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Chemin de croix


Des râles et des respirations rauques, sifflantes, pénibles. Des tâches de sang sur des linceuls autrefois immaculés, des seaux remplis de fluide salis et odorants, des regards vides et des visages couverts de sueur dans le demi-jour des lanternes accrochées ça-et-là au plafond. Plafond ? Le mot est peut-être un peu fort pour décrire cette bâche qui recouvre les estropiés et les agonisants, une simple tente à l'atmosphère étouffante et gangrénée qu'on a improvisé en infirmerie. Mouroir plutôt que véritable salle de soins, pense Morneplume alors qu'il marche, d'un pas feutré, entre les brancards placés en deux rangées, de chaque côté de la longue tente. Ils sont ces hommes que Jäak nomme les Sacrifiés. Ils sont ces hommes que lui appelle des dommages collatéraux. Ils sont ces hommes que d'autres nommeront "les pauvres", "de braves gamins" ou simplement "des malchanceux". Tous étendus dans leur propres déjections, dans les restes de leur humanité qui, quelques heures plutôt, s'échappaient à grands bouillons de leur enveloppe charnelle. Lui, il ne lui reste que la moitié de son visage, œil, oreille, joue et cheveux déchirés et arrachés par le souffle d'une déflagration. Ce quadragénaire, là, ne respire que péniblement, ses deux jambes sciées par une salve de tirs. Ils périront tous, selon Edwin, infectés par le Mal inhérent du Grey Terminal. Ils seront ces hommes dont on se souviendra, parce qu'ils auront eu la chance, eux, d'être extirpés des souterrains par leurs confrères. Les autres, ceux qui ont été piétinés et vaincus dans les profondeurs du dépotoir… Ceux là, on ne gardera rien d'eux, si ce n'est cette plaque avec un nom et une année de naissance. Ils ne sont rien de plus qu'une goutte d'huile ajoutée au moteur de la Justice. Un infime rouage à l'utilité bénigne.

Il s'arrête, Morneplume. Il s'arrête au niveau d'un brancard, dans une économie de mouvement à faire peur. Comme une feuille de papier que soudainement le vent cessait de souffler, il arrête sa procession. Un corbillard qui freinerait en bord de route pour repêcher un malheureux. Et le malheureux en question, il est recroquevillé sur son lit de camp, les yeux ronds comme des billes, fixant le vide d'un air terrorisé, mais absent. Il n'est pas dans une infirmerie de fortune, aux abords du Grey Terminal. Non. Lui, il est toujours loin dans ces boyaux grouillants de révolutionnaire. Il est toujours sous le feu ennemi, au milieu des cadavres et des explosions. Et lorsqu'il fixe ses mains moites qu'il tient bêtement devant ses yeux, à la manière d'un miraculé, il ne voit que le sang qui les imprégnait, des heures plus tôt. Son souffle est chevrotant, ses yeux son creux, son teint livide. Il n'était pas prêt à servir la Justice, il n'était qu'un pleutre de plus qui aurait dû mourir dans les profondeurs. La main d'Edwin se tend vers lui, s'approche de son visage. Serre de rapace fondant lentement vers une proie.

Morneplume. Ne l'touchez pas.

À l'entrée de la tente, dans la pénombre, Kosma se tient bien droit, un mouchoir devant sa bouche et son nez. Morneplume ne bouge plus, un temps, à la manière d'un fauve croyant ne pas avoir été détecté, puis sa main se retire, sans un bruit. Edwin claque de la langue avec dépit, puis se dirige vers la sortie d'un pas rapide. Qu'est-ce qu'il le dérange, ce Sergent raté croyant accomplir son juste devoir. Comme il aurait aimé le voir parmi tous ces hommes jetés dans les fausses, en fin d'après-midi. Pourtant, s'il est toujours là, c'est peut-être parce que la Justice lui réserve toujours un rôle dans sa grande mission. Tout comme elle le fait pour Jäak. Deux fardeaux pour lui, qu'il espère voir être utiles un jour.

Hm, dans un tel état, il finira par se tuer seul, si personne ne lui montre comment quitter ce monde justement. murmure froidement Morneplume, lorsqu'il s'arrête à la hauteur de Kosma, avant de quitter cette maison des horreurs où s'entremêlent putréfaction et souffrance.

Il se nettoie les poumons en inspirant l'air frais du soir, s'avançant au milieu des tentes des armées. À la limite du camp de la Marine, monté à la limite des murs du Grey T, il peut apercevoir le bidonville toujours brûler lentement. Parfois, lorsqu'un vent un peu trop fort souffle dans la direction des tentes, tous peuvent humer l'odeur des cadavres et des déchets passés par les flammes. Morneplume tire son paquet de cigarettes de sa poche, en fiche une entre ses lèvres avant d'en tendre une à sa droite, où l'Agent Alric Rinwald s'extirpe de l'ombre.

Je vous allume  ?
'mouais faites donc.

Une allumette craque, puis les deux hommes fument, en silence, le regard perdu dans les braises du Grey Terminal.

Je constate que vous avez réquisitionné des habits de marine.
Mon costard était troué de balles...
Je vois.

Un ange passe. Longtemps. Il fait froid, mais ça, ils le savent.

Belle soirée.
Pas vraiment.
Vous avez on ne peut plus raison.

L'Umbra est dans les environs. Le Roi des Ordures introuvable. La situation semble définitivement plus complexe que celle imaginée par Keegan Fenyang. Si bien qu'une nouvelle approche s'impose pour dénicher le leader révolutionnaire. Les côtes surveillées, les villes patrouillées, impossible pour l'homme de quitter l'île sans être aperçu. L'enquête interne est de mise, mais des indices manquent à l'appel. S'il leur était possible, seulement une seule fois, d'interroger un homme de l'Umbra, la donne changerait complètement… Mais le suicide est le seul échappatoire pour ceux fuyant le courroux de la Justice.

En attendant, ils ne peuvent que fixer les flammes, la croix sur le dos, attendant que le soleil se lève pour suivre le chemin de la Justice.

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Il pèle. J’me les gèle dans mon costume de Marine. J’ai pris soin de m’procurer celui d’un lieutenant d’élite, le même grade que Morneplume. Ca sera plus simple, pour si j’me retrouve dans une situation où j’dois obéir à des ordres. J’écouterai pas les siens, déjà. Il est efficace mais trop bourrin. L’application de la Justice et le maintien de l’Ordre exigent parfois des concessions et des détours que l’homme, trop psychorigide, ne voit pas ou refuse tout net.

Chiasserie de militaires.

Dans ce camp, j’me sens pas particulièrement à l’aise. Trop de Marines. Trop de types qui peuvent hiérarchiquement me la mettre à l’envers en m'refilant un ordre à la con. J’regrette presque mon costard de Cipher Pol.
Mais on était trop visibles, en l’état. J’sais pas qui a proposé l’idée, mais elle me va bien. Une poignée de CP au milieu de tous ces Marines, c’est demander à se faire assassiner. J’aime pas être un appât, surtout quand c’est nous qui partons à la pêche.

Ces gars de l’Umbra, aussi, ressemblent trop à un équivalent CP chez les révolutionnaires pour que j’sois en confiance. J’m’en fais modérément pour le haut de la hiérarchie, des gars qui pour la plupart sont arrivés là où ils sont à la force de leurs poings et qui peuvent le prouver si nécessaire. Mais ce pays n’a pas besoin de davantage de déséquilibre politique.

Mais c’est pas parce que les types vont être durs à dessouder que personne va essayer. Des agents du CP, banalisés, se chargent de couvrir du gradé. J’me suis même arrangé avec quelques-uns d’entre eux pour être parmi les premiers prévenus. Pour ça que j’zone du côté de l’infirmerie, même si ça daube sec. C’est parce que c’est sur le chemin de la tente du haut commandement.

Si y’a du grabuge, à tous les coups, j’serai dans les premiers au jus.

J’arrive au bout de mon paquet de clopes, accroupi maintenant à côté du feu, Morneplume toujours debout tout raide à côté de moi. On a pas grand-chose à se raconter, objectivement. T’façon, j’lui en veux encore pour le coup de pute qu’il m’a fait à Luvneel. J’crois que j’pourrai plus y foutre les pieds de si tôt, et c’est bien sa faute. Comme si on avait besoin d’être persona non grata en prime, nous les CP.

J’note l’Agent de catégorie deux Victoire qui trotte furtivement à l’ombre des tentes quand elle m’adresse un signe de la main. J’y réponds de même et j’y vais, laissant le lieutenant d’élite sur place. Elle est grande, élancée, blonde. Plutôt mignonne. Pas le genre qu’on imagine en train de trainer dans une zone de guerre. Et pourtant, loin d’être la plus inefficace…
« B’soir Victoire. Du nouveau ?
- Pas vraiment, Al…
- Angus, Angus.
- Angus alors. Apparemment, Bidule dit qu’il a peut-être vu des capes grises autour de Vendetta.
- Bidule ? Peut-être ? »
Elle hausse les épaules.
« Oui, le rouquin, tu vois ?
- Ah, ouais, lui. Et ?
- Il n’est pas sûr, il a essayé d’en identifier un, mais ce sont des bons, de ce qu’il dit. Il n’arrive pas à leur mettre la main dessus.
- Ah. Mais il est pas très…
- Effectivement. »

On attend un peu, puis j’demande :
« C’est quoi l’plan des patrons ?
- Pour le moment, statu quo, je pense. »
J’grogne.
«  Tu vas y aller ?
- J’pense, ouais. Toi ?
- Non, je viens de finir mon tour de garde, je vais prendre un peu de repos après avoir fait mon rapport. Bonne chance.
- Merci, r'pose-toi bien. »

Le temps que j’jette un coup d’œil vers Morneplume, toujours à côté du feu, Victoire a disparu parmi les ombres. Chouette pseudo, qu’elle a, en tout cas. J’doute pas que le vioque a pas perdu une miette de notre échange, même s’il n’a pas pu entendre ce qu’on s’est dit. Il cligne de ses yeux au regard fixe puis se dirige à grands pas raides vers moi.

Pour remuer la situation, touiller un peu la merde, rien de tel qu’un Marine d’élite un peu trop à cheval sur ses principes. J’espère foutre un bon coup de pied dans la fourmillière, histoire de voir ce qui en sort.
« Morneplume. Belle soirée, pas vrai ?
- Nous nous étions accordé à dire que ce n’était pas vraiment le cas… Angus.
- Comme quoi les choses changent, hein ? Semblerait que des types de l’Umbra rôdent autour de Vendetta. Va être l’occasion de les interroger, vous venez ?
- La Justice n’attend pas. »

J’remonte le col de mon uniforme et j’ouvre le chemin.

Plus loin, à l’entrée de la grande tente servant de lieu où mourir, un visage au regard étincelant adresse un dernier sourire à des blessés et des infirmières, ainsi qu’un clin d’œil, et nous emboîte le pas.

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Que les choses soient bien claires mes p'tits pères, c'est pas parce qu'un foutu agent du Cipher Pol revêt des vêtements Marines qu'il apparaît à mes yeux comme un agent de la Marine. On dirait qu'il a pris du galon ; lieutenant, rien que ça. Ha. En même temps, pour travailler avec Morneplume, mieux vaut pas risquer d'avoir à être sous ses ordres. Moi j'le trouve sympathique le Morneplume. On m'a même raconté qu'un jour, il avait gracié un innocent, après s'être bien assuré que ce n'était pas lui le coupable.

Bon, les deux zigs m'ont repéré. Au moins le gars du Cp. Le lieutenant est sans doute trop concentré sur la Justice pour me voir traîner ma carcasse derrière lui. J'sais pas vraiment ce qu'ils font. Angus a sifflé quelques mots au vieillard qui s'est empressé de bouger ; son chemin inspiré par une aura divine. Le Bien va encore frapper. Et les quelques cadavres qui longent notre chemin m'indiquent que je s'rai pas assez nombreux pour empêcher le génocide révo. Pis ça fait tilt dans ma tête, je l'ai entraperçu avant l'attaque dans les tunnels, j'sais pas où le trouver mais comment le contacter, pas de problèmes.

J'sors ma trousse de médocs pour y prendre un petit objet en bois. Ça n'a rien à faire là, mais c'est toujours une meilleure place que d'le laisser traîner dans les poches. J'porte l'objet à mes lèvres, m'arrête, et continue à suivre des yeux les deux gars en costume de la mouette. Le hululement que produit mon souffle dans l'appeau est suffisamment fort pour que les vibrations atteignent la personne visée. J'reprends ma route. Et j'rentre dans la ville. Les deux gardiens de la porte me jettent un œil torve, posant le regard sur mon insigne de sergent, puis reprennent leur discussion. Temps de crise, ils se doivent de laisser circuler les gradés, la piétaille doit leur fournir un papier pour avoir droit de s'promener dans la ville.

