-Putain d’île à la con. Putain de mer à la con. C’est quoi cette brochure touristique pour blondes écervelées qui jouent encore à la dînette ? Tanuki, la civilisation du mouton ? Le Sheepball, avec une majuscule ? Des éleveurs séculaires, une maladie qui rend les bestioles rouges et obèses ? Doit y’avoir moyen de se faire du fric là-dessus, cela dit. Manque plus que les cochons volants et les éléphants roses pour…
-On se calme, Kalem, lui signifia Elie.
-Que dalle, là c’est le pompon. Nan mais t’y crois, pimbêche ? Vu la gueule de l’île, c’est même pas surprenant que l’autre ahuri de blondinet ait passé autant de temps là-dessus. Ca se trouve c’est de sa faute si l’île est aussi naze tellement il a déteint sur…
-Evangeline. S’il te plait.
-Sans problème.
Sans quitter la table où les demoiselles sirotaient tranquillement leur thé, Haylor neutralisa le pire râleur qu’il lui avait été donné de voir jusqu’à présent. D’un claquement de doigts, la miss commanda à ses liens de saucissonner Kalem, et insista tout particulièrement sur l’élaboration d’un bâillon en triple épaisseur de laine duveteuse pour museler leur compagnon. Ce qui n’empêcha nullement le pharmacien attitré des chevaliers de Nowel de continuer ses jérémiades. Même étouffé, il savait être insupportable.
Evangeline envisagea vaguement de lui caler une grosse pelote de ficelle dans le gosier pour le faire terre, mais se ravisa presque aussitôt. Elle ne connaissait ce nabot que d’une manière distante, et pas du tout assez pour se permettre de telles libertés avec lui.
Encore que lui ne se donnait pas la peine d’avoir de telles considérations.
Au lieu de cela, les liens qui s’échappaient de sous la robe d’Haylor se contentèrent de soulever délicatement Kalem Doskopp pour le tracter jusqu’à sa partenaire usuelle, Elie Jorgensen. Ce serait à elle de discipliner le terrible nabot qui avait fait le choix étrange de rester dans la petite association de Santa Klaus. Une tâche dont la comédienne en quête de réussite s’acquitta avec succès, aidée de son nouvel animal de compagnie, Un chat.
-Ppppffffffrrrruuuuuummmmmmfffffnnnn !
-Oooooh. Kalem. Mais te voilà en bien mauvaise posture, pour une fois. Je me demande comment on va en profiter.
-Aaaaaaarrrrrrruuuuuufffffffbbbbbbbllllllllleeeeeeeerrrrrrrrgggggghhhh !
-De biens vilains mots, comme d’habitude. Qu’est-ce que tu en dis, Un chat ?
-Coin coin.
-Entièrement d’accord. Alors on va faire simple. Kalem, je te jure que si tu n’arrêtes pas tout de suite, je vais te faire des choses tellement horribles que ton ulcère à l’arrière train et tes verrues nasales ne seront rien à côté de ça.
-…
-Oh ? Déjà ? Ca a vraiment marché ?
-…
-Rhooo, allez, proteste un peu quoi, j’allais en venir à la partie intéressante. Où je menace de te faire hurler à la mort en te chatouillant les pieds !
-Fe ne te ferais pas fe plaifir, paufre fruie comflètement pfaumée.
Le trio de chevaliers de Nowel était actuellement sur un ferry à destination de l’île de Tanuki. Ils ne tarderaient pas à accoster ; ça n’était plus que l’affaire d’une dizaine de minutes. Alors, en attendant que le navire ne finisse l’approche de l’île, tous les trois profitaient paisiblement, ou autant que possible, de ces derniers instants de quiétude. Une fois sur l’île, ils devaient retrouver Sigurd en compagnie d’un des exploitants locaux, le seigneur Althias de Mistoltin, pour des raisons très différentes. Haylor était en lien avec la HSBC, et Dogaku avait parlé d’une grosse affaire qui pourrait être conclue avec l’un des principaux armateurs de Tanuki, Althias lui-même. Pour sa part, Elie avait été conviée par le blondinet à la demande de noble de province. Le personnage de Tanuki se plaisait à organiser des évènements sur l’île, et avait demandé à rencontrer la jeune actrice des chevaliers de Nowel. Une proposition que Sigurd avait essayé d’appuyer auprès de Jorgensen qui n’avait, de toute manière, pas grand-chose d’autre en ce moment : même si rien ne se concrétisait immédiatement, c’était un bon contact qui pourrait se réveiller à tout moment.
-Pis si ça se trouve, tu pourrais devenir miss mouton 1626, avait glissé Kalem en reniflant d’un air narquois. Imagine-toi avec une grosse doudoune en laine qui mettra tes rides et tes bourrelets bien en valeur, brioche.
Une remarque malveillante que le nabot avait bien vite amèrement regretté. Pas par remord d’avoir heurté la sensibilité de Jorgensen, non. Mais parce que celle-ci avait décidé que puisque c’était comme ça, il les accompagnerait sur Tanuki. Un programme qui ne convenait pas le moins du monde au grincheux pharmacien. Il l’affirma même d’un voix sans équivoque : il était strictement hors de question que ses pieds foulent le sol d’une île aussi perdue et inutile que celle-ci. Tanuki, c’était pire que la campagne, pire que la province. C’était une tourbière pourrissante ou ne trainaient que des bouseux, à son sens.
