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L'Homme qui n'était pas d'ici

Rappel du premier message :

Le paysage qui apparait devant les yeux de Rik Achilia à sa descente du navire semble bien pittoresque. C’est que Whiskey Peak a subi des changements assez brutaux ces derniers temps avec comme point d’orgue l’arrivée des Ombres du Chaos, bien décidé à tout détruire sur l’ile, sans qu’on sache trop pourquoi. Une attaque d’une rare violence qui a été enregistrée par un duo de journaliste. Beaucoup ont pu voir ce qui s’est passé à cette ile et ceux qui ne l’ont pas vu ont pu l’apprendre par les rumeurs facilement véhiculées dans chaque débit de boisson digne de ce nom de chaque mer. Whiskey Peak, l’ile des chasseurs des primes, a été partiellement détruite. Partiellement, mais on pourrait dire totalement. Car tout ce qui faisait de Whiskey Peak ce qu’elle était a été détruit par Aoi D. Nakajima. La ville. Et ses alentours. Les tombes des collines sont bien les rares choses qui ont été épargnées, les morts ne pouvant être tués.

Toutefois, après le passage des pirates, la vie est revenue sur l’ile. Recouverte en majeure partie par la lave du terrible logia du capitaine des Ombres, l’ile s’est découvert une vocation pour la production agricole de masse, mais de qualité. Les riches sols, anciennement magmatiques, sont une opportunité que les gens du coin ont su saisir tous de suite. C’est que vivre essentiellement aux dépens des chasseurs de primes, ça n’a pas que du bon, l’ultime preuve étant cette attaque massive qui n’aurait pas eu lieu sur une modeste ile dédiée à l’exploitation agricole. C’est donc face une petite ville en pleine reconstruction et grouillante d’une activité débordante que Rik Achilia débarque. Tout autour de la ville, ce sont des champs jusqu’à l’horizon. Et même sur les sommets arrondis, les champs sont là. Whiskey Peak ne fait pas dans la demi-mesure quand il s’agit de se reconvertir.

Forcément, il finit par se retourner vers sa jeune guide qui comprend très bien ou l’ex-Ghost Dog veut en venir tout en faisant semblant d’être surprise. L’innocence même. Sournoise.

Allons, allons, caporal. Vous pensiez vraiment que je vous mènerais sans contre-partie à votre capitaine ? Les conditions restent les mêmes. Tu as une mission. A toi de te montrer à la hauteur de la réputation de l’équipage des Ghost Dogs.

Dans un geste théâtral de la main, elle désigne la scène devant lui.

Apaise ce nid de tension et tu auras la chance de retrouver ton capitaine.
Je n’ai qu’une seule parole.


Des paroles qu’il vaut mieux surveiller de près. Nombreuses ont été les occasions pour Mirabella d’exprimer quelques griefs à l’encontre de l’ex-marine depuis que celui-ci l’a vaincu sans grande difficulté. Elle qui pensait être supérieur à l’homme, sa surprise fut à la hauteur de sa frustration. Auparavant piranha, Mirabella tient plus du serpent à l’heure actuelle. Laissant Rik à ses pensées, elle s’approche du capitaine qui les a transportés afin de le congédier non sans payer la somme due. Honnêteté. Débarquant à nouveau, Mirabella examine les faits et gestes de Rik face à l’épreuve qu’il attend tandis que le navire remonte la passerelle avant de repartir vers le large.

Alors ? Que penses-tu faire ?

Mirabella semble se contenter d’un rôle d’observatrice. Un rôle qui lui convient à ravir puisqu’elle aura tout loisir d’apprécier les échecs probables de Rik. Probables à ses yeux. Évidemment. C’est non sans le certain délice d’étaler son savoir qu’elle se met à présenter la situation de l’ile au Gambler.

Juste qu’il y a peu encore, il n’y avait que des gens sans histoires sur Whiskey Peak, travaillant à reconstruire à l’ile et découvrant avec émerveillement que la qualité des récoltes est sans précédent. Toutefois, les gens sont d’avantages des agriculteurs que des combattants et même si l’ile a perdu de son attractivité pour des pirates en mal de défis, elle reste sans défense pour les plus végétariens d’entre eux. C’est pourquoi que des tractations ont été engagées à afin qu’une base de la marine soit installée sur l’ile. C’est une première. Avant, les chasseurs de primes contrôlaient tellement l’ile qu’il n’y avait pas besoin de mettre une troupe en garnison. Et après réflexion, c’est ce que pensa la marine. Ce n’était pas indispensable de placer une garnison sur l’ile. Toutefois, c’est quelque deux cents hommes qui furent affectés à Whiskey Peak avec une mission très simple : rester discret et annihiler toute contrebande sur l’ile, en particulier celle des Log et Eternal Pose. Un commerce interdit sur l’ile. Le pourquoi ? C’est que le meilleur ami de la Marine reste encore l’ile vers laquelle le Log Pose pointe après l’escale sur Whiskey  Peak : Little Garden et sa faune préhistorique. Sans compter son année pour recharger le Log Pose. Une aubaine pour arrêter net la plupart des pirates. Pourquoi combattre et perdre des éléments quand on peut les laisser s’engouffrer dans ce piège naturel ? C’était la pensée des officiers. C’est pourquoi la mission de la marine était celle-ci. Sans Log et Eternal Pose, les pirates ne pouvaient faire demi-tour. Enfin, pour les équipages de moindre importance, mais davantage entreprenants, la marine pouvait intervenir, rassurant ainsi les populations locales.

Hélas, la présence de la marine ne satisfait pas certains propriétaires terriens en relation avec des chasseurs de primes. Les rumeurs parlent de magouilles entre eux et que la lutte contre la contrebande leur ferait beaucoup de mal. Trop. Ces individus prônent une défense plus efficace par le biais de chasseurs affiliés à la BNA. Les anciens locataires de l’ile avant l’expulsion sans préavis par les Ombres. Ils ne veulent pas de la marine. C’est clair. Et les chasseurs de primes fraichement débarqués pensent la même chose en plus de murmurer tout bas que les marines vont leur prendre toutes leurs primes. Pour finir, une grande partie de la population n’apprécie guère la présence de ces chasseurs de primes. Pour eux, leur présence était la cause de l’attaque des Ombres. Les voir revenir, c’est faire revenir le spectre d’une destruction cataclysmique par la pirate. Surtout que récemment, on l’aurait vu à Reverse Mountain. Ce n’est pas si loin que ça. D’autres gens peu recommandables rôderaient aussi. L’exemple d’Aoi aurait pu donner des vocations à des capitaines en mal de reconnaissance.

Du coup, les gens ont des raisons multiples de ne pas s’aimer. Et les esprits commencent à s’échauffer. Si ça n’a pas encore explosé, ça ne tardera pas. Avec ou sans pirates.

Mirabella sourit. Elle aime beaucoup la situation dans laquelle Rik est forcé d’agir. Sournoise.
    Ragnar fait partie de ceux qui savent juger les hommes tels qu’ils sont. En l’occurrence, il est convaincu de la bonne foi de son interlocuteur quand celui-ci lui révèle tout ce qu’il a vécu depuis qu’il est sur l’ile. Le scénario se tient et se recoupe avec des informations qu’il avait déjà en sa possession. Malgré l’habileté de l’ex-caporal à manier les mots, à esquiver les points gênants et à remplir les trous par un flou potentiellement convaincant, Ragnar n’est pas dupe. Il n’y a que ça. La perspective d’avoir un homme tel que son interlocuteur voler au secours d’une ile sans grand intérêt reste une énigme curieuse qui peut cacher tant de choses. Et tout cela réjouit le commandant par un sourire amusé. Car malgré la dangerosité de la situation, Ragnar est un homme qui apprécie ce genre de situation : complexes et dangereuses. Et la venue de Rik Achilia semble donner une autre dimension à tout cela. Oui, il s’en amuse. Même si le problème avec Cineyair est résolu, il sait qu’il aura à faire avec cet inconnu.

    Pour l’heure, il le reste, inconnu. Mais il n’a pas tardé de prévenir la base de la marine la plus proche afin de récolter quelques informations à propos des deux nouveaux venus. Rik le premier, se faisant appeler Enarik Santa, mais qui a le défaut d’avoir son visage sur l’avis de recherche du Commandant. Et quand les grattes papier de la marine mettront un tout autre nom sur le visage qu’on leur a envoyé, la situation sera tout autre. Pour la deuxième, il n’y a qu’un nom et quelques descriptions sommaires, mais elle aussi, elle ne résistera pas longtemps face aux capacités d’informations de la Marine. Le temps est précieux. Et de plus, Ragnar joue là-dessus.

    On ne fait rien, monsieur Santa.
    On ne fait rien, tout simplement, parce que nous n’avons aucun motif pour intervenir dans les affaires de la BNA et aucune preuve sur l’assassinat si ce n’est votre témoignage. Et je préfère éviter de vous exposer. Les chasseurs de primes du BNA ne sont pas connus pour leur stratégie, mais plus par leur capacité à abattre leur cible rapidement et soigneusement. Vu comment Cineyair vous veut, je vous donne une heure avant d’être criblé de balles si je vous exhibe à tout le monde.

    À moins que cela vous plaise de jouer les appâts ?


    Ragnar sourit. Dans un sens, c’est une stratégie comme une autre. Et elle a le mérite de pousser à l’extrême le sens du sacrifice de Rik pour l’ile, puisqu’il est là pour ça par vocation. En principe.

    Toutefois, il a une meilleure solution. Si nous avons une raison d’intervenir chez les Alvarez, vous pouvez me croire, j’interviendrais. Pour l’heure, je n’en ai pas. Pas le moindre motif. Et intervenir sans motif, c’est provoquer quelque chose qui ne sera absolument pas une bonne chose. Pour personne. Mes hommes et moi-même avons les mains liées pour l’instant. Par contre, vous, vous êtes libres, non ?

    Nouveau sourire amusé. Ragnar vient de sous-entendre que Rik Achilia est le plus capable de lui fournir un motif d’intervention. Car si les chasseurs de primes trouvent un marine dans leur domaine, cela sonnerait comme une déclaration de guerre qu’ils s’empresseront d’exploiter. Alors que si c’est Rik… et bien, ils se feront un plaisir de l’éliminer. En silence et sans scandale. Entre faire l’appât et aller fouiner jusque sous le nez de Cineyair, Ragnar propose de choisir entre la peste et le choléra. Et ce n’est pas pour lui déplaire, testant ainsi son vis-à-vis.

    A vous de décider. C’est votre vie, après tout. Vous pouvez rester dans le chalet, à l’abri des regards. Néanmoins, je vais mettre dès à présent plusieurs de mes hommes à votre protection. Ils sauront rester discrets et vous maintenir en vie sans toutefois risquer d’envenimer la situation. Gardez ça à l’esprit. Si vous avez besoin de me joindre, mes hommes ont ma ligne directe.

