importe où. De quoi n'pas m'contraindre à grailler du poisson, à refaire face à la prédation. De toute façon, j'sais pas pêcher. Et j'suppose qu'un squale qui a besoin d'une canne à pêche pour ferrer de la sardine, ça tient du comble.

Une barrière sur l'chemin, j'reconnais, c'est par là qu'on a déboulé. J'l'enjambe avec l'agilité d'un dindon estropié ; j'me fraise de l'autre côté en trébuchant durant mon bond, et bien entendu mon fruit d'la merde oublie d'me protéger.
Museau un peu tordu, sinus en alerte face au sang qui s'évade. Rien à fiche : en quelques secondes j'redeviens bipède, solidement rivés sur des guibolles qu'obéissent plus qu'à un vague désir insatiable de trottiner, sans cap plus solide que "Ailleurs" ou "Loin d'ici". J'range la douleur dans l'un des tiroirs bondés d'mon âme, et m'élance sur les pavés grisés par l'obscurité.

J'vois les carrosses tout au fond, ou alors c'est un champ d'citrouilles. Les lampadaires se penchent dessus, les arrosent de lumière, les transformant en lanternes scintillantes sous un plafond d'étoiles dévergondées qui semblent toutes tournées vers moi, chipies trop curieuses. Faut qu'je m'sois cassé du parking avant que le psy encrassé de froufrous ne sonne l'alerte générale ! Si j'arrive à dérober un poney, à galoper jusqu'à la plage, j'pourrai éventuellement accorder une trêve à mon corps en pleine lutte contre la piétaille de claquages, de courbatures et d'points de côté qui cherchent à le saboter.

Concentre toi. Concentre toi. Pas l'moment de ruminer ton passé comme un vieux bovin bon qu'à ça. C'est l'avenir que tu t'apprêtes à gober tout rond : tente pas d'le mordre ou d'le mâcher, tu t'y casseras les dents. Tu dois l'avaler d'un trait, peu importe s'il se coince dans ta gorge et t'étrangle.

Tu dois déchiqueter tes doutes avant qu'ils ne te voilent le museau.
Tu dois rentrer dans ton destin, le bousculer avant qu'il n'te passe sous les yeux. Tu retrouveras Frangin, il saura te guider.
Tu peux l'faire. Ces carrosses sont à toi. Tandis que derrière, par-delà les ténèbres, au pied de la forteresse du mauvais goût, un inquiétant brouhaha naît.
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J'ai l'ADN en puzzle assemblé par un môme de trois ans pas foutus d'reconnaître deux pièces incompatibles : mi homme, mi squale. Donc, j'ai l'ascendance sur les canassons blondinets aux paupières lourdes qui somnolent sur la route. Ils ont des sabots et moi des crocs, pas besoin de réfléchir loin pour savoir qui c'est, l'favori de dame Nature. J'fais face à l'un d'entre eux, j'plonge mon regard dans l'sien, comme une longue épine acérée et acide au fin fond d'ses perles inquiétées. L'intimidation est pas mon outil préféré mais la machine est trop peu bien huilée pour que j'puisse m'en passer ; alors j'en abuse.

Ça hennit beaucoup tandis que j'le contourne pour le détacher d'son carrosse. Il fait d'la résistance, parce que c'est un poney, un poney okama. Et qu'mes bases en équitation sont parfaitement nulles, jamais rien chevauché d'autres que des hippocampes dans des sorties scolaires en primaire, du temps où j'étais trop gosse pour connaître les sentiments immondes réservés aux adultes. J'étais pas mauvais mais pas un cavalier en culotte courte non plus. Et surtout, j'avais pas les aiguilles de ma montre pour m'oppresser et mes souvenirs, mes remords et mes regrets pour m'poursuivre avec des torches et des fourches.

J'enfourche la bestiole sans être convaincu qu'elle m'obéisse au sabot et à l'oeil. Mais qu'elle m'éloigne un peu du coeur de Kamabaka m'suffirait amplement. J'aurais besoin d'temps pour méditer un plan, mais les secondes sont luxueuses et les minutes exorbitantes. Alors pour le moment, mon pauvre instinct cause plus fort que la raison en moi.

Euh. Huue ?

Un trot un peu las. J'ai du l'réveiller. Mais mon futur m'attendra pas, c'est pas l'moment de pioncer. J'mise très gros sur ce coup-là : c'est l'quitte ou double de mon existence. J'serai pas seul dans la révo, la seule augure d'suivre le lien qui m'raccordera toujours à Tark me donne la sensation de descendre en rappel une falaise escarpée. J'vais délaver tout mon carnet d'adresse côté marine -qui doit pas s'étendre à plus d'une page-, juste par cette simple tentative d'évasion ; la caserne deviendra bagne.

Autant dire que si j'me foire, c'est la chasse d'eau que j'tire et ma vie tournoyante au fond du trou.
Alors... Comment on tourne ? Et pour la marche arrière, déjà ? Ce con semble monté sur des rails.

Hm. A gauche ?

Par-delà la forêt en barbapapa ? T'vois bien que c'est par là, la plage, non ? L'horizon, le renouveau, la seconde chance ? Non ?

A gauche. A GAUCHE.

J'ai la patience émoussée, ça m'empêchera pas d'cogner avec sur c'canasson s'il continue à faire la sourde oreille. Mon gosier encore repeint d'gerbe, probablement, pas encore prêt à ployer sous mes gueulades. T'es pas prêt à obtempérer ? P'tain, entre ma race de salaud à ailerons, et mon aura d'gradé dont les épaules se fissurent sous l'poids des gallons, j'devrais atteindre l'autorité d'un prince. Sûrement qu'porter une jupe pète les rotules de ma crédibilité...

Il se braque, il cale, il pille et m'catapulte en avant ; une nouvelle fois mon fruit me boude. J'atterris en boule sur la route glaciale, le dos comme un enrobage de chair que les pavés mordent goulûment. J'gémis et marmonne des délicatesses crasseuses à l'encontre de la sale bestiole, histoire d'évacuer la colère, d'pas la laisser s'empiffrer d'ma logique. Parce que, d'la logique, je vais en avoir besoin, d'un tas, pour m'extirper d'ce guêpier que j'ai construit autour de moi tout seul.

Tu veux pas. Tu veux pas ?
Hnnn.
Tu veux pas. Ok connard. Pas besoin d'toi.

Par la forêt d'mousse rose. J'décampe en direction d'cette jungle indigeste envahie d'barbes à papa, aux arbres en coeurs, en lèvres ou en têtes de travelos, cruellement cisaillées dans leur dignité par les okamas qu'ont décidément qu'du mignon incrusté dans la rétine. M'étonnerait qu'ils lâchent aucune escouade après moi. Ils sont p'tete derrière moi, à pouffer, à s'foutre de ma gueule et d'mes rêves, à traquer l'squale en bavant une farandole sinistre de jeux d'mot sur la pêche. Oh, j'ai la misanthropie qui remonte dangereusement, faut que j'fasse gaffe : c'est pas la top des mentalités pour un révo'.

J'commence à froisser l'herbe sous mes semelles rustres, ça sonne comme du papier que j'piétine langoureusement et qui défile sous mes pas. Quelques racines de temps à autres qui n'me ralentissent que le temps d'un p'tit saut. Et le vent discret qui m'lèche sur le côté. Tout ira bien à bord, si ça continue comme ça. J'me paye une assurance brûlante qui m'embrase les sens : j'ai fais l'plus raide en m'extirpant du château. Le reste, la fuite, l'escapade, la survie, rien que j'ne sache pas faire, ou même que je n'ai pas encore déjà fait. Une assurance brûlante vite éteinte par les canadairs de la réalité.