Deux ou trois rues plus loin, j'aperçois le haut-de-forme qui s'engage dans une maison. Faisant à peine l'effort de frapper à la porte, il entre. Le Cp le suit, beaucoup plus leste dans ses déplacements, il pourrait presque passer inaperçu. J'viens me caler devant le parvis. J'attends. Inutile d'entrer maintenant. Autant bien observer les alentours. Puis mon message n'aurait pas servi à grand chose en entrant.

La baraque appartient à un certain Lord Servo Vendetta. Étonnant. Que Morneplume vienne appliquer sa justice ici a tout pour m'étonner. Les nobles de Goa sont sous la protection du gouvernement, et le gouvernement c'est la Justice selon M. Purge. Mais mieux vaut ne pas s'fier aux apparences, il a sûrement des infos que je n'ai pas. D'autant que mister cp doit avoir un coup d'avance sur tout l'monde.

Quelques minutes d'attente et v'là que s'ramène la personne que j'attendais. Un hibou posé sur l'épaule, un cigare entre les dents, et derrière lui une espèce de Marine à la crinière rousse que j'ai déjà croisé un peu plus tôt. Jäak Hadži, le même visage taciturne que d'habitude, avec juste une sorte de plissement au coin des lèvres. L'est content de m'voir le bonhomme. Moi aussi. Longtemps qu'on a pas discuté tous les deux. On s'est bien entraperçus lors de l'attaque du Grey T. Un petit hochement de tête quasi simultané comme seul échange et on est partis chacun de notre côté.

« Kosma.
-Jäak, ravi de t'revoir en pleine santé. Et vous êtes ?
-Modokoyoloatef.
-Enchanté. Morneplume et l'gars du cp sont entrés là-d'dans. Un certain Vendetta.
-On entre ?
-Je n'attendais que toi. »

Presque en rang d'oignons, on intègre les lieux et un laquais vient nous recevoir, un peu affolé. Pas étonnant, il a du tâter de la Justice quelques minutes plus tôt, et c'est effrayant, la Justice. J'pose mon regard un peu partout. C'est sobre. On s'attendrait à plus cossu chez un noblion de Goa. Un mot de Jäak et on nous emmène rejoindre les deux officiers de la Marine qui nous on précédé. L'ouverture de la porte fait tourner les trois visages en pleine discussion dans not' direction et le regard énervé du Lieutenant m'fait esquisser un brin de sourire satisfait.

« Ne vous arrêtez pas pour nous ne faisons qu'écouter, j'lance avec toujours ce sourire en direction du petit conclave.
-Hum, vous disiez donc ?
-J'ai une petite liste de noms qui pourrait vous intéresser. Des assassins expérimentés que nous traquons en silence et sans relâche depuis quelques temps.
-Ils sont au courant que vous possédez cette liste ?
-Pas vraiment, mes propres hommes garantissent ma sécurité et aucune information ne semble avoir filtré.
-Très bien. Des contreparties ?
-Aucune, sinon que vous me laissiez continuer d'agir de mon côté. J'ai l'habitude du terrain, contrairement à vous. Ah, et que vous ne mentionniez pas mon nom dans l'affaire. Je tiens à rester discret.
-Je vois. Nous allons vous laisser, mais il se pourrait que nous repassions vous voir. L'avenir seul nous le dira, Lord Vendetta.
-Au revoir Lieutenant Morneplume. »

Puis on sort tranquillement de la demeure du Lord. Morneplume nous dévoile quelques unes des informations qui lui ont été transmises par le noble. J'me doute bien qu'il ne nous a pas tout dit. Trop peu de confiance en nous. Quoi qu'il en soit, la traque reprend. De plus belle. J'aime méchamment pas ça. D'autant que d'après la liste, on a affaire à une vingtaine d'assassins expérimentés. J'regarde à droite et à gauche. Ces putains de regards m'aident pas à être rassuré. Le trac sans doute.
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Et alors, où ils sont ?
Un peu partout. Vendetta les soupçonne même d’être à l’intérieur de la ville…
Ils oseraient ? La présence d’un type comme Keegan devrait faire peur. Même s’ils décidaient d’y aller discrètement… Non, faut se mettre à leur place. Qu’est-ce qu’ils veulent ?
Vivre ?
Non. Ils en ont après le Gouvernement, ils en ont après ceux qui ont rendu cet endroit… misérable. Ils se moquent de leur vie. Ils veulent nous tuer. Et pas seulement de la bleusaille de second rang, ils en ont après les officiers. Voilà pourquoi on en a vu dans les tunnels.
Donc logiquement, toutes les unités envoyées à l’extérieur de la ville…
sont en danger, oui.

Vingt, même après le massacre qu’il y avait eu ici lors du combat entre Keegan et Rafaelo, ça me semblait peu. Il devait sûrement y en avoir plus. Certainement. Et j’avais un moyen de le vérifier, il se trouvait juste sur mon épaule. L’animal majestueux dont le corps et les serres équivalaient au moins à plus de deux fois ma tête, narguait comme d’habitude les hommes qui constituaient le groupe. Bombant le torse, il dévoilait ses ailes teintées de plumes couleur crème, bois et feu. C’est vrai qu’il était joli.

Kaalam.

Il s’exécutait, s’envolant vers le ciel infini. Il reviendrait plus tard. Kaalam revient toujours.

A propos, Morneplume, ça fait un bail. Je suppose que tu n’as pas changé.

Kosma lâchait un rire désespéré. J’avais compris.

Très bien, tu feras comme tu en as envie. Tu peux, après tout, la particularité de la mission est justement l’absence d’ordre spécial quant à la capture des révolutionnaires. Mais si tu recommences à exécuter des innocents…
Tu es le seul à penser qu’ils le sont Jäak. Je constate que tu n’as pas changé, pourtant tu aurais fait un bon marine avec un peu plus de… convictions. Hélas, tu es de la même espèce que Kosma. Inutile, faible, dérangeant…
Et toi une maladie, Morneplume. Une maladie que seuls les faibles d’esprit peuvent attra

Pulu pulu !


Les denden mobiles de tous les officiers présent résonnaient en même temps. On décrochait et l’escargot devenait rouge. On savait ce que ça voulait dire. Signal de détresse.

Au même moment, Kaalam apportait une mauvaise nouvelle. Il n’était pas capable de parler, mais de part son appel, il m’informait qu’il y avait bel et bien plus de vingt assassins dans les environs.


Bon, j’irai avec Modokoyoloatef, vers les équipes qui étaient à la recherche de port clandestin. Quand j’aurais nettoyé la zone, je vous enverrais Kaalam. Un cri strident, c’est oui, un cri plutôt calme, c’est non.


Je partais sans me retourner, affolé par mon denden. J’essayais d’appeler les groupes alliés.

Pulu pulu ! Pulu pulu ! Pulu pulu


Hadz !?
Ah ! Enfin vous répondez, restez là où vous êtes et faites bien attention, il y a des
On sait. Le Sergent est mort, on a rien vu venir…
Putain… Ils ont vraiment l’intention de buter tous les galonnés… Ordonne aux autres de rester prêt en occident, près de la mer mais cachés. Et armés. Armés surtout.

Je raccrochais et rassemblais les moins blessés de mon groupe d’hommes, en plus de ceux de Modokoyoloatef.

Sergent, vous vous battez réellement avec un arc ?
Modokoyoloatef ne comprend rien à ces pistolets. Modokoyoloatef pourrait tuer Modokoyoloatef s’il utilisait ça. Et puis Modokoyoloatef est né à Torino, alors Modokoyoloatef a l’habitude.
Bien… Mais ça n’explique pas pourquoi vos hommes ont tous des armes principalement en bois…
Modokoyoloatef a recruté des personnes semblables à Modokoyoloatef. Les hommes de Modokoyoloatef disent que Modokoyoloatef est une star alors ils agissent comme Modokoyoloatef.
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Agent Rinwald.
On avait dit Lieutenant Angus, Morneplume…
Je crois que la situation ne me permet pas de prendre en compte une variable aussi insignifiante et facultati-
BANG !

Une partie du coin du mur auquel est adossé Edwin vole en éclats. Des morceaux de ciment et de détritus retombent au sol en miettes, alors que Morneplume vérifie le contenu de son barillet. C'est le troisième bâtiment qu'ils vérifient, lui et Rinwald, et déjà ils sont trop nombreux à leur tomber dessus. Probablement l'idée de savoir deux lieutenants isolés a-t-elle mis l'eau à la bouche des hommes de l'Umbra. Un petit bloc désaffecté, trois étages, des fenêtres cassées, des murs effondrées, un escalier principal tournant sur lui-même. Le lieu rêvé pour une embuscade, au milieu du silence des taudis et des dépotoirs. Ils se sont arrêtés dans un petit appartement dépouillé du deuxième étage, et déjà les feux fusent d'en haut comme d'en bas. L'embuscade était évidente, stupidement évidente, mais forts de leurs dernières fouilles sans alertes, ils se sont ambitionnés à fouiller celui-ci.

'trouver un moyen d'sortir d'ici.
Besoin d'un tir de couverture ?
Peut-être bien, ouais.

Adossé juste à côté de l'entrée de la salle où ils se sont réfugiés, la porte pulvérisée plus tôt par le puissant tir d'un tromblon, Edwin penche la tête vers l'entrée pour y déceler l'ennemi. L'un d'eux est probablement caché dans l'escalier en colimaçon, juste un peu plus haut qu'eux, pour avoir une vue imprenable sur la porte du taudis où ils se couvrent. Une nouvelle salve de shrapnel manque arracher la moitié du visage d'Edwin, qui s'écarte un peu plus de la porte dans un réflexe salvateur. Les tirs si violents de l'arme ont tôt fait de doubler la taille de l'entrée, alors que Morneplume, vainement, tente de répliquer par quelques coups de feu à l'aveugle. Il n'a que faire de ces quelques moucherons qui tournent inlassablement autour de la brave bête qu'est la Justice. Cette étape, voire obstacle ou péripétie, de la mission lui semble une véritable plaie, un passage obligé par lequel il ne s'obligerait pas à passer.

Raser l'île et tout recommencer à zéro, voilà ce qui chasserait définitivement l'Umbra et la Révolution de l'endroit. Peu importe ce que ce Servo Vendetta croit leur faire accomplir, cela n'est qu'une marche de trop pour Morneplume qui se voit grimper quatre à quatre l'escalier vers le succès.

Rinwald ?
Ça vient, ça vient.

Il semble réfléchir en farfouillant dans le taudis, y cherchant des entrées et sorties, des moyens de quitter le bâtiment ou peut-être de contre-attaquer. Une chose semble certaine à Edwin, cependant, ils sont plusieurs, probablement plus qu'un duo, mais ça, il n'a qu'une façon de le savoir. Il profite d'une accalmie pour se glisser au sol comme un fauve, ne voulant pas éveiller de nouveaux tirs chez l'ennemi par un mouvement trop brusque. Il ramasse un pan de mur assez gros, reste aggloméré de béton retenu par quelques épaisses tiges d'acier. Le soupesant, il s'adosse à nouveau contre son maigre abris, voisin de l'entrée. Si les assassins ont pris des positions mettant de côté toute possibilité d'angle mort à la sortie du taudis, l'escalier doit être complètement surveillé.

Messieurs, c'est une sortie !

Lance un Edwin exempt de sueur avant de balancer de toute ses forces le bloc de ciment directement dans l'escalier en colimaçon. Il se décale aussitôt avant que plusieurs coups de feu ne viennent gruger de plus belle le mur lui faisant office d'abris.
Cinq coups de feu. Ils sont au moins cinq. Quoi de mieux ? Edwin ne pourrait mieux espérer, pense-t-il en enfilant ses gants immaculés.

Rinwald.
Hm ?
Cinq. Peut-être plus.
Arf, je vois…
J'apprécierais que vous m'ouvriez le chemin, que je nous pêche une grosse prise.
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« J'apprécierais que vous m'ouvriez le chemin, que je nous pêche une grosse prise. »

Et moi j'pêche quoi ? Une balle dans l'cigare, c'est ça ? Puis c'est Angus, putain. Bien la peine qu'on s'fasse chier à avoir des fausses identités si les types veulent pas faire l'effort de s'en souvenir. J'grommelle dans ma barbe en revenant vers Morneplume.
« Pas d'autre sortie, de toute façon. Z'ont dû tout condamner, voire construire sans fenêtre, probablement pour éviter la perte de chaleur.
- Une seule entrée, une seule sortie. Je vous couvre.
- J'suis pas sûr que...
- Utilisez votre technique de renforcement, Rin...
- Morneplume. Z'êtes qu'un bourrin incapable de vous souvenir cinq minutes d'un simple prénom ? »
Il me fixe d'un regard glacial, sans dire un mot. Il fait le coup tellement souvent que ça m'fait ni chaud ni froid. Au début, en tout cas. Dehors, le silence est à peine rompu par un son de frottement. Ca semble se rapprocher.