Malheureusement pour lui, c’était à ce moment-là que miss Haylor entra en jeu. Elie l’avait autorisée, dans la limite du raisonnable, à faire tout le nécessaire pour que Kalem n’ait pas son mot à dire sur le sujet. Le genre de demande qu’Evangeline suivait avec un entrain à peine voilé. C’était facile à comprendre : l’apprentie sorcière des chevaliers de Nowel commençait tout juste à consolider sa maîtrise des arts occultes, et comme tout monstre grandissant digne de ce nom, se faisait une joie de pouvoir user et abuser de ses pouvoirs dès lors qu’une occasion se présentait.
Et c’est ainsi que Kalem fut sereinement relégué au stade de simple bagage supplémentaire à manœuvrer avec une précaution toute relative. Il avait beau être en surpoids prononcé, il n’en était pas moins petit, et aisément transportable pour les implacables rets vivants de la jeune femme. Déplacer les gens : voilà qui constituait une nouveauté pour la sorcière, et le nabot était sans aucun doute un cobaye de premier plan pour s’entraîner.
Dans la même veine, Kalem avait beau se plaindre abondamment, Evangeline avait pris la chose avec très bonne humeur, et profité de cette opportunité pour s’exercer à bâillonner les gens. A en croire les actuels râles étouffés du pharmacien, elle avait très rapidement maîtrisé le sujet.
Pour elle et pour les autres, il était maintenant temps de passer aux choses sérieuses.
Tout commença par une très forte secousse ; le navire fut ébranlé dans son intégralité. Plusieurs marins furent désarçonnés et envoyés à terre. Même les demoiselles, assises et attablées, finirent les quatre fers en l’air. Le navire s’était stoppé net, et en avait même profité pour bondir de quelques mètres. Aux premières loges du spectacle, il y avait Kalem, qui était l’un des rares à avoir bien vécu le choc. Emmitouflé dans les épaisses pelotes de laine d’Evangeline, le petit pharmacien était tombé sur son robuste séant, et ne manqua pas une miette de ce qui se passait autour de lui.
C’était comme si les eaux qui entouraient le navire étaient entrées en éruption. Des vagues en taille et en quantité inquiétantes convergeaient de tous sens jusqu’au navire, et se rencontraient dans un geyser de bulles et d’écumes qui repoussait le navire à la verticale. Malgré le vent avantageux pour draguer les voiles du bateau, ce dernier restait complètement immobile.
Et tout ça n’avait rien de normal.
Pendant un long moment, on put sentir le ferry se tordre douloureusement vers l’avant. Comme s’il avait buté contre quelque chose, mais que la pression de l’air sur ses voiles s’efforçait de le faire avancer. Lentement, très lentement, l’arrière du navire se releva. On crut durant quelques terribles secondes que le bateau allait basculer en avant, piquer du nez, se déchirer dans le sens de la largeur, et que ce serait la fin de tous.
Il n’en fut rien. Les marins avaient réagi vite pour soulager les voiles, et s’affairaient maintenant à les descendre. Sans cette initiative, la mâture aurait sûrement cédé sous la pression. Dans le meilleur des cas, du moins.
Parmi les passagers, on ne savait quoi faire. Les voyageurs à destination de Tanuki étaient bien contrariés, si ce n’est inquiets. Ceux en transit vers d’autres destinations pressentaient le pire, une immobilisation. Mais surtout, tout le monde commençait à craindre l’accident, voire le naufrage.
Sur le ferry, on ne savait plus quoi faire. Non content d’avoir immobilisé le navire, les vagues avaient progressivement malmené celui-ci jusqu’à finalement se dresser contre lui, par à coup. Et le voilà qui se trouvait tracté à contresens, vers le large, sans que l’on n’y comprenne rien. L’équipage du ferry ne resta pas les bras croisés, loin de là. A plusieurs reprises, les marins bataillèrent pour essayer de reprendre le contrôle de leur bateau. Et à chaque fois, c’était comme si l’océan les refoulait plus en arrière, pour leur barrer la route.
Au bout d’une vingtaine de minute, on commençait à perdre patience. Mais surtout, on repéra l’approche d’un autre navire en provenance de l’île, Tanuki. Le navire décrivit une large boucle depuis le port jusqu’à leur position, en prenant bien soin de contourner la zone de mer impraticable. Vu le détour effectué, cette zone était particulièrement conséquente. Enfin, pourtant, les deux navires finirent par se rejoindre. On se héla quelques salutations de bon augure, chercha à rapprocher les deux bâtiments. Les capitaines des deux navires se connaissaient déjà, pour avoir échangé par escargophone depuis un bon moment. Sur le port de l’île, on avait vu les difficultés que rencontrait le ferry, et deviné qu’il ne s’en tirerait pas si facilement. Alors on a emmené des hommes pour lui prêter main forte, et lui montrer comment procéder pour accéder à l’île.
Et à bord de ce navire, il y avait…
-Eeeeeeeh ! Haylor ! Kalem ! Barbara ! Comment ça va ?
-Barbara ? Mon vrai nom c’est Elie, hein.
-Uh ? C’est pas Barbara ?, s’étonna Sigurd. Zut, j’hésite toujours entre les deux. Barbara, c’est la pir…
-CHUT !