Car la lois des séries n'approuve jamais mes instants de sérénité. Ça grouille derrière : ils arrivent, j'entends une horde de zombies travelos qu'en veulent à mes fesses jusqu'à ma nageoire caudale. C'est seulement maintenant qu'ça commence, qu'on sonne le début d'ma cavale. Ma seule alliée, c'est l'obscurité protectrice, qu'est néanmoins pas capable de camoufler le boucan d'mes bottes ni mes halètements d'clébard asthmatique.

Les arbres dénaturés défilent autour de moi, j'ai la sensation d'mettre à profit tout c'que la marine a pu m'apporter d'positif en ces six ans. Endurance, vitesse, instinct, réflexes, et un embryon avorté de sang-froid. Des performances à bloc et une volonté pour mouvoir tout ça plus vite que jamais. Ils m'ont sculptés comme une machine de guerre, ils ont voulu faire de moi un moulin à sang, aujourd'hui le v'là prêt à s'retourner contre eux. S'ils insistent, j'devrai faire du mal aux travelos, ou à mes ex-potes. J'y étais préparé à ça ? Absolument pas. Sinon, j'aurais cherché une soluce moins chaotique.

Cours Craig, cours !
Allez putain, cours !
Ou sinon, tu devras coller des pains et d'la boue à des innocents !
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J'suis probablement plus paumé, plus excité et plus avide qu'un vautour dans une fosse commune. Le parfum de l'océan erre dans les parages, mes traqueurs aussi. Le bois s'est densifié pour ressembler à une putain d'jungle aromatisée aux fruits rouges. J'suis très largement hors du cadre, flanqué d'mon maquillage rincé par la sueur et d'ma jupe déchiquetée par les ronces, qui laissent entrapercevoir la grisaille froide de mes cuisses. Si un seul des cavaliers qu'j'entends galoper par ici laisse rouler ses mirettes de mon côté, il devinera aussitôt qu'il a trouvé son poisson.

J'suis p'tete déjà foutu, mais j'm'arrache pour éviter d'avoir à le vérifier. Mes poumons sont en lambeaux, mes guibolles sont fourmilières, dans mon crâne réside une fièvre qui prend ses aises. J'ai l'corps en compote, l'esprit en alerte. La désagréable impression qu'un étau se referme sur moi, tandis qu'en tournoyant la tête, j'aperçois des silhouettes à ma gauche, d'autres à ma droite. Ou alors c'est qu'mon imagination, la parano et la fatigue qui me greffent des ennemis plein les yeux, constellation d'angoisse dans mon univers noir.

Tu dois aller tout droit Craig, toujours tout droit. Faute de t'amener là où tu voudrais, ça t'amènera forcément quelque part. Les embruns s'glissent jusque dans mes naseaux, venir m'titiller ma mémoire. L'écume sur ma face, mes palmes remuantes sous dix mètres d'eau, la fraîcheur d'un lagon accueillant et les vestiges des heures d'isolement et d'recueil que j'me suis payé... sous l'eau, du temps où j'savais nager.

J'sais c'que j'dois faire car tout mon ciel s'est comprimé en un seul horizon. Finir d'geindre : cap sur un autre monde ; un meilleur monde. Un autre monde. "Meilleur", hihi, j'ai déjà donné, pour le "meilleur". En étant trop rêveur on en devient trop désillusionné.
Mes rêves à moi sont des carcasses agonisantes sous respiration artificielle. Tenez bon, j'ai encore besoin d'vous.

J'crois que j'avance plus vite que mes yeux, ma vue s'obstrue. Ma cadence trop folle m'sabote les sens, probablement. Mon champ de vision sous oeillères me raconte des conneries. Il prétend qu'à pas trente mètres, cette broussaille cesse. Et qu'une barricade de lumières multicolores s'avance, menaçants, comme une rangée d'petits soldats assoiffés d'sang.
... qu'est-ce que c'est que...
Je pille et m'écroule, en une même flaque de boue, au pied d'un arbuste. J'sens l'herbe me chatouiller l'bide même en étant vaseux, car c'fruit glouton prend un malin plaisir à avaler ce qu'on lui fait frôler. J'adresse en silence une avalanche de prières à un ciel qui doit être bien fatigué d'm'entendre chialer. C'est la plus déshonorante forme de camouflage à laquelle j'ai jamais eu recours. Vaseux, littéralement. Chacun d'mes membres s'étale, fond en pâte marécageuse le long de l'arbre. Et mes deux mirettes coulent le long du toboggan d'merde pour m'informer de la nature de l'embuscade qui m'pendait au nez.

HEEEY, c'est nous la brigade okama, mon biquet ♥
Tu es en état d'arrestation pour évasion romantique !
Et pour outrage à agent. ♥

Sous des képis enguirlandés de diodes comme des vers luisants d'mauvais augure, des pseudo-gardiens vêtus d'cuir bleu et rose s'étalant en ovale serré autour de moi.

On sait qu'tu es là, tu sais ? On ne te veut pas de mal, on veut juste te ramener à la maison et te gaver de papouilles ! ♥
Tu es plein de surprises ! ♥

L'une de mes pupilles vient s'reformer à la gauche de ma gadoue, la seconde émerge de la droite. J'les détaille mieux : illes parviennent à mon niveau. Leurs talons hauts pointus comme des aiguilles à tricoter passent de temps à autres à quelques poils de cul d'centimètres de mon marais. Dissimulé dans l'ombre d'un arbre et dans celles de la nuit, j'm'autorise à m'croire invisible. Mais mon coeur liquéfié tambourine sec. Tant il cogne que j'ai peur qu'il en devienne audible à leurs esgourdes de chasseurs. Et qu'à chaque fois que l'un d'entre eux me frôle, j'sens la nausée reconquérir ma cervelle boueuse en pleine surchauffe.

La plus belle vanne, c'est que j'arrive pas à tempérer ma boue. Elle s'étend. Sans qu'je lui demande. Mon bras surtout, serré contre mon torse, trouve ça finaud de gicler par salve quelques gouttes de vase régulièrement. Et mon corps entier s'étale, langoureux, semble vouloir partir à la conquête de la forêt rose pour en faire un marécage de néant. M'donne l'impression d'être un mollusque mort en pleine décomposition.

Sentiment gênant, mais...
Pas plus que...
Haïe !
Hmm ?

Bah oui, aïe, tu viens d'me carrer ta semelle contre mon oeil droit. Se faire marcher sur les mirettes, ça doit pas être un mal commun. Le mal est fait. J'ai son. Attention. Sa pleine et totale attention.

De la gadoue ?

Ille se penche au-dessus d'moi, éblouissant mes pupilles flottantes d'sa casquette à néons. J'peste intérieurement, j'remplis ma caboche de vulgarités crasseuses. Un exutoire dérisoire par rapport au torrent de merde que j'm'apprête à traverser à contre-courant.

Eriko-chwan avait dit qu'il avait mangé quel fruit, notre petit squalounet ?

Uriko... Qu'est-ce que t'es allé leur raconter, putain ?

Le marais ? Oh, le marais ! Quel thème sauvage ♥

Même le psy est là ?