« Ca s'agite, dehors.
- Justement. Faites comme j'ai dit... Angus. »
J'lui jette un coup d'oeil d'avertissement en manquant d'applaudir sarcastiquement. J'aime pas obéir aux larbins de la Mouette. En plus, ça leur donne de mauvaises habitudes. Mais faut reconnaître que sa suggestion est la seule valable. Malgré le fait que ce sera pas le Tekkai qui va me protéger d'une énorme volée de balles, ou pire, de ce putain d'tromblon.
J'équipe mon mousquet en sénestre, j'le charge. Et un couteau de lancer dans la main droite. Morneplume vient de recharger son six-coups. On s'abrite de part et d'autre de ce qui reste de l’embrasure de la porte. J'pointe vers le bas, il acquiesce.

Puis j’fais trois avec mes doigts.

Deux.

A un, il pointe son arme dehors et tire à deux reprises. J’me jette dans l’embrasure, plié en deux. Les balles du lieutenant filent au-dessus de ma tête alors que j’peux pas m’empêcher de noter des taches qui ressemblent à du sang séché entre les dalles de carrelage.
Relevant mon regard, j’dévale l’escalier en courant à moitié sur le mur, m’aidant des mains. Le colimaçon bouche un peu la vue des tireurs embusqués. Quand j’leur tombe dessus, raide comme un piquet et lourd comme une pierre, renforcé au Tekkai, ça panique à peine, par contre. Les balles sont parties à côté sous la surprise, mais c’est bien tout. A peine ça s’écarte pour faire un peu d’espace et se préparer.

Des pas retentissent derrière moi. Morneplume est juste derrière. Ca suffit pas pour me couvrir, j’suis ptet allé un peu vite ce coup-ci. Quatre types en capes grises juste devant mon nez. Y’a celui avec son tromblon, le truc qui balance des shrapnels pas possibles. Les autres jettent au sol leurs pistolets maintenant déchargés et dégainent des long-couteaux.
Mon coup de mousquet à bout portant en aligne un à l’épaule, mais il marque à peine le coup. Saloperie de petit calibre. L’autre avec son bazooka se prépare à faire feu, alors j’balance mon couteau dans le canon. Mais v’là qu’un coup latéral me force à m’jeter dans cette direction histoire de pas finir en plusieurs morceaux.

En pleine roulade, j’vois l’index appuyer sur la gachette, et la gueule du canon à quelques centimètres de mon visage. J’ai à peine le temps de lever les bras. L’index assassin se plie, force et enfonce. Dans la gueule du tromblon, la poudre s’enflamme, les shrapnels s’agitent.
Mon couteau de lancer est bien enfoncé. L’explosion ne trouve pas d’issue. Le fût tente de résister à la force exercée. Sans succès. Derrière la protection de mes avant-bras, j’vois le tromblon se déliter. Des éclats volent partout. Les shrapnels aussi. Une douleur aigüe.

J’tombe à la renverse. Sous l’adrénaline, j’fais une roulade pour ne pas offrir mon dos aux autres assassins. Confusément, j’sens du sang dans mes manches. Et une brûlure sur un coin de ma gueule. Les révolutionnaires restants s’apprêtent à me sauter sur le museau quand Morneplume.
Ils l’ont à peine entendu venir, avec le coup du tromblon. Ses poings s’agitent, son six-coup crache la mort, et quelques fractions de seconde plus tard, il ne reste plus que nous. J’sursaute en me tournant vers le gars qu’avait l’arme lourde. Moins chanceux que moi, les shrapnels lui ont grêlé le visage. Mort sur le coup.

J’grimace. Tous cannés ?
« Et celui d’en haut des escaliers, que j’demande.
- Toujours en vie. »
On entend distinctement un pas de course précipité qui s’éloigne.
« Si on veut toujours l’interroger…
- Faisons hâte, Angus. »

Ouais, moi j’vais bien, merci de t’en inquiéter. J’lui emboîte le pas en retirant les balles enfoncées superficiellement dans mes avant-bras, et j’récupère mon pistolet, aussi. On enfile les marches aussi vite que possible, jusqu’à arriver à une trappe ouverte.

Les toits, huh…

Chiasserie, j’espère que Morneplume a pas le vertige.

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Pas que j'aie à m'en plaindre plus que ça, mais je dois avoir totalement disparu. Sans doute que mes compagnons d'infortune se rendront compte à un moment ou à un autre que, n'étant pas parti avec Jäak et le rouquin, et n'ayant pas suivi Edwin et le CP, je ne suis nulle part. On ne m'a pas donné l'ordre de vaquer à mes occupations, on n'a juste pas fait attention à ce que je faisais ni à où j'étais. Et bien entendu j'ai commencé par suivre le haut-de-forme ; toujours. Lui-même toujours accompagné de son larbin du Cipher Pol. J'me demande bien comment ils arrivent à se supporter, je les ai observés pourtant, pas le genre à faire copains-copains tous les deux. Mais ça n'a pas duré longtemps. D'abord parce que, ayant trébuché sur un quelconque objet paumé au sol et ma tête ayant heurté un truc plutôt dur et contondant, j'ai mis un peu trop de temps à me relever et je les ai perdus de vue. Et la deuxième raison de ma disparition, c'est le bonhomme pas très discret qui m'observait au moment où j'me suis relevé.

Bon, dans l'absolu, j'sais pas non plus où j'me trouve. J'ai filé le gars sur quelques ruelles, en essayant de m'faire un poil plus discret que lui. C'est exactement le genre de moment où j'bénis ma cervelle rebelle de pas vouloir porter ce putain d'uniforme. Bien trop voyant, et ça annihile la confiance des gars qui filent les meilleurs tuyaux. Là, j'suis devant un grand immeuble où le gars s'est arrêté, j'me faufile dans un coin un peu sombre, histoire de pas être vu et j'écoute. Bam. Mauvais bruit. Le bruit qui généralement est suivi d'un déferlement d'actions sans queue ni tête qui conduit à la mort d'un ou deux gars dont l'histoire ne se souviendra pas. Petit regard vers mon arme, dans la doublure de mon manteau ; toujours rouillée, toujours pas chargée. Mais la crosse peu toujours servir. Je jette un discret coup d’œil dans la rue. Le mec que j'ai suivi baigne dans son sang. Plus qu'une solution, aller lui causer.

« Salut, j'ai entendu une détonation, alors j'suis venu. Vous pensez pouvoir causer ?
-Eh, mais je te reconnais, t'es le mec qui s'est cassé la gueule dans la rue tout à l'heure. C'était fendard, alors j'ai regardé.
-Vous êtes blessé, vous feriez mieux d'économiser vot' salive.
-Ouais, j'vais pas tarder à clamser.
-Qui vous a fait ça ?
-Ah, si vous croyez que j'vais causer à un parfait inconnu...
-J'vous laisse alors... J'étais là pour vous aider, moi.
-Non, non. Restez. Mon supérieur m'a calé une balle dans l'buffet.
-C'est joyeux dites donc, pourquoi tant de tendresse ?
-Ben, c'est un peu à cause de vous...
-Comment ça ?
-J'suivais la trace de deux Marines un poil suspects et vous vous êtes cassé la gueule. Alors j'ai regardé, et... Ben j'les ai perdus.
-Vous suivez systématiquement les Marines ici ?
-Non, mais depuis qu'ils sont rentrés chez Vendetta... Cinq personnes sont sortis de chez lui, ils se sont séparés en trois groupes, j'en ai suivi deux. Les deux autres gars qui étaient avec moi suivaient les autres groupes. »

Ca signifie qu'avec un peu de chance, le gars qui s'occupe de moi est pas bien loin. Et avec encore plus de chances, il connaît l'étendue de ma conversation avec le gusse agonisant. Faudrait vraiment que j'aie du bol pour me sortir de ce merdier. L'avantage que j'ai, c'est que j'bloque l'entrée au Qg. Donc pour le moment, le seul à savoir que j'connais leur repère me suit toujours, et peut pas prévenir son boss. L'autre point positif, c'est que personne ne suit Edwin et Angus.

« Merci beaucoup pour toutes ces infos, t'es vraiment un chic type.
-De rien... J'peux savoir à qui j'ai affaire. Ca me fait plaisir d'avoir pu causer un peu, ça allège mes souffrances.
-Alexandre Kosma, sergent d'élite. Pour te servir. »

Et paf. Le mec me regarde avec des yeux ronds comme des boules de billards. J'vois qu'il s'apprête à crier. Mauvais plan. Ma franchise me jouera des tours. Plus le choix. Je lui enfonce mon pouce au niveau de la gorge et il tombe dans les vapes. Ça lui épargnera la douleur des derniers instants. Au moins ça de gagné.

C'est le moment que choisit le mec qui doit me surveiller depuis quelques temps pour me sauter à la gorge. Coup de bol ou pas, le coup de massue qu'il me donne atteint pas directement la tête. Juste une douleur électrique qui me parcourt l'échine. J'vais avoir du mal à le désarmer. J'ai les yeux qui piquent, mais j'fais quand même l'effort de me retourner pour lui adresser un sourire sympathisant. Le « Bonjour. » était peut-être de trop. Il lève de nouveau son arme et j'fais un pas en arrière. Ce qui me sauve d'un coup assez sauvage, puisque je m'étale de tout mon long en trébuchant sur le cadavre de son collègue. J'dégaine mon pistolet. Heureusement qu'il a une tronche de vrai. Le gars lâche son arme. Ils pourraient au moins engager des espions un peu plus efficaces en combat, non ? Je m'relève tranquillement, mais le coup de genou qui m'atteint à l'abdomen me fait perdre mon souffle. Tant pis, j'vais devoir lui faire un peu mal. J'lui agrippe l'entrejambe, et j'sers.

Quelques minutes plus tard, je m'engouffre dans une impasse, le gars calé sur l'épaule, les menottes aux poignets et qui doit faire de très beaux rêves. J'dois pas avoir beaucoup de temps. Une claque ou deux dans la gueule et le mec se réveille. Je transpire. J'imagine que j'devrais m'entraîner plus souvent à combattre, j'me sens un peu usé. Ils étaient pourtant pas très doués, mais j'ai eu du mal.

« Bon, gamin. Ton pote qu'est crevé m'a dit que tu m'suivais. Maintenant t'es plus très en état de m'faire quoi que ce soit. Ni à moi, ni à mes collègues. J'aurais besoin de quelques renseignements...
-À toi, non... À tes collègues, les quelques assassins que j'ai envoyé à leur suite pourraient leur causer quelques soucis...
-J'aime pas qu'on me raconte des craques. T'as pas pu leur envoyer quoi que ce soit.
-Ahah... Tant pis. Tu vas les retrouver crevés sur le coin de la route. Je te rappelle que tu les suivais. Quand j'ai vu que mon collègue avait perdu leur trace, j'ai envoyé quelques hommes. Tes potes doivent être morts...
-J'sais pas si j'pourrais les qualifier de potes. Mais t'as intérêt à m'emmener jusqu'à eux. Tu dois pouvoir les retrouver, tu connais mieux la ville que moi...
-Pourquoi je ferais ça ?
-Parce que je pourrais être moins sympa si tu le fais pas... »
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Chemin de croix 1425395455-grey-t

Le première chose qui frappe, lorsque des hauteurs ils dominent les ténèbres délabrées du Grey Terminal, c'est que d'en haut, les relents putrides et agressifs y sont aussi désagréables qu'au plancher des vaches. Même au sommet de cet enchevêtrement de taudis encastrés les uns sur les autres, ils ne peuvent échapper aux émanations nocives de ce lieu où le crime et le Mal ont bâtit leur plus prospère palais. Ce court instant de prise de conscience est un luxe auquel Edwin met rapidement terme, distinguant déjà à sa droite l'ombre encapuchonnée d'un coureur s'élançant dans le vide. La majorité de ces hommes de l'ombre ont grandit en ces lieux, ils connaissent les dédales comme leur poche et savent grimper et courir mieux que personne. Seulement, Rinwald et Morneplume ne sont pas personne. Si bien que lorsque le lieutenant d'Élite désigne d'un mouvement de tête sec l'assassin en pleine cavalcade, le cipher pol s'est déjà lancé à toute vitesse vers leur ennemi.