    Ragnar semble tout à fait disposé à offrir la plus grande des libertés à Rik Achilia. Il est persuadé qu’il a mieux à gagner à le laisser en liberté qu’à le garder sage. Ce n’est pas lui sa cible, c’est Cineyair. Et pour que Rik soit autant plongé dans les affaires de Cinéyair, c’est qu’il a un talent pour dénicher ce qu’il faut. Avec l’assurance d’avoir l’atout de la marine dans sa manche, ça ne peut que l’aider à oser davantage. Et il osera, Ragnar en est convaincu.
      Joueur, le Commandant. Joueur, mais juste ce qu'il faut. Il fait même semblant de me laisser un choix. Parce qu'il est malin et qu'il sait l'importance de ne pas exercer une pression trop importante sur moi. Alors, il a dépeint la situation, précisé la position de chaque pièce et me laisse la main. On est plutôt dans le même camp, et il ne reste qu'à déterminer lequel de nous deux va jouer le prochain coup pour l'équipe. C'est un peu comme une partie d'échecs. Est-ce que je mets le Roi au chaud et attend gentiment que l'autre en face tente un coup hasardeux ? Ou vais-je plutôt troquer une pièce contre une ouverture qui pourrait dans, quelques coups, m'offrir la victoire ? Fausse question. Je n'ai pas été éduqué à l'école conservatrice. Attendre, c'est laisser s'égrainer les secondes, c'est exposer plus longtemps encore Mirabella que je dois à tout prix maintenir en vie si je veux apprendre d'elle le lieu où Hadoc est détenu captif. Ça, Ragnar ne le sait pas, mais il a bien lu mon comportement et en a déduit que derrière ma si louable grandeur d'âme, j'ai un intérêt bien précis à défendre dans l'affaire. Il sait quelle réponse je vais lui livrer.

      Je chasse le faux-suspense dans un haussement de sourcils entendu et un sourire tenté.


      Je vais aller jeter un œil, par acquis de conscience. Je suppose qu'il sera de mon devoir de citoyen concerné de vous signaler tout élément irrégulier qui mériterait d'être porté à votre attention. De là... ce sera à la cavalerie de jouer.

      Attendre dans la chaleur douillette d'un gîte truffé d'anciens collègues, c'est définitivement pas tentant. Si mon identité est révélée, ils seront nombreux parmi les Mouettes à en prendre connaissance, et Ragnar n'aura plus le loisir de m'offrir d'agir à ma guise. Quand bien même cette solution resterait envisageable si cela ne tenait qu'à lui. Alors je prends la main.

      Faites chauffer le mandat, m'est avis que vous allez en avoir besoin. Vous trouverez le " traître " que mentionnait Cineyair un peu plus tôt à l'orée des bois, sur le vallon suivant, dans cette direction. Je suis sûr que si vous lui exposez poliment la situation et lui apprenez le sort que lui réserve son boss, il saura reconnaitre son intérêt à dire la vérité. Sur ce...

      Tout a été dit, simplement, clairement. Je lance un dernier petit salut de la tête et je pars vers la butte au sommet de laquelle trône la demeure de Feu Guillermo Alvarez. Dans une demi-heure tout au plus, la nuit sera totale. Coïncidence plaisante, c'est à peu près le temps qu'il va me falloir pour gravir la colline. Je sens dans mon dos le regard du marine quelques instants. Heureusement qu'il inspire confiance, je serais pas complètement serein dans le cas contraire, à devoir me reposer sur lui pour intervenir au moment propice. Dans toute infiltration discrète, la principale difficulté, c'est pas de se faufiler à l'intérieur, c'est de ressortir en un seul morceau. Ah la bonne soirée qui s'annonce, va me falloir au moins une roulée pour lancer ça dignement.

      [...]

      Une roulée, une marche sportive vers les hauteurs et une approche discrète plus tard, je suis tapis dans l'herbe fraîche, avec une vue parfaite sur la bâtisse un peu en contrebas. Deux douzaines de torches sont allumées, baignant le jardin de lumière sur une marge de huit mètres facile tout autour de la baraque. Deux sentinelles à l'entrée, deux groupes de deux qui patrouillent avec la cadence d'un métronome. Les rideaux sont tous ouverts au rez-de-chaussé, et à l'étage, à l'exception de ceux dans le bureau des Alvarez. À certaines fenêtres, un guetteur.

      J'essaie de me remémorer l'intérieur. Je n'ai pas eu l'occasion d'explorer toutes les pièces, simplement l'aile au Nord. À parier, doit bien y avoir une cave quelque part; un gentleman comme Guillermo avait forcément quelques bonnes bouteilles de vins du monde entier planquées quelque part au frais. Si Mirabella est détenue dans la villa, c'est là qu'elle doit se trouver. À en juger l'armada qui campe ici, ce serait bien le diable si elle était retenue captive ailleurs. Ou alors, c'est un leurre de professionnel. Je n'ai pas souvenir d'avoir vu un escalier menant vers le sous-sol, mais vu la taille de la boutique, j'ai très bien pu le louper. Hm. Résumons. Pas le moindre angle mort pour approcher, pas franchement d'obscurité où se tapir non plus. Des gardes qui font la ronde dehors, une petite armée sur le pied de guerre dedans, plus un boss désagréable, et pas la moindre piste pour trouver l'otage à l'intérieur.

      Génial. Bon, bah, va falloir s'y m...

      Tiens. Un bruit. Un roulement, des sabots qui pataugent dans la boue et un grincement caractéristique. C'est léger, mais c'est distinct. Ça vient de plus bas, sur le versent. C'est une charrette. Mais pas n'importe laquelle, attention. C'est la charrette de mon vieux pote Firmin. Ça me donnerait presque une idée.


      [...]

      Psst.
      Meh ?
      Psssst-euh !
      Khé ?! Qu'est-ce que c'est ?
      Moins fort, Firmin, approchez.
      Approcher, je veux bien, mais vers où ?
      Ici, là, vous m'entendez ?
      Oh, c'est vous monsieur.
      Oui, c'est moi.
      Qu'est-ce que vous faites caché ainsi comme un vaurien ? Ça n'est pas digne de quelqu'un de votre rang...
      C'est une longue hist...
      Montez-donc vous débarbouiller à l'hacienda !
      Non, non, c'est pas exactement ça le p...
      Vous serez l'hôte de Monsieur Alvarez pour la nuit, sûr qu'il vous offrira le couvert, j'dis !
      Rha... Firmin, ça suffit.
      Vous n'avez pas faim, peut-être ?
      Si j'ai faim... ? Oui, un peu mais... ah, on s'en fout. Écoutez attentivement ce que je vais vous dire, c'est de la plus haute importance. Vous vous souvenez de la jeune femme qui m'accompagnait hier matin ?
      ...
      Firmin, répondez-moi ! Vous vous souvenez d'elle oui ou non ?
      Ah, pardon, je pensais que je devais écouter uniquement. Oui, oui, je me rappelle. Elle est charmaante.
      Oui, voilà, la charmante. Hé bien, figurez-vous qu'elle est retenue captive ici même !
      Ici ? Dans ma charrette ?!
      Mais non Firmin... mais quelle andouille... dans la demeure du Senor Alvarez. J'ai absolument besoin de m'y introduire sans me faire remarquer pour aller la secourir. Vous pouvez m'aider ?
      Vous êtes sûr ?
      Certain.
      Allons sauver votre demoiselle en détresse, monsieur ! Embarquez !

      Hm. C'est pas vraiment " ma " demoiselle, mais ça au pire, on s'en fout. Je me glisse sous les bâches, me serre entre les sacs de terreau et entend Firmin fouetter doucement sa mule. On avance. J'ai une vague de stress qui monte. Si je me fais pincer, c'est vraiment la merde. Mah, non, personne irait soupçonner un couillon pareil d'être de mèche avec qui que ce soit. Ça va le faire.

      Et effectivement, quelques instants plus tard, Firmin pénètre dans l'exploitation, salué gaiement par deux gardes. Pas un pour fouiller la marchandise. J'entends le paysan souffler dans sa barbe :


      Je vous conduis à l'étable. Restez planqué là un moment, et dirigez vous vers la poterne, je la laisserais ouverte pour vous. Après ça, bonne chance.

      Sacré Firmin, il a un fond de jugeote, en fait, sous ses airs badauds. La carriole se traine lentement dans la boue jusqu'à son emplacement. On s'immobilise. J'entends le grand-père descendre, puis s'éloigner après avoir fait craquer ses chevilles et lâché une grimace. Je suis seul.

      J'y vais. Vingt mètres dans une pénombre très relative. Et tout le reste ensuite.
        La demeure des Alvarez ressemble en cette soirée plus à une forteresse qu’à une exploitation agricole qui n’a rien à cacher. Les sentinelles dispersées aux quatre coins des bâtiments surveillent l’horizon avec une vigilance accrue. Il semblerait que Cineyair ait donné des ordres suffisamment stricts pour que personne n’ait l’envie de tirer au flanc. Au sol, des patrouilles de plusieurs hommes circulent, mais ils font plus ça plus parce qu’on leur a ordonné de le faire que par conviction. Ils ont confiance en les sentinelles extérieures et personne ne pourrait passer la barrière de leurs yeux sans déclencher l’alerte. L’obscurité et les nombreux obstacles disséminés aux alentours de la demeure des Alvarez contribuent ainsi à donner à Rik de nombreuses occasions de se dissimuler lorsque le besoin s’en fait ressentir. Bientôt, il atteint une petite morne habituellement utilisé par le petit personnel. A son approche, elle s’entrouvre et Firmin passe la tête. Deux sentinelles l’aperçoivent, mais ils s’en désintéressent. Profitant de l’absence de surveillance, Rik s’engouffre dans le passage en refermant derrière lui.

        Rik se retrouve dans une petite réserve de nourriture. La délicieuse odeur de porc marinée au citron indique la présence toute proche des cuisines. Justement, Firmin se trouve dans l’entrebâillement de la porte, bloquant le passage. Il tourne la tête brièvement vers toi avant de revenir à l’intérieur de la cuisine. Visiblement, il bloque le passage et la vue aux cuisiniers sous prétexte d’une sombre histoire de gras dans du pot-au-feu. Rik peut ainsi passer devant la porte sans être déranger. Par contre, la suite se fera seule. Plus loin, une petite porte discrètement aménager pour qu’on ne devine pas sa présence de l’autre côté, toujours pratique pour le petit personnel et ne pas incommoder le regard des invités. En entrebâillant, la porte, Rik se rend compte qu’il se trouve non loin de l’entrée principale. Dehors, plusieurs gardes empêchent d’entrer et de sortir sans se faire repérer. Trois gardes discutent au milieu du hall.

        -J’en ai marre de monter la garde.
        -Te plains pas ! Tu pourrais être dehors à te geler les miches !
        -Ou être à la cave à surveiller le prisonnier. Tu verras, il est charmant à te hurler dans les tympans ou à chercher de t’amadouer.
        -Et n’accepte pas. Dérgé a voulu se faire de l’argent facile en acceptant pour l’entuber après. Bah, Cineyair l’a battu à mort. Il rigole pas avec ça.
        -Nan mais les mecs ! j’ai été la haut à surveiller le gosse faire mumuse avec la fille. Ça vaut pire que tout ce que vous avez dit !
        -Ouai, t’as raison ...
        -Tiens, si on allait grailler un bout ?
        -Bonne idée !

        Les trois gardes partent, se dirigeant visiblement vers les cuisines par l’entrée officielle. Au final, il n’y a plus qu’une seule sentinelle faisant des rondes l’étage de visible. Au bout du hall, de l’autre côté de la porte principal, une porte entrouverte semble indiquer le passage vers la cave.
          C'est ça qu'on appelle la crise de la quarantaine ? Un sprint à pas feutrés, une avancée timide sous le manteau d'ombre de la nuit et déjà le palpitant qui s'emballe. De la sueur froide au front, des pognes moites, un rictus d'effort... Merde. J'ai déjà complété la moitié des critères pour être un vieux con. Warf, faites que j'devienne pas con. Si j'avais fêté tous mes anniversaires jusqu'à présent, j'assumerai peut-être mieux mon âge au moment de jouer les sauveurs providentiels. J'aurais eu le temps de me faire à l'idée que je passe déjà dans la catégorie des fossiles pour les gosses. Allez vous faire foutre, les gosses, vous y connaissez rien. Si j'tire la langue, c'est juste que le combo picole-tabac-blessures ouvertes, c'est pas l'must au moment de se lancer dans une opération pareille.

