Ils étaient par ici. Les scalpels. Des fins, des gros, des élancés, des étriqués, des timides, des phalliques, des barbus, des rasés. Weiss a du les ranger n'importe comment en fin d'journée. S'il pouvait être aussi ordonné qu'imbuvable, cette salle serait bondée de gros panneaux lumineux pour m'indiquer l'chemin...
J'grince des crocs, j'affûte mes sens. La bête a raison, j'suis qu'un voleur pouilleux. Là à piller l'infirmerie du léviathan, en pleine nuit, c'est maintenant ou jamais : j'ai trop besoin d'matos pour mes p'tites expériences. Et si j'me fais gauler, ça va être un carnage d'espérance. Dégradation, honte, plâtrée d'explications indigestes et gerbantes, suivi psychologique qui poignardera à vif l'embryon d'ma folie. J'ai pas envie qu'on me l'avorte. Elle est tout ce qui m'reste. Le rejeton incestueux que l'monde m'a implanté. J'sais ce que j'fais. J'sais que c'est mal, tordu. Dingue. J'étais habitué à servir de serpillière, à m'imbiber d'la souffrance, de la détresse des autres, d'avoir envie de laver leurs tourments. Être un purificateur, voilà, c'est c'que j'voulais. Au fond. Nettoyer la crasse qui rend ce monde malade, et...
... et j'm'étais mal jaugé. J'suis moi-même crade. De la surface des écailles à la moelle de mes cauchemars : je suis CRADE. Plus que jamais, visqueux, gluant. Amorphe.
Un bon antiseptique. Un miracle ! J'pensais pas qu'il en resterait, avec tout ce qu'est parti dans les plaies béantes de nos collègues avant-hier. Puissant, et simple d'application. Mon ambroisie. J'en gaverai mon biceps.
J'y irai mollo, au début. Un centimètre carré ? De toute façon, j'commencerai rien ce soir. Me faut un échantillon de peau humaine, chaude si possible. Tenter la base des bases des bases des greffes. Quelque chose de sale, d'irréfléchi, éprouver les capacités d'assimilation de mon corps. J'suis sur le point de poser la première pierre d'un édifice monstrueux. J'ai l'coeur dansant, rigolard. Il a hâte, il en VEUT. Et d'un autre côté...
Tsss.
... j'vole les rhinos.
Ce matos pourrait sauver une vie, plus tard.
Mais il se fera absent. Car je l'aurai subtilisé pour transformer mes fantasmes romantiques en sordides réalités. C'est immonde. C'est immonde. J'embarque -je m'empare- de ce matos, j'le glisse dans un pauvre sac à dos. Le même modèle qu'a contenu la famille d'bombes dont j'me suis fardé, avant d'aller m'faire dérouiller par Flist. Flist. J'aurais du rester à ses pieds, p'tete. Ma vie aurait été moins minable, à jouer au molosse, plutôt qu'à laisser le monde jouer avec mes sentiments.
Goûter au bonheur. Goûter à la passion. Qu'elle me nargue une poignée d'heures, avant d'me lâcher, en chute libre, du haut d'mon septième ciel, je...
... C'aurait été différent, si j'avais été humain. C'aurait été plus facile. J'aurais existé sans honte, même à partir de c'vilain jour de 1619, lorsque Frangin et moi avions émergé. Les yeux braqués sur mes idéaux, j'aurais pas eu besoin d'les détourner pour penser ma misère intérieure. Personne ne m'aurait jamais carré de bâtons dans les roues sous prétexte que mon cuir gris n'est que celle d'une abjecte erreur de la nature, dont la seule présence pose trouble et tension. Palmes, branchies. Aileron, crocs. Accessoires. La plupart s'font caduques, maintenant que j'ai bouffé cet étron du démon.
Si j'avais été humain, l'amour ne m'aurait pas fui. Mon esprit ne l'aurait pas chassé, révulsé par ce pour quoi mon coeur battait. L'amour m'aurait envahit et j'me serai allé à sa soyeuse chaleur, j'me serais pas réveillé en sursaut, foudroyé par un rêve trop beau pour être vrai. Poiscaille gluant, marécageux, amoureux de la belle humaine aux cheveux océans ? Ça sonne mauvais conte de fée, bavé par la plume mielleuse d'un auteur hypocrite.