Oh... J'ai une flaque de boue ici. Et je crois qu'elle me regarde. ♥
Ça lui ressemblerait bien... Fais donc voir !

J'lui laisse pas l'temps de la rejoindre dans sa contemplation d'ma vase : j'me reforme en vrac tout en l'éclaboussant d'ma fange, lui incrustant un masque de boue sur sa tronche qu'était de toute façon d'une grâce bien artificielle.

Hmmm !
Oooh, il est là ! LES COPINES, IL EST LA !
Hmmmm ! ♥

J'dérive complètement d'ma trajectoire initiale, et me tire, comme une balle de fusil qui pourfendra tout ce qui traîne sur son chemin, peu importe si c'sont des crânes. Au moins, j'leur suis pas rentré dedans en mêlée générale ; j'aurais pas d'phalanges à distribuer et de dents à fracasser. J'ai une idée dangereuse pour les semer, une idée suffisamment vicieuse pour échapper totalement aux gros doigts tactiles de leur imagination tordue. P'tete qu'elle me coûtera la vie, mais j'y crois pas. Tout le fardeau que j'trimbale actuellement, j'l'ai déjà payé tellement cher que c'est probablement la nature et le Karma qu'ont des dettes envers moi. Rien ne m'arrivera.

Que j'garde le cap : mes pattes roulent plus vite que les leurs.
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C'dont j'aurais besoin ? Canalisations. Elles arpentent les sous-sol en toute discrétion et sont accueillantes, humides, bien qu'hostiles à trop d'camping puisque, euh, j'voudrais pas crever noyé dans de la plomberie d'chiottes tandis que quelqu'un tirait innocemment la chasse. Elles sont derrière moi à ricaner, gaspillant leur carburant pulmonaire. J'ai moi-même pas l'souffle au top après ma randonnée sauvage, mais j'gagerais bien que j'suis plus motivé qu'eux à atteindre mon but !

Jouxtait aux p'tits bois un lotissement en plein chantier, un espèce de garage géant pour touristes en panne, un genre de village-étape encore copieusement arrosé d'froufrous et de paillettes -sans compter que tout c'qui peut avoir une forme de coeur ne s'en prive pas, hm-. C'est bien, les stations balnéaires, ça manque pas d'réseaux d'tuyaux, et les ports sont jamais bien loin !

J'bondis sur la rue principale, une avenue peinte de lueurs rosées. Autour de moi des baraques pré-fabriquées, qui m'toisent de leurs fenêtres curieuses. Et devant, là, tout droit, des cavaliers en minijupes, aux sourires pétillants comme des lunes dans la nuit. Considérant qu'derrière, le même enfer en pire m'attend... J'braque à gauche et sprinte jusqu'au pallier du 5 de l'avenue Ivankov ; qui m'accueille porte grande ouverte. Sitôt planqué dedans, j'entreprends d'me confiner ; j'ferme la porte et lui déboulonne son verrou miteux. Ces créatures baignent tellement dans la confiance que les sécurités d'ces baraques sont absolument...

Là-bas, au 5 !
Si vigoureux ! ♥

... misérables.
Mes pattes m'embarquent dans l'salon, mes palmes fondent sur une chaise, qu'elles choppent comme deux grosses tenailles suantes. Puis demi-tour, et que j'cale solidement sous la clenche de la porte d'entrée la chaise toute neuve en bois blanc en guise de barricade un peu dérisoire, histoire de gagner quelques secondes chèrement défendues.

Où est la cuisine ? Bien qu'certes, la vidange de mon ventre m'a laissé l'estomac béant et plaintif, c'est surtout de bon gros tuyaux pas trop calcaires que j'apprécierais y dénicher. Du genre refuge sympa où passer l'temps tout en progressant en toute discrétion. Voilà, quand j'suis pas occupé à m'charcuter, je m'isole dans les égouts. Faut que j'passe encore farfouiller mon infirmerie dans l'sous-marin pour collecter des souvenirs d'ailleurs... Putain d'merde. Liste de courses gigantesque, chrono minuscule.

J'entends qu'on toque en riant d'vant la porte. Trop tard, 'peux pas répondre, j'cuisine ! J'cuisine ma putain d'ambroisie, la liberté ainsi qu'un soupçon d'inconnu et une grosse louche de danger, ainsi que, forcément, un complément d'sang calleux inévitable ; MON sang. Mes yeux chutent dans un évier impeccable, encore si propre qu'on l'jurerait tout juste sorti d'son usine. J'm'affaisse en-dessous, j'arrache la plomberie, comme ça, par la seule force de ma poigne. Parce qu'on sait jamais : si un rigolo décide d'ouvrir le robinet, c'est pas dans ma tronche que ça atterrira.

Une grande inspiration : j'le sens pas. J'ai un peu la trouille, faut l'dire. C'est pas d'la claustrophobie que de claquer des crocs à la simple idée d'se retrouver perdu six pieds sous terre dans un tube de 10 cm de diamètre, hein ? Y a des peurs moins rationnelles dans la vie : comme celle de penser qu'à la vue d'son p'tit frère paumé et obsédé par le scalpel et qui veut s'arracher les écailles pour s'recouvrir d'un cocon de peau humaine, Tark va devenir taré ?

Oh, nooon.

Non.
'Chier.

C'est si étroit.
Mais c'est la seule sortie.

CRAAAAK
Tu as fini de jouer ? ♥
Tu commences à mériter la fessée là, tu le sais ça ? ♥

J'deviens un poisson calcaire. Mon museau s'enfonce dans la plomberie, la succion m'accueille en un "shloups" dérangeant. Elle me gobe tout rond. Plus qu'à ramper, comme une vipère modelée en excréments, à travers un dédale d'acier cylindrique et vibrant. Ça sonne presque tel un conte mythologique...
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...
... On en est où, frangin ? J'poursuis quelque chose qui m'a semé depuis longtemps. Mes ambitions d'autrefois, tu t'souviens ? Devenir un justicier. C'est fini ça, c'plus possible. On sait qu'ce sont des chimères planant trop haut pour nos courts bras, et qu'à moins d'apprendre à voler, on choppera jamais la Justice, on l'aperçoit même pas nous narguer dans l'ciel, depuis ce bas monde pollué d'animaux en détresse et d'autres bestioles qui les ignorent.

Étonnamment, j'me sens léger, comme fondu dans le vent. Pourtant j'ai l'coeur plus lourd qu'un cargo à la dérive. Chargé d'une montagne de souvenirs, il prend un peu l'eau, il tangue et lèche l'écume à la surface, il hésite à achever son naufrage. Mais c'est l'heure de lâcher du lest ! D'éjecter les plus massives souillures de ma mémoire pour reprendre un peu d'allure sans risquer d'me précipiter par les fonds !

Ces coeurs que j'm'apprête à briser, à la façon d'un gamin armé d'un marteau dans un magasin d'porcelaines ! Pas d'autres options ! Mes responsabilités envers eux m'rattraperont un jour ou l'autre, c'sûr, mais j'serai prêt à les affronter : muni d'une audace nouvelle et d'merveilleux mots plein le gosier. Et j'serai humain, ce jour-là, donc ils me reconnaîtront p'tete pas tout d'suite. J'serai humain, Tark, t'auras un p'tit frère humain. Un p'tit pif discret en bec mou, une peau aride douce comme de la soie d'cochon, de p'tites lèvres fines et croûteuses recouvrant une dentition carrelée sans ces horribles pieux qui m'sortant actuellement du museau.