-Aaaaah, ouais, faut pas que ça se sache, pour la pirate. Désolé, j’m’étais emmêlé les pinceaux. Breeeef. Comment ça va, tout le monde ?
Ils allaient bien. Et ils se fichaient tous des formalités d’usage. Ce qu’ils voulaient savoir, c’était les détails de ce qui venait de leur arriver ici. Une mer vivante qui repoussait méthodiquement les navires qui s’approchaient, personne n’avait jamais vu ça.
Alors on leur expliqua sommairement quelque chose qui paraissait invraisemblable. Des hommes poissons avaient élu résidence dans ce secteur. A l’insu des humains, c’était toute une communauté de ces choses qui avait fondé un village non loin des côtes de Tanuki. Discrètement, au début. Jusqu’à ce que ce petit havre devienne un vrai village, fort de plusieurs centaines d’habitants des fonds des mers, et commence à laisser des traces visibles des résidents de la surface.
Quand la vérité éclata, tout le monde commença à protester. Personne n’était d’accord avec une telle situation. Personne ne voulait de monstres aux abords de l’île. C’était bien simple : même parmi les hommes qui n’étaient pas fondamentalement contre les hommes poissons, personne n’en voulait près de chez soi. C’était comme les campements de révolutionnaires, les palais de dragon célestes, les centrales énergétiques des bases de la marine, ou les éoliennes. On disait oui, mais pas ici.
Et sans surprise, Sigurd Dogaku s’était joint au grand mouvement de protestation qui s’était formé sur Tanuki. Il avait passé trois ans de sa vie au service d’un armateur local, et passé de très bons moments ici en compagnie de plusieurs amis déjà cités auparavant. Maintenant encore, le jeune homme restait en excellent termes avec tout ce monde.
C’est donc tout naturellement qu’il avait décidé de prendre part à la résolution de ce problème, et assuré qu’il obtiendrait le soutien d’autres chevaliers de Nowel pour réussir dans cette affaire. Les premières tentatives d’approche des humains avec les hommes poissons avaient été infructueuses, si ce n’est franchement hostile. Maintenant, le peuple des mers faisait la sourde oreille, et repoussait quiconque essayait de traverser leur territoire. Le karaté aquatique à grande échelle, l’art secret des hommes poissons employé conjointement par tout un réseau de pratiquants émérites, c’était aussi pour ça.
Mais qu’importe. Le karaté aquatique était une chose. Lui, il avait mieux.
Une sorcière, rien que ça.
Et c’est à peu près à ce stade de la conversation qu’Evangeline Haylor ouvrit les yeux comme des soucoupes et grimaça d’un air nerveux. Ce qu’elle entendait ne lui plaisait pas le moins du monde.
-Mais… et cette grosse affaire, alors ? Je croyais que vous aviez besoin de moi ?
-Et comment, que j’ai besoin de vous ! On va aller frotter les oreilles d’une bande d’hommes poissons, alors je veux absolument avoir ma sorcière favorite en back-up pour leur roussir les écailles s’ils commencent à vouloir jouer aux gros bourrins !
-…
Ne lui plaisait pas le moins du monde. Effectivement. Cette fois, c’est avec un ton aussi froid et tranchant que le métal qu’elle répondit.
-Vous voulez dire que vous voulez que je me batte contre ces monstres ?
-Ohlà ! Non ! Certainement pas. Vous battre, c’est pas du tout votre genre. Et j’veux pas que vous preniez des risques. Non mais.
-Bon. Je préfère.
-Je veux que vous les massacriez, nuança Sigurd. Franchement. Entre vos boules de feu, vos explosions et vos liens-chaînes-trucs-tentaculaires, y’a aucune raison d’en venir aux mains. Vous en prenez un, vous l’atomisez, les autres vont vite comprendre comment faut pas se frotter à une sorcière de mauvais poil, et tout ce petit monde va plier bagage et prendre le large en faisant profil bas ! Y’a pas de raison qu’un homme poisson fonctionne différemment qu’un pirate, après tout. C’est pour ça que les marines essaient toujours de sniper le chef avec les gros bourrins de leurs équipages. Le prob’ c’est qu’ils n’essaient que de faire ça et…
-JE ME CONTREFICHE DE CE QUE VOUS POUVEZ REPROCHER OU NON A LA MARINE ! C’EST VOUS QUI NE TOURNEZ PAS ROND !
-Euh ?
-COMMENT CA, « EUH » ? MAIS VOUS ETES MALADE OU QUOI ? ME FAIRE COMBATTRE DES HOMMES POISSONS ? MOI ? ET VOUS Y CROYEZ SERIEUSEMENT ?
-Rhoo, mais non, j’ai précisément dit…
-RETIREZ VOUS TOUT DE SUITE L’IDEE DU CRANE. J’AI L’IMPRESSION D’ENTENDRE DES IDIOTIES VENANT DE NASH OU DE HYUMA ! ET C’EST HORS DE QUESTION !
-Eééééh, il est très bien, Nash !
-Et complètement idiot quand il s’y met. Alors maintenant, expliquez moi pourquoi Mistoltin vous a demandé de nous faire venir. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de gros contrat ? Vous aviez bien besoin de moi, non ?
