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Petits secrets entre amis.


Lilou regarda avec attention la lettre qu'elle tenait entre les mains. Assise contre son bureau noyé sous les papiers, elle la lut une nouvelle fois avant qu'un fin sourire ne naisse sur ses lèvres. La guerre de Jaya terminée, et l'île mise presque sous contrôle, les nouvelles s'enchaînaient les unes après les autres. Dans ce brouillard épais, il lui sembla que cette missive était une sorte de lumière au bout du tunnel, et qu'elle annonçait un avenir radieux. D'ici peu, se dit-elle en sentant l'espoir monter progressivement dans sa poitrine, Oswald serait remis de ses blessures, et ils pourraient reprendre la mer.

Si elle n'avait pas été jusqu'ici à son chevet, ça n'empêchait pas qu'elle s'inquiète et attende après lui. Tout ce qu'elle voulait, après tout, c'était savoir qu'il s'était enfin réveiller et qu'il n'avait aucune séquelles de son coma. Il lui sembla pourtant que le temps qu'il prenait à refaire surface n'était pas de bonne augure, et imperceptiblement, elle s'en soucia. Plusieurs fois, elle avait ruminé cette idée selon laquelle il pouvait ne pas s'en sortir. Lilou l'avait collé dans un coin de sa tête, en espérant l'oublier, l'ignorer, la voir s'évaporer d'elle-même. Sauf que l'absence de réaction du Commodore et les jours qui s'écoulaient n'arrangeaient rien. A la place, il lui sembla que l'idée s'était transformée en tumeur, et qu'elle grossissait au fur et à mesure en lui grignotant le cerveau.
Les efforts faits pour oublier, se concentrer sur autre chose, furent reléguer progressivement au second plan. Lorsqu'elle ne s'enfermait pas dans son atelier pour discuter et travailler avec Rei, vérifier que ses prothèses marchaient bien, ou tester son propre équipement, elle s'enfermait dans sa cabine pour ne pas y trouver le sommeil. Puis, elle trouvait refuge dans ce bureau bordélique qui portait bien sa marque. Elle croulait sous les papiers, pour prendre la relève d'Oswald le temps qu'il retrouve ses fonctions à lui.

Ça l'avait aidé, pendant quelques jours. Pas plus.

Jusqu'à l'arrivée de cette lettre qu'elle ne lâchait pas. La brigade scientifique avait pris la décision de la promouvoir. Après ces mois passés sur Jaya, ses escapades en solitaire ou ses projets fous d'ingénieurs, on s'était penché sur son cas, et on s'était dit qu'elle pouvait avoir toute une branche de la brigade à sa charge. On allait l'appeler désormais Contre-Amiral Jacob, et la féliciter pour cette ascension fulgurante dans la marine scientifique, la contacter parce qu'elle était désormais considérée comme une référence en matière de cybernétique. N'était-ce pas merveilleux ?

Lilou ne savait pas quoi répondre. Elle était ravie, parce qu'on l'estimait, et on lui faisait confiance. D'un autre côté, toutes ces responsabilités étaient effrayantes. Elle était loin, la gamine qui trifouillait des circuits électriques en se demandant pourquoi ça ne marchait pas, et qui arrangeait les choses avec les moyens du bord. Si loin que, même en fermant les yeux, la rouquine n'était pas sûre de pouvoir la reconnaître parmi tous ces nouveaux souvenirs. Elle ne savait pas comment se réjouir finalement de cette nouvelle. De se rendre compte que tout allait pour elle, quand son meilleur ami, l'homme qu'elle aimait, se trouvait toujours plongé dans le coma et pouvait ne pas s'en sortir.

Elle poussa un long soupir, lorsque la porte de son bureau s'ouvrit sur la silhouette imposante et haute de Wallace. Lilou leva le nez vers elle, plantant ses yeux d'ambres dans ceux jaunes de son ami et coéquipier. Il arborait une mine sérieuse et transpirait la culpabilité des mauvais jours. Elle n'aimait pas ce regard. Quelque chose se mit à lui étreindre violemment le cœur, car elle avait déjà peur qu'il ne vienne lui annoncer ce qu'elle craignait le plus...

Il y a un problème ?

Oswald... Eut-elle envie d'ajouter. Est-ce qu'Oswald va bien ?

Mais elle se redressa juste en croisant les bras sur sa poitrine. La lettre se froissa dans sa paume fermée, et elle attendit simplement une réponse.
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Tourné en rond pendant des heures. Le syndrome de la page blanche, ne pas savoir quoi écrire, quoi dire pour justifier cela. Il n’existait pas de formulaires pour une telle demande, il ne savait même pas s’il en avait le droit. Flottait cette odeur de charogne, de chair blessée. Ses sutures étaient suintantes, c’était une bête malade, usée. Même les soutiens de ses camarades n’avaient pu panser la majorité de ses blessures. Il était sagace pour savoir qu’il était encore en état de choc, non habitué à ce genre de guerres. Sur le papier c’était une chose, les vivre … L’officine du médecin était devenue un puits infâme où personne n’osait plus mettre le pied. Mais bien moins infâme que lors du retour de … de …

Il inspira un brin. Le papier avait juste besoin d’être une demande formelle. Les raisons, il les expliquerait. Enfin, pas toutes. Peut-être pas toutes. Il ne pouvait se pardonner d’en être arrivé là, à garder trop sur ses épaules démesurées. Avec ses lèvres absentes, nul n’aurait pu dire que le Docteur avait perdu le sourire, ce qui était pourtant chose exacte. Son esprit avait cédé, lui qui avait eu l’orgueil de se croire assez fort pour endurer les batailles à venir. Son rêve de sauver le monde … inaccessible. Il n’était pas de la même trempe que la majorité des hommes qui marchaient sur les planches du Léviathan.