          Alors, j'tire peut-être un brin la langue, mais j'avance. Firmin est l'atout infiltration ultime. Faut admettre, le bougre paye pas de mine. Alors personne le soupçonne d'autre chose que d'être con comme une queue de pelle. Et hop, on se faufile dans la baraque, on échappe à la vigilance des gardes et on mystifie les cuistots plongés dans un vide abyssal; celui du regard trouble de mon éclaireur. Merci le bon samaritain, j'te dois une fière chandelle. S'agit de faire fructifier le coup d'pouce maintenant.

          Sous le chambranle de la porte des laquais, j'suis planqué de sorte que personne peut vraiment me dénicher à moins de se lancer dans une inspection scrupuleuse des lieux. Mais la conscience professionnelle a foutu le camp de la baraque depuis des lustres; les colocs type glandouille et laisser-aller étaient trop chiants à supporter. Alors j'suis peinard. Pas un lascar vient me prendre par surprise. J'ai tout le loisir d'écouter les tartuffes plantés devant l'entrée principale deviser gaiement et me servir sur un plateau d'argent les infos capitales. Parce que ouais, quarante balais peut-être, mais une ouïe foutrement parfaite. Prends ça l'temps qui passe. Va pavaner plus loin. Si j'étais du genre à courir pour le plaisir de m'essouffler, j'ferais encore mon footing quotidien la soixantaine bien sonnée. Mais j'fais pas ça. C'est un truc de chasseur, l'effort. Moi, j'suis plus un penseur. Un qui se sert de son ciboulot pour avancer. Et là, sous l'bocal, ça hésite parce qu'on me sert deux victimes à secourir quand j'avais prévenu le sauvetage d'une seule personne.

          Pas évident de réfléchir quand on entend parler de la cuisson du foie gras d'oie qu'il ne faut surtout pas confondre avec celle du foie gras de canard. Forcément. Le degré de salaison importe aussi, et le taux d'humidité joue pour pas mal également c'est vrai, c'est même un élément déterminant au moment de savoir si l'on opte pour telle ou telle méthode de préparation. Une cuisson à feu moyen risquerait de tuer la viande quand un flambage en bonne et due forme s'impose, il parait, il dit René. Sauf que René est sourd comme un pot et qu'on parlait juste de gras et pas de foie gras. Au temps pour lui. Incident culinaire désamorcé. Et moi, je fous quoi ?

          Si j'monte, je sauve la mistinguette comme prévu et j'alerte ce bon Commandant Ragnar de lâcher les fauves. Coup de filet général, happy-end à prévoir. Sobre, efficace. Et pour le dessert, j'marave un coup le morveux qui le mérite bien. Mais y'a fort à parier que le prisonnier n°2, c'est mon ami Rockat. Mon radar me dit ça. Si j'interviens pour aider Mirabella, ça va forcément se faire au détriment de ma discrétion, et une fois ma présence signalée, Cineyair prendra pas le risque de laisser la vie à un gars qui en sait beaucoup trop long sur ses agissements. Agir, c'est condamner le vieux bourrin. 'ff... Si y'a bien un truc qui m'emmerde, c'est faire des choix. Ça amène toujours à des complications, des résultats pas désirés et des tas de reproches dans la tronche.

          Bon. Quoi que je fasse, ça va me retomber sur le coin de la gueule. Alors on va la jouer gentleman. Quitte à s'vautrer, autant se réserver le beau rôle. C'est sans doute pas le plus sage, mais j'ai envie. En plus, les pey' viennent de décamper et ça ressemble à l'occasion unique de tenter une excursion tout en conservant une infime chance de pas se faire repérer par la patrouille complète. Go.

          Il reste plus masse de recoins où se planquer alors j'attends que la sentinelle à l'étage me tourne le dos pour escalader les marches quatre à quatre et venir lui caler une tarte aux phalanges dans la mâchoire dans un parfait timing. Le mec est sonné. Coup d'œil rapide. Personne à droite, personne à gauche... Le coup d'pouce du destin. Mais ça va pas durer. Je charge le poids mort sur mon épaule et pars le ranger derrière des rideaux. Au passage, je lui prends sa pétoire et son poncho crasseux que j'enfile, même si l'odeur pestilentielle me répugne pas mal. Rha la dégaine. J'ai un peu honte. Mais c'est un mal nécessaire. Entre ça et mes bottes dégoulinantes de boue, j'tiens l'accoutrement du parfait truand. Maintenant, je peux circuler un peu plus librement. Au moins pour un temps. Et il m'en faut pas beaucoup. Juste assez pour retrouver Mirabella. Je ne sais pas dans quelle pièce exactement Paulo la retient captive, mais y'a forcément un vigile planté devant leur porte, et peut-être même un autre dedans. Ça devrait pas être bien sorcier de trouver.

          Une porte close, au bout du corridor. Un pouilleux assis sur un tabouret devant. Et des rires mauvais qui s'échappent de l'endroit, de plus en plus distincts à mesure que j'approche. Bingo. J'cache pas qu'y a une petite pointe de colère qui remonte doucement, là, tiens, à l'idée de savoir que le fils à papa joue les tortionnaires avec la p'tite. C'est pas un modèle de sainteté, la demoiselle, d'accord, mais n'empêche. Ça fâche. C'est ce bruit, malsain. Ça prend aux tripes. Ça réveille tout ce qu'il peut y avoir de méchant en quelqu'un. Ouaip. La discrétion va aller voir ailleurs si j'y suis.

          Le garde me voit arriver, mais j'masque mon visage en m'allumant une tige. Ça m'donne aussi l'excuse de marmonner quand il me demande ce que je fous là, bordel. Quel charmant collègue. Doux comme une râpe à fromage. J'tire une taffe et j'réponds :


          ...ff' ... La relève.
          Déjà ?
          Tu veux rester planté là une heure de plus ?
          Ah non merci ! Plutôt mourir.
          Bah va bouffer alors.

          Il se lève. Se gratte le cul. Et il se casse. Une mouche à merde le suit. Sympa.

          J'attends que mon champ de vision soit dégagé de tout garde et je toque à la porte. Pas de réaction. Je toque plus fort. Les rires s'estompent et un "
          Qu'est-ce que c'est ? " autoritaire et contrarié gronde. Je sors mes pétoires et toque une troisième fois, plus fort. Et puis je chantonne un " Service d'étage. " trop joyeux qui sonne comme le plus parfait foutage de gueule. On se déplace, à l'intérieur. Je braque le canon de mon flingue contre la porte. J'sais pas si c'est Paolo ou un de ses sbires qui va ouvrir, mais ça va partir en plein l'buffet du malchanceux.

          Dernier moment de calme. Dans trois secondes, ça va être le feu d'artifices. Cool. J'viens d'l'école du spectacle, moi, faudrait pas l'oublier.

          Deux secondes. Des pas.

          Une seconde. On tourne la poignée.

          Zéro.


          Bang.
            -Tu t’souviens pas des consignes, ducon ?

            Mais ducon est Rik. Et Rik est armé, prêt à se servir de sa puissance de feu. La balle part et pour Quentin, Gaspard, Alain, Provist ; ça pue. Le premier du groupe s’écroule à terre, blessé au bide ; une blessure sale, mais personne ne s’intéresse à son sort, car la porte s’ouvre toute grande pour laisser passer un Rik à la gâchette facile parce qu’en face, on va pas lui laisser l’occasion de riposter. Un autre garde s’écroule dans un râle avant que les autres réagissent. Le premier soulève la table qui leur servait à jouer au Poker pour se protéger des balles assassines de Rik. Le deuxième chope les bouteilles avant qu’elle tombe par terre. Un bon geste pour les millésimes discrètement sortis de la cave des Alvarez. Mais quand on a aucune éducation, on ne fait pas de miracles, et les bouteilles sont balancées sur l’intrus sans une once de pitié pour les merveilleux breuvages de 1587. Une bonne année pour les connaisseurs. Enfin, le dernier se planque derrière la table, la rage au ventre de manquer une occasion de rafler la mise avec sa quinte sortie de l’espace à la river.

            Ça tire en tout sens à s’en vider les chargeurs, sans trop se préoccuper du décor. Une antichambre plutôt bien décorée. De l’autre côté, il y a une double porte en bois verni qui doit mener à la chambre. Et vu le décor de cette première pièce, c’est surement la chambre du maitre des lieux. Justement, ce dernier a entendu les coups de feu et ouvre la porte à au moment où les armes émettent un bruit bien caractéristique des chargeurs vides. Paulo reconnait Rik Achilia et inversement. Le teint légèrement rouge de l’Alvarez disparait rapidement pour devenir livide. Sa main glisse vers son arme inexistante. Raté. Son regard fouine alors dans la pièce pour trouver une échappatoire. Mais la porte est solidement gardé par le Rik et malgré que les gardes survivants s’élancent contre lui armé de tesson de bouteille, d’une chaise et d’un vase de porcelaine, Paulo se doute de pouvoir passer par là sans en subir le courroux de Rik. Il voit ça dans son regard.

            Du coup, Paulo prend la seule sortie qui s’offre à lui : la fenêtre. Avec un temps de latence, évidemment, mais Rik n’était plus très loin de ses talons. Heureusement pour lui, il atterrit dans une meule de foin, même si légèrement malodorante. Dommage pour sa tenue de soirée, elle est foutue. Dans l’antichambre, les gardes ne sont pas de taille face au marine et ce dernier peut rapidement passer dans la chambre. Là, il y trouve Mirabella, évidemment. Confortablement installé dans un lit à baldaquin, des oreillers soyeux dans le dos. Seules ses mains attachées aux barreaux du lit par une corde solide et son bâillon qu’elle mordille avec une rage palpable laissent peu de doute quant à sa relative captivité. Habillée d’une robe de satin fendue, elle parait étrangement féminine.

            Un bâillon enlevé plus tard.

            INTERDIT DE SE RINCER L’ŒIL ! ET DÉTACHE-MOI !

            Ah, les femmes. Visiblement, Paulo qui avait déjà flashé sur la demoiselle lors de la première venue de Rik a profité de la capture de Mirabella pour lui faire son numéro de charme. Sur la table de chevet, une bouteille de champagne baigne encore dans l’eau glacée et les deux coupes n’attendaient que d’être remplies. Un tête-à-tête romantique si on ne prend pas en compte la demoiselle attachée. Charmant, non ? Après qu’elle se soit calmé, quelques informations très importances filtrent.

            Il faut sortir d’ici ! Ils vont nous tomber dessus ! Et il faut sortir Alvarez d’ici !

            Alvarez ?

            Le père Alvarez, il est vivant ! Ils l’ont enfermé en bas.

            Mais déjà, des bruits de pas se font entendre dans le couloir.
              Toute cette explosion d'adrénaline, de cris bestiaux et d'attaques de primates a quelque chose de grisant. On est loin du duel avec Rockat; non, là, on est dans du beaucoup plus rustre, basique. Aucune science du combat, aucune stratégie particulière, juste de l'instinct de survie au moment de se protéger et une féroce envie de tuer quand vient celui d'attaquer. Et les trois lascars se démènent comme de beaux diables pour pallier leur absence de technique. Y'a même un cul de bouteille qui manque de venir se planter dans ma glotte, à un moment. Mais je contrôle, néanmoins. On est trop différents, eux et moi, pour que plane un doute sur l'issue du combat. Mes opposants sont de cette trempe de pouilleux sans cervelle ni vraie ambition qui s'acoquinent à celui qui saura les nourrir; qui vivent parce qu'il faut bien vivre, qui gagnent de l'argent parce qu'on leur a dit que c'est bien d'en avoir et qui cognent parce qu'ils n'ont aucun autre moyen de se faire respecter. Leurs coups manquent de conviction, leur détermination est purement mécanique. Les confronter, c'est se rappeler que l'homme vient de la bête et que certains en sont restés à ce stade de l'évolution.