Car NON, j'suis PAS dans un putain de conte de fée. Mon corps d'engeance marine n'est PAS compatible avec celui d'Rei. Et rien qu'd'y penser, ça m'oblige à faire le compte des déviances qui s'immiscent dans notre relation. Zoophile ! A quoi tu penses, sale bête ? Bas les pattes, qu'ils voudraient tous me hurler, les pantins moyens animés par les préjugés. On m'a souvent confondu avec un vrai squale dont les seules émotions s'dirigeaient vers la bouffe, dont le seul moteur était le fumet du sang. On m'prenait pour un animal, pour un hybride grossièrement assemblé par Mère Nature pour peupler un océan trop vide. J'ai parfois fini par m'demander si j'étais anormal, trop intelligent. Si j'étais pas vraiment sensé juste jouer des crocs et des nageoires pour m'emparer de mes rêves. Une anomalie. Un doigt d'honneur pacifique à une nature ultraviolente.
La boue est isolante, un vrai coup de foudre ne passera pas.
Sale bête !
L'amour a tenté de percer ta carapace, tu n'as pas su l'accueillir parce que t'en es pas à la hauteur...
... j'vole les rhinos.
Ils comprendraient pas. Pourquoi j'voudrais m'arracher la peau comme un vieux cuir usagé et dépassé de mode. Capitaine, Jenkins, Serena, Blacrow, Jacob, Wallace. Ils sont tous bons, ont tous le coeur au bon endroit, même s'il palpite différemment. J'ai la confiance chère, mais tous, haut la main, ont pu s'la payer.
Mais ils comprendraient pas...
J'enfonce mon tas de merde dans mon sac, j'fais l'inventaire. Des lames de toutes les formes, des médocs de tous les calibres. Quelques bouquins théoriques qui glandaient du côté du bureau de Weiss. Mon infirmerie à moi, dans l'Hypérion, est vachement moins fournie, me manquaient de la matière première. Notamment côté médocs. Dommage. La marine me financera pas mes p'tites folies. J'suis forcé de prendre des extras. Elle me doit bien ça !
En m'imaginant écrire une requête aux gratte-papiers du gouvernement en leur expliquant courtoisement que dans le cadre de mes projets d'auto-mutilations et d'expériences sur la chair poissonneuse, je demande, aimablement, une extension budgétaire, je m'offre un rictus, qui m'déforme la face. C'est qu'ils seraient foutus d'accepter, en plus.
Arrivé sur l'pallier, un coup d'oeil à gauche, un autre à droite. Les couloirs sont silencieux, le léviathan dort et ronronne légèrement. Les machines, jamais au repos, susurrent quelques infimes vibrations à mes semelles.
Héhé. La voie est libre. Forfait accompli. Tristement accompli.
Ah.
Oublié les seringues. Quel con. J'en ai déjà à la maison. Mais pas assez. J'pourrai pas simuler être bien équipé si je me construits pas un bon stock. Qui permette de maintenir l'illusion.
J'freine, fait demi-tour. A pas de velours. Mon assurance enfle, ma culpabilité un instant bâillonnée. Le mauvais moment est presque passé. Et au fur et à mesure que...
... que...
Euh. Salut.
... sur ces deux perles jaunes au fond du couloir, mes mirettes restent accrochées. Les tripes me fondent dans l'bas-ventre. Le commodore. Me prend encore la main dans le sac. Littéralement. Content d'vous voir remis d'vos blessures, commodore. Z'êtes la preuve vivante que j'sais faire quelque chose de bien. Vous marchez bien, vous tenez d'bout, votre regard pétille et aucune faiblesse n'est à déplorer. J'aperçois un petit câble blanc pendouiller dans les ombres. On dirait qu'vous avez débranchés vous-mêmes vos appareils, hein ? ... C'est... imprudent. Ouais.