Gros silence. Comme d’habitude, les intonations meurtrières, les regards acérés d’Evangeline restaient sans effet sur son compère. Même ses élans de colère n’y faisaient plus rien. Sigurd s’y était complètement habitué et insensibilisé, depuis le temps. C’était quelque chose de trivial, et il n’avait rien à se reprocher de sérieux, après tout.
-Baaah… non. J’ai absolument pas besoin de vous pour passer des contrats avec Althias, voyons. J’vous ai surtout fait venir pour l’autre truc. Y’a bien des infos utiles que vous pourriez récupérer ici, mais rien qui n’aurait pas pu faire l’objet d’un entretien en escargoconférence ou autre.
-… je vous demande pardon ?
-Youhou ? On est copains depuis des lustres ! J’lui ai réglé de gros problèmes, il m’a filé de grosses occaz’. On a appris à jouer à Age of Navires l’un contre l’autre, je le recommande aux clients à l’occasion, il paie mes notes de restaurant à vie. Pourquoi j’aurais besoin de votre aide à ce sujet ?
-Mais… et mon expertise technique, peut-être ?
-N’a pas besoin de technique pour empocher de gros contrats. Seulement pour justifier les honoraires.
-…
-Pis vous êtes jamais venue sur Tanuki, nan ? C’est l’occasion de visiter. En plus je connais des tas d’éleveurs de moutons angoras qui pourraient vous refiler de rouleaux de laine de premier choix à des prix complètement cadeaux. Y’a Anford Galleon Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior, par exemple, ou encore…
Kalem et Sigurd. Chacun à sa manière, ils pouvaient s’avérer incroyablement agaçants, ou exaspérants. Au point de donner envie à la jeune femme d’en prendre un pour taper sur l’autre.
Ce qu’elle se décida à faire. Ses lianes de cordes et de coton enveloppaient toujours Kalem Doskopp, qui n’avait pas été en état de lâcher un seul mot depuis tout ce temps. D’un mouvement de bras, elle guida ses rets pour qu’ils l’élèvent plus en hauteur, prennent de l’élan, et le balancent contre Sigurd.
Son associé ne réagit même pas, et attrapa tout juste le projectile nainprovisé lorsqu’il lui déboula contre le torse. Déséquilibré, il manqua de partir à la renverse, fit plusieurs pas vers l’arrière pour ne pas s’écraser au sol, buta contre le bord, se sentit basculer vers l’océan, et…
S’immobilisa complètement. Haylor avait réagit immédiatement, et amarré un de ses liens à eux pour les retenir. Les voilà qui ne tenaient plus qu’à un fil ; au sens propre, comme remarqua Elie.
-Alors. Elie. Qu’est ce que je fais d’eux ?, demanda Evangeline en rayonnant.
-Laisse-les tomber, je pense, sourit largement l’autre, l’air jovial.
-Oh ?
-Enfin, non. Bien sûr que non. C’est ce que je dirais si j’étais de très mauvaise humeur, du moins, reprit la comédienne. Mais je suis quelqu’un de bien… n’est-ce pas ?
-Ouioui. Tu es quelqu’un de très bien, Barba…
-ELIE ! BLONDINET A BULBE ATROPHIE, ELLE S’APPELLE ELIE ! LUI DONNE PAS DE RAISON POUR NOUS COULER !
-Bien sûr. De la même manière que je suis quelqu’un de très raisonnable, voyons. Et qu’il ne serait absolument pas raisonnable de leur faire ça.
-Pas raisonnable. Absooooolument pas raisonnable.
-Alors je vais utiliser un autre lien pour raffermir ma prise sur l’avant bras de Sigurd… pour pouvoir les stabiliser et… oh… je me demande ce qu’il se passerait si je frottais ce fil de coton contre le nez de Kalem pour le faire éternuer. Elie ?
-Aucune idée. Mais ça m’a l’air d’une expérience intéressante. Très, très intéressante. Vas-y pour voir.
-Vous allez quoi ? Ohnononon !
-Si jamais tu fais ça, je te… aaaah… aaaaaaahh… aaaaaatchhh’….
Une mauvaise blague. Une très mauvaise blague, se répéta Sigurd. Les deux jeunes femmes avaient l’air de s’amuser énormément, sans aucun doute. Mais Dogaku n’aimait pas ça. Le fait d’être jeté à la mer était une expérience désagréable en soi. L’eau de mer était froide, et le sel marin rongeait généreusement la peau. Il avait beau être excellent marin et bon nageur, il n’avait jamais été amateur de ces trempettes.
Sentant toutefois qu’il était bon pour finir à l’eau, il se prépara au pire et jeta un coup d’œil vers l’océan en dessous de lui. C’était l’affaire de quelques mètres, rien de dangereux. Même dans le cas où Kalem était incapable de nager, il n’aurait aucun mal à le maintenir avec lui jusqu’à Tanuki s’il le fallait.
Le problème, c’est qu’ils n’étaient pas seuls.
Le problème, c’était ces six gros ailerons de mauvais augure qui tournoyaient en cercles rapprochés juste en dessous d’eux. Ce pouvaient être des hommes poissons. Ce pouvaient être certains de leurs squales de compagnie. Avec ces créatures marines, on ne savait jamais.
Tout comme les hommes de la surface, leurs homologues subaquatiques avaient aussi la fâcheuse tendance d’influencer l’écosystème des lieux qu’ils occupaient.