Morneplume, lui, prend élan de quelques longues enjambées avant de se jeter à son tour vers le toit sur lequel Rinwald et l'assassin courent déjà à toute vitesse. S'il ne peut se déplacer aussi rapidement que le CP, il peut néanmoins compter sur sa taille pour lui faciliter le déplacement. Peu importe, l'assassin ne perd rien pour attendre sa Justice. Il lui mettra la main dessus, et ce peu importe le nombre de toits qu'il aura à sauter avant d'y arriver. Il le rapace qui, dans la nuit, traque le rongeur. Ce pauvre rat acculé qui déjà donne un violent coup à Rinwald, ce dernier tentant d'agripper la cape de l'assassin. La gorge en feu, tous haletants, ils continuent de sauter de toits en toits, sans le moindre résultat, le fugitif se faufilant entre les cheminées et glissant contre le long de mansardes. Si ses deux poursuivants sont rapides et zélés, lui a le loisir de connaître son terrain de jeu mieux qu'eux.
L'échange de coups de feu, plus tôt, pourrait avoir alerté d'autres membres de sa tenace clique de vauriens. Chose à laquelle Edwin ne préfèrerait pas avoir affaire. Et si quelque chose se clarifie de plus en plus dans son esprit, c'est que l'homme qu'ils poursuivent doit très probablement savoir vers où il se dirige. L'expérience prouve aussi un fait indéniable à Morneplume qui pointe son six-coups vers l'assassin ; leur destination est très certainement un formidable guet-apens d'où ni lui, ni Rinwald ne sortiront vivants.

Et cette idée a le don de l'embêter royalement.  

Angus ! Écartez-vous !

La sommation est peut-être un peu juste, trop juste. Si bien que lorsqu'Edwin fait feu, le plomb manque se ficher dans la botte du CP plutôt que dans le mollet de l'assassin. Ce dernier trébuche sous l'œil froid de Morneplume, alors qu'Alric, surpris, percute le révolutionnaire et est entraîné dans sa chute. Le problème ? Le vide entre deux toits qui se profile juste sous leurs pieds, et que Morneplume tente vainement de faire éviter à Rinwald en le saisissant par le collet. Trop lourd, pas d'aspérité à laquelle se retenir.

Hm…

Est le seul onomatopée susceptible de sortir de la gorge d'Edwin avant que leur malencontreux trio ne quitte les toits pour lourdement s'écraser au fond d'une sombre ruelle. Fracas et tintement de beines à ordure percutées, mais aussi cris de surprise d'un homme pris sur le fait. Sonné, sur son front se mélangeant sang, sueur et pelure de banane, Morneplume se redresse et braque son fusil vers la silhouette sur laquelle il s'est pathétiquement affalé.

Morneplume ?!
Ah, Kosma.

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… Et la chute. Putain.

Collé au révolutionnaire, j’ai senti la perte d’équilibre, puis l’air qui filait dans mes oreilles. Le choc était sourd mais pas si horrible que ça. Le fuyard qu’on poursuivait a amorti pour moi, cela dit. Moi et mon Tekkai. Lui, il a dû avoir l’impression, en plus de s’casser la gueule violemment, qu’une pierre lui tombait dessus.
J’aurais pas voulu être à sa place. Ca lui apprendra. D’ailleurs, quelle place ? J’inspire un peu d’air pour remplacer mon souffle coupé par le choc au sol. Des effluves dégueulasses m’arrivent aux narines. J’éternue aussi sec. On est dans une benne à ordures. Et j’suis tombé en plein sur la sauce tomate. Mon bel uniforme de marine est tout dégueulassé. J’en changerai à l’occaz’.

Mais v’là qu’il s’agite en dessous de moi. J’entends les voix d’Edwin et d’un autre, un dénommé Kosma. Un surin sur la carotide, mon bonhomme se fige. Il doit déjà pisser le sang par le mollet, et vu ce dans quoi on traine, il a dû chopper une trentaine de maladies mortelles depuis.
J’me redresse, j’m’ébroue et j’le sors manu militari avant de le jeter aux pieds de Morneplume. Après coup, j’me dis que c’était une connerie, quand le lieutenant lui met la main dessus et le plaque violemment contre un mur. Les pieds du type battent follement à dix centimètres du sol, éclaboussant du raisin sur les godasses d’Edwin.

« Arrêtez, Morneplume. Nous allons les interroger calmement. Tout ira bien, p’tit gars, si tu nous dis ce qu’on veut savoir. »
J’mate le Kosma. Sergent d’élite, apparemment. Il adresse un sourire réconfortant au type, tout en ramassant sur son épaule un autre mec menotté.
« Cessez de vous mettre en travers de la Justice, Kosma. »
« Votre Justi… »

Le ricanement malsain du menotté coupe la parole aux deux Marines qui se cherchent des poux dans la tête. Il se fait assommer aussi sec par Kosma qui le jette dans la benne, où il est rapidement rejoint par le second révolutionnaire. J’referme le couvercle de la poubelle et j’coince avec l’espèce de loquet un peu moisi qu’est dessus.

On a de la compagnie.

« Il y avait donc bien un guet-apens, murmure Kosma.
- Je vous remercie de vous en rendre compte, commente Morneplume.
- On continue à s’envoyer des fions pendant qu’ils nous tirent comme à la foire ou on se bouge les miches ? Que j’ajoute. »
On échange de longs regards un peu torves. Puis le sergent sourit. En un claquement de doigt, là où on se trouvait, y’a plus personne. J’rentre en trombe dans un immeuble par une fenêtre du rez-de-chaussée pendant que les deux autres vont couvrir les sorties de la ruelle dans laquelle on se trouvait. C’est que si les révolutionnaires veulent nous niquer, vaut mieux qu’ils nous coincent ici.

J’monte quatre à quatre les escaliers vers les étages supérieurs. Si y’a un feu croisé, ce qui semble probable, c’est là que y’en aura forcément. Et si j’empêche ça, on s’en sortira vachement mieux. Quand j’arrive dans les combles, j’vois trois types se détourner des fenêtres près desquelles ils se trouvaient, fusils en main.
Ils tentent de me mettre en joue mais un Soru fulgurant me jette au milieu d’eux. Là où leurs armes à feu risquent davantage de les blesser entre eux que moi, quoi. Mon premier coup de couteau en étend un pour le compte, le lancer d’un second en pleine jugulaire règle le sort d’un autre. J’me tourne vers le dernier pour le voir dégoupiller une grenade.

J’aime pas la lueur dans son regard. Quelque chose qui oscille entre le ‘’Meurs, chien du Gouvernement !’’ et le ‘’On ira en enfer ensemble, au moins !’’. Le point commun entre les deux, c’est que ça sent l’sapin pour l’Agent Alric Rinwald. Tout ça, c’est c’que j’me dis pendant mon énième chute.
Ouais, j’ai décidé de sauter par l’ouverture  des combles pour échapper à la grenade. Mais comme c’était un peu étroit, j’suis resté coincé au niveau du cul. Heureusement, le souffle de l’explosion a contribué à me donner la poussée qu’il fallait, et si y’avait pas mon arrière-train un peu roussi, ça irait impec’.

Chiasserie.

J’me rattrape d’un roulé-boulé quand les marines reviennent chacun de leur bout de la ruelle. Z’ont dû faire le ménage de leur côté. Reste que l’immeuble d’en face pour le feu-croisé, comme l’indiquent subtilement les balles qui ricochent par terre. Ils visent comme des nazes qu’ils sont. Y’en a une qu’atterrit juste en-dessous de mes bijoux de famille. Les enculés.
J’manque de me battre avec les deux marines pour savoir qui rentre en premier dans le bâtiment. J’ai pas gagné. Mais le temps d’arriver en haut, au troisième étage, on ahane tous. Et on voit la trappe vers les toits qu’est déjà ouverte. Morneplume arrive tout juste à attraper la cheville d’un type et à l’attirer au milieu de notre trio.

Le gars bouge la mâchoire et nous adresse un grand sourire. Le Lieutenant d’élite le choppe à la gorge, tentant par constriction d’empêcher que… Mais c’est déjà trop tard. Le cyanure avait fait effet de manière quasi-instantanée. Il se fait jeter négligemment de côté comme une poupée de chiffon.

On redescend au pas de course pour retrouver les deux prisonniers dans la poubelle. On soulève le couvercle pour voir que le menotté s’est fait étrangler par l’autre. Belle profession de foi, de se sacrifier comme ça. Pour le Chaos. Une Justice fallacieuse et fictive. Ha.
Morneplume le vit mal. Ses doigts tordent légèrement le métal de la benne dans leur frustration. Mais il se calme rapidement. Kosma soustrait tout aussi hâtivement le prisonnier aux mimines du lieutenant. Va être temps d’interroger notre seule prise de la soirée, huh.

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Bon, le lieutenant s'est un peu calmé, j'vais pouvoir enfin bosser tranquille. J'suis pas sûr qu'il apprécie mes méthodes. En fait j'suis sûr du contraire. Mais bon, j'ai jeté un coup d’œil à Angus, il me l'éloigne pendant quelques temps. On va pouvoir causer mon gars. Si j'avais su que mes deux collègues s'en sortaient si bien de leur côté, j'en aurais profité pour prendre une longueur d'avance sur eux en faisant parler le p'tit révo qui avait essayé de me coincer. Mort. Tué par ses amis. Sympas les potes.

« Bon, j'vais pas y aller par quatre chemins...
-J'dirai rien.
-Tu sais même pas ce que j'veux l'ami.
-Des informations et ça, c'est hors de question que j'crache le morceau. »

Rah, les gars qui sont aussi bornés dès le départ, ça me plaît. Ce sont les plus croustillants. Les plus à même de t'emmener vers la franche rigolade et la camaraderie bon enfant. J'zyeute un bout la tronche du gars. Son air sérieux et sa mâchoire un peu carrée me font penser à Morneplume. Franche rigolade et camaraderie bon enfant... Bref. Mieux vaut pas trop traîner, avoir deux Morneplume dans les pattes serait pas du gateau.

« J'veux juste savoir où sont les chefs.
-Va te faire.
-Après que tu m'aies répondu sans soucis.
-Je ne trahirai pas la révolution...
-J'vais te raconter une anecdote sympa...
-M'en branle.
-C'était à propos d'un révo coincé dans les chiottes du Baratie après avoir dézingué deux types. Il en avait profité pour taguer les murs un peu partout. Le seul souci c'est que ses commanditaires l'ont laissé tomber. Pendu haut et court, par des types comme le gusse à chapeau haut-de-forme.
-Je m'en doute bien... Tous des connards ces Marines.
-Tu sais, la corde, c'est pas très sympa. D'autant que si je réussis pas à avoir ce que je veux, j'me doute bien que Morneplume va tenter à sa manière.
-Qu'il tente, je dirai rien.
-J'me doutais que tu dirais ça. Tant pis, les tortures du lieutenant doivent pas être si terribles vu de l'extérieur. T'veux une clope ?
-Ouais... »

J'temporise un peu. Avec de la chance il va se sentir mieux pour déballer son sac. Pis la clope ça décoince les sphincter, c'est bien connu. Quand on est stressé on avoue moins vite. J'claque un regard dans la direction du fou furieux. Je m'attendrais presque à le voir jouer aux fléchettes sur ma photo en attendant. Dans le ciel, un hululement se fait entendre. Chouette ! Mon p'tit Hadzi qui reparaît. Pas tout à fait compris ce qu'il était parti faire. Tant pis, c'est pas mon boulot du moment de comprendre. Faudrait que j'tire les vers du nez de cet hurluberlu.

« Bon, des révélations qui pourraient améliorer ta fin de vie, mon gars ?
-Je t'emmerde.
-C'est un début. Ça n'avance pas à grand chose, mais c'est un début. Bon, ton chef...
-Je dirai rien, ordure.
-C'est dingue ce que la conversation piétine, tu pourrais faire un effort, moi j'suis sympa, je t'ai filé une clope.
-De toute façon, quitte à clamser, autant ne pas trahir mes idéaux.
-Tes idéaux ? Ils sont pas bien meilleurs que ceux d'un autre. T'as réfléchi à ce que ferai la révo en renversant le pouvoir ?
-Je...
-Non, t'as pas réfléchi, pas plus que tes chefs et que leurs propres chefs. Ils feraient la même chose. La seule différence, c'est que ce serait eux au pouvoir. Une petite inversion des rôles pour tout recommencer éternellement. Ce serait pas mieux la paix ?
-T'es un malin toi... C'est facile de dire ça.
-C'est facile de pas répondre à mes questions en blablatant dans l'vide aussi...
-Mais j'répondrai pas à tes questions.
-Bon, franco maintenant, le roi des ordures, il est où ?
-Dans ton cul. »

Franchement, cette manie de revenir toujours en dessous de la ceinture est perturbante. Bon, tant qu'à faire, utilisons des arguments qu'on n'a pas, ça marche pas mal. Un p'tit sourire me revient sur ma bobine et j'pense bien fort à la tronche de mon gars en train de se pisser dessus. Bon... C'est très drôle, mais ça fait pas beaucoup avancer les choses. Jäak devrait plus tarder à arriver maintenant que son piaf nous a repérés. Enfin, j'imagine qu'il nous a repérés. Bref. Faudrait lui tirer les vers du nez avant que l'ami s’amène, qu'on perde pas de temps.