Allons, Lilou avait déjà trop attendu. C’était grâce à elle qu’il avait eu l’autorisation d’aller voir Oswald. Il inspira, parafa la dernière page. Démission. C’était dit. Le couperet était tombé. Il resta quelques minutes à regarder le papier, son cœur se déchirant en deux. Il se frotta les yeux, refusant de céder à cette boule qui lui déchirait la gorge. Tête haute. Il referma le dossier, se prit la tête entre les mains. Bon sang. Il n’avait pas l’envergure, le manteau de Salem lui était encore bien trop grand. Le monstre s’enfonça les griffes dans le bras, se rappelant à quel point la douleur pouvait éclaircir les idées. C’était l’heure. Façon de parler …

Il s’empara de son borsalino, resserra son imperméable. Le bureau craqua sous le poids du médecin mais tint bon. Il était rafistolé de partout, c’était un miracle. De sa démarche lourde, claudicante, la créature s’extirpa de son antre, griffant les murs qui le soutenaient jusqu’au bureau où trônait Lilou, condamnée à endosser la responsabilité du cimetière ambulant. Il resta là encore quelques dizaines de secondes, levant la main. La baissant. Regardant derrière lui. Ce ne fut que lorsqu’il entendit du bruit au fond du couloir qu’il franchit le pas et frappa à la porte. Il ne désirait pas se faire surprendre. Il frappa et entra en même temps, oubliant ses manières. Le regard ambré de la jeune femme se planta dans les yeux jaunes du monstre.

« … » fit-il en serrant les dents.

Aucun son ne voulait sortir. Il referma la porte, froissa le dossier qu’il tenait dans son énorme main. Il prit garde à ce qu’elle soit bien fermée. Il expira doucement, insufflant une sale odeur de chlore et de maladie dans le bureau.

« Tiens. Je … je … voilà. » grogna le Docteur, posant le dossier sur la table.

Les papiers qu’il avait pris tant de soin à remplir ressemblaient à un brouillon à présent, mis à mal par sa fâcheuse manie à abîmer tout ce qu’il touchait. Il inspira cette fois. Gonfla la poitrine, chassa le nœud qui lui nouait la gorge. Puis il prit son chapeau entre ses doigts crochus. Ses arcades se froncèrent, tandis qu’il regardait dans le vide, juste devant Lilou.

« Je te présente ma démission. J’ai … échoué. À cause de moi … je … hm. Je te présente ma démission. » grommela-t-il, pataud.

Un long silence s’installa, durant lequel il releva les yeux pour les planter de nouveau dans ceux de Lilou. Il les détourna aussi tôt. Puis la gêne fut brisée. Avant même que l'on ne puisse lui donner l’occasion de s’exprimer la porte s’ouvrit et claqua contre le mur, faisant sursauter le monstre, lui faisant faire tomber une pile de papiers. Il se précipita à les ramasser, geignant de douleur sous ses sutures encore récentes. C’était Kestuno.

« Li … Lilou ! C’est Os … Oswald ! Il n’est plus là ! » cria-t-il, en larmes de joie et de tristesse à la fois.

Joie car il y avait une probabilité qu’il soit vivant et fonctionnel. Tristesse car cela était impossible. Les griffes de Wallace rayèrent le parquet. Oui, c’était impossible. Son cœur fit un bond, sa boule disparut puis il réalisa que cet espoir n’était qu’illusion. Mais le souvenir de la maigre réaction d’Oswald lorsqu’il lui avait dit que … que … Oh. Non. Non non non. Non, pitié. Pas ça. Pas ça. Il ouvrit la bouche, alterna entre Lilou et Kestuno. Evidemment, il n’y avait qu’une réaction à avoir. Une seule et évidente pauvre réaction suscitée par un fol espoir …
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Il y eut un grand silence après la déclaration de Wallace. Avant, et après, en fin de compte. Lilou fut bien incapable de dire quoique ce soit car les questions se bousculaient dans sa tête pour essayer d'en comprendre la raison. J'ai échoué, disait-il avec la mine piteuse et les yeux tristes. Mais échoué à quoi ? Et pour quoi ? A dire vrai, elle ne s'était pas vue assumer ce genre de fonction en l'absence d'Oswald. C'était lui qui s'en chargeait, d'ordinaire. Il avait pris l'habitude, après la mort de Salem, de gérer les situations qui nécessitaient un peu plus d'humanité et de compréhension. La rouquine ne se sentit pas prête à ça, et de toute façon, lorsqu'elle voulut parler, Ketsuno déboula dans la pièce comme une furie, les larmes aux yeux et en hurlant que le Commodore Jenkins avait disparu.

Lilou la fixa avec une tête de six pieds de long. Elle plissa ensuite les yeux, comme pour être sûre de comprendre ce qu'elle venait de dire. Oswald était dans le coma, à moitié mort, et ne donnait plus signe de vie depuis des jours maintenant. Alors « plus là » ? ça ne pouvait pas être possible. Pas dans son état, pas après tout ça. Et puis, une pointe d’inquiétude perça jusqu'à sa poitrine, et elle eut l'impression de se faire poignarder violemment. Ses yeux ambres se tournèrent vers Wallace, et elle croisa un regard qui témoignait d'une peur bien étrange, d'une angoisse que sur le moment, Lilou ne comprit pas. Elle revint vers Ketsuno, et fit un pas vers elle :

Comment ça « plus là » ?
Plus là ! Parti ! Plus dans sa chambre ! On l'a cherché partout !


L'affolement de la lieutenante n'aidait en rien cette histoire. Lilou se pinça l'arête du nez, en tentant de garder son calme. Malgré le fait que désormais, en plus du fait qu'elle se souciait du sort d'Oswald, la colère prenait peu à peu le dessus sur son contrôle d'elle-même. La démission de Wallace faisait un écho très étrange à la disparition de son ami. Il y avait des choses à tirer au clair, mais avant de s'inquiéter plus à ce sujet, il fallait prendre des dispositions objectives pour que rien ne lui échappe :

Ketsuno... Il n'a pas pu disparaître comme ça. Alors, prends une équipe avec toi et fais fouiller le Léviathan de fond en comble. Puis, on ira voir sur l'île. Et si on ne l'a toujours pas trouvé, on sondera les eaux autour de Jaya.