              Alors, je gagne. Et quand bien même l'un reçoit du plomb dans les tripes, un autre s'écroule sur un coup du lapin implacable et un dernier échange les dents qu'il crache contre la mâchoire fendue que je lui offre, difficile de ressentir quoi que ce soit s'approchant un temps soit peu du remords. Ce sont juste des tas de viande que l'on pèse, que l'on frappe et que l'on jette. Machinalement. Paulo doit cependant une fière chandelle à ces gars qui ont rempli leur rôle de gardes du corps jusqu'au bout, et suffisamment longtemps pour lui laisser le temps de s'enfuir. J'étouffe un juron. C'est pas l'envie de lui caresser les côtes et le menton à coups de phalanges qui manquait. Soit. Ce sera pour plus tard; je le sais.

              Je libère Mirabella de ses entraves. Elle pense plus à me houspiller pour le regard baladeur qu'à autre chose. C'est pourtant elle qui passe son temps à jouer de ses charmes. Les gonzesses, allez comprendre... L'avait qu'à être mal gaulée la petite ingrate, on perdrait pas son temps à la reluquer. Mais j'ai pas le temps de lui en faire la remarque, elle a du scoop pour moi. Et pas du scoop de bas-étage. J'assimile l'info, le vieux Alvarez est toujours de ce monde et même si je devrais pas, pour bien la digérer, je prends le temps de tomber une flûte de champagne. Hm. Ça pétille, c'est bon. Mirabella lance un "
              Sérieusement ? " contrarié et un peu séduit aussi à la fois. Ou alors je me fais des idées.

              Je recharge les flingues, je repasse dans l'antichambre et referme la porte qui donne sur le couloir. Ça va pas tenir longtemps mais je cale la table qui un peu plus tôt accueillait la partie de poker contre la poignée pour m'offrir un petit sursis supplémentaire. Et puis je m'assieds de côté sur la table, avec un premier pistolet couché à côté de moi, pour me rouler une tige. Mirabella comprend pas tout. Vrai que se barricader, ça semble pas hyper-malin, là de suite; j'explique.


              On a une minute devant nous avant que la porte cède. Trouve une arme, et de quoi te vêtir sinon tu vas encore m'engueuler. J'ai un appel à passer.

              J'sors mon Den Den Mushi. Le temps d'entrer en communication avec le Commandant Ragnar, je chope un briquet et tire une taffe. Et puis j'attends, avec le combiné planté pile devant le bec, patient. De l'autre côté de la porte, ça commence à tambouriner. Ça, c'est la phase une. La deuxième, c'est les coups d'épaule, parfois de hache. La troisième, c'est de trouver tout ce qui peut faire office de bélier pour enfoncer la porte.

              Quand la voix du gradé lâche un "
              Moshi-moshi ? ", ils sont passés à la phase deux.

              Commandant, ici monsieur Santa. Je serai bref, mes invités arrivent. J'ai secouru ma partenaire, elle est saine et sauve. Il y a plus. Guillermo Alvarez est vivant, et captif dans sa propre demeure. À la cave, actuellement. Je vais faire mon possible pour venir à sa rescousse mais à vot' place, ça me semblerait être le bon moment pour envoyer la cavalerééh...

              Boom. Une secousse me fait presque lâcher le petit appareil des mains. Voilà la phase trois. Dans mon dos, la structure de bois commence à s'écrouler et je sens que ça pousse de plus en plus fort. Coup d'œil par la fente qui s'est formée dans le bois sous les coups. Y'a du monde, et pas qu'un peu. Ça va devenir corsé. Dans un parfait timing, Mirabella revient. Elle a retrouvé une tenue un peu moins aguicheuse et un peu plus adaptée aux festivités qui vont suivre. Je la jauge et lui adresse un petit sourire tiré, l'air de dire, voilà qui est mieux. La demoiselle est animé d'un regard farouche. Héhé, j'en connais quelques-uns qui vont servir d'exutoire. Nouveau choc, la porte sort de ses gongs et je dois faire bloc pour retarder l'inévitable. Ragnar répond un sobre et laconique " Bien reçu Monsieur Santa, vous avez toute ma confiance " qui colle mal à la mine malicieuse de l'escargophone. Ce Commandant est décidément un original.

              On tiendra pas ici dix secondes supplémentaires. Je récupère ma pétoire et pointe dans mon dos. Petit signe de tête à la furie furieuse pour lui signifier de se tenir prête. Elle l'est. Je tire. Une détonation claque, accompagnée d'un cri de douleur et d'un bref répit, qui m'achète juste le temps d'une dernière réplique.


              Commandant, je dois vous laisser. On va passer à table.

              Je raccroche; et je me décale. La porte vole en éclat, la table n'oppose pas plus de résistance. Le barrage a cédé pour libérer une douzaine d'hommes de main prêts à nous réduire au silence à grand renfort de machettes et autres rapières affûtées. Dommage pour eux, on l'entend pas de cette oreille. J'ai d'autres plans pour cette soirée. Et sans mauvais jeux de mots, ils nous conduisent à la cave.

              Suis-moi, on va chercher l'patriarche.

              La jeune a l'air d'accord. Je finis ma clope. Et je fonce dans le tas.
                Toujours le mot pour rire, ce monsieur Santa…

                Ragnar regarde l’escargophone se taire avec un sourire en coin. Décidément, tout s’est accéléré avec la venue de cet inconnu. Et le dénommé Santa vient de lui offrir une voie royale vers une intervention dans les affaires de la BNA. Annoncer la mort d’un homme qui ne l’est pas en réalité, c’est louche. Et Ragnar aime beaucoup fouiner dans les choses louches. Devant lui, une escouade d’hommes fidèles et parfaitement entrainés à l’intervention rapide est prête à partir. Lui-même a déjà tout à portée de main. Il avait senti que l’opportunité d’aller gouter une des bouteilles de la cave des Alvarez. Sans jeu de mots. Mais avant, Ragnar doit appeler deux autres contacts.

                Lieutenant ?
                Oui commandant.
                Au rapport.
                On est pas loin de la résidence des Alvarez. Il y a pas mal d’animations dans la cour. Des hommes en armes. Autorisation d’intervenir ?
                Négatif, vous nous attendez. On y sera rapidement. Par contre, vous avez l’autorisation de tirer si un type qui ne semble pas être de la BNA est sur le point de se faire tuer. Rester discret et changer de position après chaque intervention. Il y a un homme et une femme, en principe. Et peut-être un vieil homme. Soyez leur ange gardien.
                Bien compris commandant. On vous recontacte si on en rencontre un problème.
                Reçu. On fera de même quand on sera arrivé.

                Fin de la communication. Ragnar se lève et s’équipe tandis que des marines vont avertir les autres escouades attendant à l’extérieur du bâtiment. Équipé du strict nécessaire, leurs pas doivent être légers pour arrivé à temps, mais l’excitation d’enfin damner le pion aux types qui les ont plusieurs fois menacés donne aux marines un esprit revanchard.

                Nous partons commandant ?
                Une dernière chose.

                Il démarre une autre conversation.

                Ici le commandant Ragnar. Au rapport.
                Ah, commandant, on allait vous appeler.
                Vous l’avez trouvé ? Ce dénommé Rockat ?
                Désolé commandant, mais il est introuvable.
                Il n’a jamais été là ?
                Des traces indiquent le contraire, mais il a dû … se déplacer. Seul ou à l’aide d’une tiers personne, on ne sait pas.
                Bien compris. Continuez de chercher, puis rejoignez les hommes au domaine des Alvarez et placez-vous sous les ordres du lieutenant.
                Bien compris.

                Ragnar fronce les sourcils. La disparition d’un témoin important est gênante. On pourrait croire à sa mort, mais Ragnar imagine une tout autre possibilité qui pourrait bien nuire à Monsieur Santa. Une possibilité évoquant la fidélité d’un homme envers un autre qu’il l’a pourtant condamné à mort. Décidément, il doit faire vite s’il ne veut pas voir le sieur Santa disparaitre à son tour.

                Tiens, en parlant de lui. Un soldat entre dans la pièce à l’instant ou le Commandant allait en sortir.

                Soldat ?
                Oui Commandant. C’est au sujet du dénommé Santa. On a fait les recherches. Et on a trouvé quelque chose.
                Ah oui ?
                Tenez vous bien, vous allez jamais le croire…


                ***

                Au même moment, à l’extérieur de la demeure des Alvarez, Cineyair organise ses troupes momentanément désorganisées après avoir découvert l’ennemi au sein même de la demeure qu’ils étaient censés protéger. Il a aussi droit à écouter les lamentations d’un  Paulo qui a bien piètre allure avec de la paille dans les cheveux et une odeur nauséabonde lui collant la peau. L’odeur et le brouhaha de plainte du jeune Alvarez suffisent à amener le chasseur de primes vers la zone rouge.

                TA GUEULE !

                Paulo Alvarez se tut d’un coin, apeuré. Soufflant d’exaspération, Cineyair darde un regard haineux vers l’étage ou se trouve l’intrus. La rumeur de l’affrontement lui arrive distinctement. Il a suffisamment d’expérience dans l’art du combat et dans la gestion de ses hommes pour savoir que les bruits qui lui parviennent ne sont pas à l’avantage de ses troupes. Il lève la main et claque des doigts. Un homme sort de l’ombre.

                Kissin. Va t’occuper d’eux.



                L’homme reste impassible, une main sur son sabre tandis que de l’autre main, paume ouverte vers le haut, il fait apparaitre une bulle jaunâtre issue du Chemical Juhgling. Tournant un instant sur lui-même, il l’envoie vers la fenêtre la plus proche de Mirabella et de Rik qui explose sous l’impact. L’instant d’après, Kissin s’est déjà élancé vers l’intérieur de la demeure, secondé par une demi-douzaine de chasseurs de primes à l’armement hétéroclites.
                  Ils sont onze. Onze salopards plein d'ardeur, l'œil chargé de haine et de méchanceté profonde. Onze salopards qui chargent à l'unisson dans un cri bestial, pas décontenancés pour un sou à la vue des corps inertes de leurs frères d'armes. Sans doute n'en sont-ils pas vraiment. La BNA peut se targuer de regorger d'artistes de la traque, de limiers cupides et inlassables, mais la fraternité n'est pas à compter parmi les compétences requises à l'examen d'embauche. On ne connait le nom que de deux ou trois équipiers, grand maximum. On a peut-être devisé ensemble autour d'une bouteille d'alcool frelaté un soir de mauvaise cuite, ou dépanné un peu de tabac à l'un de ceux qui jonchent le sol dans un jour de bonté extrême, mais cela ne fait pas d'eux des nakamas. Être solidaire des infortunés vaincus ? Pour quoi faire ? S'ils ont mordu la poussière, c'est qu'ils étaient faibles, qu'ils ne constituaient pas des équipiers dignes de ce nom. Alors, ils enjambent les corps sans une once de compassion, c'est tout juste s'ils ne leur marchent pas dessus.

                  L'antichambre est petite. Trop, pour l'attroupement turbulent. Ils ne sont que cinq à pouvoir porter un coup en même temps, et pas tous dans les meilleures conditions. En plus, il suffit de quelques mouvements à peine pour se rendre compte que la marge entre eux et moi est encore suffisante pour s'autoriser un combat de mêlée avec cette nette infériorité numérique. Les lames fendent l'air, silencieuses, autour de Mirabella et moi qui dansons avec ces menaces mortelles mais si ridiculement inoffensives pour le moment. On n'a jamais combattu côte à côte, avec la jeune, nous n'avons aucun automatisme mais nos déplacements se complètent parfaitement. L'expérience du combat nous apporte cette capacité de s'adapter pour bouger en rythme, dans une gestuelle souple, maîtrisée. Alors, dans un tandem remarquable, on écrase l'opposition.