-‘TTENDEZ HAYLOR NON NON PAS ICI Y’A DES REQ…
-AAAAAAAAAAATCHHHHAAAAAAAAAAA !!!!
-REQUIIIIIIIIIINS !
Trop tard.
-On se calme, Kalem, lui signifia Elie.
-Que dalle, là c’est le pompon. Nan mais t’y crois, pimbêche ? Vu la gueule de l’île, c’est même pas surprenant que l’autre ahuri de blondinet ait passé autant de temps là-dessus. Ca se trouve c’est de sa faute si l’île est aussi naze tellement il a déteint sur…
-Evangeline. S’il te plait.
-Sans problème.
Sans quitter la table où les demoiselles sirotaient tranquillement leur thé, Haylor neutralisa le pire râleur qu’il lui avait été donné de voir jusqu’à présent. D’un claquement de doigts, la miss commanda à ses liens de saucissonner Kalem, et insista tout particulièrement sur l’élaboration d’un bâillon en triple épaisseur de laine duveteuse pour museler leur compagnon. Ce qui n’empêcha nullement le pharmacien attitré des chevaliers de Nowel de continuer ses jérémiades. Même étouffé, il savait être insupportable.
Evangeline envisagea vaguement de lui caler une grosse pelote de ficelle dans le gosier pour le faire terre, mais se ravisa presque aussitôt. Elle ne connaissait ce nabot que d’une manière distante, et pas du tout assez pour se permettre de telles libertés avec lui.
Encore que lui ne se donnait pas la peine d’avoir de telles considérations.
Au lieu de cela, les liens qui s’échappaient de sous la robe d’Haylor se contentèrent de soulever délicatement Kalem Doskopp pour le tracter jusqu’à sa partenaire usuelle, Elie Jorgensen. Ce serait à elle de discipliner le terrible nabot qui avait fait le choix étrange de rester dans la petite association de Santa Klaus. Une tâche dont la comédienne en quête de réussite s’acquitta avec succès, aidée de son nouvel animal de compagnie, Un chat.
-Ppppffffffrrrruuuuuummmmmmfffffnnnn !
-Oooooh. Kalem. Mais te voilà en bien mauvaise posture, pour une fois. Je me demande comment on va en profiter.
-Aaaaaaarrrrrrruuuuuufffffffbbbbbbbllllllllleeeeeeeerrrrrrrrgggggghhhh !
-De biens vilains mots, comme d’habitude. Qu’est-ce que tu en dis, Un chat ?
-Coin coin.
-Entièrement d’accord. Alors on va faire simple. Kalem, je te jure que si tu n’arrêtes pas tout de suite, je vais te faire des choses tellement horribles que ton ulcère à l’arrière train et tes verrues nasales ne seront rien à côté de ça.
-…
-Oh ? Déjà ? Ca a vraiment marché ?
-…
-Rhooo, allez, proteste un peu quoi, j’allais en venir à la partie intéressante. Où je menace de te faire hurler à la mort en te chatouillant les pieds !
-Fe ne te ferais pas fe plaifir, paufre fruie comflètement pfaumée.
Le trio de chevaliers de Nowel était actuellement sur un ferry à destination de l’île de Tanuki. Ils ne tarderaient pas à accoster ; ça n’était plus que l’affaire d’une dizaine de minutes. Alors, en attendant que le navire ne finisse l’approche de l’île, tous les trois profitaient paisiblement, ou autant que possible, de ces derniers instants de quiétude. Une fois sur l’île, ils devaient retrouver Sigurd en compagnie d’un des exploitants locaux, le seigneur Althias de Mistoltin, pour des raisons très différentes. Haylor était en lien avec la HSBC, et Dogaku avait parlé d’une grosse affaire qui pourrait être conclue avec l’un des principaux armateurs de Tanuki, Althias lui-même. Pour sa part, Elie avait été conviée par le blondinet à la demande de noble de province. Le personnage de Tanuki se plaisait à organiser des évènements sur l’île, et avait demandé à rencontrer la jeune actrice des chevaliers de Nowel. Une proposition que Sigurd avait essayé d’appuyer auprès de Jorgensen qui n’avait, de toute manière, pas grand-chose d’autre en ce moment : même si rien ne se concrétisait immédiatement, c’était un bon contact qui pourrait se réveiller à tout moment.
-Pis si ça se trouve, tu pourrais devenir miss mouton 1626, avait glissé Kalem en reniflant d’un air narquois. Imagine-toi avec une grosse doudoune en laine qui mettra tes rides et tes bourrelets bien en valeur, brioche.
Une remarque malveillante que le nabot avait bien vite amèrement regretté. Pas par remord d’avoir heurté la sensibilité de Jorgensen, non. Mais parce que celle-ci avait décidé que puisque c’était comme ça, il les accompagnerait sur Tanuki. Un programme qui ne convenait pas le moins du monde au grincheux pharmacien. Il l’affirma même d’un voix sans équivoque : il était strictement hors de question que ses pieds foulent le sol d’une île aussi perdue et inutile que celle-ci. Tanuki, c’était pire que la campagne, pire que la province. C’était une tourbière pourrissante ou ne trainaient que des bouseux, à son sens.