Voix ferme et regard parfaitement autoritaire, elle lui indiqua la sortie de son bureau sans ciller, ni rien. La jeune femme hocha la tête, en essayant de reprendre son calme. Lilou lui conseilla d'inspirer profondément et de garder les idées au clair au moins le temps de guider les équipes de recherche.

D'acc-... D'accord...

Elle tourna les talons et partit comme une fusée dans les couloirs, pour appliquer les ordres qu'on venait de lui donner. Et très lentement, la rouquine se tourna vers Wallace. Les yeux noirs et furieux. Sa démission, elle y pensait encore. Mais par dessus ça, il y avait autre chose. Et quelque chose lui disait qu'il en savait long sur le départ d'Oswald. Assez en tout cas pour mériter de lâcher ce fardeau qui lui courbait les épaules et le rendait trop suspect.

Tu ne vas nul part, siffla-t-elle entre ses dents en croisant les bras sur sa poitrine. Et dans le doute, elle lui coupa l'accès à la sortie en se plaçant entre lui et la porte, l'acculant presque dans le bureau comme le ferait un animal sauvage avec une proie sous les yeux. Et tu t'expliques immédiatement.

Et Lilou n'entendait pas qu'il en soit autrement.
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Une porte de sortie à laquelle il ne s’attendait pas trop. Un instant, un désir égoïste d’aller voir le secoua. C’était son échappatoire ? Aurait-il pu faire marche arrière et ne rendre aucun compte à Lilou de sa … trahison. Le regard que lui rendit la rouquine fit taire toute pensée hors de propos, ne laissant qu’un néant bourbeux. Craiguesque, même. Il déglutit, détourna une fois de plus le regard. Ses muscles temporaux saillirent de sa mâchoire, tant il serrait les dents. Le silence s’étira quelques secondes, durant lesquelles Lilou lui bloqua la sortie. Il ne se sentait pas de taille à lutter. Pris dans l’étau de sa culpabilité et de son devoir. Il détourna encore le regard, en animal blessé. Les rapports humains n’étaient pas dissemblables de leurs frères de meute en de pareils cas. Lilou était la femelle alpha, et lui n’était qu’une composante de sa meute. Du moins c’était ainsi qu’il le percevait en cet instant. Il prenait volontairement la décision de devenir le loup oméga. Le paria. Mais elle ne l’entendait pas de cette oreille. Le monstre à peau de monstre inspira. Encore.

« Je … je l’ai vu hier. Il était encore dans le coma. Mais je lui ai parlé … je me suis dit que le son de ma voix l’aiderait. » balbutia-t-il, s’enfonçant les griffes dans le bras.

Evidemment cela ne suffirait pas. Il ne comptait pas s’y soustraire, mais c’était difficile. Très. Il n’était qu’un homme parmi d’autres. Pas meilleure, loin de là.

« J’ai vu des signes de … enfin j’ai cru que ça pourrait marcher. Ses constantes étaient … constantes. Pas de réaction épidermique ou rétinienne. Pas de signe de … Enfin, pas de réaction. Sur ce plan là, rien ne peut expliquer son réveil. » poursuivit-il, tournant de manière trop ostensible autour du pot.

Il ouvrit la mâchoire pour se mordre une lèvre qui n’existait pas. Fuyant toujours le regard de la jeune femme. Il la dominait de bien deux têtes, mais ça ne suffisait pas pour se sentir totalement soumis à son humeur. Il expira, leva les yeux au ciel en cherchant un quelconque soutien. Puis riva ses yeux glauques dans ceux de Lilou.

« C’est de ma faute. Tu comprends. C’est entièrement de ma faute. Tout. Surtout Oswald. Et Jaya. J’ai … j’ai fait quelque chose que je n’aurai pas du. J’ai fait plein d’erreurs. On m’a demandé de rendre un compte-rendu sur Drum. Je l’ai fait. Mais je n’ai pas divulgué certaines … choses. Pareil pour Alabasta. » continua-t-il, se rivant à la connexion qu’il venait de créer en soutenant la colère qui émergeait des iris de Lilou.

« Mes rapports étaient allégés, ne faisant pas état des troubles d’Oswald ou de plusieurs membres de l’équipage. Se basant sur des … des possibilités plus que des faits. Instable, irréfléchi, provocateur parfois. Il était trop dans l’ombre de … de … Salem. » poursuivit-il, détournant les yeux à la mention de ce dernier.

Le Docteur se racla la gorge, prit quelques secondes. Il arrêta toute remarque de la part de Lilou d’un geste de la main, se recula d’un pas en appréhendant toute sympathie qu’il ne pensait pas mériter. Il se passa une main sur le visage, cherchant à chasser la lassitude et la culpabilité qui s’était logée sur ses traits.

« Ferme la porte, s’il te plaît. » implora-t-il, en fronçant les arcades.

« Comme je comptais m’en aller … j’ai … j’ai révélé à Oswald plusieurs choses. Il … il ne m’écoutait pas, du moins je ne pensais pas qu’il pouvait l’entendre … mais j’ai cru … que ça l’aiderait. Que ça m’aiderait. Je réalise que c’est à cause de ce que je lui ai dit qu’il est parti … et que vous ne le trouverez pas. Il ne reviendra pas … » tenta-t-il de commencer, levant une main pour demander à Lilou de le laisser finir.

Il se frotta les yeux, s’appuya contre le mur. Il inspira profondément pour ne pas laisser le nœud qui lui nouait la gorge l’empêcher de respirer.

« J’ai cru bien agir tu sais. Le libérer du poids de sa fonction, lui faire une promesse. J’ai cru que c’était pour son bien, pour le bien commun … mais tu l’aurais vu … respirant à peine, les yeux dans le vague … tu l’aurais vu sur cette plage … » continua le monstre en levant de nouveau les yeux au ciel.