J'serai toujours mâle, ou femelle, ou entre les deux, j'en sais rien. J'hésite. D'une pierre deux coups, j'pourrai profiter d'ma conversion à la gent humaine pour échanger mes roubignoles creuses et inutiles contre un néant romantique. Hum ?

Tellement de bricolages à faire sur un corps. J'ai l'embarras du choix.
Et tout ça c'est pour nous, Frangin. Une vie aisée sans subir les regards durs comme des poignards, la honte d'être une bévue de l'évolution sortie de son océan au milieu des braves gens bien-séants, un animal parmi les hommes, dont la civilisation se repaît goulûment -car la société se nourrit voracement de la différence, elle croustille sous ses crocs carnivores-.

Je vais muer. Mes écailles sentent le pourri.
J'vois la lueur du jour à la sortie d'mon cocon.
L'espoir d'une remise à zéro : raser mes fondations pour repartir sur de bonnes bases...

GLOURG ! ARRGL !

J'émerge des pans obscurs de ma cervelle, ceux qui puent l'renfermé et la déviance. Les mirettes voilées, la gorge prostré, ma respiration court-circuités : mes poumons comme mes branchies battants, palpitants, lacérés.

M'suis noyé ? Encore ?

J'me relève sur mes pattes avant, car mes guibolles sont vaseuses, grosse soupe brune dégoulinante en cascades sur des rochers aiguisés. J'suis sur la... cote ? Mes paupières clignent, frénétiquement, comme prises d'épilepsie grouillante. Des eaux usées, par litres, s'échappent par ma gorge, par les rainures de mes branchies, un coulis répugnant qui m'encrassent d'une amertume infecte. J'dirais pas que j'ai l'impression d'être un gros sac poubelle coulant d'jus d'ordures, mais... quand même, presque.

J'recompose mes jambes. C'est une bonne premier étape avant d'essayer d'se relever, ça. La boue s'empile, se comprime. Puis se colore. Rebonsoir les guibolles. Ou... Ou bonjour ? Combien d'temps je... ?

La nuit. Toujours. Oh, ouf. J'aurais souffert d'avoir comaté plusieurs heures à moitié embourbé dans ma propre gadoue mélangée à d'la purée d'pois nauséabonde. Les okamas rejettent leurs déchets dans la mer ? Bah c'est du joli, ça.

J'me redresse sur mes pattes fraîchement recomposées, puis balade mon regard creux tout autour de moi. Une falaise, des canalisations qui crachent leur pollution rosée, la mer à perte de vue. J'aurais été au nirvana si j'savais encore flotter. Mais si j'savais encore flotter, ça voudrait dire que j'aurais pas pu laisser les tuyaux gober ma boue pour me chier ici-bas. Aïe.

...
L'air marin. L'écume chaude. Loin, loin, à des parsecs de ma fange marécageuse ; ma seule piscine désormais. J'y suis presque. Je dois...

... ustensiles chirurgicaux, ouais. Je dois trouver l'hypérion. Et m'y infiltrer. Et le voler. M'suffirait de faire le tour des cotes, non ? Une randonnée nocturne. J'ai semé les timbrées, j'suis seul. Délivré. Pas libre, oh non, pas libre du tout : mais au moins les chaînes de ma culpabilité n'entravent plus mes mouvements...
D'préférence, faut que j'achève ma cavale avant que l'aurore ne se pointe et n'me prenne en flagrant délit de complicité avec la Nuit. Aucune idée de l'heure qu'il est, ma jolie montre a subi une avarie technique, probable qu'elle ait moins bien supporté le toboggan aquatique extrême sous-terrain que moi : étouffée sous une pellicule sombre, j'l'entends plus tic-tacquer. Après l'avoir essuyée, elle m'dévoile l'heure de sa mort : 22h03.

En route. Pas d'pitié pour ma montre. Comme mon marteau d'guerre, j'avais souvent tendance à l'oublier, celle-là. Le temps a jamais eu grande importance à mes yeux : et aujourd'hui, il devient denrée précieuse. J'commence à tâter du bout d'la langue le goût acide d'une vie de fugitif. Courir. Se retourner. Courir. Souffler. Courir. Se retourner. Courir. S'oublier.

Mais c'est la rançon des ambitions.
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La nuit est bien noire, maintenant, tant d'encre barbouillée devant mes mirettes globuleuses que j'en distingue à peine la silhouette de l'Hypérion. La grosse boîte de conserve sous pression dans laquelle ont mijoté mes doutes déjà tout préparés. Sûrement vide, creuse et morne, m'y glisser devrait pas m'poser grands soucis, et les okamas s'doutent sûrement pas que j'vais partir faire escale ici avant d'aller mettre les voiles pour de bon. En fait, ils ont probablement aucune idée de c'que j'suis en train de branler et ça les dépasse complètement ? C'est qu'décrpyter mes mouvements serait digne d'une traduction d'ponéglyphes : comme un langage erratique et bondé en bonus de fautes d'orthos, envahi d'inutile dans lequel émerge de temps à autres quelques illuminations.

J'suis sur son quai, à pas d'velours, les crissements d'mes semelles étouffés par une prudence délirante inspirée par ma parano. Parce que, y a personne, hein, pas un chat, ni un rat, j'suis la seule ombre tangible à quelques centaines de mètres à l'horizon. Je crois. Mais j'y suis presque, alors j'ai aucun risque à prendre, j'continue à m'faire ninja, malgré ma silhouette de monstre tout droit échappé d'un conte romantique cliché -avec des atours féminins en prime, qui lui paraissent de plus en plus encombrants, au monstre-.

L'pont a pas été relevée et personne n'semble avoir réussi à fermer la grande masse d'acier qui sert de gorge au gros dragon pataud d'inox blanc, car elle est grande ouverte, et son haleine glaciale vient jusqu'à moi m'ébouriffer. Après avoir failli boire la tasse dans la plomberie d'un évier, c'plus des entrailles de sous-marin vides qui réussiront à m'oppresser, ah ça, non. Alors j'm'y engouffre le coeur léthargique, et l'esprit rabougrie en une simple volonté d'achever vite et bien le pliage de mes bagages. Cambriolons joyeusement la piaule de nos ex-comparses !

J'entends la machine ronronner doucettement alors que j'déambule en ses couloirs. Chaque pas me griffe un souvenir : ma découverte des lieux, mon intégration à la famille des rhinos, mes prises de coeur avec Rei, ses confessions et sa passion, mon incapacité à gérer cette avalanche d'émotions qu'ont fait qu'm'ensevelir sans me laisser les comprendre. Les retrouvailles avec Uriko, la sensation d'tripoter un passé douloureux. Et mes interminables heures passées barricadé dans l'infirmerie à m'flageller.

J'avais déjà chapardé quelques outils au Léviathan. Ça doit m'faire un trésor conséquent. De quoi emplir un baluchon bien lourdaud, surtout qu'faudra le compléter de biscuits militaires dégueulasses et d'fruits en conserves. J'ferais aussi bien d'me dénicher un gros sac à dos. Secteur des cabines, j'ouvre les portes coulissantes une à une, voire s'il y a pas un p'tit collègue qu'aurait pas largué son sac de rando dans sa cabine avant d'embrasser l'enfer rose. Et la plupart des compartiments sont si étroits qu'on y ferait en fait même pas rentrer un sac à main ; comment ils vivaient là-dedans ? Et comment j'ai à ce point perdu contact avec la réalité pour ne pas avoir remarqué dans quels gourbis ils passaient leur quotidien, les copains ?