Malheureusement pour lui, c’était à ce moment-là que miss Haylor entra en jeu. Elie l’avait autorisée, dans la limite du raisonnable, à faire tout le nécessaire pour que Kalem n’ait pas son mot à dire sur le sujet. Le genre de demande qu’Evangeline suivait avec un entrain à peine voilé. C’était facile à comprendre : l’apprentie sorcière des chevaliers de Nowel commençait tout juste à consolider sa maîtrise des arts occultes, et comme tout monstre grandissant digne de ce nom, se faisait une joie de pouvoir user et abuser de ses pouvoirs dès lors qu’une occasion se présentait.
Et c’est ainsi que Kalem fut sereinement relégué au stade de simple bagage supplémentaire à manœuvrer avec une précaution toute relative. Il avait beau être en surpoids prononcé, il n’en était pas moins petit, et aisément transportable pour les implacables rets vivants de la jeune femme. Déplacer les gens : voilà qui constituait une nouveauté pour la sorcière, et le nabot était sans aucun doute un cobaye de premier plan pour s’entraîner.
Dans la même veine, Kalem avait beau se plaindre abondamment, Evangeline avait pris la chose avec très bonne humeur, et profité de cette opportunité pour s’exercer à bâillonner les gens. A en croire les actuels râles étouffés du pharmacien, elle avait très rapidement maîtrisé le sujet.
Pour elle et pour les autres, il était maintenant temps de passer aux choses sérieuses.
Tout commença par une très forte secousse ; le navire fut ébranlé dans son intégralité. Plusieurs marins furent désarçonnés et envoyés à terre. Même les demoiselles, assises et attablées, finirent les quatre fers en l’air. Le navire s’était stoppé net, et en avait même profité pour bondir de quelques mètres. Aux premières loges du spectacle, il y avait Kalem, qui était l’un des rares à avoir bien vécu le choc. Emmitouflé dans les épaisses pelotes de laine d’Evangeline, le petit pharmacien était tombé sur son robuste séant, et ne manqua pas une miette de ce qui se passait autour de lui.
C’était comme si les eaux qui entouraient le navire étaient entrées en éruption. Des vagues en taille et en quantité inquiétantes convergeaient de tous sens jusqu’au navire, et se rencontraient dans un geyser de bulles et d’écumes qui repoussait le navire à la verticale. Malgré le vent avantageux pour draguer les voiles du bateau, ce dernier restait complètement immobile.
Et tout ça n’avait rien de normal.
Pendant un long moment, on put sentir le ferry se tordre douloureusement vers l’avant. Comme s’il avait buté contre quelque chose, mais que la pression de l’air sur ses voiles s’efforçait de le faire avancer. Lentement, très lentement, l’arrière du navire se releva. On crut durant quelques terribles secondes que le bateau allait basculer en avant, piquer du nez, se déchirer dans le sens de la largeur, et que ce serait la fin de tous.
Il n’en fut rien. Les marins avaient réagi vite pour soulager les voiles, et s’affairaient maintenant à les descendre. Sans cette initiative, la mâture aurait sûrement cédé sous la pression. Dans le meilleur des cas, du moins.
Parmi les passagers, on ne savait quoi faire. Les voyageurs à destination de Tanuki étaient bien contrariés, si ce n’est inquiets. Ceux en transit vers d’autres destinations pressentaient le pire, une immobilisation. Mais surtout, tout le monde commençait à craindre l’accident, voire le naufrage.
*
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Sur le ferry, on ne savait plus quoi faire. Non content d’avoir immobilisé le navire, les vagues avaient progressivement malmené celui-ci jusqu’à finalement se dresser contre lui, par à coup. Et le voilà qui se trouvait tracté à contresens, vers le large, sans que l’on n’y comprenne rien. L’équipage du ferry ne resta pas les bras croisés, loin de là. A plusieurs reprises, les marins bataillèrent pour essayer de reprendre le contrôle de leur bateau. Et à chaque fois, c’était comme si l’océan les refoulait plus en arrière, pour leur barrer la route.
Au bout d’une vingtaine de minute, on commençait à perdre patience. Mais surtout, on repéra l’approche d’un autre navire en provenance de l’île, Tanuki. Le navire décrivit une large boucle depuis le port jusqu’à leur position, en prenant bien soin de contourner la zone de mer impraticable. Vu le détour effectué, cette zone était particulièrement conséquente. Enfin, pourtant, les deux navires finirent par se rejoindre. On se héla quelques salutations de bon augure, chercha à rapprocher les deux bâtiments. Les capitaines des deux navires se connaissaient déjà, pour avoir échangé par escargophone depuis un bon moment. Sur le port de l’île, on avait vu les difficultés que rencontrait le ferry, et deviné qu’il ne s’en tirerait pas si facilement. Alors on a emmené des hommes pour lui prêter main forte, et lui montrer comment procéder pour accéder à l’île.
Et à bord de ce navire, il y avait…
-Eeeeeeeh ! Haylor ! Kalem ! Barbara ! Comment ça va ?
-Barbara ? Mon vrai nom c’est Elie, hein.
-Uh ? C’est pas Barbara ?, s’étonna Sigurd. Zut, j’hésite toujours entre les deux. Barbara, c’est la pir…
-CHUT !
-Aaaaah, ouais, faut pas que ça se sache, pour la pirate. Désolé, j’m’étais emmêlé les pinceaux. Breeeef. Comment ça va, tout le monde ?