Sur cette plage, oui. Il soutint de nouveau le regard de Lilou. Oui. Salem.
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Le silence laissa place aux révélations. Ou tout du moins, ce qui aurait pu y ressembler. Mais Wallace resta évasif, incertain, tâtonnant d'un bout à l'autre, en ne permettant d'entrevoir qu'une partie de la vérité. Comme si le fait de dire les mots, les vrais, étaient trop compliqué pour l'homme. Comme si elle était en train de lui forcer à avaler un morceau de fer fondu et brûlant pour le lui fourrer au fond de la gorge. Lilou était pourtant restée totalement immobile. D'un bout à l'autre, parfaitement stoïque. Sauf qu'à l'intérieur, la colère commençait progressivement à monter à mesure qu'il évitait de dire clairement la réalité. Elle voulait lui sauter à la gorge, lui enfoncer la main dans la gueule et aller extirper ses aveux en les lui faisant vomir s'il fallait.

Il était parti, qu'il affirma avec un nouvel aplomb. Et il ne reviendrait pas. Lilou eut l'impression de le voir lui enfoncer à travers les côtes un poignard pour lui faire du mal. Et étrangement, la cicatrice, souvenir du Crochet, se mit à lui faire mal par vague. Progressivement, s'amplifiant avec la colère qui monter. Comme si une boule forçait les points pour s'extirper de son corps. Elle hésita à y faire pression pour calmer la douleur. Mais son corps s'était crispé de lui-même, et elle ne réussit qu'à rester parfaitement immobile devant lui. Elle verrouilla juste la porte comme il la supplia de le faire, en se rendant compte qu'il était désormais entre ses mains et qu'il n'aura aucun moyen de fuir.

Sa patience était pour l'instant mise à rude épreuve, et Lilou se décida à prendre le taureau par les cornes et à aller directement au fait. Elle avança d'un pas, conquérant et menaçant, vers Wallace, pour réduire la distance entre eux, et ses yeux se plantèrent dans ceux du monstre, avant qu'elle ne lance à travers un murmure :

Tu lui as dit QUOI ?

Elle n'avait aucunement besoin d'hurler, de crier, ou pire. Même si ses poings étaient serrés, à en faire blanchir ses phalanges, son visage restait ferme et elle ravalait l'irruption volcanique dans laquelle elle avait très envie de le plonger. Elle se retenait, d'être violente, parce que c'était ce qu'il pouvait attendre d'elle tant il la connaissait, et ce n'était pas un plaisir qu'elle voulait lui donner. Non, il n'allait pas avoir le temps de prendre ses marques pour retrouver sa sérénité. Elle voulait qu'il se sente acculer, au pied du mur, comme une proie l'était face à un prédateur en train de la traquer. Elle voulait qu'il sache qu'il n'allait pas s'en tirer à si bon compte. Il lui retirait Oswald. Alors elle allait tout lui prendre, en commençant par sa porte de sortie et ses secrets.

Qu'est-ce que tu caches, encore, Wallace ? Quelle mensonge vas-tu inventer pour te couvrir cette fois ?
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Pour se couvrir ? Il n’avait jamais été question de cela ! Enfin, il en était convaincu. Il avait voulu agir pour le mieux, pour tout le monde. Faire … le bien. Uniquement le bien. Aider, protéger. Rien de moins ! Mais … c’était compliqué. Il avait échoué. Voilà à quoi il avait échoué. La remarque de Lilou le secoua plus qu’il n’aurait jamais pu l’avouer. Il recula, comme s’il avait pris un coup. Ses pupilles se rétrécirent et la honte le déborda. Palpable, gluante. Il porta sa main à sa poitrine, fronça les arcades. Dire qu’il n’avait pas menti aurait été … hypocrite. Il n’avait simplement rien dit. Oui, c’était ça. Mais une petite voix lui criait qu’il n’avait aucun droit de se défendre. Qu’il méritait ce qui lui était arrivé. Sa mâchoire trembla, il serra les dents.

« Je n’ai jamais cherché à me couvrir … j’ai toujours voulu aider. Simplement aider. » murmura-t-il, soutenant le regard de Lilou.

Il ne pouvait s’en détourner, il n’avait plus le choix. Il devait répondre. Assumer.

« Je lui ai dit que … » commença-t-il, la voix tremblante.

« … je lui ai dit que Salem était encore en vie. » révéla le monstre, se mordant la langue.

Son secret. Sa promesse. Il frissonna, s’attendant au pire.

« Ce que je vous ai fait endurer … je n’ai aucune excuse. J’ai cru que c’était le bon choix pour lui … je … il avait sa chance de repartir de zéro, comme … comme il le voulait. » tenta-t-il d’expliquer, pathétiquement.

Le bon choix. Non. Un choix. Motivé par les dires d’une personne en négligeant l’impact que cela aurait pu avoir, l’espoir que son retour aurait pu insuffler. Ils l’avaient déjà enterré, ils pensaient déjà à sa mort. Oh ça, ils l’avaient cherché partout, mais la chance avait motivé la découverte de Wallace, ou le destin. Il n’en savait rien. Mais il avait fait le choix de lui épargner ce retour, l’avait aidé à se mettre à l’abri dans sa terre natale. Il avait pris quelques nouvelles, mais rien de plus depuis le début de Jaya. Mais ce choix était égoïste. Tout comme le fait de s’être confié à Oswald. Mais il en avait eu besoin … tellement besoin … Avoir à supporter leur deuil, avoir cette lueur d’espoir logée sur le bout de la langue. Devoir les recevoir, pleurer sur la mort de leur bien-aimé chef … et se taire. Se taire à jamais. Mais il était un monstre. Condamné à tout déchirer, tout briser.

« Frappe-moi si ça peut t’aider … je mérite bien pire … j’ai abandonné mes amis, j’ai échoué à les protéger. J’ai même … voulu tuer Flist. J’ai échoué … tellement échoué … » fit-il en détournant la tête, les yeux embués de larmes.