Faudra que j'me contente de quelques draps bien noués alors...
... j'leur donnerai pas trois minutes de voyage avant qu'ils ne s'retrouvent crevés, pourfendus par mon argenterie tranchante là. J'attrape un petit sac à dos au détour d'une cabine, un machin qu'un maternelle utiliserait pour trimbaler trois cahiers. C'est mieux que rien et j'vais devoir m'habituer à errer léger, de toute façon. J'pourrais laisser un mot à l'attention d'la victime de mon larcin ? Style "j'reviendrai te le rendre une fois primé à 400 millions et traqué par deux amiraux, bisou" ?. Y a qu'son sac qui y passera, de toute façon, j'prends soin d'le vider, de rien emporter d'autre que lui. Le vrac de clés, de photos, de bouffe périmée qu'il contient, je l'étale sur la couchette, il retrouvera tout à son retour. Quand les okamas le libéreront... Bonne nuit, collègue de la cabine n°65.

Direction l'infirmerie, en paix, sous les murmures vibrants du submersible et les clapotements langoureux de l'écume sur les parois. Les boyaux du vaisseau me paraissent bien étroits tout d'un coup, probablement les canalisations qui m'ont incrusté un zeste de claustro sous le crâne, en plus de mon saut de l'ange qu'a charrié un sale vertige et une discrète nausée qui n'veut pas décamper.

Ajouté à cela l'anxiété qui m'étrangle à chaque grincement résident dans la machine : j'suis seul, hein ? Tout seul ?

Aucun okama n'oserait venir faire la bringue sur un bâtiment de la marine. Et tous les collègues sont sous leur joug, captifs, -otages ?- donc j'peux n'être que seul.

Seul comme je l'ai toujours été, au fond. Personne, même Frangin, n'a jamais réussi à vraiment deviner qui j'étais et ce dont j'étais capable. Bref.

L'infirmerie silencieuse, ma demeure. J'balance le sac dans un coin, m'amène en quelques pas lestes auprès d'mon bureau sur lequel je m'assois, dans la plus opaque obscurité. Y a une bougie à la cire agonisante à la gauche d'mon fessier, mais j'ai pas d'allumettes. Et d'toute façon, mes pupilles ont eu l'temps de s'habituer au noir. Inspire, expire, secondes de recueillement. Vider mon crâne à la cuillère de ses pensées parasites. Être à c'que j'fais. Poursuivre mon pillage.

C'est parti. Le sac de toile que j'avais utilisé comme hotte pour voler l'infirmerie du Léviathan aplati sous mon bureau. C'est lui qu'accueillera les scalpels, les médocs, les seringues ainsi que les vrilles plus exotiques. Histoire que les provisions ne cohabitent pas trop avec les ustensiles de boucher... j'les isolerai.

J'fais l'tour de mes étagères, sépare le grain de l'ivraie par simples coups d'oeil. Autant rien prendre en double, si c'n'est les merdouilles capitales comme les scapels, ou les seringues qu'il est toujours bon d'éviter d'recycler si on veut pas s'injecter des zoos de larves sous le cuir, si on veut pas accueillir trop d'virus qui viendront abuser de la chaleureuse hospitalité d'notre corps aussi. Pareil pour le désinfectant : il en faut plein, j'en aurai jamais assez. Faudra pas qu'mes entailles deviennent synonymes de journées portes ouvertes aux bactéries, et des entailles, j'vais pas arrêter d'm'en faire. Ma viande à vif, rouge, palpitante, mes muscles chialant assez d'sang pour en remplir des bouteilles de vin, et mes propres os dénudés sans pudeur, ce sera bientôt mon quotidien : j'vais explorer les coulisses de mon organisme de long en large, autant dire que j'risque de m'y perdre et de pas mal en saccager l'intérieur. Et qu'avec toute la chair morte qu'je perdrai dans l'affaire, y aura de quoi monter un grand buffet de charcuterie/poissonnerie pour des clodos pas trop regardants sur la provenance de leur pitance. Hum...

Ma hotte pleine de cadeaux que je m'offre généreusement, j'ai été sage, trop sage depuis ma naissance : l'heure de la récréation sonne pour moi. Ma hotte, je l'enfonce dans mon sac, elle prend beaucoup d"place, c'était prévisible. La bouffe sera toute serrée, j'me contenterai d'prendre des p'tites gâteries, c'que j'aime le plus. Les boîtes de salades de fruits, les sachets de raisins secs. C'est tout. De quoi dérégler ma diététique et m'accabler de carences.

Mais mon corps est comme une cage dont j'me complais à limer les barreaux.
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C'est excellent, les raisins, ça s'déchire sous les crocs en un éclaboussement de jus enivrant, c'comme une bulle de plaisir venant péter à la surface d'un océan d'fadeur : car j'suis pas gastronome, pas du genre à subir des chaînes d'orgasmes en sentant ma panse craquer. J'ressens toujours cette infecte impression d'être jeune pucelle sautillante dans une ruelle sombre en attendant que l'une des ombres peintes sur les parois ne se détache pour venir la violer.

C'la nuit qu'est taquine. Et l'fait que j'sois un fugitif aussi. J'broie aussi des biscuits par paquets d'cinq sous la guillotine implacable qui m'sert de machoire ; puis les miettes descendent à pic dans l'infernal acide de mon estomac. C'est qu'ça, la vie après la mort, pour la bouffe : l'enfer assuré. Et la réincarnation en un épais et gras engrais nauséabond qui pue littéralement la merde.

Toujours agité de nébuleuses idées noires même pendant qu'je me restaure. Hâte, si hâte de débuter mes expériences. J'pensais monter mon p'tit labo à Drum, 'vec quelques sponsors. De belles terres qui chantent des douceurs envoûtantes en ma mémoire : mon stage à l'académie était un beau moment, une semaine tendre où j'me sentis pour l'une des premières fois comme un poisson dans l'eau, au milieu d'jeunes toubibs que mon apparence brusquait pas, car tous savaient qu'on étaient réunis par le même désir d'apprendre.

Mon désir d'apprendre a muté en une insatiable curiosité déviante, un appétit d'connaissances qui soulèveront sans peine les jupes pudiques de mère Nature la catin ultraviolente. J'sais pas si mon projet plaira aux toubibs 20, p'tete bien qu'ils me riront au museau ou m'proposeront une camisole. Mais ça coûte rien d'essayer : truquer les dés de la grande loterie de la vie, choisir sa race, son sexe, son existence, son corps, c'est pas du plan d'avenir brillant et totalement dégénéré, ça ?

Tout en mâchant du céleri qui moisissait dans l'frigidaire en panne, j'bourre mon sac -enfin, mon sac volé, s'entend- de conserves à peu près fraîches. Plein à craquer, j'ai un brin peur qu'il se crève en route, mais c'une angoisse bien minime par rapport à la blinde d'appréhensions qui m'tiraillent la conscience pendant ce temps.