                  Seule différence, quand j'épargne ma poudre, quand je réfrène ma fougue et me contente d'assommer les têtes bien vides et mal protégées, magnanime, ma redoutable partenaire taille, tranche et égorge sans témoigner de pitié à un adversaire trop faible pour représenter une menace. Le ressentiment est trop grand, quelqu'un doit payer pour l'affront et les traitements subis, alors dans le doute, ce quelqu'un devient tout le monde. Elle a le geste violent, le souffle fort et les traits crispés. Elle va être difficile à canaliser. Pour le moment, ce n'est pas un problème, mais quand les vrais ennuis vont commencer...

                  Schlak. Un autre torse qui se déchire, pris à dépourvu par une allonge supérieure et une science du combat imparable. La jeune en veut encore mais je la retiens. Il n'en reste plus que quatre, déjà, et ils n'en redemandent pas. Au contraire, ils opèrent une retraite stratégique. La stratégie étant de fuir. Échange de regards avec Mirabella. Elle me darde, mécontente; elle aurait volontiers achevé le travail. Mais je fais non de la tête. On a un plan à suivre. Elle rumine une seconde avant de hausser les épaules.


                  Ça va ?
                  Ça va.
                  Bien.

                  On croit pouvoir respirer mais déjà, ça repart. Une explosion souffle la fenêtre de la chambre, celle-là même par laquelle Paolo a fui. C'est quelque chose de puissant, qui nous bouscule sévèrement. Je pose un genou à terre et me protège la tête une seconde, en attente d'une nouvelle secousse. Elle ne vient pas. Je me relève. Des ennemis, dans ce cas ? Nul grappin, nulle échelle. Ce serait une diversion... Pas de temps à perdre. J'ausculte la pièce, dans la nappe de fumée qui se dissipe vite. Ça ne ressemble pas à une explosion classique; pas d'odeur de poudre ou de cadavre de tonnelet qu'on aurait projeté jusqu'ici. Au lieu de ça, des petites flammèches jaunes et vertes qui grignotent le chambranle de bois peint sur quelques centimètres, s'essoufflent, puis s'éteignent. Je ne sais pas ce que c'est, mais ça présage du musclé. Le plat de résistance arrive.

                  On pourrait l'attendre ici. C'est vrai, le coin est plutôt confort, on y est bien calés. Dans un espace restreint, les vagues d'assaillants sont inefficaces; l'avantage du nombre est annulé par la configuration de l'endroit. Mais il y a toujours cette vieille carcasse de Guillermo à aller secourir. Pas que sa bonté naturelle m'ait séduite, mais quitte à faire les choses, autant les faire bien. Et autant se tenir à ce qui a été prévu. Je dis à Mirabella d'aller se poster au niveau du couloir, d'où elle pourra me prévenir quand l'assaillant déboulera. Pendant ce temps, je recharge mes pétoires, me roule une deuxième tige et prépare une petite surprise pour nos futurs invités. Parce qu'à ce rythme, les choses ne vont pas tourner à notre avantage.

                  Il nous faut trouver un moyen de mettre hors-combat les vagues de menu fretin sans avoir à dépenser d'énergie. Sinon, elle nous fera défaut pour le grand final. Déjà que j'ai dû m'employer face à Rockat, ce ne serait pas du luxe de s'offrir ce coup de pouce. Et ça tombe bien, j'ai la solution. Ils ont voulu jouer à faire péter des trucs, je me prends au jeu.


                  Voodoo Bluff.

                  Deux poupées de chiffon retombent de mon bras et se consument au sol tandis que de mes entrailles de paille, deux barils de poudre de petit calibre apparaissent. Mèche courte. Je souris. Voilà des joujoux fort plaisants qui divertiront j'en suis sûr les premières lignes à se ruer sur nous en vociférant. Mirabella m'a regardé faire avec un rictus de dégoût et d'incompréhension.

                  Bah quoi ?
                  T'es bizarre comme type.
                  Héhé, t'occupe. Dis moi plutôt s'ils arrivent, j'fais à la tueuse en exhibant les barils.

                  Elle a compris à quoi je destinais ce bel équipement. J'entends que ça cavale, dans les escaliers. Il va être temps.

                  Prêt ?
                  À ton signal.
                  Attends, attends... maintenant !

                  J'allume les mèches avec ma clope. Elles brûlent vite. Je balance un premier baril avant de sortir dans le couloir, puis un second dès que le premier a explosé et que je suis sûr de me retrouver à couvert derrière un épais manteau de fumée noire.

                  Baoom.

                  La vache, ça secoue. L'intégralité des fenêtres du couloir se brise, la ruée des hommes de main se retrouve implacablement fauchée par le souffle de l'explosion. Objectif largement rempli. Je chasse la fumée devant moi et gueule à l'attention de ceux qui doivent pas en mener large, de l'autre côté de l'écran.

                  C'est comme ça qu'on fait des...
                  Chemical Juggling !
                  Hm ?

                  Une petite sphère colorée fend la brume et fond sur moi à toute allure. C'est rond, rapide et j'aimerais pas m'en ramasser une dans la tronche. Je bascule en arrière et esquive au dernier moment même si je manque de me retrouver sur le cul. L'auréole de lumière finit sa course dans le premier mur qu'elle percute, dans mon dos et une nouvelle déflagration balaye le couloir entier. Même principe que tout à l'heure dans la chambre. En plus costaud. Je tousse un coup. Je sais pas encore qui, mais je sais qu'il m'emmerde déjà.

                  Les rugissements ont déjà repris. Les buses d'en face sont ragaillardies. À leur place, je le serais sans doute un peu aussi. Un premier rideau d'ennemis surgit. Mirabella sort son deuxième katana. Derrière son air effronté, toujours ce sale rictus qui confirme que la dragée est pas encore digérée. Il va encore falloir la surveiller, celle-l...

                  Je te les laisse.
                  Non, ne... !

                  Trop tard. Elle a déjà disparu dans la purée de pois. Hé merde. Il est passé où, le travail d'équipe ? Je l'appelle, en vain. Pas le temps de la chercher, j'ai une dizaine de malabars sur le feu. Des machins de plus de deux mètres de haut. Pas un en dessous du quintal. Du beau bestiaux. Soit. On va pas y couper. Je vais devoir m'en occuper moi-même. Mais d'abord, je finis ma clope.

                  Les gars, je sais pas qui vous a dit qu'vous aviez une chance face à moi... 'ff... mais il s'est bien foutu d'vos gueules.

                  J'fais craquer mes doigts. On y va.
                    La demeure des Alvarez a une triste mine après que Kissin ait exprimé ses talents cachés. Plusieurs pièces sont en feux, enfumant celles qui n’ont été que soufflées par les explosions. A l’intérieur, c’est un véritable chaos alors que Rik fait craquer des os après craquer ses doigts, d’autres tentent de fuir les lieux à la recherche d’un air plus frais et d’un sol plancher moins brulant. D’autres affluents dans l’autre sens, pour venir prêter mains fortes à leurs amis et associés, la plupart convaincus que si les premiers ont été vaincus, les intrus sont maintenant blessés et fatigués. Et il est temps de vendanger les raisins bien murs pour en extraire tout son jus. La reconnaissance de Cineyair est une chose qui peut être assez agréable à l’avenir, quitte à en perdre un bout ou deux. A l’extérieur, le chaos est tout aussi présent. Une vingtaine d’individus, principalement membres du personnel des Alvarez, s’organisent pour apporter de l’eau jusqu’à la maison afin d’éteindre l’incendie, ou au pire, d’éviter qu’il ne se répande. A l’inverse, les autres chasseurs de primes n’ont que faire de l’incendie qui se déroule sous leurs yeux. Et le principal responsable dans l’affaire se dédouane de toute responsabilité, n’hésitant pas à mettre un peu d’huile sur le feu, sous la forme de bulles de Chemical Jungling lancé sur la propriété.

                    Si les cris de douleur au premier étage laissent supposer qu’un des deux intrus s’amuse follement avec des gros bras de l’organisation, rien ne dit que le deuxième l’accompagne. Et Kissin fait cette erreur de les croire ensemble. S’approchant un peu trop près, il est surpris par une lame visant à le découper en deux, surgissant de la fumée plus qu’opaque. La lame vient trancher son aine tandis que Mirabella exécute une roulade sur le sol afin d’éviter la bulle explosive qui vient lui frôler les cheveux en réponse à cette attaque. Se relevant, elle remarque Cineyair et fait un pas dans sa direction, bien décidé à lui faire payer ce qu’elle a pu endurer. C’est sans compter sur Kissin qui a besoin de bien plus pour être vaincu. Sa lame s’abat dans les airs, tranchant l’air et passant devant le petit nez de Mirabella. Elle s’est arrêtée un instant avant. Elle aurait été tranchée de tout son long sans cela. Le sang coulant de la pointe de son nez, elle se tourne vers le chasseur de primes qui lui fait bien comprendre par son silence, caché derrière ses lunettes noires, qu’il ne le laissera pas s’approcher de son vivant. Le côté blessé, un main dessus, il parait pourtant affaibli.

                    Il fait apparaitre une petite boule dans sa main qu’il s’amuse à faire passer entre ses doigts avant de l’appliquer sur sa blessure. Une brève explosion s’ensuit, arrachant un grognement de douleur à Kissin tandis qu’une fumée s’échappe de sa blessure. Cautérisé d’urgence, le chasseur de primes empoigne son sabre à deux mains sans faiblir.

                    Non loin, Cineyair observe, le visage partagé entre le doute et la colère. Soudain, son escargophone sonne. Étonné, il décroche, sans se douter de la nature de son interlocuteur.

                    -Ici Cineyair, qui êtes vous ?!
                    -Arfarf ! Mon petit CIneyair, tu ne sens plus l’arrivée de ton maitre, maintenant ? Petit toutou !

                    Il n’y a pas grand monde qui se permet de parler ainsi à CIneyair. Beaucoup parmi ceux qui le pourraient ne le connaît pas. Et parmi ceux qui le connaissent, ils sont encore plus rares. Pour se permettre d’être si familier avec lui, il faut s’appeler Midas et s’enorgueillir d’être le chef de la plus grande organisation de chasseur de primes des Blues, et une des plus grandes du monde. Midas Finnegan. Le patron des chasseurs de primes.

                    Le patron de Cineyair.

                    Celui-ci devient instantanément livide. Son chef vient appelle au pire moment possible.

                    -Midas …
                    -Ouai ! C’est moi ! Tu m’as reconnue, c’est que t’es un bon petit clebs, tu sais ?
                    -Pourquoi m’appelez-vous… boss ?
                    -Mais enfin, mon petit Cineyair, j’aime avoir de tes nouvelles ! Comment ça va ? ça se passe plutôt bien à Whisky Peak ?

                    Cineyair perçoit tout de suite la moquerie derrière les paroles de son chef. Midas sait. Et il perçoit aussi une douce colère attisée son ironie. Le chasseur de primes décide de jouer franc-jeu ; c’est le seul jeu possible avec Midas.