Tuer Flist, ça n’avait rien d’étonnant pour d’autres. Mais pour lui, c’était l’un de ses pires échecs. Il avait refusé de le soigner, il avait abandonné cette idée au profit de la simplicité, de la mort. Pire encore, il avait demandé à Rei de le faire pour lui.
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Elle resta muette en l'écoutant noyer le poisson encore. S'offusquer en disant qu'il ne faisait qu'aider. Aider ? Avait-elle l'air soulagé d'un poids, là ? Ne pesait-il pas ses actes ou de ses paroles avant d'agir ou de parler ? Elle éclata d'un rire forcé, surjoué avant de lui couper la parole farouchement :

Bien joué, Doc. Tu as été d'une très grande aide jusqu'ici.

Son ironie était mordante. Elle était en train de le prendre à la gorge pour le saigner. Un côté très sombre d'elle même que Lilou n'appréciait que peu sortir en général. Mais là, Wallace était en train de l'y contraindre. A se mettre sur la défense, à bafouiller comme un enfant pris en train de faire une bêtise, à lui mentir ouvertement en prétextant aider. Lilou se sentit prête à encaisser n'importe quelle vérité, puisque le pire était déjà advenu. Oswald ayant mis les voiles, introuvables, et lui qui affirmait qu'il ne reviendrait pas. C'était l'angoisse. Mais le pire arriva juste après, quand le psychologue du navire lui avoua la vérité, qui lui fit l'effet d'une bombe, ou d'un coup de poing en pleine poitrine.

Salem est en vie... ? Qu'elle reprit d'une voix blanche.

La nouvelle lui coupa le souffle et elle peina d'ailleurs à la reprendre. Les yeux jaunes du monstre plongés dans les siens, à le regarder comme une bête. Ses pupilles se rétractèrent sous la surprise et elle eut un mouvement de recul. Elle chercha même un moment dans son regard s'il était en train de plaisanter, s'il cherchait à la faire marcher. Elle était même sur le point de lui demander où était les dendens caméras pour la blague diffusée sur tous les écrans du Léviathan. Mais la culpabilité rongeait trop ses traits pour que ça soit de l'humour. Et Wallace n'était pas du genre à avoir autant mauvais goût.

Il lui fallut un temps interminable avant de réussir à revenir à elle, à reprendre ses esprits. Juste quand Wallace prit la parole pour dire qu'il avait fauté, qu'elle pouvait le frapper alors qu'il méritait pire. Elle ne pouvait être plus d'accord avec lui là-dessus. Il lui avait arraché un membre de sa famille, après tout. Un ami. Un frère. Il lui avait caché la vérité durant des mois durant, alors qu'elle peinait à se remettre de sa mort présumée. Et il OSAIT pleurer en se victimisant. Hors de question. Il n'était pas lésé par ses tromperies. Il était bourreau de tous les membres de l'équipage qui avaient traversé ce deuil.

Tu crois vraiment que tu vas t'accaparer ma pitié après tes mensonges, Wallace ? Lui siffla-t-elle entre ses dents serrées en croisant les bras sur sa poitrine. Tu as choisi de mentir. Alors ne te méprend pas : tu n'es pas la victime ici. Et il n'est pas question que tu viennes pleurer dans mon bureau. Tu n'as pas ce droit.

Elle déchira sa lettre sous son nez et eut même un petit sourire avant de lui dire :

Par contre... Tu as une dette envers nous, Wallace.
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De la pitié. Il n’en méritait aucune. Mais le dédain, l’ironie de Lilou c’était encore pire que ça. La dernière parcelle d’espoir qu’il lui restait venait de voler en éclat. Voilà ce qu’on récoltait à vouloir changer le cours des choses lorsqu’on n’y était pas invité. Il ne venait pas pleurer, il venait démissionner. Il venait assumer son erreur et son empathie ne pouvait le soustraire à ces errements. Il n’avait pas le droit de se justifier, elle avait raison. Ce ne serait qu’hypocrisie de le faire.

« Non, je ne suis pas une victime. » reprit-il calmement, autant qu’il pouvait l’être.

« J’ai voulu vous aider, Lilou. Je comprends votre douleur, mais as-tu pensé à celle d’Alheïri ? » lâcha-t-il en grognant, malgré lui.

La violence des propos de la jeune femme avait allumé une flamme en lui. Elle ne comprenait évidemment pas son acte. Pouvait-il espérer le lui faire comprendre ? Pouvait-elle lui laisser cette chance ? Cette douleur chassa l’autre. D’hésitant, il passa à assuré. Assuré d’avoir essayé de son mieux. Essayer. Piètre mot, piètre raison … D’autant que ses propos avaient de quoi la blesser. Inutilement.

« Tout comme tu sais que mon rapport vous a permis de poursuivre votre route, conformément à vos désirs. » continua-t-il, la regardant droit dans les yeux.

La souffrance menait à la colère, après tout. Il avait le choix : la laisser se déverser sur lui ou lui expliquer. Malheureusement, il était humain. Servir de réceptacle envers la colère du Léviathan aurait été une pénitence acceptable. Mais il était convaincu d’avoir agi pour le bien commun. Alors il espérait lui laisser entrevoir le fardeau qu’il s’était mis d’office sur le dos. Il espérait qu’elle … comprendrait. Non pas qu’elle pardonnerait, mais comprendrait.

« Sans moi, il n’y aurait pas eu de Jaya. Sans moi, il n’y aurait pas eu d’Alabasta. Sans moi, vous seriez aux quatre coins du monde. Vivants. Intacts. Sans mes mensonges, sans mes décisions. » poursuivit le monstre, serrant le poing, s’enfonçant les griffes dans la peau.