Il restait une dernière étape avant d'devenir le papillon aux spores toxiques de mes rêves : un déguisement. J'me suis passé la gueule au lavabo pour évacuer les tartines de maquillage, j'ai balancé la garde-robe qu'm'ont imposé ces folles par un hublot. Et parce que la vision d'ma carcasse de têtard en slip m'était insupportable, j'ai bondis sur le premier uniforme de matelot qu'j'ai vu traîner dans la laverie. Une belle chute à la blague : me hisser lieutenant-colonel en six ans d'frustrations, de calvaires et d'aventures dans les multiples orifices puants du monde... pour finalement me tirer sur une pulsion bizarre, travesti en pauvre troufion ! C'comme dégringoler depuis l'sommet d'une montagne de cadavres qu'on avait soigneusement empilé. Exactement comme c'que papa a fait : la décadence doit être écrite en tout p'tit dans notre ADN, une genre de clause secrète et suspecte qui carre des bâtons dans les roues de toute nos entreprises, même celles lancées à toute berzingue -SURTOUT celles-là, en fait-.

Va être l'heure de décoller pour de bon. J'savais qu'ce moment arriverait un jour ou l'autre, sans ni l'attendre ni le craindre. C'juste une ligne de mon destin. J'suis qu'le perso d'un bouquin dont j'suis p'tete même pas le héros -quoique, un perso secondaire penserait pas autant qu'moi, non ?-. Drum, Tark, me voilà ! Rutilant, en roues libres et à l'allure démente, sûrement, mais me voilà !
J'décampe du flippant réfectoire vide, seulement animé des tuyaux vrombrants de l'Hypérion. L'estomac du sous-marin. Cette chose était vraiment vivante : de l'intérieur, seul, on l'entend palpiter et craquer, sa carlingue secouée par les soubresauts de ses propres entrailles, de sa salle des machines battante. Son squelette de poutres d'acier encadrant des couloirs étroits comme des boyaux et des artères : j'ai l'impression d'être un virus, une infection profitant d'la faiblesse du système immunitaire déserté d'un comateux pour lui piller ses ultimes forces.

J'dois ressembler à un escargot hyperactif, fardé d'mon gros barda. J'ai l'habitude d'avancer voûté, et de transporter trop lourd pour ma colonne raide et crépitante comme du câble électrique sous haute tension.

C'est victorieux, alors, que j'emprunte la passerelle à l'envers. Que j'me retrouve sur les quais, aux prises avec un vent farouche et givrant, sous les feux d'constellations curieuses. Les environs semblent encore calmes, mais j'mettrais pas ma palme à couper qu'il en soit de même pour le port qui m'intéresse. J'trouverai bien une navette où m'embarquer en clandestin ? Voire en simple touriste. M'étonnerait qu'mon signalement ait traversé toute l'île en une seule nuit.

Ou bien voguer sur l'un des canoës d'sauvetage de l'Hypérion ? C'est classe. Ouaip. Y a des chances que la première houle trop avenante ne m'envoie par les fonds servir de déco d'aquarium géant aux poiscailles qui pourront m'investir comme baraque en viande, mais ça reste classe et ça m'permettrait de renouer avec mon ex, l'océan.

...
Va pour la navette.
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Le soleil revient, il commence à pointer son sale pif éblouissant au-dessus de l'horizon.
Le guichet d'la translinéenne. Forcément, tenu par un okama qui m'contemple comme si j'étais un lingot d'or qu'ille aurait trouvé dans ses chiottes. Interloqué, ébahi. Dangereusement obsessionnel.

Ouiiiii, magnifique créature ?
Un... Un ticket. Pour le prochain voyage.
La translinééééeeeenne ? Quelle île ? ♥
Drum.
Oh, Drum. Qu'est-ce qui t'intéresse à Druuuum ? ♥
Euh...

Un pas d'recul me sauve des deux travelos enjambant l'comptoir, dont les pinces auraient pu s'refermer sur moi si j'm'étais pas autant douté que quelque chose clocherait, que ma fuite ne consistera pas en une pauvre téléportation dans un navire de transport, saupoudré d'une ellipse parce qu'il se passerait rien d'intéressant entre.

Sauvage, mon cochon ! Une nuit entière de cavale, et toujours pas épuisé ? ♥
Ta ténacité inspirera nos bardes ! J'espère que tu n'as pas abîmé les jolis vêtements que l'on t'avait prêté ? ♥

Le psy, le guichetier, et l'un des flics de leur brigade flashy. J'les contourne en sautillant comme une gazelle au cul cerné d'lions aux crocs claquants. Direction les navires, suant toute mon eau, toute mon âme, toute ma boue. C'qui s'échappe de mes pores n'est pas d'la simple eau salée : c'est d'la vraie purée marécageuse, qui vient éclater en bulles brunes sur le ponton boisé, glougloutante.

Il essaye !
Il essaye tout ! ♥
Sauvage ! ♥

Comme si la moindre de mes cellules était prise de diarrhée fulgurante. J'implore toutes mes écailles de vidanger leur flotte : quitte à finir sur le navire en mollusque desséché, échoué, et frétillant. On ouvre toutes les écoutilles, on largue des balles boueuses par paquet de cent. Une limace dopée traînassant derrière elle une longue traînée de marais sans fond. La flic s'prend les petons dedans : j'l'entends piailler de sa voix d'crécelle paniquée.

On a perdu René !
Craig, Craig... Petit sauvageon, jusqu'où iras-tu pour échapper à tes poutous ? ♥

J'deviens un oisillon qui prend son premier envol ! J'remue des palmes galamment, sans enrayer ma sudation : mes gouttelettes se répandent en un vrai crachin d'vase derrière moi, un brouillard boueux : l'autre défense du putois : ma nageoire caudale aussi convulse et largue par vague du rempart nauséabond. J'tourne le museau, rictus peint en grand : le guichetier s'en est pris plein la gueule, ses mirettes obstruées, il s'prend les pattes sur le tapis d'marais et se l'envoie d'plein fouet.

Toi et moi, Craig ! En un unique amour sauvage ! Viens embrasser le marié ! ♥

Le psy était...
Ah. Il était censé être mon mariage arrangé, ce couillon.
Il a avec succès bondi par-dessus tout mes pièges, m'acculant au bout du quai. Le navire de la trans' n'attend plus qu'moi. Alors j'dois le décalquer pacifiquement. Y aura pas la moindre goutte du sang pour venir tâcher ce beau cadre fangeux.
Il continue à foncer en ma direction. J'me retourne, lui fait face. J'continue à baver ma gadoue par seaux, par citernes entières.

C'est pas comme ça qu'tu m'dégoûteras, mon... que...

Et tout c'crottin qui me recouvre devient un même tas d'immondices. Mon museau s'plie, fané, pour devenir comme le bras suppliant d'un homme broyé sous mon putride amas de turpitude. Mes mirettes dégoulinent, leur bleu profond devient une abysse brune, ils fondent en deux oeufs pourris improvisant une danse chaotique à travers ma machoire liquéfiée, les crocs en pieux embourbés prêts à saillir sur cet agaçant okama qu'a désormais annihilé tout c'qui me restait de patience.

Il est dans l'ombre de mes grands bras, grosses palmes dressées en tentacules nauséabonds plus voraces que des jumeaux anacondas, qui ondulent en ronflant. Et ce magma putride de bourbe impie, il gargouille et semble gémir : comme s'il agonisait. Comme s'il souffrait de sa difformité : comme s'il se haïssait si profondément que son propre coeur lui pourrissait vif dans la poitrine.

Si...
Si sauvage...


