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Mauvais grain, bon gain.


Le vent forci. La mer était formée, la proue du navire frappé des vagues de plus en plus grosses. Le voyage commençait à être franchement inconfortable. L'unique marin réduit comme il put la voilure tout en maintenant un cap qui permettait à la petite embarcation de ne pas se fracasser contre les murailles d'eau qui déferlaient inlassablement. La lutte lui fit perdre la notion du temps et son phoque. La journée ne semblait ne jamais vouloir finir. Lasse le pilote vérifia l'amarrage de ses affaires, tâche rendue malaisé par les trombes d'eau se déversant sur le bateau sans pont et le manque de lumière. Sa dernière voile ne suffisait pas à obtenir la vitesse nécessaire pour échapper aux éléments, dans ces conditions, la barre était aussi utile d'un bout de bois. Il essaya d'installer un peu plus de toile, mais la puissance de la tempête empêcha l'opération d'aboutir. Découragé le capitaine décrocha les restes du gréement, l'encorda au mat et se rendit. Si cet ouragan voulait le prendre qu'il le fasse il avait gagné. Le navire déséquilibré par le chargement fini par se mettre perpendiculairement aux flots et une lame plus haute que les autres retourna le petit coursier des mers. Le leste de la quille se déversa par une trappe ouverte et l'esquif parti à la dérive la tête en bas le mat solidement planté dans la mer homicide.
  Enfin homicide oui mais pas cette fois là vu que Burin vivait plutôt bien son changement de milieu. Sous la surface c'était calme, pas de vent, le poulpe se détacha de son canot et se laissa trainer à un cordage. Enfin du repos, le reste des problèmes pouvaient maintenant attendre. Il ferma les yeux et s'endormit.

Le grain dura deux jours, le troisième vu le céphalopode ressortir à l'air libre. Retourner le bateau fut une tâche épuisante puis vient le pénible moment de l'inventaire. Les caisses étaient solidement fixées, mais comme il le craignait toute la viande avait pris l'eau, elle allait bientôt pourrir, l'obligeant à manger du poisson, ses tentacules frétillèrent de contrariété.
A ce moment du récit, il est important de préciser pourquoi cette perspective ne plaisait pas à Burin, en effet un nouveau lecteur pourrait se demander pourquoi un poulpe rechignerait à manger son aliment naturel. Et bien justement parce que c'est son alimentation naturelle et la nature n'est pas toujours au gout de tous. Le métabolisme des pieuvres supérieurs (nom de la race du sculpteur) aimait beaucoup le poisson et en trois mois de ce régime on doublait son poids. Devenir énorme était intéressant pour vaincre quiconque, mais réduit aussi l'espérance de vie du sujet à quelques années. Perspective qui n'enchante pas l'artiste qui lui avait décidé de rester tout rabougrie pour pouvoir jouir de son génie pendant des décennies. On comprend maintenant aisément pourquoi il se battait contre la tempête malgré ses capacités (même si ça n'explique pas pourquoi il n'avait pas réussi à se procurer des aliments conditionnés dans des boites étanches). Voilà donc où en est notre héros: condamné à ne plus pouvoir enfiler son manteau favori au terme de cette traversée. Cette douloureuse perspective fut toutefois épargnée au fier aventurier. Car bien avant que sa viande ne faisande un imprévu allait changer la donne.
 Une croyance rependue prête à la mer une conscience. Si c'est vrai et si cette vénérable entité peut penser et aimer, Burin a sans doute une place dans son cœur mouillé. Mais reprenons notre récit.