Ils allaient bien. Et ils se fichaient tous des formalités d’usage. Ce qu’ils voulaient savoir, c’était les détails de ce qui venait de leur arriver ici. Une mer vivante qui repoussait méthodiquement les navires qui s’approchaient, personne n’avait jamais vu ça.
Alors on leur expliqua sommairement quelque chose qui paraissait invraisemblable. Des hommes poissons avaient élu résidence dans ce secteur. A l’insu des humains, c’était toute une communauté de ces choses qui avait fondé un village non loin des côtes de Tanuki. Discrètement, au début. Jusqu’à ce que ce petit havre devienne un vrai village, fort de plusieurs centaines d’habitants des fonds des mers, et commence à laisser des traces visibles des résidents de la surface.
Quand la vérité éclata, tout le monde commença à protester. Personne n’était d’accord avec une telle situation. Personne ne voulait de monstres aux abords de l’île. C’était bien simple : même parmi les hommes qui n’étaient pas fondamentalement contre les hommes poissons, personne n’en voulait près de chez soi. C’était comme les campements de révolutionnaires, les palais de dragon célestes, les centrales énergétiques des bases de la marine, ou les éoliennes. On disait oui, mais pas ici.
Et sans surprise, Sigurd Dogaku s’était joint au grand mouvement de protestation qui s’était formé sur Tanuki. Il avait passé trois ans de sa vie au service d’un armateur local, et passé de très bons moments ici en compagnie de plusieurs amis déjà cités auparavant. Maintenant encore, le jeune homme restait en excellent termes avec tout ce monde.
C’est donc tout naturellement qu’il avait décidé de prendre part à la résolution de ce problème, et assuré qu’il obtiendrait le soutien d’autres chevaliers de Nowel pour réussir dans cette affaire. Les premières tentatives d’approche des humains avec les hommes poissons avaient été infructueuses, si ce n’est franchement hostile. Maintenant, le peuple des mers faisait la sourde oreille, et repoussait quiconque essayait de traverser leur territoire. Le karaté aquatique à grande échelle, l’art secret des hommes poissons employé conjointement par tout un réseau de pratiquants émérites, c’était aussi pour ça.
Mais qu’importe. Le karaté aquatique était une chose. Lui, il avait mieux.
Une sorcière, rien que ça.
Et c’est à peu près à ce stade de la conversation qu’Evangeline Haylor ouvrit les yeux comme des soucoupes et grimaça d’un air nerveux. Ce qu’elle entendait ne lui plaisait pas le moins du monde.
-Mais… et cette grosse affaire, alors ? Je croyais que vous aviez besoin de moi ?
-Et comment, que j’ai besoin de vous ! On va aller frotter les oreilles d’une bande d’hommes poissons, alors je veux absolument avoir ma sorcière favorite en back-up pour leur roussir les écailles s’ils commencent à vouloir jouer aux gros bourrins !
-…
Ne lui plaisait pas le moins du monde. Effectivement. Cette fois, c’est avec un ton aussi froid et tranchant que le métal qu’elle répondit.
-Vous voulez dire que vous voulez que je me batte contre ces monstres ?
-Ohlà ! Non ! Certainement pas. Vous battre, c’est pas du tout votre genre. Et j’veux pas que vous preniez des risques. Non mais.
-Bon. Je préfère.
-Je veux que vous les massacriez, nuança Sigurd. Franchement. Entre vos boules de feu, vos explosions et vos liens-chaînes-trucs-tentaculaires, y’a aucune raison d’en venir aux mains. Vous en prenez un, vous l’atomisez, les autres vont vite comprendre comment faut pas se frotter à une sorcière de mauvais poil, et tout ce petit monde va plier bagage et prendre le large en faisant profil bas ! Y’a pas de raison qu’un homme poisson fonctionne différemment qu’un pirate, après tout. C’est pour ça que les marines essaient toujours de sniper le chef avec les gros bourrins de leurs équipages. Le prob’ c’est qu’ils n’essaient que de faire ça et…
-JE ME CONTREFICHE DE CE QUE VOUS POUVEZ REPROCHER OU NON A LA MARINE ! C’EST VOUS QUI NE TOURNEZ PAS ROND !
-Euh ?
-COMMENT CA, « EUH » ? MAIS VOUS ETES MALADE OU QUOI ? ME FAIRE COMBATTRE DES HOMMES POISSONS ? MOI ? ET VOUS Y CROYEZ SERIEUSEMENT ?
-Rhoo, mais non, j’ai précisément dit…
-RETIREZ VOUS TOUT DE SUITE L’IDEE DU CRANE. J’AI L’IMPRESSION D’ENTENDRE DES IDIOTIES VENANT DE NASH OU DE HYUMA ! ET C’EST HORS DE QUESTION !
-Eééééh, il est très bien, Nash !
-Et complètement idiot quand il s’y met. Alors maintenant, expliquez moi pourquoi Mistoltin vous a demandé de nous faire venir. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de gros contrat ? Vous aviez bien besoin de moi, non ?
Gros silence. Comme d’habitude, les intonations meurtrières, les regards acérés d’Evangeline restaient sans effet sur son compère. Même ses élans de colère n’y faisaient plus rien. Sigurd s’y était complètement habitué et insensibilisé, depuis le temps. C’était quelque chose de trivial, et il n’avait rien à se reprocher de sérieux, après tout.