Puis tout cesse. Après avoir jeté un oeil dans l'ouverture que j'lui ai laissé, au bon psy en minijupe, le panorama d'un minuscule pan d'mon esprit glauquissime, il s'écroule évanoui : il n'a pas supporté l'image que j'ai de moi lorsque j'affronte un miroir.

Mon marais descend du ponton pour partir se dissoudre dans la mer, mon visage se réorganise en cet odieux minois d'squale taillé à la truelle et au burin.

Maintenant... Je m'en vais. Pour de bon. L'aurore témoigne de ma victoire.
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Frangin prétendait toujours que j'avais une sacrée suite dans les idées, une cervelle au top qui commandait à des muscles un peu plus feignants. Que mes pensées avaient d'la valeur, que raffinés, mes songes, comme des diamants bruts, deviendraient des joyaux à chérir qui rendraient c'monde un peu plus brillant. Il surenchérissait en m'affirmant que lui n'était pas capable de réfléchir aussi profondément qu'moi, de creuser le problème jusqu'à dénicher enfoui en lui une solution toute trouvée. Car jamais un souci ne surgit sans sa réponse attachée non loin : une meute de rats goinfres décimés par un appétit aveugle les poussant à dévorer une cargaison infestée, un tyran qui prend le pouvoir en se faisant escorter des artisans de sa propre chute, un gouvernement arrogant et sénile qui cultive en ses rangs la haine et le mépris de lui-même, comme un ado boutonneux qui n'supporte plus son reflet. C'est par cette dernière faute que naissent les plus virulents révoltés.

Tark me disait que j'étais capable de tout; parce que je savais sonder les motivations profondes des gens. Que grâce à la compassion, je savais comprendre, et que comprendre la misère, la vanité, l'espérance et la rage, c'était la clé de tout, c'était les quatre vrais éléments de l'univers.  

En sachant c'que je m'apprête à faire aujourd'hui, ce que j'ai pu faire hier et ce que j'ai pu penser avant-hier, est-ce qu'il continuerait à déborder d'autant de compliments à mon égard ? C'est mon jour J; celui où ma petite locomotive asthmatique devient fulgurant train des mers, celui où j'emballe mes vieilles convictions pour tenter d'les offrir à la révolution, pourvu qu'elle prenne le cadeaux avec le sourire et qu'elle ne le confonde pas avec une bombe. Après tout, pour les nombreux grisés qui s'sont penchés sur les déboires de l'aîné Kamina, c'est le p'tit frère qui a contribué à l'arrestation du grand. S'ils se penchaient encore plus, ils découvriraient la vérité : que le p'tit frère est simplement très lâche, mais faudrait beaucoup s'pencher, au point d'tomber dans la vertigineuse affaire tête la première. Personne n'a envie de ça.

La nuit porte conseil, on dit, et j'voudrais pas qu'un cauchemar mal peigné vienne encrasser toute ma résolution au dernier moment.

Le vent charrie quelques relents parfumés déambulant depuis le centre de l'île, et mêlés aux humeurs nocturnes, l'atmosphère en devient presque romantique. Manque de pot, l'Amour et moi sommes devenus frangins ennemis. Larguer Rei me case quelques épines dans les ventricules, mais vite, mes pulsions égoïstes reprennent le dessus. J'aurais du laisser un mot d'adieu, un petit quelque chose à l'attention de ceux que j'plaque, qu'osaient m'apprécier, à qui j'ai jamais trop su comment rendre leurs sentiments. C'est cruel.

Ils vont m'détester après ce coup-là, j'vais les décevoir. Mon coeur est devenu une prison, mes émotions parviennent pas à s'en libérer. Elles tambourinent sans s'faire entendre. J'ai jamais su extérioriser, jamais su me délester de mes poids. Mon seul confesseur, c'ma conscience, vindicative et impitoyable. Espionne et omnisciente. Les rhinos sont les rares pechnauds que j'aurais qualifiés de "potes", à l'occas'. Et chez moi, c'est du mot vachement fort. L'amitié suit le cours de la bourse. Moins t'en as, plus sa valeur grimpe. Et mes potes, je les compte sur les doigts; les doigts d'une seule palme. Ma confiance a un prix exorbitant mais ils se l'ont tous offertes; sans la garantie. Alors outre Rei, le souvenir de chacun d'entre eux, et mon imagination qui turbine pour se figurer ce que chacun d'entre eux va pouvoir penser d'moi, c'est autant d'épines qui s'enfoncent dans ma conscience.

Éviter d'les confronter est sûrement une forme de lâcheté, ouais.
La vie m'a prouvé maintes fois qu'la lâcheté était plus récompensée qu'une bravoure débridée.

Kamabaka était un rêve, un espèce de rêve mélancolique auquel j'ai pas compris grand chose. J'ai découvert une honte d'un nouveau calibre : celui qui t'éparpille en morceaux, qui lance des débats entre les débris de ton esprit sans aucun arbitre : ça s'est fini en pugilat intérieur. J'me sentais bien. Travelo. J'suis anormal, ouais, c'est loin d'être un scoop, désormais. Disons que si la norme était un long fleuve tranquille, moi, j'serais une cascade avec un dénivelé indécent, qui se jette dans un océan trop grand pour elle. J'ai les fusibles qu'ont sauté, qu'ont p'tete cramés, qui m'ont incendiés, hm. J'sais même plus si j'suis mâle ou femelle. J'ai les chromosomes en pleine crise existentielle. Je n'sais plus c'que je suis. Mon identité s'est barrée en claquant la porte, elle reviendra jamais. Tout ce que je sais de moi, aujourd'hui, c'est que j'suis une anomalie, une fausse note, une tâche de sauce en plus sur une nappe déjà sacrément crado. Si Mère Nature était pape, j'serais hérétique.

Kamabaka me l'a confirmé. J'avais ce doute qui errait en mes oubliettes lugubres, depuis tout jeune.
J'ai jamais été normal. Et là, j'suis qu'un môme bloqué dans un corps d'adulte strié de tourments.

Alors qu'autour de moi tout souriait, de ces dents coulantes de sucre et d'hypocrisie, je restais morne, marbre, morgue, à rassembler les fragments de mes pots cassés. Les fiestas en série, les jeux crevants, n'm'ont pas distraits, ne m'ont pas fait oublié. N'ont rien colmaté du tout, j'me sens toujours épave, chavirant. J'suis à la recherche de sentiments perdus. Les certitudes solides de ma jeunesse. Tout finit toujours bien, je pensais. Une histoire qui commence joliment se termine joliment. Et qui que tu sois, peu importe d'où tu viens, quelque part dans l'monde, y aura une place pour toi. Tu peux pas errer à jamais, et même en tant que figurant, tu auras un rôle à jouer. Ma place à moi, je l'avais dénichée, dans le sillage de frangin. J'étais sa force d'inertie.

Il s'est cassé les crocs en premier. Forcément, j'l'ai suivi de près.

Du dehors, la marine semblait couveuse à héros. Entré dedans, je me suis rendu compte que les héros, si peu, si niais, ne sont que quelques panneaux publicitaires surgit de charniers abominables, et que tous les vrais braves tombent sous les canons et le fer. Le titre de héros est une malédiction, une marque au fer rouge qui t'irrite de ses brûlantes responsabilités, mais surtout de ses ardents souvenirs. Un survivant devient vite un héros; j'ai survécu six ans. Qu'en es-t-il des ombres qui tapissaient mes instants de gloire ? Le vrai héros, putain, n'a pas les palmes autant rouges d'hémoglobine épaisse et nauséabonde que les miennes.
Désabusé et glacial, j'me réfugierai dans les bras de la révo' seulement en quête d'une seconde vie. D'une éponge qui récurerait cette immense ardoise blanchie de bourdes, de tromperies, de trahisons et de déceptions.