« Kosma ! Je perds patience.
-Je m'en doutais Morneplume, je m'en doutais. Ne vous inquiétez pas ça arrive.
-Rien du tout, je dirai rien.
-Notre cher ami Lord Vendetta...
-Qu'est ce qu'il a à voir là-dedans ?
-Vous le connaissez ?
-Évidemment... C'est un... Un noble de Goa. Il...
-Il ?
-...
-Bon... Je crois que vous n'avez pas bien compris. Vous allez me dire où se trouve votre petit roi à la mord moi le nœud ou je vous laisse avec le Haut-de-forme et j'vais chercher les dernières infos de ce cher Vendetta que vous connaissez si bien...
-Je ne le connais pas si bien !
-Lui vous connaît, il nous l'a dit. Bon... Je compte jusqu'à trois...
-Vous m'prenez pour un gamin ?
-Un.
-Abruti.
-Deux.
-Le mont Corbo.
-Parfait, nous n'auront pas besoin de déranger Vendetta une seconde fois. Les nobles sont un peu frémissants quand on les interroge trop. »

J'mire un coup en direction de Morneplume. Surexcité. Ça se sent. Il se tient toujours droit comme un « i » dans un apparent calme de mort, mais ses yeux me fixent avec sévérité. Il va pas être content. Je suis sûr qu'il aurait préféré que ce soit lui qui interroge. Tant pis. Ma méthode marche et elle est sans doute plus civilisée que la sienne. Jäak débouche quelque temps plus tard au coin de la rue, il a paumé le sauvage roux en route, mais son hibou est toujours fixement posé sur son épaule.  C'est pratique un hibou. Si ça n'avait pas tous les inconvénients que ça a, je m'en procurerais un. Ou une chouette. C'est un mot que j'aime bien ça, chouette.

« Bon, j'ai les informations qu'il nous faut, qu'il nous glisse, direction...
-Le mont Corbo, je sais. »
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BANG !
Qu'…?! QUOI ?!
Morneplume putain d'merde !


Une ultime volute s'échappe de la bouche de son six-coups, qu'il range négligemment sous sa veste. À ses pieds, reste éteint d'une proie acculée, le révolutionnaire interrogé par Kosma s'écroule. Mort. Tous trois se tournent vers lui, Jäak serre les poings tandis que Kaalam, lui, se pose sur le macchabée, puis s'ébroue de contentement. En voilà au moins un de satisfait, pense Morneplume qui déjà file vers l'extérieur de la ruelle, sans une parole. La nuit est avancée, la chasse s'est mal déroulée, si bien qu'il ne se voit pas perdre une seule minute de plus.

Morneplume… Morneplume !
Qu'y a-t-il encore, Kosma ? répond avec exaspération la silhouette sertie d'un haut-de-forme.
Il nous avait donné tout ce dont nous avions besoin ! Et où vous allez comme ça ? À votre âge, vous devriez prendre une pause…

Le Lieutenant fait volte-face, puis sa Poigne fond vers le collet de Kosma, qui est allégrement froissé par ses doigts calleux. En moins d'un instant, l'homme est en l'air, les yeux rivés sur les iris de prédateur d'Edwin. Kosma l'énerve, lui fait obstacle, le dérange comme un moustique qu'on n'arrive à éliminer. Sa rhétorique malhabile et son humour déplacé sont des choses dont Morneplume se débarrasserait volontiers… Mais il ne peut rien face à cette épine dans le pied de sa Justice. Plus cette pénible mission avance pour eux, moins il se voit, à l'avenir, accorder de chances à ce pathétique frelon qu'on a faussement équipé d'un dard.

Tout ce dont nous avions besoin ? Êtes-vous simplement sérieux, Sergent Kosma ? Tout ? ses yeux écartèlent Kosma alors que le collet de sa chemise est mis à rude épreuve. La fumée de leurs cigarettes s'immisce entre eux, bloquant un seul instant le duel à mort que se livrent leurs regards. Qu'en est-il de la position des hommes du Roi des ordures dans la forêt environnant  le Mont Corbo ? Pouvez-vous me donner la position exacte du Roi des ordures, Kosma ? Seriez-vous en mesure de me donner le chiffre exact de ses effectifs ? Savez-vous simplement s'il se trouve sous terre ? Avez-vous un croquis de son camp de base, voire de ses quartiers-généraux ?

Un profond silence s'installe suite à la violente tirade. Un silence entrecoupé par les soupirs graves d'un Agent Rinwald blasé, ou par les hululements d'un Kalaam désintéressé. Morneplume crache une bouffée de nicotine, puis échappe sèchement Kosma qui retombe sur le sol sale de la ruelle, l'air renfrogné. Dans la pénombre, le pistolet de Jäak revient dans son holster. Edwin jette sa cigarette au loin, puis lance un long regard aux deux autres membres du groupe. Si Rinwald l'évite soigneusement, l'air faussement détaché du débat, Jäak, lui, le soutient. Déjà, l'envie d'Edwin de broyer du béton s'est envolé, il est désormais prêt à se remettre en route.

Pourquoi l'avoir tué alors, s'il avait tant de choses à nous dire ? lance un Kosma éméché se relevant, le manteau poussiéreux.
Parce qu'on aura un peu plus de temps devant nous.
Jäak ?
Ils savent probablement déjà que nous avons capturé un homme, le Roi des ordures lui-même est peut-être déjà mis au courant à l'heure qu'il est. Ce qu'il ne sont pas en mesure de savoir, en contrepartie, c'est si celui-ci osera nous livrer le sésame de leur QG, Kosma.
Du coup, 'mieux si on file direct vers le Mont Corbo.
Nous ne pouvons pas leur laisser une traître chance de bouger. Je vais prévenir l'État Major, Angus…
Ouais, j'ouvre le pas.

Ils se tournent tous de concert, s'engouffrant hors des ruelles sous le regard toujours surpris de Kosma. Un gros hibou fend les cieux nocturnes au-dessus des têtes du trio, rapidement rejoint par Kosma.

Le mont Corbo. C'est enfin là qu'Edwin pourra exercer sa véritable Justice. C'est précisément pour ce moment qu'il est venu sur cette île. Pour ce moment où il sera enfin un seul prédateur face aux ennemis de sa Maîtresse. Avec ou sans Kosma, il les éliminera tous, il tuera de ses mains le Roi des ordures, ça, il le sait et fera tout pour accomplir cette rétribution qu'on lui offre depuis le cieux. Ils verra bien qu'il ne peut indéfiniment être un poids pour lui, ce Kosma. Il verra bien.

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Sale ambiance chez les Marines. Putain d’chiasserie, que c’était. L’affrontement de plusieurs volontés, des histoires de traitement des prisonniers. J’m’allumerais bien un clope pour faire passer la nervosité, mais j’en ai plus….
J’prends la tête du groupe, aucun a l’air de vouloir jouer les éclaireurs. Aucun a l’air spécialement capable non plus.

Y’a un truc avec le hibou. Ou la chouette, j’suis pas ornithologue. Vu comme la bestiole nous suit depuis les airs, faisant des rondes autour de nous et tout, ça doit être un piaf dressé pour faire éclaireur ou quoi.

C’serait cool s’il ouvrait à notre place. M’revient en tête le bourrin rouquin. Pas revu depuis qu’il est parti avec le Jäak. L’a dû aller faire des trucs intelligents  ailleurs. Genre pioncer. Ouais… Ma résolution se raffermit instantannément. On est pas sorti d’affaire, on est pas à l’abri d’une autre embuscade.
Mon poids se porte naturellement sur l’avant de mes panards, mes épaules se tendent vers l’avant. Mes yeux enregistrent mieux la globalité de leur champ de vision, à l’affût du moindre mouvement. J’note l’coin où on s’promène, aussi. Les pavés laissent la place à de la terre battue. De la bouillasse, presque, j’devrais dire. On y note bien les creux dûs aux roues des chariots.

Un regard derrière, ça suit bien. Ca s’écharpe pas non plus. Si Morneplume pouvait faire l’effort de se baisser un peu et d’enlever son chapeau ridicule, on serait vachement moins repérables. Enfin… J’veux pas donner d’élément qui ferait naître un énième débat moisi entre les Marines. Si j’m’arrête, j’ai peur que Kosma entame la causette et finisse avec une balle dans l’cigare. Vaut mieux tracer la route, ouais.

En parlant de tracer la route, l’autre révolutionnaire de pacotille a craché les infos vachement vite. On est loin du type qui serre les dents jusqu’au bout pour protéger les camarades, quitte à subir la torture. J’cogite pendant que les bâtiments moches laissent place à une campagne moche.
Il nous a dit où se trouvait le Roi des Ordures, ouais. Sauf que le Roi des Ordures, c’est pas trop la gloire pour lui, de ce que j’ai capté. Et il nous a filé une localisation hors la ville. C’est p’tet même pas vrai, en plus, ce qu’il nous a dit. Mais on y va quand même, et comme des bœufs en plus.

Après, que ce soit vrai ou pas, le fait de nous avoir lâché cette destination n’était probablement pas une coïncidence non plus. Soit il espérait nous envoyer dans un traquenard, soit il voulait nous éloigner. Le truc, c’est qu’il devait pas savoir qu’on irait seulement à quatre. Moi non plus, remarque.
La logique aurait voulu qu’on y aille avec les copains. Et comme y’a aucune chance qu’une bande de révolutionnaires un peu pouilleux résistent à l’armée du Gouvernement Mondial, soit le Roi des Ordures s’y trouve pas, soit il a une porte de sortie et est prêt à s’en servir s’il entend le moindre signe de notre arrivée.

Ca fait qu’on est gagnant-gagnant, ça ? M’semble que putain d’oui. A part que c’est léthalement dangereux, quoi.

Après quelques temps, on finit la rase campagne. On a longé la route en voyant petit à petit le ciel se couvrir, enlevant le peu de luminosité procurée par les étoiles et la lune. Et il s’est mis à flotter des cordes. On y voit peau d’zob, du coup. Mais les autres, d’en face, ce sera pareil pour eux.
Dans la forêt qui couvre le Mont Corbo avec la pluie, en tout cas, c’est assourdissant. Le fracas des gouttes sur les feuilles et l’obscurité quasi-totale font qu’on se sent seul. Et perdu. On a vachement resserré les rangs, aussi. Histoire de pas se paumer entre nous.

J’m’arrête à l’abri tout relatif d’un massif d’arbustes suffisamment fournis pour offrir un bref répit contre la flotte. Les autres me rejoignent :
« Ouais, les gens, ça va être compliqué, là.
- Comment ça, Angus ? Demande Edwin en me fixant. »
J’sens le poids de son regard même dans le noir. J’préfère jeter un œil aux deux autres.
« Déjà, j’suis pas éclaireur de formation. ‘Sûr, j’sais relever une piste et faire un peu de traque en environnement hostile, mais c’pas ma spécialité, okay ? Alors dans le noir et sous la flotte, j’trouverai un truc au moment où j’trébucherai dessus, et pas avant.
- Il y a de nombreux villages sur le Mont, depuis la tentative de révolte, commente Jäak.
- Des pauvres gens qui subsistent comme ils peuvent tout en luttant contre les bêtes sauvages et les brig…
- Ouais, on va pas lancer de débat sur comment c’est trop injuste. L’truc, c’est qu’il faudrait attendre le lever du jour, qui devrait pas trop tarder, la fin de l’orage ou le lever de la lune ou quoi.
- Je vois, fait Morneplume en sortant une clope. »
Le salaud, il avait un autre paquet !
« Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de fumer. Le bout incandescant se verra de loin… Sourit Kosma : j’le sens dans le noir, il biche de faire bisquer le lieutenant.
- Pour une fois, votre apport est utile, Kosma, fait le grand échalas en remballant son matos. Bien, nous allons nous reposer dans ce taillis. Je prends le premier tour de garde en attendant l’aube. »

Ca grogne, ça souffle son assentiment dans notre quatuor. Jäak nous assure que son pigeon patrouillera les environs et le préviendra si nécessaire. Sûr, que j’dis, sûr. J’m’emmitoufle dans mon uniforme taché de saloperies ramassées à droite à gauche et, assis dos contre un arbre, les pieds dans la bouillasse, j’fais le vide.

Et j’m’endors.

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C'est cette curieuse odeur d'emmerdes noires qui m'agresse les cavités nasales et m'fait papillonner des paupières. Déjà, quelques croûtes durcies qui me recouvrent les yeux m'empêchent de bien les ouvrir, mais le pire dans tout ça c'est quand enfin je m'en suis débarrassé, que j'ai les mirettes grandes ouvertes et que j'me rends compte à quel point ma vision est trouble que j'commence à paniquer. En plus j'ai la tête qui carillonne, comme si on s'amusait à faire claquer des cymbales à intervalles très rapprochés autour de mon cerveau.