-Baaah… non. J’ai absolument pas besoin de vous pour passer des contrats avec Althias, voyons. J’vous ai surtout fait venir pour l’autre truc. Y’a bien des infos utiles que vous pourriez récupérer ici, mais rien qui n’aurait pas pu faire l’objet d’un entretien en escargoconférence ou autre.
-… je vous demande pardon ?
-Youhou ? On est copains depuis des lustres ! J’lui ai réglé de gros problèmes, il m’a filé de grosses occaz’. On a appris à jouer à Age of Navires l’un contre l’autre, je le recommande aux clients à l’occasion, il paie mes notes de restaurant à vie. Pourquoi j’aurais besoin de votre aide à ce sujet ?
-Mais… et mon expertise technique, peut-être ?
-N’a pas besoin de technique pour empocher de gros contrats. Seulement pour justifier les honoraires.
-…
-Pis vous êtes jamais venue sur Tanuki, nan ? C’est l’occasion de visiter. En plus je connais des tas d’éleveurs de moutons angoras qui pourraient vous refiler de rouleaux de laine de premier choix à des prix complètement cadeaux. Y’a Anford Galleon Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior Junior, par exemple, ou encore…
Kalem et Sigurd. Chacun à sa manière, ils pouvaient s’avérer incroyablement agaçants, ou exaspérants. Au point de donner envie à la jeune femme d’en prendre un pour taper sur l’autre.
Ce qu’elle se décida à faire. Ses lianes de cordes et de coton enveloppaient toujours Kalem Doskopp, qui n’avait pas été en état de lâcher un seul mot depuis tout ce temps. D’un mouvement de bras, elle guida ses rets pour qu’ils l’élèvent plus en hauteur, prennent de l’élan, et le balancent contre Sigurd.
Son associé ne réagit même pas, et attrapa tout juste le projectile nainprovisé lorsqu’il lui déboula contre le torse. Déséquilibré, il manqua de partir à la renverse, fit plusieurs pas vers l’arrière pour ne pas s’écraser au sol, buta contre le bord, se sentit basculer vers l’océan, et…
S’immobilisa complètement. Haylor avait réagit immédiatement, et amarré un de ses liens à eux pour les retenir. Les voilà qui ne tenaient plus qu’à un fil ; au sens propre, comme remarqua Elie.
-Alors. Elie. Qu’est ce que je fais d’eux ?, demanda Evangeline en rayonnant.
-Laisse-les tomber, je pense, sourit largement l’autre, l’air jovial.
-Oh ?
-Enfin, non. Bien sûr que non. C’est ce que je dirais si j’étais de très mauvaise humeur, du moins, reprit la comédienne. Mais je suis quelqu’un de bien… n’est-ce pas ?
-Ouioui. Tu es quelqu’un de très bien, Barba…
-ELIE ! BLONDINET A BULBE ATROPHIE, ELLE S’APPELLE ELIE ! LUI DONNE PAS DE RAISON POUR NOUS COULER !
-Bien sûr. De la même manière que je suis quelqu’un de très raisonnable, voyons. Et qu’il ne serait absolument pas raisonnable de leur faire ça.
-Pas raisonnable. Absooooolument pas raisonnable.
-Alors je vais utiliser un autre lien pour raffermir ma prise sur l’avant bras de Sigurd… pour pouvoir les stabiliser et… oh… je me demande ce qu’il se passerait si je frottais ce fil de coton contre le nez de Kalem pour le faire éternuer. Elie ?
-Aucune idée. Mais ça m’a l’air d’une expérience intéressante. Très, très intéressante. Vas-y pour voir.
-Vous allez quoi ? Ohnononon !
-Si jamais tu fais ça, je te… aaaah… aaaaaaahh… aaaaaatchhh’….
Une mauvaise blague. Une très mauvaise blague, se répéta Sigurd. Les deux jeunes femmes avaient l’air de s’amuser énormément, sans aucun doute. Mais Dogaku n’aimait pas ça. Le fait d’être jeté à la mer était une expérience désagréable en soi. L’eau de mer était froide, et le sel marin rongeait généreusement la peau. Il avait beau être excellent marin et bon nageur, il n’avait jamais été amateur de ces trempettes.
Sentant toutefois qu’il était bon pour finir à l’eau, il se prépara au pire et jeta un coup d’œil vers l’océan en dessous de lui. C’était l’affaire de quelques mètres, rien de dangereux. Même dans le cas où Kalem était incapable de nager, il n’aurait aucun mal à le maintenir avec lui jusqu’à Tanuki s’il le fallait.
Le problème, c’est qu’ils n’étaient pas seuls.
Le problème, c’était ces six gros ailerons de mauvais augure qui tournoyaient en cercles rapprochés juste en dessous d’eux. Ce pouvaient être des hommes poissons. Ce pouvaient être certains de leurs squales de compagnie. Avec ces créatures marines, on ne savait jamais.
Tout comme les hommes de la surface, leurs homologues subaquatiques avaient aussi la fâcheuse tendance d’influencer l’écosystème des lieux qu’ils occupaient.
-‘TTENDEZ HAYLOR NON NON PAS ICI Y’A DES REQ…
-AAAAAAAAAAATCHHHHAAAAAAAAAAA !!!!
-REQUIIIIIIIIIINS !
Trop tard.