« Je ne … cherche aucune pitié. Je suis venu remettre ma démission car je ne mérite en aucun cas votre pitié. Salem … m’a beaucoup parlé. J’ai cru qu’il avait besoin de ça. Je l’ai trouvé sur une plage, blessé, après les funérailles … Alors oui … j’ai … pris cette décision. Respectant des vœux et des histoires qui ne me regardaient en rien. C’était cruel de ma part, et inconscient. Mais je ne te laisserai pas dire que je cherche la pitié. » répliqua Wallace.

Il inspira.

« Si je mérite la cour martiale, soit. Si tu estimes que je suis incompétent, soit. J’ai pris chacune de mes décisions en essayant de faire le plus grand bien. J’ai entendu chacun des membres du Léviathan après Drum, j’ai entendu chacun d’entre eux après Alabasta. Et crois-moi, j’ai pris ma décision en connaissance de cause. Le plus grand bien … » continua-t-il, les yeux perdus dans le vague.

« Je ne te demande pas de pardon, ou … de sympathie. Ni d’excuse pour mes erreurs. Je viens t’informer de leur teneur et du fait que je pars. Vous trouverez un remplaçant de valeur. La seule chose que je peux vous épargner à présent, c’est ma vue. J’ai échoué sur tous les tableaux. À cause mes faiblesse, à cause de mes lacunes. Je ne suis ni un ami, ni un camarade. Je suis un monstre : c’est inscrit sur tous les miroirs. Et je t’interdis de dire le contraire. » fit-il, la pointant du doigt.

Sa propre souffrance s’était muée en une sale colère. Colère dirigée contre lui-même, mais dont Lilou faisait, malgré tout, les frais.
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Tu OSES ? Je crois rêver. Tu oses me demander si j'ai pensé à Salem ? A ce qu'il voulait ? Mais qu'est-ce que tu sais, de Salem, toi ? RIEN. Il n'était ni ton ami, ni ton parent, ni rien pour toi. Et tu sais mieux que personne si je pensais ou pas à Salem. Le fait est qu'en nous mentant, tu nous as privé d'une autre solution. Tu nous as privé de l'opportunité de lui parler, et de le laisser s'en aller l'esprit serein. Tu as miné le moral de toutes les personnes de cet équipage, et tu es responsable de tous les travers qui en ont découlé...

Aucune proie ne partait sans avoir un minimum lutter. Et Lilou s'y était attendue, à le voir se débattre pour essayer de sauver la face. Sans doute qu'il pensait avoir bien fait, sur le moment. Mais tout ce que la rouquine voyait, c'était qu'il les avait privé d'un choix qui leurs revenait, à eux. Et les explications sur Salem et sur ses envies ne firent que l'agacer un peu plus. Son audace valait certainement le détour, mais elle préféra tuer dans l'oeuf immédiatement cette orgueil mal avisée qui la rendait encore plus folle de rage. Il n'avait aucune excuse, il disait ne pas vouloir s'expliquer, mais c'était exactement ce qu'il faisait.

Et tu te crois si indispensable, Wallace ? Tu crois que je, que on, te dois quoique ce soit ? Je ne me sens redevable de RIEN envers toi. Tous les combats que j'ai mené ne sont pas des dettes que je paie pour te remercier d'être avec nous. Je ne te dédits pas mes promotions, ni celles de mes hommes. Et permets-moi même de reprendre toutes les confessions que je t'ai faites, parce que tu ne les mérites pas. Parce que le Léviathan, son équipage, ses membres, cette famille, auraient continuer à avancer AVEC ou SANS ton approbation. Il n'y avait pas besoin de son accord pour poursuivre. Ils auraient trouvé un moyen de terminer ce voyage, qu'importait les détours et le temps que cela allait prendre. Elle poussa un soupir, et pouffa juste ensuite en secouant la tête. Les mains sur les hanches avec un sourire : Tu te donnes beaucoup trop d'importance. Tout ça pour cacher la Vérité : Tu es un putain d'hypocrite, et pas grand chose de plus.

Wallace n'avait pas seulement perdu sa confiance, et par prolongation celles des autres membres de l'équipage. Il avait perdu son amitié, et le respect qu'elle avait pour lui. Lilou se sentit trahi par ses propos, et encore plus par sa défense. Et le voir maintenir qu'il s'en allait la fit sortir de ses gonds :

Tu crois vraiment que ton départ suffit à effacer tes erreurs ? Trancha-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Non. Tu ne vas pas t'en tirer à si bon compte. Tu vas réparer ce que tu as brisé. Tu n'iras nul part avant. Parce que ta démission, je ne la permets pas... Je te l'ai dit, tu as une dette envers nous. Envers tous les membres de cet équipage qui ont évolué pendant plus d'un an dans le mensonge par TA FAUTE. Et tu ne pourras partir d'ici que quand tu auras le pardon de tout le monde.

Elle appuya bien sur les derniers mots, pour ne pas laisser le moindre doute.

Si tu oses braver cet ordre. Si tu oses envisager la fuite. Je te traquerais, Wallace. Comme une bête. Jusqu'à te faire la peau. Je ne t'amènerais pas en cour martiale. Je réglerais mes comptes avec toi. Inutile d'ajouter qu'elle lui faisait une promesse. Oh, et Oswald... S'il ne revient pas avant la fin de nos vacances, il sera considéré comme un déserteur. Je le ferais arrêter et envoyer en prison.

Aucune pitié dans son regard, et la mine tout à fait sérieuse qui assurait qu'elle ne mentait pas. Elle le ferait, sans se priver. Impitoyable et intraitable là-dessus. Il y avait des monstres qu'il valait mieux laisser endormi. Et Wallace l'apprenait à ses dépends.
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« Je vois. » répliqua-t-il, simplement, laissant la colère supplanter sa propre douleur.

« Vous ne m’êtes redevable en rien, je n’ai jamais dit ça. » continua-t-il, quelques gouttes de sang allant auréoler le parquet du bureau de Lilou, glissant entre les doigts de son point fermé.