Burin mastiquait avec entrain son repas les membres trempant dans l'eau, lorsqu'il eut la certitude de l'imminence d'un danger, il n'avait pas de sonar, mais une sorte de sixième sens qui lui donnait un coup d'avance sur la mer. Bien que dans le cas présent n'importe qui d'un peu observateur aurait vu le problème. Problème de bien cent cinquante mètres de long, couvert d'écaille, de dent et ressemblant à s'y méprendre à un monstre marin.
Animé par la méchanceté qui les caractérisent il goba l'embarcation en un puissant et unique coup de dent. Le Sculpteur parvient à bondir juste à temps. Le corps serpentin propulsé par six paires de nageoires défila à côté de lui en ondulant, le courant tourbillonnant plaqua le poulpe contre son épine dorsal il s'y fixa autant avec ses ventouses qu'avec une profonde volonté de revanche.
Le mastodonte poursuivi sa course sans ralentir. Le céphalopode fit le point: au vu de la forme de la tête de ce crétin malchanceux c'était une créature de surface, il ne devait pas plonger très profond. Au vu des bas-fonds du secteur il devait surement avoir un trou dans un rocher à faible profondeur et au moment où il y parviendrait il allait crever dans d'affreuse souffrance. Le passager clandestin profita de la virée pour remonter vers la tête de son véhicule évitant de toucher à la pilosité sensorielle du monstre. Une falaise finie par barrer le passage, la bête ralentit. Des gens pensent que pour tuer un monstre de cette taille il faut lui rentrer par l'orifice buccal, ce sont des idiots, les titans de ce type sont souvent pourvus de plusieurs rangées de dent et ceux qui s'attaquent aux bateaux ont des sucs digestifs capable de dissoudre du bois, pénétrer par la bouche était la dernière chose à faire. On était maintenant assez près du bord pour commencer, Burin sorti des restes de son manteau une faucille et sectionna un poil. Le nerf qui l'irriguait était directement relié au cerveau du monstre qui se tortilla de douleur. Solidement accroché le poulpe continua à torturer le mastodonte, qui s'enfuit dans une caverne de la barre rocheuse. L'orifice d'entrée était bien plus petit que le céphalopode se l'imaginait il avait dû le forer lui-même. Le sculpteur jugea plus sage de lâcher pour ne pas risquer d'être écrasé contre la paroi interne du tunnel.

Et maintenant que faire ? Il était utopique de penser retrouver quelque chose de ses affaires et de toute façon il n'y avait rien d'irremplaçable. L'adrénaline était retombé, la vengeance ne semblait plus si indispensable à l'artiste. Il inspecta le trou de la tanière, trop étroite pour que le monstre puisse y faire demi tour, il devait y avoir une autre sortie. Le sol était jonché de déchet reste des digestions du colosse, surtout du métal que son organisme ne transformait apparemment pas. Burin se demanda combien de temps les restes de ses outils mettraient à ressortir. Probablement des mois au vu de la longueur de la bête. Un éclat attira l'œil du poulpe, au milieu des pierres il y avait des pièces d'or. Quel bateau ce mastodonte avait dévoré ? Une excitation nait de l'avarice traversa le céphalopode jusqu'au bout de ses tentacules. La monnaie voyage rarement seul.


La tête de la créature épiait par l'entrée de son logis. Depuis un moment un petit organisme s'agitait devant lui. C'était agaçant, mais pas au point de sortir. La chose subitement vira au noir et grossi. Menace ? Défi ? Subitement ivre d'orgueil le monstre se propulsa en avant, la gueule grande ouverte prête à montrer à ce ridicule challengeur qu'il était le seul maitre ici. Ces puissantes mâchoires se refermèrent sur l'intrus. Un brouillard ?! Où était cette petite crotte ? Le titan pirouetta pour tenter de repérer le poulpe. Son œil gauche repéra une tache rendu flou par l'extrême proximité puis... La douleur.
La puissance sonore du hurlement du colosse fit trembler les flots et tua de nombreux organismes sensibles. Il accéléra aussi vite qu'il put, ses nerfs en feu le rendait fou sa queue battant furieusement. Il cria sa haine une nouvelle fois avant de quitter la zone.

Burin attendit que les courants se calment, lorsque la bête s'était jeté sur lui il avait plongé vers le bas, les écailles des serpents se plient mieux sur les côtés, il avait donc l'assurance que la mâchoire n'allait pas le chercher dans cette direction, du moins il en était assez sur pour tenter le coup. A l'extérieur il était plutôt craintif et réfléchie, mais dans son élément le poulpe pouvait faire preuve de témérité insensée. Il s'était raccroché au crane du dévoreur et lui avait mutilé l'œil tout en y soufflant son encre pour en opacifier la corné. La rage de son ennemi avait bien failli l'emporter, mais il avait pu se réfugier contre la falaise. Il était maitre du terrain. Il partit explorer sans attendre le tunnel. Riche ! Il le serait, c'était sûr !