Décidément... on doit pas être faits pour se croiser dans des circonstances qui incitent pas à me carrer un poing dans l'pif.
Tu piques dans l'assiette des autres ?
Putain...Ah, je m'en fiche. Je me demandais juste. Ton infirmerie à toi est pas assez complète ?
J'grince des crocs, j'affûte mes sens. La bête a raison, j'suis qu'un voleur pouilleux. Là à piller l'infirmerie du léviathan, en pleine nuit, c'est maintenant ou jamais : j'ai trop besoin d'matos pour mes p'tites expériences. Et si j'me fais gauler, ça va être un carnage d'espérance. Dégradation, honte, plâtrée d'explications indigestes et gerbantes, suivi psychologique qui poignardera à vif l'embryon d'ma folie. J'ai pas envie qu'on me l'avorte. Elle est tout ce qui m'reste. Le rejeton incestueux que l'monde m'a implanté. J'sais ce que j'fais. J'sais que c'est mal, tordu. Dingue. J'étais habitué à servir de serpillière, à m'imbiber d'la souffrance, de la détresse des autres, d'avoir envie de laver leurs tourments. Être un purificateur, voilà, c'est c'que j'voulais. Au fond. Nettoyer la crasse qui rend ce monde malade, et...
... et j'm'étais mal jaugé. J'suis moi-même crade. De la surface des écailles à la moelle de mes cauchemars : je suis CRADE. Plus que jamais, visqueux, gluant. Amorphe.
Un bon antiseptique. Un miracle ! J'pensais pas qu'il en resterait, avec tout ce qu'est parti dans les plaies béantes de nos collègues avant-hier. Puissant, et simple d'application. Mon ambroisie. J'en gaverai mon biceps.
Alors tu commenceras par le bras ?
J'y irai mollo, au début. Un centimètre carré ? De toute façon, j'commencerai rien ce soir. Me faut un échantillon de peau humaine, chaude si possible. Tenter la base des bases des bases des greffes. Quelque chose de sale, d'irréfléchi, éprouver les capacités d'assimilation de mon corps. J'suis sur le point de poser la première pierre d'un édifice monstrueux. J'ai l'coeur dansant, rigolard. Il a hâte, il en VEUT. Et d'un autre côté...
Tsss.
... j'vole les rhinos.
Ce matos pourrait sauver une vie, plus tard.
Mais il se fera absent. Car je l'aurai subtilisé pour transformer mes fantasmes romantiques en sordides réalités. C'est immonde. C'est immonde. J'embarque -je m'empare- de ce matos, j'le glisse dans un pauvre sac à dos. Le même modèle qu'a contenu la famille d'bombes dont j'me suis fardé, avant d'aller m'faire dérouiller par Flist. Flist. J'aurais du rester à ses pieds, p'tete. Ma vie aurait été moins minable, à jouer au molosse, plutôt qu'à laisser le monde jouer avec mes sentiments.
Goûter au bonheur. Goûter à la passion. Qu'elle me nargue une poignée d'heures, avant d'me lâcher, en chute libre, du haut d'mon septième ciel, je...
... C'aurait été différent, si j'avais été humain. C'aurait été plus facile. J'aurais existé sans honte, même à partir de c'vilain jour de 1619, lorsque Frangin et moi avions émergé. Les yeux braqués sur mes idéaux, j'aurais pas eu besoin d'les détourner pour penser ma misère intérieure. Personne ne m'aurait jamais carré de bâtons dans les roues sous prétexte que mon cuir gris n'est que celle d'une abjecte erreur de la nature, dont la seule présence pose trouble et tension. Palmes, branchies. Aileron, crocs. Accessoires. La plupart s'font caduques, maintenant que j'ai bouffé cet étron du démon.
Si j'avais été humain, l'amour ne m'aurait pas fui. Mon esprit ne l'aurait pas chassé, révulsé par ce pour quoi mon coeur battait. L'amour m'aurait envahit et j'me serai allé à sa soyeuse chaleur, j'me serais pas réveillé en sursaut, foudroyé par un rêve trop beau pour être vrai. Poiscaille gluant, marécageux, amoureux de la belle humaine aux cheveux océans ? Ça sonne mauvais conte de fée, bavé par la plume mielleuse d'un auteur hypocrite.