Il déglutit, soutenant la bête qu’il venait de réveiller. Qu’elle se décharge de sa colère, qu’elle le traite de tous les noms. Qu’il fût le coupable idéal n’avait pas d’importance.

« Tu te méprends quand je te dis que sans moi vous ne seriez pas là. Ce n’est pas un service rendu, c’est une faute de ma part. Sans moi, vous seriez vivants. Et heureux malgré tout. Il n’y a aucune fierté dans ces propos. Mais que tu ne t’en rendes pas compte ne fait que confirmer mes doutes. Si j’avais agi avec autre chose que mes sentiments, plus de cent personnes seraient encore en vie. Si j’avais agi avec intégrité, vous auriez fait demi-tour. Je ne suis pas indispensable, loin de là. Tu es la première à l’avouer. » poursuivit le médecin, confrontant l’ambre des yeux de Lilou.

Son avoeu n’était en rien motivé par un désir de pardon, c’était ce qu’il venait de réaliser à l’instant même. Un instant où même la mort lui semblait plus douce, une facilité. Une échappatoire. Mais il valorisait trop la vie pour s’en réduire à cela. Il soutint le regard incendiaire de Lilou. Il endura ses propos, sentit son âme saigner aux quatre vents mais il tint bon. Car il le méritait. Il le méritait et pire encore. Mais pas de mensonges, pas de non-dits.

« Ce que je sais de Salem, par contre, c’est sa souffrance. Tout comme je connais celle d’Oswald, de Ketsuno, de Sarkozyzy, de Serena et de tant d’autres. En lui parlant, vous n’auriez fait que rajouter de la peine à votre douleur. Comment crois-tu qu’il est possible de regarder Salem dans les yeux et de … de réagir comme tu penses pouvoir le faire, lorsqu’il vous a oublié ? Il se souvenait même pas de son nom, ou encore moins de ce navire lorsque je l’ai soigné sur cette foutue plage. Et après … il a choisi de rester là-bas.  » continua-t-il, haussant légèrement le ton.

« Ne me parle pas d’importance. Car comme tu l’as souligné, vous m’avez fait des confidences,  mais c’était dans le cadre de mon job ici. Ne me parle pas d’amitié non plus. Je ne remplis pas grand-chose de plus ici que le vide laissé par les morts qui m’ont précédé. M’as-tu jamais réellement compris ? Je n’ai jamais eu pour volonté le pardon ou la pitié. Je cherchais seulement quelqu’un pour parler d’égal à égal et arrêter de me contempler de haut. Mais visiblement, ce n’est plus ici que je trouverai cela. Tout comme ma faute n’est pas récupérable. Il n’y a rien qui ne puisse changer la donne. Rien qui ne me fera rattraper mes erreurs. Que tu me croies capable d’un tel orgueil … c’est … » poursuivit-il, sur le même ton agressif avant de laisser les mots mourir dans sa gorge.

La réalité était que personne ne savait grand-chose de Wallace avant son arrivée dans la Marine. Personne ne connaissait les raisons qui le poussaient à vouloir toujours agir envers ce qu’il pensait être le bien. Il ne les accusait pas de ce choix, mais que Lilou prétextait qu’il ne connaissait rien de la vie de ces hommes alors que nul ne s’était intéressé à la sienne était assez caustique pour lui faire mal. Très mal. Certainement parce que ça faisait voler en éclat l’illusion qu’il s’était créée, celle de les concevoir comme une famille, des amis ? Ainsi donc il n’était qu’un pion dans leur vaste échiquier. Soit.

« Si tu dois me traquer, si tu dois me tuer autant le faire maintenant, ça t’épargnera du travail. » fit-il en écartant les bras et salissant encore plus le parquet avec son propre sang.

« Par contre, si tu touches à un cheveu d’Oswald, tu me trouveras sur ta route. Il n’y a qu’une seule personne à blâmer ici, et c’est moi. Moi et moi seul. Tout ce que voudras lui faire, tu devras me le faire au centuple. Et je ne reculerai pas. » grogna-t-il, ses yeux jaunes flamboyant littéralement dans la pénombre du bureau.
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Ça n'était pas TA décision, Wallace ! Coupa-t-elle violemment en le foudroyant du regard. Salem avait perdu la mémoire, il ne se souvenait de rien, ça aurait plus de mal de le voir dans cet état. Mais ça n'était pas un choix qui lui revenait, et il se l'était accaparé. C'était là son tort, qu'il avait fait à tous les membres lui faisant confiance. Il avait agi en oubliant toutes les personnes tombées avec Salem, et celles qui avaient courbées l'échine à sa mort. Il avait agi en oubliant Oswald et elle-même, consciemment. Combien de fois avait-il eu l'occasion de revenir sur cette méprise ? Pour les informer ? Lilou connaissait son cabinet mieux que personne, elle y avait passé des heures. Ces mois sur Jaya, à le tenir au courant de l'état de santé de tous les infiltrés, jamais il n'avait essayé de lui confier ses torts, ni même de les réparer. Et combien de temps encore aurait-il tenu si Oswald n'avait pas pris la poudre d'escampette ? Des années peut-être ? Ils l'auraient appris, dans le journal, un beau matin, sans savoir comment gérer cette histoire ni l'assumer ? C'était injuste. Lilou le savait, même en restant sourde à ses excuses. Même en se montrant immonde avec lui et en le voyant continuer à se dresser par fierté. Par audace.

C'est ? Demanda-t-elle en fronçant les sourcils avant de pouffer sans joie. Es-tu a ce point aveugle ? Dès que tu as mis les pieds sur ce navire, tout le monde t'a considéré comme faisant partie de la famille. Et parce que tu en faisais partie, nous t'avons pris entier, avec ce que tu étais, tes humeurs et tes dingueries. Nous ne t'avons jamais remis en question, ni toi, ni ton éthique, ni ta place parmi nous, encore moins ta bienveillance. Tu étais notre Famille. Lilou secoua la tête, en le regardant avec un petit sourire : Mais tu ne l'as jamais vu. Tu t'es toujours placé au-dessus, ou en dehors, malgré nos efforts pour t'impliquer. Alors, ne viens pas me reprocher de ne pas te connaître. Tu ne veux pas qu'on te connaisse.