                    -Comment … ?
                    -Arfarf ! Tu es encore plus idiot que je le pensais. Tu croyais vraiment que je n’avais pas des hommes qui me sont plus fidèles à moi qu’à toi parmi tes larbins ? C’est pour ça que tu ne vieilliras pas vieux. Tu es trop bête !
                    -Ecoute-moi, Midas. Je peux tout arranger. Rien n’est encore trop tard ! On va éliminer les intrus ! On a le fils Alvarez avec nous !
                    -Oh. Mais j’espère pour toi que tu vas arranger ça. Tu sais bien que rien de ce qui se passe ici ne saura salir la réputation de la BNA. Et la BNA ,c’est moi. Si t’arrives pas à régler ce merdier, tu resteras dans les mémoires de l’organisation comme celui qui a tenté de profiter de ma bienveillance pour mener ton petit business illégal ! Un chien enragé.
                    -T’as ma parole…. Je m’en occupe personnellement.

                    La voix de Midas se fait tout de suite sans moquerie. Juste une froideur extrême, inhumaine.

                    -Je l’espère, CIneyair. Car n’oublie pas. Les chiens enragés, on les pique. Si tu échoues, qu’importe la niche miteuse où tu viendras te réfugier, je viendrais te chercher. J’ai des tas de nouveaux chiens aux dents longues qui ne demandent qu’à se faire les dents sur les brebis galeuses.
                    Arfarfarfarf !
                    Je te laisse CIneyair. J’espère que ça n’a pas été notre dernière conversation. Tu sais ce qui te reste à faire, non ?

                    Et il raccroche, laissant Cineyair au bord du précipice. Il n’est qu’un pion sur le plateau de Midas et un pion qui échoue, il saute. C’est à son niveau que les responsabilités s’arrêteront. Et que les têtes tomberont. La mine grave, Cineyair examine la situation sous un angle bien différent d’il y a cinq minutes. En face, Mirabella est toujours aux prises avec Kissin. Cineyair laisse échapper un sourire au milieu de son malheur.

                    Le combat bat son plein. Mirabella parvient à maintenir en respect son adversaire grâce à son agilité et sa souplesse peu commune, transformant ses déplacements en un balai d’artiste. A l’inverse du Chemical Juggling, Mirabella a son fruit du démon à lui opposer. Mais le fruit de l’huile de Bronzage ne semble pas aussi intéressant que le pouvoir de Kissin. En face, ce dernier fait pleuvoir les bulles explosives, au plus près de son ennemi, mais sans la blesser suffisamment. Son heure viendra où il pourra profiter d’une ouverture pour lui rendre la monnaie de sa pièce et tailler sa chair. Et tel un loup, Cineyair s’approche dans le dos de Mirabella afin de l’achever d’un coup. Complètement concentré sur l’esquive des bulles explosives, elle n’a pas saisi le regard complice entre les deux chasseurs de primes, ni que Kissin fait en sorte de la maintenir dos à CIneyair.

                    Il s’approche. La lame est brandie.
                    Et un coup de feu part.
                      In extremis. Un petit projectile part du canon de l'arme, fend la fumée dense qui règne partout pour venir suspendre le geste qui aurait fauché la vie de la jeune sauvageonne à la clairvoyance évanouie depuis sa récente captivité. La balle vient zébrer la joue de Cineyair au moment où il se faisait bras armé de la Faucheuse; elle l'égratigne à peine, mais la sensation d'être passé à un pouce simplement de la mort suffit à figer une seconde la grande carcasse du chasseur de primes. Son regard ne ment pas, il exprimait la peur. Quand on s'apprête à porter le coup fatidique, on abandonne toute défense, on n'envisage pas la possibilité d'une menace, c'est un mécanisme humain. La frayeur qu'il y a à frôler le trépas n'en est que plus saisissante. Alors, ça panique sous sa tignasse rousse, un bref instant. Son bras se bloque et quand il conclut enfin son mouvement, il ne chasse que le vide, il ne maltraite que le carrelage qui saute sur un bon mètre de rayon autour du point d'impact. Il ne lui aura pas fallu longtemps pour recouvrer son aplomb et se décider à achever sa vile besogne mais Mirabella a été la plus prompte. Ses réflexes ont une fois encore sauvée la bretteuse aux tatouages. En un bond de recul, elle a rétabli une distance de sécurité entre elle et le duo d'ennemis. Son visage est marqué par l'effort, sa respiration saccadée; sa peau moite de transpiration porte les stigmates des explosions auxquelles elle échappe au prix d'efforts de contorsion et d'équilibre remarquables. Mais elle n'a pas été meurtrie dans sa chair, au contraire du type à la coupe afro. Si le combat prend en longueur, c'est un détail qui aura son importance. Il possède un pouvoir redoutable mais il est atteint. Ceci dit, à sa façon de rester stoïque derrière ses lunettes de soleil, on imagine aisément que la grande asperge a de la ressource et ne sera vaincue qu'à la condition de se livrer pleinement et sans retenue dans l'affrontement...

                      Mais pour le moment, nul combat. Mon intervention a suspendu les hostilités. J'ai le temps d'arriver sans hâte depuis l'autre bout du couloir, tous m'attendent. Les nappes de fumée se déchirent sur mon passage, les corps inanimés composent une haie d'honneur improvisée plutôt présentable; le tout me ménage un petit effet appréciable pour mon irruption dans ce qui s'apparente au combat final. Je n'ai plus de clope au bec, dommage. Et j'ai épuisé mon quota de répliques fanfaronnes en même temps que ma patience, à affronter des seconds couteaux trop longtemps. Tout ce que j'y ai gagné, c'est une estafilade à l'épaule. Alors je ne frime pas plus que ça, et je me garde de balancer l'une ou l'autre pique de ma collection. De toute façon, j'ai pas bien envie de parler, toute cette fumée m'assèche et me brûle la gorge à la fois. Autant zapper la phase des bravades, des aphorismes cinglants et autres civilités.

                      Je viens me caler à côté de la jeune, mains dans les poches et toise les tueurs professionnels. Ils ne sont pas plus impressionnés par moi que moi par eux. Prévisible, les procédés d'intimidation ne portent jamais leur fruit quand on affronte des gaillards de cet acabit. Et inutile d'en passer par la phase des négociations, ce serait peine perdue. Non, on va se battre, et le plus fort l'emportera, voilà tout.

                      Ils n'ont pas l'air prêts à briser la trêve. C'est qu'il faut leur forcer la main. Je baille, une seconde. Et balance :


                      J'attends.

                      Le samouraï des îles va pour relancer le combat. Cineyair lève une main pour le retenir.

                      Attends, Kissin.

                      Puis il me parle :

                      T'es qui, l'étranger ? Pourquoi te dresses-tu sur notre chemin ?
                      J'ai mes raisons.
                      Ce n'est pas ton combat, dégage.
                      Ça va pas être possible, navré.

                      Le ton est léger, mais ferme. Je n'imaginais pas poil de carotte du genre à essayer de transiger; plus à tout écraser sur son passage. C'est qu'il n'est pas si serein que ça. Son visage se crispe tandis que je lui demande :

                      Inutile de vous demander de vous rendre sans faire d'histoire, hm ?
                      ...
                      Mouais. Je m'disais aussi...

                      Nouveau silence. Kissin piaffe d'impatience. D'ardeur contenue. Il crache au sol; puis quelques mots : " C'est trop long. ". Dans la paume de sa main se façonne une autre de ses boules explosives aux effets redoutables. Personne ne l'exhorte à garder son calme, cette fois. On est prêts. Chacun a raffermi sa prise sur son arme, la tension devient tellement étouffante qu'enfin se ruer à l'assaut à valeur de libération. Simultanément, les quatre corps bondissent.

                      La sphère lumineuse fuse vers nous. Mirabella esquive d'une glissade sur les genoux qui va la mener devant Cineyair, moi je bondis au dessus du projectile pour fondre sur son acolyte. Il m'attend, les deux mains sur la garde de son katana, prêt à trancher net, de haut en bas. Je ne lui en laisse pas le temps, je fais feu avant.

                      Bang.

                      L'œil du profane n'aurait rien vu, on pourrait aisément supposer que j'ai manqué mon coup mais il n'en est rien. J'ai visé juste au contraire. Seulement, dans un mouvement fluide, sûr, le bretteur a tranché ma balle sur le fil de sa lame. Sans reculer, sans chercher à esquiver. Les deux moitiés de la cartouche ont giclé au loin sans l'atteindre. Il est très fort. Et il attaque. Il m'en coûte une parade non conventionnelle, mes deux pistolets en garde croisée, pour contrer le coup de taille qu'il me destine tandis que je retombe au sol. C'était moins une. Au corps à corps, je n'ai pas le dessus, c'est net; mais si je reste à distance, il me tirera comme une poule de foire avec ses bulles redoutables. Des deux maux, je choisis le moindre. Le contact. Si j'annule l'avantage des lames, j'aurai mes chances; alors je resserre encore la distance.

                      Un balayage circulaire vient le faucher à mi-cuisse tandis qu'il confectionnait une nouvelle bombe. Il perd ses appuis, la flamme s'éteint et je me rue sur lui. Ma pogne droite part loin derrière l'épaule et vient fondre sur son visage, chargée de toute la hargne qui m'habite, avant que l'autre n'ait pu se défaire de moi. À cette distance, je ne peux pas le louper. Je dois le sécher; en un coup.

                      Boom.

                      Les chairs s'ouvrent. Ça saigne. J'ai précipité mon poing sur le plat de sa lame. Il s'en est servi pour contrer mon coup. Ma paluche est ciselée de deux larges traits rouges, maintenant. Kissin grimace, conscient qu'il vient de l'échapper belle tout de même. Il ne s'attendait pas à ce que je sois si fort. Moi je serre les dents. J'ai agi dans la précipitation, il m'en coûte une furieuse douleur. Mais je suis dur au mal. Il m'amène à un nouveau degré de colère. Il renforce ma conviction que je peux briser l'ennemi. À tel point que j'arme une nouvelle frappe, indifférent à la menace de l'arme blanche. Ce coup-ci, je ne me dérobe pas, quitte à y perdre la main. Le poing s'abat très vite une deuxième fois, encore plus dur, encore plus mauvais. Le choc entre la chair et le fer est en ma défaveur; j'ai rarement autant morflé de toute ma vie mais je m'en fous. J'insiste. Je concentre toutes mes forces dans mon mouvement. L'afro-boy croit un temps bloquer mon attaque mais il n'en est rien. Son sabre vient juste freiner le mouvement, un peu. Il ne l'endigue pas. Il n'en a pas les moyens. Et de le sentir résister m'encourage toujours plus à l'anéantir. Je hurle ma rage. Je prends le dessus. Si bien que ma droite vient s'écraser contre sa joue, malgré le métal qui vient griffer son visage à l'impact. Y'a deux ou trois dents qui sautent, et moi j'appuie toujours plus, je creuse presque sa mâchoire tant je l'écrase.

                      Il est mal. Il est terriblement mal, il en lâche même son katana. Je suis convaincu qu'en deux pralines de plus, je lui fais la peau. Mais il a toujours son atout redoutable pour lui, et la lueur rougeoyante qui menace me force à lâcher prise avant d'avoir pu en finir. Vite, reculer et...


                      Attention, Rik !

                      Un cri, sur ma droite. C'est Mirabella, adossée contre un mur au milieu d'une pluie de débris de verre. Elle est salement mal en point. Recouverte de multiples entailles, certaines profondes. Elle baigne dans une flaque de sang, incapable de se relever.  Merde, où est Ciney...

                      Schlak.

                      Une déchirure qui remonte, sur toute la longueur de mon dos. Trop tard. Je me cambre sous l'effet de la douleur mais étouffe mon cri dans le fond de ma gorge. Je suis trop énervé pour ça. Gnh'...


                      Tu aurais dû m'écouter, l'inconnu !

                      Je jette un œil juste derrière moi. Et je vois le sourire carnassier du boss de la BNA sur l'île qui me surplombe. L'enfant de salaud. Il m'a pas loupé. Je suis mal. Je suis très mal. Il me colle un taquet derrière les genoux qui me force à courber l'échine.