Car NON, j'suis PAS dans un putain de conte de fée. Mon corps d'engeance marine n'est PAS compatible avec celui d'Rei. Et rien qu'd'y penser, ça m'oblige à faire le compte des déviances qui s'immiscent dans notre relation. Zoophile ! A quoi tu penses, sale bête ? Bas les pattes, qu'ils voudraient tous me hurler, les pantins moyens animés par les préjugés. On m'a souvent confondu avec un vrai squale dont les seules émotions s'dirigeaient vers la bouffe, dont le seul moteur était le fumet du sang. On m'prenait pour un animal, pour un hybride grossièrement assemblé par Mère Nature pour peupler un océan trop vide. J'ai parfois fini par m'demander si j'étais anormal, trop intelligent. Si j'étais pas vraiment sensé juste jouer des crocs et des nageoires pour m'emparer de mes rêves. Une anomalie. Un doigt d'honneur pacifique à une nature ultraviolente.
La boue est isolante, un vrai coup de foudre ne passera pas.
Sale bête !
L'amour a tenté de percer ta carapace, tu n'as pas su l'accueillir parce que t'en es pas à la hauteur...
... j'vole les rhinos.
Ils comprendraient pas. Pourquoi j'voudrais m'arracher la peau comme un vieux cuir usagé et dépassé de mode. Capitaine, Jenkins, Serena, Blacrow, Jacob, Wallace. Ils sont tous bons, ont tous le coeur au bon endroit, même s'il palpite différemment. J'ai la confiance chère, mais tous, haut la main, ont pu s'la payer.
Mais ils comprendraient pas...
J'enfonce mon tas de merde dans mon sac, j'fais l'inventaire. Des lames de toutes les formes, des médocs de tous les calibres. Quelques bouquins théoriques qui glandaient du côté du bureau de Weiss. Mon infirmerie à moi, dans l'Hypérion, est vachement moins fournie, me manquaient de la matière première. Notamment côté médocs. Dommage. La marine me financera pas mes p'tites folies. J'suis forcé de prendre des extras. Elle me doit bien ça !
En m'imaginant écrire une requête aux gratte-papiers du gouvernement en leur expliquant courtoisement que dans le cadre de mes projets d'auto-mutilations et d'expériences sur la chair poissonneuse, je demande, aimablement, une extension budgétaire, je m'offre un rictus, qui m'déforme la face. C'est qu'ils seraient foutus d'accepter, en plus.
Arrivé sur l'pallier, un coup d'oeil à gauche, un autre à droite. Les couloirs sont silencieux, le léviathan dort et ronronne légèrement. Les machines, jamais au repos, susurrent quelques infimes vibrations à mes semelles.
Héhé. La voie est libre. Forfait accompli. Tristement accompli.
Ah.
Oublié les seringues. Quel con. J'en ai déjà à la maison. Mais pas assez. J'pourrai pas simuler être bien équipé si je me construits pas un bon stock. Qui permette de maintenir l'illusion.
J'freine, fait demi-tour. A pas de velours. Mon assurance enfle, ma culpabilité un instant bâillonnée. Le mauvais moment est presque passé. Et au fur et à mesure que...
... que...
Euh. Salut.
... sur ces deux perles jaunes au fond du couloir, mes mirettes restent accrochées. Les tripes me fondent dans l'bas-ventre. Le commodore. Me prend encore la main dans le sac. Littéralement. Content d'vous voir remis d'vos blessures, commodore. Z'êtes la preuve vivante que j'sais faire quelque chose de bien. Vous marchez bien, vous tenez d'bout, votre regard pétille et aucune faiblesse n'est à déplorer. J'aperçois un petit câble blanc pendouiller dans les ombres. On dirait qu'vous avez débranchés vous-mêmes vos appareils, hein ? ... C'est... imprudent. Ouais.
Décidément... on doit pas être faits pour se croiser dans des circonstances qui incitent pas à me carrer un poing dans l'pif.