Les vices sont le sang du monde, je pataugerai dedans aussi côté gris.
Et peu importe ce que l'éthique branlante aurait à redire : quand tu fais saigner le monde, c'est du vice qui dégouline de ses plaies. Reste à désinfecter proprement...

Ce sera un aller simple, j'suppose. Si j'ai, un jour, ma gueule placardée en format A3 dans tous les bureaux d'la marine, surmontant une farandole de zéros, ben j'conseillerai quand même aux ex-collègues de régulièrement la mettre à jour. Avec tout c'que j'compte faire subir à ma bouille d'ange, entre les chirurgies, les hématomes et les ondulations d'ma boue, pas sûr que le diable garde la même tronche une semaine de suite...

Mais j'préfère m'imaginer errant en quête d'idéaux solides, qu'amarré à de vieux espoirs périmés depuis des plombes qui me tirent lentement vers leur propre ruine. Ça a sûrement été c'choix qu'tu as fais, Tark, y a trois ans maintenant. Tu avais essayé d'me le faire comprendre, mais j'étais trop perché à l'époque pour l'accepter. J'étais encore le p'tit frère étalé dans ton ombre, qui pestait contre toi pour l'avoir abandonné; à moins qu'ça ne soit moi qui t'ait abandonné, j'en sais plus grand chose. Dans l'histoire, p'tete que c'est moi le salaud éternel. La girouette, le lunatique, l'indécis, le paumé. Qui bondit inlassablement d'valeurs en valeurs, comme une puce excitée sur des clébards agonisants, à la recherche d'un poil pas trop nauséabond où persister.

Peu importe. Bientôt, j'arborerai tes couleurs. Une nuance de gris, du moins. Le reste n'aura plus beaucoup d'importance. J'finirai p'tete primé, selon par où les tempêtes idéologiques m'emportent, et si face aux ouragans, j'resterai fier et droit comme un paquebot qu'on vante insubmersible ou si j'coulerai à pic, poignardé par mes propres ambitions. Mais, franchement, j'suis devenu balèze, hargneux quand il le faut, j'ai l'instinct de survie affûté, les réflexes qui sauvent bien ancrés en moi, puis, bah, puis j'ai un logia. J'suis plus cet alevin frêle que tu te sentais forcé de couver, Tark. Malgré moi, j'suis devenu adulte.

J'embarque avec moi mon projet de révolutionner la nature. De devenir humain, et de permettre à quiconque de choisir comment il va naître, comment il va être, de s'affranchir des chaînes qui sont fournies avec notre cordon ombilical, à la naissance. Oh ouais, frangin, j'suis devenu taré à ce point, et j'en démordrai pas. J'ai trop souffert sous ces écailles pour me résoudre à les porter jusqu'à la mort, et même par-delà la mort, j'veux pas qu'ça soit cette hideuse carcasse de rejet poiscailleux pestiféré que les asticots s'tapent. Ils méritent quand même un gueleton moins putride, ces pauvres nécrophages.

Ah, ça sera long et laborieux. Y aura sûrement des ratés, j'me rendrai p'tete encore plus moche qu'actuellement -quoique j'suis pas sûr que ce soit faisable-. La douleur me carrera des poutres dans les roues, car on parle quand même d'auto-charcuterie sur chair à vif et palpitante. Car l'anesthésie n'a jamais été mon fort, les champs d'bataille n'étaient qu'travaux à la chaîne où j'abattais mécaniquement mes haches. Me demande parfois si j'tends plus vers le boucher que l'chirurgien : car après tout, moi aussi, j'attendrissais la viande. Mais bon. "J'aurais essayé". Et au pire, la bidoche que j'perdrai dans l'affaire nourrira bien quelques clebs de gouttière, ou quelques clodos pas très regardants sur la destination des rejets d'leur poissonnerie.

Mes bourdes nourriront quelques miséreux.

Et dans l'idéal, dans quelques années, j'me repointe sur le devant de la scène muni d'un nouveau corps, d'un nouvel esprit. Est-ce que j'm'en vais poursuivre de nouveaux idéaux, ou est-ce que j'fuirais pas plutôt la lassitude qui m'crache dans le coeur depuis trop longtemps, le remplit d'ses mollards croupis ? Avec un peu de chance, si j'crève pas trop tôt, si la Mort continue à me snober, j'ai pas encore graillé la moitié de ma vie. Largement assez pour prendre mon pied dans d'autres contrées ! J'ai tant à explorer, tant à rencontrer. J'attends plus que l'avenir vienne gentiment à ma rencontre, j'lui fonce dedans, j'le bouscule, j'lui fais vomir ses tripes sans la moindre politesse.

Tout n'est pas perdu pour moi !
La folie qui m'germe dans les entrailles n'a pas encore parasité ma volonté d'attraper des causes justes.
J'suis toujours debout. Debout sur le pont. Face à la maman océan, qui veut plus d'moi en son sein. J'fais mon deuil comme je peux. Mais l'écume s'fait toujours aussi affectueuse à mes naseaux, c'toujours ça, j'me sens envoûté par l'horizon. J'le sens, émerger depuis les limbes, le goût du voyage, de l'errance. Se sentir manoeuvré par le vent, semer un peu de "Bien" dans mon sillage et revenir quelques mois plus tard mater s'il a bien poussé. Ces souvenirs estivaux m'réchauffent, en ce glaçant début d'année. J'ai pas la banque débordante, mais largement suffisante pour pas devenir squelettique avant une courte année; et quant au logis, un tas de briques serait à ma nuque aussi tendre qu'un matelas d'okama, et les nuits à la belle étoile ne m'font pas peur, car l'espace noir et moi, on est plutôt en bons termes. J'aurai bien trouvé un plan d'ici-là. Rien ne. Presse.

Me demande si c'était déjà écrit, dans le bouquin que mon auteur bourré écrit, une péripétie toute trouvée qu'il aurait attendu aussi impatiemment que moi. Si c'était couru d'avance, si je n'ai fais qu'arracher quelques pages pour sauter directement à la fin d'un pompeux chapitre. Que c'était griffonné en toutes lettres dans mon génome bipolaire de poiscaille humain qu'a grillé une étape dans l'Évolution : TRAÎTRE.

Ma soif d'errance insatiable tombe dans une source intarissable de découvertes. Le monde de la surface, libéré de mes galons... et de mon équipage.

La révo a ferré son poiscaille, je crois, j'ai son hameçon fiché dans l'palais, il me dechiquete douloureusement la voix : j'n'ai plus qu'elle à la bouche. Maintenant elle me remonte, pour me grailler, probablement, m'avaler goulûment. Elle ferait mieux de bien me mâcher, et surtout de se boucher le nez; car la marine m'a déjà vomi tandis que je me dissolvais dans son estomac, j'dois pas être frais, et affreusement amer. Mais p'tete bien que la révo' ne fait pas gaffe à l'origine de sa bouffe. Autant qu'la marine était un vioque sénile obèse dont les bourrelets auraient pu tremper dans des litres de sang, la révo' est un p'tit gros capricieux en pleine crise d'adolescence.

Une famille bien laide que celle de la civilisation humaine.

Cap pour Drum.
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