                      Kissin !!
                      Chemical Juggling !

                      J'aurais dû l'achever celui-là, avec ses petites loupiotes ardentes. Il a pas fière allure après la pêche qu'il a ramassé, mais il a encore la force de projeter une ultime sphère sur moi. Moi aussi, j'ai manqué de vigilance. C'est un mécanisme humain, j'y peux rien. La menace arrive, aveuglante. Explosive. J'ai même pas le temps de hurler ma frustration de m'être fait avoir comme un bleu. J'entends encore Mirabella hurler et puis...

                      Le grand boom.


                      [...]

                      Haa... Haa...Oh, merde. Je suis pas encore mort. J'étais juste sonné. Finalement, je suis plutôt coriace dans mon genre. Bien joué, Caporal. Hm... J'ai du mal à bouger. Je bouge pas tout court, en fait. Je suis sous les gravas. Le plafond s'est écroulé sur moi. C'est lourd. Et j'ai du mal à respirer. Gnh... J'ai le torse brûlé, je sens cette douleur qui fourmille, partout, insupportable. Et mon blazer est cramé. Bordel, c'est pas humain de faire ça. Hadoc, je t'enverrai la facture du couturier. C'est à cause de toi, tout ça. Moi qui pourrais siroter un bon rhum quelque part sur une plage. Qu'est-ce que tu me fais pas faire Capitaine...

                      Yahaha, à ton tour, merdeuse !
                      Mais d'abord, on va s'amuser un peu !

                      Des voix. À côté. Je tourne la tête, à peine. J'entrouvre les yeux. C'est flou. Hm, la vision se remet en place, petit à petit. Ça y est, je les vois. Cineyair et Kissin. Ils sont encore là. Ils rigolent, debout. Elle pleure, recroquevillée. 'ff... v'là autre chose. Va falloir sauver cette petite peste. Alors que tout ça, c'est un peu sa faute aussi. Et un peu celle du Commandant, ce Ragnar. Ils sont où, les renforts ? En fait, c'est un peu la faute de tout le monde. Sauf la mienne. Moi j'y suis pour rien. Pff... Ce que j'ai envie de fumer. Je sens plus ma blague à tabac dans ma poche. Tant pis. On fera sans. Allez, debout vieux clou. T'as pas tout à fait fini ta journée.

                      Le gravier tremble. Je me dégage des ruines. La poussière s'agite. Je me lève. C'est un bon début. Je respire profondément. Les deux chasseurs de primes m'ont entendu. Ils se retournent. Fiers, arrogants. Ils me parlent, je n'écoute pas. Je me focalise sur l'essentiel. Inspirer. Expirer. Rassembler mes forces. Ça fait déjà beaucoup.

                      Je fais un pas, un autre. Hm, je suis encore presque fringuant, la carrosserie est pas trop bousillée. Juste le poitrail, le dos, ma main droite et le reste un peu aussi. Ça pourrait être pire. Je m'arrête. Je les toise. Juchés sur leur trône de suffisance. Ils se gargarisent de ma mine pitoyable, couverte de poussière et de sang. Vous ne rirez plus longtemps. Sous prétexte que je suis un mec cool, on imagine qu'on peut me latter la gueule sans en payer les conséquences. Erreur.

                      Kissin vient me tourner autour comme le fauve qui a acculé sa proie et s'apprête à passer à table. C'est ça, chante, idiot. Il vomit encore des mots, des tas de mots. Des méprisants, des pas très audibles surtout, parce que mine de rien, je lui ai savamment refait le portrait. Cineyair se repait du spectacle. Je le fixe, lui. L'œil mauvais, habité d'une petite étincelle facétieuse. Il fronce un sourcil. Et il flaire le danger, enfin. Son bras-droit continue de me narguer, imprudent.


                      Kissin, attention !

                      Trop tard.

                      Ma patte gauche part, nerveuse, va s'écraser contre la poitrine du bretteur qui crache un flot de sang et s'agrippe à moi, incapable de répliquer. Mais tandis qu'il pense étreindre mon poignet, il comprend; et la surprise le fige. Non, ce n'est pas un amas de chair et de peau qu'il serre désespérément. C'est un fétu de paille. Et ce n'est pas un poing, qui vient de le frapper. Ce sont trois clous de la taille d'un crayon et affûtés comme la plus redoutable des lames qui viennent de perforer son torse.


                      Un... un fruit du démon ?

                      Hé oui, tout le monde planque une carte maîtresse dans sa manche. Sous ce regard que la vie quitte, je finis de me transformer en poupée vaudou, haute de trois mètres de haut. La prise de Kissin sur mon bras se relâche, je me libère. Cette fois-ci, c'est moi qui surplombe Cineyair. Il est agité, animé d'un étrange mélange de haine et de peur. Je le fixe, impassible tandis que le corps de son second s'écroule à mes pieds.

                      Oups.
                        Cineyair se sait fort. Suffisamment fort pour être le meilleur chasseur de primes sur cette ile. Mais Cineyair sait qu’il n’est pas le plus fort du monde. Il y a des gens bien au-dessus de lui. Détenant des pouvoirs dont il ne connaitra jamais les secrets. Cineyair veut du pouvoir, mais il se sait limiter à rester un lieutenant. Un lieutenant puissant certes, mais rien qu’un sous-fifre de qualité. Et en l’occurrence, suite à sa conversation avec Midas, son rôle est passé à celui de fusible. Il est là pour sauter. C’est ainsi qu’en se rendant compte de toute a puissance maintenue secrète jusque-là chez son adversaire que le chasseur de primes est en proie à une terreur folle. Rik Santa n’aurait pas dû se relever. Il était tranché, écrasé ; au bord de la mort. Ils étaient deux à l’avoir rendu ainsi blessé. Ils ont dû se mettre à deux. Et maintenant, l’homme qui n’était pas d’ici s’est relevé et a montré ses talents les plus cachés. Un pouvoir d’un fruit du démon. Par n’importe lequel. Pas de ceux qui te donnent un petit pouvoir  pratique en certaines occasions. Un de ceux qui transforment le corps, le dotant de propriétés aussi mystérieuses que probablement terrifiantes. Kissin en a fait les frais et choie au sol, immobile, sans vie. Cineyair est désormais seul, au milieu d’un domaine en proie aux flammes et au chaos. Il est acculé. Et même au fond de sa connaissance, il se doute du pouvoir détenu par Rik Santa. Un pouvoir qui a été détenu par des individus qui ont prouvé au monde qu’il n’était pas rien. QU’ils étaient plus que des sous-fifres. Ils étaient quelqu’un.

                        Il n’y a aucune échappatoire.

                        -Aidez-moi ! Sus à l’ennemi ! Protégez votre chef ! Protégez vos vies !

                        Désormais, il n’y a plus qu’à sacrifier tous ceux qui peuvent lui être fidèles pour sauver sa vie. Il n’y a plus que ça qui compte. Son honneur ne vaut rien face à la vie. Il a été dupé par son chef, amené à se mouiller pour les bienfaits d’un autre. Autour des deux combattants, il y a encore plusieurs dizaines de chasseurs de primes, courant pour leur vie, ou assistant à la mort de Kissin avec des yeux emplis d’effroi. Certains lèvent leurs armes, d’autres les abandonnent pour rejoindre les fuyards. Tous n’ont qu’une évidence en tête : ce monstre vaudou tuera tout le monde, sans exception. Totalement apeuré par son monde qui s’écroule, Cineyair tombe au sol, rampant en arrière, résistant à peine à la lente marche de l’ex-caporal dans sa direction. Ses yeux vont en tous sens, cherchant une aide-salvatrice, mais celle-ci vient là où ces yeux ne peuvent voir. Derrière Rik. Et Mirabella a beau prévenir Rik, il est déjà trop tard. L’homme brandit son sabre et vient le planter dans l’immense poupée vaudou.

                        En se retournant vers l’auteur de l’assassinat, Rik a une surprise. Devant ses yeux devenus inhumains, il découvre les traits fatigués et souffrants d’un homme qui est resté fidèle à son chef malgré la trahison et l’abandon. Abandonné en forêt, il s’est trainé vers le domaine des Alvarez dans le but de le prévenir, de prévenir CIneyair. L’évanouissement l’a pris. Plusieurs fois. Les rumeurs de ses blessures l’ont empêché d’aller au rythme qu’il aurait voulu avoir. Et tous ces contretemps l’ont amenés à arriver trop tard au domaine, constatant les gardes en panique et son chef en proie à la peur primitif de l’homme faisant face à la mort. Son sang n’a fait qu’un tour.

                        Et Rockat a plongé sa lame dans le corps du monstre.

                        Malgré ses blessures, malgré qu’il soit incapable de tenir tête à nouveau au monstre, malgré qu’il n’ait aucune connaissance sur le moyen de tuer ce monstre d’un seul coin. Rockat a essayé. Et alors qu’il a totalement négligé le fait d’être sous l’emprise d’une poupée vaudou, celle-ci pourrait être la source d’une cruelle ironie.

                        CIneyair ne sera pas là pour voir la chute du compagnon qu’il a abandonné sans remords. Profitant de la diversion, il s’est relevé pour foncer vers ses hommes, se frayant un chemin au travers du cordon qu’il formait, avant de leur désigner la poupée vaudou.

                        -Abattez-le ! Feu !

                        Les hommes s’apprêtent à tirer et des coups de feu partent. Cineyair comprend trop tard que cela vient d’ailleurs. Des individus embusqués, tirant avec une précision chirurgicale, touchant les bras et les jambes des chasseurs de primes, les réduisant à se rouler par terre en gémissant de douleur. Surgissant de la porte principale du domaine, c’est un continent de marines hurlant avec vigueur, Ragnar à leur tête, qui prend possession du domaine, arrêtant les chasseurs de primes et protégeant les innocents. Mais déjà Cineyair s’enfuit en désespoir de cause, au milieu des champs, en n'espérant qu’une seule chose : que le monstre ne le rattrapera pas.
                          Quelque chose vient se ficher dans la paille. Tourne un coup sec. Étrange sensation. Je ressens une gêne, mais pas une douleur véritable. Merci Calchas. Je ne le dirai jamais assez, ce pouvoir est tout bonnement parfait pour moi. Sans lui, je ne pourrais pas me payer le luxe de me retourner, presque impassible, pour dévisager calmement celui qui a cru pouvoir me mettre à terre.

                          Toi...

                          Rockat. Je suis surpris de le voir là. Et admiratif, en un sens. Ce type a un profil inhabituel, il est respectable. D'accord, il manie la fourberie mieux que le cuistot ne se sert d'une casserole, et d'accord, il vient de me planter un surin dans le dos sans vergogne. Mais il y a quelque chose de noble dans son attitude. Il est prêt à tout sacrifier, y compris lui, pour réaliser son devoir. Sa loyauté forcenée, qu'il voue à un supérieur qui n'en est pas digne; cette faculté de se transcender, de passer outre la douleur et de continuer le combat; et aussi, la détermination dont il fait preuve face à la mort. Car l'homme n'est pas sot. Il savait en m'attaquant, moi qui ai dévoilé mes pouvoirs ultimes, qu'il n'avait pas une chance de me vaincre. Et pourtant, il n'a pas tremblé au moment d'agir. Des qualités précieuses, de plus en plus rares. Hadoc l'aurait apprécié, en d'autres circonstances.

                          Et maintenant, un filet de sang coule doucement à la commissure de ses lèvres. Une poupée éventrée tombe au sol. La main qui maintenait fermement l'arme par la garde se reporte sur son poitrail, largement ouvert, d'où le sang s'échappe abondamment. Rockat a provoqué sa propre mort. Ses traits marquent la souffrance, ses rides crispées la résignation, mais son regard reste franc. L'homme est digne de louanges.