Y a une voix qui tente de m'causer. Enfin qui cause. J'sais pas si c'est à moi que ça s'adresse, ça bourdonne dans mes oreilles si fort que j'pige rien de ce qui se dit. Une voix d'homme possiblement. Y a aussi quelques ombres qui se baladent devant mes yeux. J'tente de m'asseoir pour essayer de retrouver ne serait-ce qu'une audition potable. L'effort me fait tourner la tête. Mes mains pataugent dans une flaque poisseuse et un peu chaude. Du sang, le mien probablement. Tout est allé très vite. Si les informations qu'on avait réussi à obtenir étaient justes, les autres en face savaient tout du moins comment nous recevoir. Partir à l'assaut de révos à quatre, c'était pas non plus l'idée la plus merveilleuse qu'il ait put arriver. Ah, ce Morneplume, un sacré lascar quand on y pense.

« Goujor, que j'tente d'articuler du mieux que j'peux. »

J'entends des paroles que j'comprends toujours pas. Au début en tout cas. Car peu à peu mon ouïe revient. C'est pas encore l'extase absolue, mais j'réussis à capter suffisamment les fréquences de leur voix pour savoir ce qu'ils ont à me dire. J'entends même qu'il y a au moins trois hommes autour de moi, les deux premiers causent et reviennent sans cesse demander l'approbation du troisième resté silencieux jusque là.

« Bon, alors, t'as parlé ? Qu'est-ce que t'as dit ?
-Gonjor.
-Ca doit être le nom de sa salope, hein ?
-P'tain, tu sais bien qu'il faut pas parler comme ça, on est pas des salauds du gouvernement, faut qu'on cause à tout le monde avec respect.
-C'est un chien du gouvernement, hein que j'peux lui parler comme ça ?
-...
-Tu vois, c'est pas un problème. Pis de toute façon, avec le coup qu'il a reçu à la tempe, il doit pas piger grand chose.
-Hung. »

J'tente de leur faire capter le fait que j'comprends ce qu'ils disent. J'arrive pas à savoir ce que leur répond le chef à chaque fois qu'ils lui posent une question. J'sens toujours que ma langue est lourde et extraordinairement grosse dans ma langue. J'ai du me la cisailler à un moment où un autre. Pas bon. Avec le coup à la tête que j'ai semble-t-il reçu, j'vais avoir perdu beaucoup de sang. S'ils interviennent pas rapidement, j'vais clamser trop tôt. Ma seule chance, dans l'état actuel, serait de m'faire soigner par mes potes révos. Alors, j'me redresse tant bien que mal, pis j'tourne ma caboche dans la direction que j'crois être celle du chef.

« C'est moi que vous regardez, sergent Kosma ?
-Chimachiime.
-Oh, un problème de parole ? Vous voulez qu'on vous soigne un coup, que vous puissiez parler un peu ?
-Afffekchoie.
-Très bien, un grand verre d'eau pour le sergent, et un peu d'antiseptique de notre fabrication. »

J'prends l'eau qu'on m'apporte, me gargarise au maximum, et j'sens une flopée de morceaux qui me sortent de la bouche quand j'recrache le tout. J'la sens déjà moins engourdie, mais toujours un peu pâteuse. Un deuxième verre arrive au contact de mes lèvres. J'enfourne le tout dans ma bouche. Ça commence à brûler. Un alcool de fabrication plutôt costaud. J'sens ma langue qui menace de s'éjecter de ma bouche pour s'éviter ça. Mais j'tiens. Faut que j'cause à ce gars qui m'retiens.

J'finis par recracher la substance. J'ai la bouche on ne peut plus fraîche, la langue libre. Je tente de la bouger un peu, ça marche. J'vois toujours très flou, mais ça m'empêche plus de tenir une conversation. J'dirige mes yeux vers l'endroit où était le chef avant de me faire désinfecter la bouche.

« Ça y est, j'vais pouvoir vous répondre correctement. Vous connaissez déjà mon nom, aurais-je l'honneur de savoir qui vous êtes ?
-Vous n'avez pas deviné ?
-J'ai des doutes, mais le savoir de votre propre bouche me ferait un p'tit pincement au cœur.
-Un pincement ? De dégoût de s'être fait capturer par le roi des Ordures ?
-De joie de pouvoir lui causer sans avoir de pression sur le dos.
-C'est à dire ?
-Eh bien, dans d'autres circonstances, je n'aurais pas eu un instant pour entendre le son de votre voix. Voyez, j'ai un collègue plutôt... Disons, expéditif.
-Je vois. Et vous êtes un gaillard qui cause ?
-Ouais, c'est sans doute la meilleure façon de faire mal. Même si pour ma part j'préfère que la discussion soit dénuée de mauvaises intentions.
-Vous êtes un gars bien...
-Ouais, j'crois que c'est une bonne description. Sans vouloir me vanter, voyez. Et vous, c'est quoi votre genre ?
-J'me vois du côté du bien...
-Oui, c'est affaire de point de vue ces choses là. Recruter des criminels, pour moi c'est...
-Vous ne comprenez pas sergent. Si je recrute le mal, c'est pour lutter contre un mal encore plus grand.
-Le Gouvernement Mondial ?
-Exactement. Il y a trop peu de gens de bien pour ne s'entourer que de ceux-là.
-Je suis d'accord avec vous.
-Alors ?
-Pourquoi la Marine ? Il y a des gens bien.
-Il y en a peu.
-Moins que dans la révolution ? Je ne sais pas. Impossible de savoir.
-Je le sais.
-Vous le pensez. Comme je pourrais penser le contraire sans être une brute autoritaire comme certains de mes collègues. Ils me font beaucoup rire ceux-là.
-Vous aimez rire ?
-C'est mon passe-temps favori. »

Je lui souris. Si moi je ne vois pas sa bobine, je sais qu'il a capté ma commissure des lèvres se remontant un petit peu vers le haut. Narquois, moqueur, tout ce que vous voulez, si j'souris c'est pas pour me foutre de la gueule des gens. J'souris parce que vaut mieux sourir que pleurer, et qu'il vaut mieux tenir que plier. J'aime bien les phrases toutes faites. C'est mon dada. J'espère que les trois autres se sont pas fait prendre. Ils auraient moins de chance de s'en sortir vivants que moi. Puis bon, ça m'ferait quand même plaisir qu'ils viennent me tirer de ce merdier.
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Un soleil timide, aux rayons fugaces et froids, pointe son nez à l'horizon. De la terre humide, de la rosée recouvrant les végétaux, mais aussi des cadavres mouillés baignant le sol s'échappent des volutes de vapeur légère. La forêt du mont Corbo reste assoupie sous les premiers faisceaux de l'aube. Morneplume, lui, s'avance dans l'air gris et moite, une cigarette éteinte au bord des lèvres. Du sang séché s'étant écoulé de son arcade sourcilière entache une partie de son visage usé. De nombreuses égratignures et déchirures marquent son costume habituellement impeccable. De la boue encrasse ses vêtements et ses mains ensanglantées. Ils n'ont pas dormi. On ne dort pas lorsqu'on pénètre impunément les lignes ennemies.

Quelques rais de lumière matinale percent les branchages trempés et viennent chatouiller la clairière où la nuit les avait porté. La pluie avait donné naissance à de nombreuses flaques boueuses dans lesquelles baignent désormais des macchabées piétinés et mutilés, tordus par l'horreur nocturne. Edwin prend la peine d'en retourner un, du pied. Un gamin, à peine la vingtaine, les yeux révulsés, les orifices gorgés de glaise, le teint livide, pratiquement bleuté. Noyé à même le sol spongieux. Un juste châtiment pour ces lâches et couards révolutionnaires.

Il s'avance, Morneplume, tel un automate rouillé, à la hauteur de Alric et Jäak. En silence, ils fixent le carnage d'un œil vide, hagard. Un paquet de cigarette apparait entre les doigts d'Edwin. Ils en prennent tous une. Le teint livide et les cernes de Rinwald ne mentent pas sur son état, le sang couvrant la veste de Jäak non plus.

Ils leur sont tombés dessus. Edwin lui-même n'a rien vu venir.

En un instant, ils étaient une vingtaine de brigands, de révolutionnaires en patrouille et autres vagabonds à la solde du Roi des Ordures à surgir des taillis. La peur dans les yeux, la morgue dans la poitrine, l'arme à la main, sous les trombes d'eau ils s'étaient jetés sur eux dans un corps à corps éperdu. Dans la nuit et sous les torrents, seuls les tirs de fusil et les cris leur permettaient de se retrouver dans le chaos de la clairière. Ses Poignes s'étaient animées, ses yeux avaient lui, puis il s'était déchaîné. Martelant, matraquant, tordant, brisant, broyant et lapidant chaque ennemi de ses jointures colériques.

Il les a tous inondé de sa Justice.

Dans la torpeur, ses yeux s'étant habitués aux ténèbres, il l'a aperçu, l'espace d'un instant. Un Kosma assommé, capturé par d'autres vauriens sans foi ni loi. Ils le traînaient dans la boue, cherchant à l'éloigner des combats, s'enfonçant avec lui dans les broussailles. Un instant, ils se sont figés lorsque le colt d'Edwin s'est braqué, gueule béante, directement vers eux. Toutefois, il n'a rien fait, n'a rien espéré, préférant voir Kosma avalé par la nuit et prisonnier de ses semblables plutôt que devoir le supporter de plus belle. Il les a laissé s'échapper, ces rats se terrant dans la fange.

Et le matin, en cruel héraut, leur annonce leur victoire. Edwin, satisfait, fixe l'étendue de sa Justice tout en déglutissant un panache de fumée. Ils peuvent poursuivre leur traque, le Roi des Ordures n'a qu'à bien se tenir, car plus rien ne peut arrêter la Poigne de Fer.

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Putain. Putain, putain, putain !

A peine j’avais fermé l’œil qu’ils nous sont tombés dessus comme la misère sur le pauv’ monde. Et le Kosma qui s’est fait enlever. J’donne pas cher de sa peau. On en grille une en matant le carnage, le lever du soleil. Les autres sont pas franchement plus en forme que moi. Puis j’ai cassé un de mes couteaux. Autant pour Edwin et le pigeon qui montaient la garde. M’apprendra à faire confiance à des types plus renommés pour l’enfonçage de portes ouvertes que pour les trucs demandant du doigté…
‘Videmment, j’fais preuve de mauvaise foi. J’ai rien vu non plus, j’aurais pu demander le premier tour de garde. J’aurais pu. Bah…

« Pour moi, y’a deux choix, que j’commence.
- Qui seraient ? Demande Jäak.
- Rebrousser chemin pour aller chercher des renforts. Inutile de dire que le Roi des Ordures aurait probablement largement le temps de s’tirer et que Kosma serait mort longtemps avant qu’on arrive. Chose qu’il est peut-être déjà, j’précise. »
Morneplume reste silencieux, le regard pointé vers le haut de la montagne.
« L’autre solution ? Fait Jäak, connaissant déjà la réponse.
- On continue à trois. On trouve le Roi des Ordures. On retrouve Kosma avant sa mort. On l’sauve et on coffre le Roi. Hautement improbable, si v’voulez mon avis. En plus, cela fer…
- Etait-il nécessaire de demander ? Coupe Edwin. Nous y allons. Le Roi des Ordures ne nous échappera pas, et tant mieux si nous pouvons sauver le Sergent Kosma. »

On reste silencieux un moment. J’peux pas dire que j’m’y attendais pas. J’peux pas dire que j’vais m’barrer, parce que c’est encore la meilleure solution, encore qu’on risque très franchement de clamser. On peut juste prendre une assurance.
« Jäak ? Moyen d’appeler le pigeon pour qu’il transmette un message ?
- Le pigeon ? »
Ca sonne agressif. Ma phrase ptet aussi, encore qu’à mes oreilles j’avais pas l’impression. On est à bout de nerfs, un peu, j’crois. J’lui jette un regard vide. J’veux pas ergoter. Cinq secondes plus tard, lui non plus. Le hibou vient, repart, porteur d’un message. Quelle instance est prévenue m’importe peu.
Faut sauver Kosma avant qu’il crache des informations capitales sous la torture. J’sais pas ce qu’il pourrait savoir, mais on sait jamais. Puis même, c’est jamais un bon moment à passer, donc j’envie pas le bonhomme. Pas dit que ça soit mieux qu’il soit vivant quand… si on arrive jusque-là.

J’oublie mes doutes, j’enfouis ma fatigue et j’me recentre sur ma mission. Notre mission, maintenant. On devrait ptet passer par un village, quand même. J’ai entendu dire qu’il y en avait. Pour recoudre Jäak. Moi, j’ai pas de matos dans mon bel uniforme de Marine maintenant totalement dégueulassé.
Mais comme la flotte s’est calmée, la trace sera vachement plus facile à suivre. Et il fait jour. Une bonne et une mauvaise nouvelle, encore. On sait où aller, ils savent d’où on vient. Faudra être plus malin qu’eux. On essaiera. Ou on y passera. J’ai rarement senti le spectre de la mort d’aussi près. J’pourrais presque me raser avec sa faux, le salaud.

On écrase nos clopes de concert dans la boue puis on se met en route sans un mot.