C'était un monde.

Et tu sais quoi ? Je ne connais pas toute ta vie ! Je ne sais pas d'où tu viens, je ne sais pas où tu vas, et alors ? Qu'est-ce que ça peut changer, hein ? Et qu'est-ce qu'on en a à faire ? Je ne connais pas toute la vie de Serena, ça ne m'a pas empêché d'aller avec elle sur le terrain et de la soutenir ! Je ne connais pas celle de Mavim, et ça ne m'empêche pas de le respecter plus que quiconque ! Je ne connais pas celle de Rei, ou de Craig, mais ça ne m'empêche pas de les considérer comme mes frères ! Je ne connais pas toute la vie d'Oswald, et ça ne m'empêche pas de l'aimer ! Elle reprit son souffle en baissant les yeux, avant de revenir vers lui : Tu crois que leurs passés importent ? Je ne te connais pas, Wallace. Pourtant je t'ai laissé me seconder sur un champ de bataille avec les personnes a qui je tiens le plus sur terre. C'était la seule chose pertinente à retenir de tout ça. Et finalement... S'il y a une chose dont je suis sûre, c'est que tu  n'es pas une embûche sur le chemin.

Lilou secoua la tête. Il pouvait bien se mettre entre elle et l'avenir qu'elle n'en avait pas grand chose à faire.

Oswald fera face à ses responsabilités. Parce que lui aussi avait un choix. Rester, ou fuir. Il en assume les conséquences. Tu feras de même. Pour pouvoir te regarder à nouveau dans un miroir un jour...

Elle croisa à nouveau les bras sur sa poitrine avant de rajouter :

Crois-moi, je te rends service.
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Le monstre grogna. S’il avait été en état stable, cela aurait peut-être pris une autre tournure. Ils sortaient tous deux des affres de Jaya, blessés et à bout. Lui peut-être encore plus secoué par cette guerre. Il ne se serait jamais cru capable d’hausser le ton sur Lilou. Il se pensait doté de plus de réserves … et cette situation n’avait que le miner jusqu’à lors.

« Non, ce n’était pas ma décision. Je n’ai pas décidé de … devoir garder ce secret et de faire cette promesse. J’ai brisé mon serment en vous le révélant. » grommela-t-il, baissant les yeux.

Sa famille. Pouvait-elle avoir raison ? Que ce fut lui qui les avait gardés à distance sous prétexte qu’il ne pouvait pas s’y insérer, que c’était illogique qu’ils l’acceptent ? Il grogna, secoua la tête, à court d’arguments. La colère accumulée en lui cherchait un moyen pour s’échapper, lutter contre cet étau qui cherchait à le broyer. Le monstre roula des yeux, se passa la langue sur ses canines acérées.

« C’est … vrai. Mais … j’ai fait … des … » commença-t-il à bégayer avant de feuler et de se passer une main fatiguée sur le visage.

« Je resterai. Je ferai en sorte que … J’arrangerai les choses. Mais je survivrai pas à une autre guerre … je pourrais pas. Toutes ces morts inutiles c’est … Dès que ma dette sera payée, je partirai. On ne peut pas se contenter de soigner les plaies. Y’a quelque chose de plus profond qui nous souille tous. » poursuivit-il, soufflant un air vicié de chlore.

Quelque chose qui les souillait tous … Lui qui pensait agir uniquement envers le bien, faire tout ce qu’il pouvait pour aider ses proches … il n’avait fait que les enfoncer encore plus profondément dans leur désespoir. S'il y avait une leçon à tirer de cela, il n’aurait su dire laquelle, sinon que tout choix avait ses conséquences. Qu’est-ce que cela aurait pu changer, de leur dire que Salem avait survécu ? Aurait-il changé d’avis et décidé de les suivre ? Car au final, c’était lui qui avait demandé à Wallace de se taire … Bien que le médecin venait de le révéler à demi-mot à Lilou, peut-être que sa pénitence passerait par le fait d’accepter en son sein toute la rancœur issue de cette décision. Son devoir aurait été de signaler sa survie …son devoir aurait été de signaler les troubles de l’équipage des Rhinos. S’il avait fait son devoir, tant de choses auraient été différentes. Mais avait-il pour autant agi en bien ? Pas envers Lilou. C'était certain. Et il était temps que ça cesse, qu'il garde son fiel pour lui et qu'il fasse face aux conséquences de ses actes, bon ou mauvais.

« Je suis profondément désolé de m’être emporté. » fit Wallace, en se dirigeant en claudiquant vers le bureau de Lilou.

Il s’empara du dossier, le roula entre ses gros doigts griffus et le glissa dans la poche intérieure de son imperméable.

« Mais je réitère. Les choix d’Oswald sont la conséquence de mes erreurs. Et je réparerai cela. Le jour où tu lui mettras la main dessus, je te conseille de m’enfermer aussi. » lâcha-t-il, ses yeux jaunes luisant encore une fois dans l’ombre de l’officine de l’ingénieure.

« Car il ne reviendra pas, et nous le savons tous les deux. » continua-t-il, boitant vers la sortie.

« On se reverra pour tes points de suture. » termina Wallace.

Il ouvrit la porte, la referma délicatement. Puis après quelques secondes, tous les murs vibrèrent sous l’effet d’un choc d’une force monstrueuse. Les cadres vacillèrent, les piles tremblèrent. La colère avait finalement réussi à trouver un moyen de s’exprimer chez le Docteur et montant trop bien lustré où il avait aperçu son propre reflet en avait fait les frais. Ils savaient tous deux que cette histoire était loin d’être finie et qu’il faudrait affronter le moment des révélations à l’ensemble de l’équipage …
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