La trace que j’suis serpente d’abord sans sens entre les arbres, rejoignant puis se séparant d’autres marques de pas. J’mate une des plus lourdes, en supposant que c’est ce qui indique que Kosma se faisait porter par cette personne.
Ca devient rapidement des pieds marchant les uns dans les autres sur une étroite sente animale. Si y’a des guetteurs, ils ont forcément dans le coin. Oh, pas forcément au début de la sente, hein. Mais dans le coin. Autour.

On s’arrête derrière un taillis. J’sais pas quelle plante, un truc qui pousse dru, avec des p’tits fruits rouges dessus, le genre à pas manger si on veut pas chopper la courante. Ballot pasque j’ai drôlement faim, en fait. Le chemin tracé par les animaux sauvages monte progressivement le flanc du Mont Corbo. J’crois que le son de torrent que j’entendais venait de là-haut, ce qui serait rudement logique.

Inutile d’expliquer la situation, les deux Marines d’élite ont bien compris chacun de leur côté :
« Ouais, donc j’propose qu’on s’sépare ?
- Et on se retrouve au torrent ? Dit Jäak, ses yeux s’étrécissant dans la direction voulue.
- Dans l’idée, ouais.
- Et les possibles guetteurs ?
- L’mieux serait de passer sans se faire repérer. Avec un peu de bol, ils croiront qu’on est retourné chercher des renforts…
- Uniquement s’ils n’ont pas uniquement des gens qui surveillent le bas de la montagne.
- Ouais. Du coup faut tracer. J’peux prendre le promontoire rocheux, ça m’dérange pas. Puis un passe à droite, l’autre à gauche, okay ? »
Sur un simple hochement de tête, on s’sépare. Si ça chauffe, à moins de se faire exécuter d’un coup de couteau, ça s’entendra.

Puis j’ai un truc à faire, là.



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C'est long l'attente, dans l'noir, dans l'froid sec qui règne ici. J'vois toujours que dalle, c'est pas franchement agréable. Et comme mon geôlier est pas systématiquement avec moi à m'causer, ben je m'ennuie un poil. Je m'frotte régulièrement les yeux, pour voir si ça s'remettrait pas à fonctionner. Mais rien. J'ai bien réussi à obtenir un peu d'eau pour laver le sang séché qui me collait les paupières, mais ouvertes ou fermées, ça change pas grand chose, j'y vois queud et c'est flippant. De temps en temps, l'roi des ordures vient quémander de mes nouvelles, j'en profite pour sortir deux ou trois conneries. Il semble pas attendre grand chose de ma part. Parfois il me demande quelques trucs, j'trouve le temps long. C'est long l'attente, dans l'noir, dans l'froid sec qui règne ici.

« Tout se passe bien ?
-Tiens, vous êtes revenu ? Ben, mis à part le fait qu'il caille un peu, que j'suis ficelé comme un saucisson sec et que ma vue est toujours pas rev'nue, ça s'passe.
-C'est vraiment pas d'bol, ils ont frappé fort. C'est la vie.
-Ben, ils auraient pu ne pas frapper, j'leur avais rien fait.
-Sauf buter une grande portion de leurs camarades, de mes camarades, dans les tunnels du Grey Terminal.
-Si vous saviez... J'ai essayé de les sauver vos copains. Vous pouvez ne pas me croire. Mais j'vous l'dit...
-Mouais. C'est peut-être parce que je vous crois en partie que je vous garde en vie. Ou alors parce que vous pouvez m'être utile.
-Oh, vous savez, je ne saurais avoir l'audace d'être inutile.
-Je pourrais vous torturer pour récupérer quelques informations.
-Pas la peine, je vais vous dire ce que je sais.
-Je n'ai pas le temps dans l'immédiat, je vous laisse à un de mes sous-fifres, ils noteront tout et me feront leur rapport, vous n'y voyez pas d'inconvénient ?
-Pas le moins du monde. »

C'est bête, mais j'souris. Il appelle son type et lui dit grosso-modo de noter tout ce que j'ai à lui dire. Qu'il sera en avant-poste pour vérifier que mes collègues se sont bien fait laminer et que dès que j'ai fini mon laïus il veut le rapport complet. Ne pas perdre de temps, c'est un leitmotiv intéressant. Le mien serait plutôt de ne pas tuer de gens, d'un côté comme de l'autre. Ou encore, en ce moment de retrouver la vue, parce que c'est extrêmement frustrant de ne rien voir.

« Bonjour »

C'est une voix plutôt jeune. Un adolescent sûrement. J'ai connu quelqu'un qui disait que si on n'était pas révo à 15 ans c'est qu'on manquait de cœur. C'est vrai quelque part. Je le plaint ce petiot. En d'autres circonstances il aurait pu faire un révo heureux, qui passe quelques années tranquille à revendiquer la cause qu'il croit juste sans risquer véritablement de mourir prématurément. Là, il semble à la merci de n'importe quel Marine Morneplumien qui passerait par là et aurait la bonne idée de tirer sur toute personne qui ressemble de près ou de loin à un ennemi du gouvernement.

« Bonjour gamin, ça va bien ?
-Un peu stressé, mais ça va. Le roi m'a dit qu'il fallait que je retranscrive ce que vous disiez.
-Pour le bien être du peuple ?
-Euh... Comment ?
-Le bien être du peuple, mes révélations sont sûrement pour la révolution des choses qui serviront à améliorer la niveau de vie du peuple.
-Sûrement...
-Aussi, je m'en vais commencer maintenant, avant qu'on ait l'idée de me faire subir la torture pour m'arracher les informations de la bouche.
-La torture ?
-Eh gamin, on est dans un monde d'adultes, va falloir t'y habituer, on ne peut pas toujours gagner en discutant tranquillement avec l'adversaire.
-Vous êtes...
-Sérieux ? Totalement. Je suis membre de la Marine spécialisé dans les affaires de discussion. Je te garantis que la victoire n'est jamais sûre. Alors on a la section des bouchers.
-...
-Mais je vois que tu préfères faire ton rapport gamin. Que dirais-tu d'ouvrir ton stylo ?
-Tout... Tout de suite.
-Alors, ne t'en fais pas si tu ne comprends pas, c'est normal, c'est codé. Je disais donc... La recette de l'omelette aux champignons, de l'agent Alexandre Kosma, Kosma, K. O. S. M. A. si tu as un doute sur l'orthographe.
-Je...
-Ingrédients ; 4 œufs, 300 grammes de champignons, 2 gousses d'ail, quelques brins de ciboulette, quelques branches de persil du beurre, poivre et sel moulus.
-C'est à dire que...
-Pour les champignons, les passer sous un filet d'eau, puis les sécher et les détailler en gros morceaux. Faites fondre une noix de...
-Pas si vite... Une noix de...
-Une noix de beurre.
-C'est bon.
-Donc, faites fondre une noix de beurre et faites revenir la gousse d'ail émincée pendant 2 minutes. Ajoutez les champignons puis laissez cuire trois minutes en ajoutant le persil lavé et ciselé à la fin.
-Attendez deux secondes. Oui... C'est bon, vous pouvez reprendre.
-Battez deux œufs à la fourchette jusqu'à ce que ça mousse, ajoutez la ciboulette détaillée, salez et poivrez. Puis, faites fondre une noix de beurre dans une poele et y verser les œufs puis progressivement les champignons. Laissez cuire jusqu'à convenance.
-C'est fini ?
-Oui, ah, et pour la traduction dans un langage plus compréhensible. Donnez le code Mache, Vinaigre Balsamique, Sel, Poivre à monsieur le roi des ordures.
-Merci beaucoup.
-Allez petit, bonne chance pour la suite. »

J'espère que le petit roi a le sens de l'humour. J'imagine que sinon, il viendra tout seul me tirer les vers du nez. J'espère aussi pour le petit qu'il ne lui arrivera rien. Je plaiderai en sa faveur de toute façon. J'ai fait en sorte de ne pas dévoiler mon ingrédient secret de la recette aux champignons, je ne veux pas trop que ça s'ébruite, j'aime cuisiner pour les autres, mais je préfère garder mes secrets. Et au sujet des véritables trucs que je pourrais dire, ben y en a pas des masses. J'pourrais bien sûr parler du caractère de cochon d'Edwin et dévoiler la présence du Cipher Pol dans nos rangs, mais je suis sûr qu'au final, il préférera manger une bonne omelette.
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Évidemment.

Il enfile ses gants avec une précision robotique, lissant le tissu autrefois immaculé avec un amour presque paternel. C'était à prévoir. À peine quinze minutes qu'il se faufile dans les fourrés, que sa mince et haute silhouette progresse en bordure du sentier qu'il doit emprunter que déjà, il se retrouve coincé. Il les distingue tous de ses yeux froids et de son ouïe affûtée. Une quarantaine d'ombres qui attendent, patiemment, sous le couvert des arbres. Il est prisonnier de cette clairière à flanc de montagne; d'un côté la sombre forêt débordante d'ennemis, de l'autre les parois escarpées du mont Corbo. Même le sentier qu'il suivait, semblant s'enfoncer dans les hauteurs de la montagne, il le devine parsemé de ces ombres qui braquent fusils et lames vers lui. Ses nombreuses blessures ne le préoccupent plus, le sang séché sur ses habits et sur sa peau parcheminée ne l'importune plus. Il ne sent plus en lui que le froid détachement du tueur prêt à l'assaut. Il s'est fait prendre au piège, mais en rien il ne se sent pris au dépourvu, désarçonné ou dans une mauvaise posture. Rien ne pourra entraver sa Justice.

Et son assurance figée au plus profond de ses deux pupilles polaires répand un frisson chez les nombreuses silhouettes qui émergent avec hésitation des fourrés. Trapus, grands, maigres, gros, barbus, imberbes, jeunes, vieux. Ils sont le chasseur, le pêcheur, le boulanger, le boucher, le tailleur ou le tisserand. Des brigands des montagnes, mais aussi des habitants du royaume, tous reclus au plus profond des terres inhabitées de l'île. Tous ralliés sous la triste et sombre bannière du Mal. Il les plaint, Morneplume, alors qu'il ouvre son barillet d'un coup sec pour l'en remplir des plombs manquants. Il les plaint car il sait le triste sort que la Justice leur réserve. Il sait qu'ils se sont jetés eux-mêmes sous le couperet acéré de la guillotine. Il ne peut plus que leur offrir le juste châtiment qu'ils méritent.




Edwin Morneplume ! Sacrée surprise ! C'est le Roi des Ordures qui sera content lorsque je lui ramènerai ta tête !

Encagoulé, chapeauté, encapé, l'homme qui surgit de sous le couvert de la brousse est pétant de vermillon. Un coquelicot à l'air assuré et goguenard qui rougeoie d'une assurance brûlante, dans la fraîche brume matinale. Sa seule vue réchauffe l'air humide, ses seules paroles déchirent le silence de mort du levant. Il s'avance aux devants de ses hommes avec la prestance d'un dandy, des grenade surgissant dans ses mains. Morneplume arque un sourcil, dubitatif devant ce numéro de cirque. C'est un brigand, un criminel local recruté par le Roi des Ordures. Les doigts noueux d'Edwin se serrent alors que les mains agiles du chapeauté jouent avec les billes explosives.

Je suis Nathan Flamé ! Chef du clan rouge des brigands du mont Corbo !
Oh, vous savez, cela n'a aucune importance, très cher.

Écume.  

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Les deux larbins de la Marine d’élite partis de leur côté, j’peux enfin me consacrer à un truc capital. J’les laisse prendre un peu d’avance, histoire d’être sûr que y’en ait pas un qui revienne me voir ou quoi, puis j’me dirige vers un beau chêne moussu.

Là, j’déboutonne mon pantalon moche et souillé de la Marine, et j’me prépare à uriner.

C’est qu’on joue les gros durs en acier trempé, mais on reste humain, et on a parfois tendance à l’oublier. Comme mon ventre qui gargouille me le rappelle. Le flot brûlant commence à s’écraser avec un doux clapotis contre l’écorce. J’m’étire les vertèbres du cou. D’une main, j’délie légèrement les attaches d’un de mes surins.

Avec un timing impeccable, et une maîtrise admirable, j’me retourne sans en foutre pleins mes godasses. Le mec qu’a essayé de me surprendre bondit en arrière pour éviter l’éclaboussure, deux couteaux à la main.

Poli, ou circonspect, il me laisse finir et rengainer.





J’mate un peu la tronche du bonhomme, l’air frais comme un gardon qu’il a, le teint hâlé du type qui bosse au grand air. Ses vêtements en cuir se fondent parfaitement dans l’obscurité de la forêt et au vu du reste de son équipement, j’table sur un trappeur ou un chasseur. J’note même deux collets à sa ceinture, trop petits pour des êtres humains mais parfaits pour des lapins ou des piafs. Puis ça n’occulte pas sa musculature sèche et sa taille imposante. Et malgré ça, il était discret, il m’a fallu des plombes pour piger que ces petits poils qui se relevaient dans ma nuque, c’était lui.

Puis j’entame la discussion, parce que j’ai un peu des courbatures.
« B’jour. Belle journée, hein ?
- …
- Allez, faites pas la gueule. Z’étiez hyper silencieux, j’vous promets ! »
Juste qu’on apprend pas à un CP à se glisser derrière les gens, quoi.

Comme il est pas très bavard, j’continue à monologuer :
« On veut pas répondre au méchant Marine pasqu’on est au-dessus de ça, c’est l’idée ? Finalement, z’êtes tous des snobs, vous, les révos. Des espèces d’anarcho-syndicalistes, là… Puis tout ce qu’ils font, ensuite, avec le pognon qu’ils mendient, c’est aller tagger des chiottes de restaurants. Améliorer la condition du peuple ? Tu parles, c’est les premières causes d’incivilités, ouais…
- Je ne suis pas un révolutionnaire.
- Ah ? Bon, bah dans ce cas y’a pas de souci, j’vais y aller. Bonne journée par chez vous, encore que c’était à la pluie cette nuit ! »

J’vais pour repartir, l’air de rien, quand il reparle enfin, ce con :
« On ne peut pas continuer à amener davantage de chaos ici. Au bout d’un moment, cela doit cesser. Maintenant. »
Et v’là qu’il se jette sur moi, ses deux couteaux en main, pour m’planter. Ma roulade d’esquive me fait atterrir sur une saloperie de racine qui s’enfonce dans mon dos, déclenchant un hoquet de douleur. J’ai été pris par surprise, là. Ca s’trouve, il l’avait fait exprès, de me faire rouler là. Jamais sous-estimer l’adversaire.

Mon esquive s’arrête quand mes pieds touchent à nouveau sol et j’suis en position accroupie, un planteur dans la main droite. Pas la peine de montrer les autres pour le moment, l’important c’est qu’il se méfie pas trop.
On se fixe, méfiants. J’inverse en continu ma prise sur mon arme, lame en haut, lame en bas, tout en me redressant. Mes mouvements aléatoires du poignet ont pas l’air de le déconcentrer plus que ça, vu comme on se fixe, mirettes dans les mirettes.

Ca me gêne pas de jouer un peu le chrono. Y’a sûrement des potes à lui planqués un peu partout autour, déjà. J’préfère qu’ils se dévoilent plutôt que j’leur tombe dessus à l’improviste, au pire moment possible.

Pan !

Le coup de feu retentit à peine que j’ai lancé le surin de ma main droite, avec un autre pour faire bonne mesure. Il les pare tous les deux sans difficulté, les envoyant s’écraser dans des troncs d’arbres où ils se plantent profondément, le manche vibrant encore.

Finalement, plus le temps de faire trainer l’affaire, quelqu’un a besoin d’un coup de main quelque part. J’bondis sur Machin tout en dégainant davantage de lames. J’en ai un paquet sur moi, j’suis pas à ça près…



Dernière édition par Alric Rinwald le Mar 31 Mar 2015 - 16:16, édité 1 fois
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C'est l'moment de silence pesant où tu t'demandes ce qui va se passer. J'entends à peine la respiration des deux bonshommes qui sont chargés de veiller sur moi. Comme si je pouvais m'en aller dans mon état. J'ai envie de fumer. C'est dingue, mais les minutes paraissent des heures et le silence qui règne me file le tournis. Le silence, l'absence de vue, j'ose même plus ouvrir ma gueule de peur de me percer les tympans. J'aurais pas dû éjecter le gamin si vite. Discuter un peu plus aurait été sympa, j'pense. Là il doit avoir fait son rapport. Le roi des Ordures doit être un peu énervé. J'suppose. C'était sans doute pas très malin, ça m'a beaucoup fait rire sur le moment, mais j'suis en train de regretter.

C'est assez soudainement que le bordel est venu ; toujours le silence d'abord. Mais un silence différent du précédent. Moins un silence de solitude. Tout aussi angoissant. Le silence pendant lequel tu pries n'importe quel dieu de te venir en aide, sachant que tu viens de fâcher tout rouge le démon le plus proche. Et le démon approche et te choppe à la gorge, violemment, te soulève de quelques centimètres de cet étau qui te resserre le cou, une soudaine asphyxie. J'lutte mentalement pour garder le contrôle. Je m'y attendais. Il allait pas revenir la bouche en cœur en m'offrant des cadeaux, pas après que j'me sois foutu de sa gueule.

« J'te croyais intelligent.

J'me suis trompé, t'es autant fouille-merde que les autres. Obligé de revenir m'occuper de ton cas. Tu veux jouer au con avec moi ? Enlève moi immédiatement ce sourire de ta gueule de con. »

J'continue malgré tout d'relever mes commissures. J'y peux rien. Même pas de la provocation, c'est une forme d'empathie. J'peux pas m'en empêcher. J'sens sur moi ce regard pesant et empli d'une haine ouverte, d'une conviction dans sa colère. Lui déteste les Marines. Tous les Marines, il doit en avoir maintenant l'ultime conviction. Même ceux qui semblent sympathiques au premier abord sont capables de lui cracher à la figure. L'ultime affront. C'est que ça a son ego un type comme ça.

« Je te vois mon gars, tu t'es demandé si j'avais le sens de l'humour. Tu vas bientôt t'apercevoir que oui. Le plus grand sens de l'humour que ce gros tas de fumier ait connu. Tu vas en mourir de rire.

T'as dix secondes pour me dire quelque chose qui m'intéresse. Dix putains de secondes, je compte. »

J'tente d'ouvrir le bec. J'ai de plus en plus de mal à respirer, j'ai la bouche sèche, y a rien qui sort. Il veut pas que j'parle. Il veut plus que j'parle. C'est fini. Il prononce distinctement les nombres jusqu'à arriver à dix. Il a compté pour le plaisir, le plaisir d'avoir le pouvoir, de gagner. S'il m'avait buté tout d'suite, c'était moi qui l'emportais, avec une vieille blague mal placée. Non, j'peux plus gagner. Il me reste plus très longtemps avant qu'on me fasse la peau. J'aurais du prier.

« C'est terminé. Tu ne veux rien dire tant pis pour toi. Je ne perdrai pas une seconde de plus avec un type comme toi, une petite merde.

Tuez-le.

Non. Faites le souffrir, je serai là-bas, je veux entendre ses cris. Frappez-le jusqu'à ce qu'il crève. »

Sa main relâche son étreinte sur mon cou, j'aspire tout l'air qui vient, ça brûle. J'me concentre sur cette douleur-là. Mieux vaut ça que celles que j'vais bientôt endurer. Ils attendent que leur chef parte, qu'il soit hors-de-vue. Là ils pourront frapper, là ils pourront cogner, ils pourront me faire mal. Et ça leur fera plaisir. Pour tous leurs potes qui se sont fait buter. Pour tous ceux que j'ai pas réussi à sauver. Ironie du sort, ils s'acharnent sur moi. J'vais pas me mentir, j'trouve presque ça injuste. Ils auraient quinze fois plus de raisons de faire sa peau à Morneplume où à Angus. Ceux là sont de vrais connards, des tueurs. Ils tueraient des enfants s'ils les considéraient comme des rejets de la révolution, des terroristes en puissance.

Le premier coup de pied m'atteint entre les côtes. Ça me coupe le souffle. Pas le temps d'épiloguer sur la douleur qu'un autre s'abat, plus violent, plus sec. Les coups pleuvent, j'me retiens de crier. J'vais finir par chialer si ça continue. Cette idée me fait sourire, me donne la force de me marrer dans tout ce déferlement de douleur. J'sens mes os qui craque, j'ai la peau qui se déchire, j'ai mal. Ils doivent être au moins trois à me passer à tabac. J'entends leurs voix qui se répondent, ils rigolent, ils aiment cette violence. On les dirait presque nés pour ça, la violence et la mort. J'comprends même plus ce qu'ils disent, un baragouinage incessant que la douleur occulte. J'ai les oreilles qui sifflent, j'me protège le visage du mieux que je peux. J'suis moins que rien, un simple jouet pour de grands enfants dans toute la brutalité de leur existence, qui ne trouvent plus qu'une chose amusante, casser.

Aïe.

Je ne crierai pas.

Je ne crierai pas. Je serai plus fort. Je vais gagner. Il n'aura pas le plaisir de me décrocher le moindre couinement. Je serre les dents, j'sens une larme qui tombe sur le sol. C'est déjà une défaite. J'ai perdu le sourire. Ca m'fait mal au cœur de l'admettre, mais je ne souris plus, uniquement concentré pour ne plus sentir la douleur, pour l'accepter, la faire mienne et oublier tout.

J'oublie tout.

J'ai plus qu'une idée en tête, me griller une clope. Je m'y accroche. Une petite clope et j'serais prêt à accueillir la mort. Avec une dernière blague à son endroit. Le doigt d'honneur suprême. J'espère qu'elle aura la gueule de Morneplume.
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À peine est-il châtié, que déjà, il comprend, en partie, pourquoi l'on affuble Edwin du surnom de Poigne de Fer. Les jointures de Morneplume s'abattent sur le brigand avec la fureur d'un taureau en pleine charge. Le coup vient si rapidement, avec une telle fougue, que le Lieutenant lui-même ne saurait dire si se sont ses phalanges qui craquent ou si se sont plutôt les dents de Nathan Flamé qui s'effritent sous le coup. La tête envoyée vers l'arrière, déséquilibré, le vagabond esquisse de justesse quelques acrobaties pour se retrouver à nouveau sur ses deux jambes, ayant creusé la distance le séparant d'Edwin. Une distance qu'il tâche rapidement de mettre à profit en libérant une salve complète de petits orbes explosifs. Avec une agilité qu'on ne lui soupçonnerait pas, Edwin bondit, planant puis roulant dans la boue afin de ne pas être happé par la déflagration. Il n'a à peine le temps de se remettre sur pied que déjà, l'ordre fuse.

Argh ! Tuez ce vieux débris ! hurle un Nathan Flamé à la bouche ensanglantée, sous sa cagoule.

De justesse, Edwin replonge vers le sol, laissant plusieurs balles trouer l'air là où il se trouvait un instant plutôt. À peine est-il à nouveau debout que déjà, les sbires de son adversaire envahissent la forêt. La mêlée s'enclenche. Le souffle court, Morneplume fronce les sourcils avec agacement. Ses Poignes s'ouvrent, happent, puis broient alors qu'il enfonce les rangs de ces civils en arme avec la vigueur d'un buffle. Rapidement, les hommes volent ou s'écroulent, projetés ou piétinés par la machine de mort qu'est devenu le Lieutenant. Les balles perdues fusent, se perdent dans le sol boueux de la clairière ou dans les branchages épais de la forêt. Il est un éclair aux yeux vides qui matraque ses ennemis. La Justice, elle reluit d'un éclat vermillon sur ses poings gantés. La Justice, elle déborde des gueules fracassées d'ennemis envoyés au tapis. La Justice, elle se mêle dans les ruisseaux sales et épais qui emplissent la clairière. Haletant, ignorant les nouvelles estafilades s'écrivant le long de son corps ébréché, Morneplume poursuit son œuvre de mort sous les yeux soudain effrayés de Nathan Flamé qui, derrière ses hommes, balbutie avec peur.

M…m…mais…il va… il va tous…

Ses serres se referment sur la gorge d'un tanneur de cuir qui, laissant tomber sa fourche par terreur, étouffe un gargouillis lorsque sa trachée est écrasée sans cérémonie. Son genou balaie un boulanger en lui morcelant les côtes au passage.

Ils vont tous se faire… il va tous les… les…

Le revers de sa main déforme le crâne d'un fermier avant que le retour de sa paume ne fracasse l'épaule d'un tisserand. Dans des hurlements stridents qui se mêlent aux râles des autres vaincus, ils s'effondrent dans la boue sous les yeux mouillés de leur leader.

Il va tous… les… tuer…

Sa poigne tord le mousquet d'un gamin effrayé avant que son autre main ne lui détrousse toutes ses dents d'un coup trop bien placé. Une dernière balle vole près de l'oreille d'Edwin avant qu'il ne fonce vers le seul homme toujours debout pour lui faire remonter l'estomac par la gorge. Étouffant, les yeux révulsés, il tombe au sol où la botte de Morneplume le cueille en pleine bouche.

Ce dernier relève les yeux, le souffle rauque et suffoquant, le costume déchiré, le corps couvert de blessures, mais toujours debout et inébranlable. Tremblant, Nathan Flamé cherche avec panique de nouvelles grenades sous sa cape.

V…V…Vous les avez tous tué !
…C'est…C'est une évidence tout-à-fait véridique. Et tout cela, c'est de votre faute, Flamé. La prochaine fois, évitez donc de lâchement dilapider ainsi votre chair à canon.
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