                          Tu as été un bien plus grand adversaire que ton maître.

                          Il cligne des yeux et sourit faiblement, comme en marque de reconnaissance. Et le corps du vieux soldat retombe au sol, à côté de sa poupée. Il la caresse délicatement du bout des doigts, une seconde. Et puis il ne bouge plus.

                          Autour de nous, les rares chasseurs de primes et employés du jeune Alvarez encore valides ne jouent pas aux héros. Le contingent marine est supérieur en nombre, en science militaire et a l'avantage de la surprise. Lutter est inutile. Il ne font ce job que par appât du gain, pas par sens du devoir. Bien vite, les sabres et les fusils reposent au sol, et les mains se dressent bien haut au-dessus des têtes. La reddition est acceptée par Ragnar. Les ennemis sont faits prisonniers, et j'entends déjà parler de libérer le vieux Guillermo qui doit se demander par quel miracle il a pu réchapper au putsch de son fils, lui qui croupit dans les profondeurs des caves.

                          Les marines s'assurent de passer les fers aux criminels, de s'occuper des blessés graves. Leurs premières attentions ne se reportent pas sur nous et c'est tant mieux.  Ma position n'est guère confortable en compagnie de tous ces anciens collègues. Si le Commandant se veut tatillon, il ne manquera pas de me ficher sous étroite surveillance le temps de vérifier mon identité, si ce n'est pas déjà fait. Et mon avenir ne s'en trouverait pas amélioré. On ne réserve rien de bon aux déserteurs. Je dois filer, moi aussi. J'avise la fenêtre brisée. Puis m'enquiers de l'état de Mirabella. Elle est salement amochée, c'est vrai, mais elle survivra.

                          Ça va, tu peux marcher ?
                          Pas vraiment.
                          Bon... pas le choix.
                          Pas le choix ?

                          Je soulève par la taille la jeune tueuse en dépit de son refus manifeste et la charge sur mon épaule valide. En un pas, je suis à la fenêtre. Mon regard croise succinctement celui de Ragnar. Toujours cette petite lueur amusée de celui qui apprécie la partie. Il sait. Je peux le voir. Je n'attends pas. Je saute.

                          Nous voilà six mètres en contrebas. Je jette un regard vers le haut. Il est là. Il ne donne pas l'alerte, il ne semble pas contrarié. Non, il me regarde simplement faire. Le spectacle lui plait. Peut-être parce qu'il est certain de pouvoir me rattraper. Peut-être parce que ça lui est égal, dans le fond; l'essentiel pour Whiskey Peak était ailleurs et grâce à moi, il est désormais acquis. Je repose Mirabella qui a décidé qu'elle était finalement apte à se déplacer d'elle-même. Et on toise l'officier un petit temps, silencieux. Enfin, je souris.

                          Au plaisir, Commandant.

                          Un salut timide, et on file à travers champs.

                          On fait quoi ?
                          On va retrouver Cineyair. C'est lui notre atout pour quitter l'île. Il a sûrement encore des contacts pour l'aider et s'il ne fait pas ce que je lui demande, il est foutu.

                          On prend la même direction que celle empruntée par le grand chasseur de primes juste avant nous. Il a peut-être une minute d'avance. Et la cadence de Mirabella joue en notre défaveur. Il ne faut pas longtemps à la jeune pour en convenir et m'autoriser à filer.

                          Vas-y, je te rattrape.
                          Sûre ?
                          Va.

                          Je file. Une course-poursuite à travers champs s'engage. Et j'ai l'avantage. La grande carcasse de Cineyair joue en sa défaveur. Ici, il n'a aucune chance de se tapir pour échapper à ma vigilance. Je serre les dents et me mets à cavaler pour combler le retard. Ce que j'imaginais être une tâche ardue se révèle presque trop facile. Dès le moment où j'aperçois la tignasse rousse du chef de la BNA, je sais que je vais le rattraper. D'abord, je hurle, pour lui signaler ma présence. Et, dans le temps où il se retourne, trahi par son corps que la peur fige, je bondis. Il est un peu en contrebas, à encore quelques centaines de mètres de la ville. Mais c'est trop à couvrir pour lui. Il tente maladroitement de repartir, trébuche, roule au sol pour finir pitoyablement étalé dans l'herbe à mes pieds.

                          Son souffle est strident, irrégulier. Son visage ne ment pas, il fera n'importe quoi pour ne pas mourir. Alors je parle, la voix franche, le visage dur.

                          C'est fini. Tu as perdu. Personne ne viendra te sauver parce que personne ne se soucie de toi. Les seuls qui te soutenaient encore était tes subordonnés que tu as lâchement abandonnés. Mais il te reste pourtant un moyen de t'en tirer. Fais-moi quitter l'île. Trouve un bateau qui largue les amarres dans l'heure et qui mette le cap sur la destination de mon choix. Si tu obéis, tu auras la vie sauve, si tu refuses ou cherches à me duper, tu subiras le même sort que Kissin.

                          Et pour bien appuyer mes dires, je confectionne une poupée du chasseur dégingandé sous sa mine prostrée. Derrière, il y a du bruit. C'est Mirabella qui nous rejoint enfin. Je me retourne vers Cineyair. Désormais, il détient la clef.

                          Le choix t'appartient.


                          Dernière édition par Rik Achilia le Sam 13 Juin 2015 - 16:08, édité 1 fois
                            Le regard de Cinéyair passe de Rik à Mirabella, en passant par les champs derrière eux. Une colonne de fumée obscurcit le ciel, symbole des affrontements qui ont eu lieu au sein de la propriété des Alvarez. Les ordres des marines ne sont qu’un écho lointain, mais il ne faudra pas longtemps pour qu’ils en viennent à le traquer. Oui. Cinéyair n’a qu’une envie, celle de vivre. Il ne lui reste que ça, avec le fait d’échapper à une mort lente et dans la douleur. Mais pour cette deuxième solution, ce n’est qu’un mince désespoir ; Midas n’est pas non plus connu pour son gout prononcé des supplices et de la torture. Efficacité et sens du spectacle sont ses mots d’ordre.

                            Le chasseur de prime revient sur Rik Achilia. A nouveau, il cherche à percer à jour l’individu qui reste une profonde énigme pour lui. Détenteur d’un fruit du démon, il semble être un philanthrope pour s’immiscer avec tant d’acharnement dans des affaires qui ne le concernent pas. Est-il un adversaire de Midas, cherchant à réduire la marge de manœuvre du chef de la BNA pour mieux servir ses desseins ? Est-il juste un individu qu’il aurait connu dans son passé et qui aurait une dent contre lui ? De multiples possibilités, mais bien peu de solutions pour en choisir une. Aux abois, Cinéyair a toutefois la possibilité de remettre de l’ordre dans ces idées et de jauger sa marge de manœuvre. La proposition de Rik parait intéressante aux premiers abords : la vie sauve. Une vie sauve temporaire toutefois. Cinéyair connait le monde. Et il connait le pouvoir de Midas. Il le retrouvera. C’est sûr. Nul endroit ne pourra le protéger indéfiniment de sa colère. Il connait bien Cinéyair. Il doit probablement avoir envoyé des hommes là où il penserait trouver refuge s’il en sortait vivant. Quoi qu’il puisse jouer, le chasseur de prime aura toujours plusieurs coups de retards sur son ex-chef. Et ça peut être rapidement fatal.

                            Non, Monsieur Santa, ce n’est pas lui faire une fleur que de le laisser s’échapper. Une chose transparait dans la proposition de son vis-à-vis. Il veut quitter l’’ile. Rapidement. Cinéyair n’est pas bête et il comprend rapidement que Rik Achilia cherche à éviter à tout prix la marine. L’espoir renait. Alors qu’il se sentait totalement à la merci de Rik, il le contrôle dorénavant sur quelque chose. Il est sa porte de sortie. Il le laissera vivre jusqu’à ce qu’il s’en sort. Mais ça ne résoudra pas le problème sur le long terme de Cinéyair. Il lui faut une organisation bien plus puissante que la BNA pour assurer sa protection en échange de ce qu’il sait. Et la marine est tout indiquée pour cette tache. Protéger par celle-ci, déplacé sur Grandline, loin des griffes de Midas, Cinéyair peut revivre. Il n’est pas inoffensif et officiellement, il n’a encore rien fait de mal. On peut le pardonner pour son mauvais comportement en échange de ses services et de ses informations. Rapidement, cette idée lui parait la plus intéressante pour lui. Et il faudra jouer avec habilité. Revenir dans le giron de la marine sans que Rik puisse l’éliminer. De plus, la perspective de jeter celui qui a tout fait foirer dans les ennuis est une consolation inespérée. Cinéyair sourit brièvement.

                            -C’est d’accord. Je te ferais sortir. Mais je ne peux pas faire ça dans l’heure. Blessé, sans hommes et sans support ; je ne sais pas faire des miracles.

                            Gagner du temps, la priorité, malgré la menace de la poupée vaudou. Mais Cinéyair a jaugé les yeux de Rik. Il les a souvent vu, ces yeux. Et il sait que ce ne sont pas des yeux d’un homme qui se plait à faire souffrir gratuitement. Ce sont les yeux d’un homme juste.

                            Un coup de feu éclate. Étrangement, les cris des marines semblent s’être rapprochés dangereusement. Mirabella s’en est aperçu et est parti au-devant de bruit pour savoir ce qu’il en retournait. Elle finit par revenir rapidement.

                            -Achilia. On a un problème.

                            Son regard se porte sur Cinéyair un instant.

                            -Le fils Alvarez a pris son père en otage et tente de fuir. Ils ne sont pas loin, poursuivis par Ragnar et ses hommes. Il ne peut pas aller bien loin, mais je crains qu’il fasse une énorme bêtise.

                            Cinéyair sent qu’il n’aura peut-être pas besoin d’attendre longtemps l’opportunité de mettre sa vie entre les mains de la marine. Dissimulant maladroitement un regard pernicieux vers Rik, le chasseur de primes ne doute pas un instant que la philanthropie de l’inconnu ne va pas s’arrêter en si bon chemin et qu’il est de son devoir de mettre un terme à cette crise sans que l’un des Alvarez y laisse sa peau. Qui sait les répercussions de cette mort sur la fragile ile de Whiskey Peak ?
                              On a un problème, oui. Dans la famille Alvarez, le fils a hérité du père son don de prendre les décisions les plus merdiques possibles. Guillermo otage de son infect héritier ? Je pourrais m'en laver les mains en d'autres circonstances. Le jeune est irrécupérable de naissance et le vieux trop faible pour changer en bien. Les laisser aux bons soins de la marine les destinerait à un juste châtiment. Le Commandant Ragnar a l'air d'un homme fiable. Mais ça ne m'avancerait en rien. Cineyair n'est pas dupe, il sait que j'ai besoin d'un moyen de quitter l'ile et qu'il a désormais un ascendant sur moi. Pour des raisons qui m'échappent encore, il se sent plus à l'abri en restant ici qu'en optant pour la fuite. Difficile de le faire changer d'avis si j'ignore même que lui faire miroiter pour le convaincre. Et, en admettant que je le fasse céder, Mirabella serait là pour me rappeler à ma mission ici, qui n'est visiblement toujours pas achevée. Le sera t-elle vraiment un jour ? Il est trop tôt pour songer à ça. Dans un premier temps, je dois agir. Que faire ?

                              Plan A : commencer à couper en morceaux poil de carotte et la ninja jusqu'à leur arracher un bateau et un cap. Pas vraiment dans mes gênes. Mais ça simplifierait beaucoup les choses.

                              Plan B : confier Cineyair à Mirabella et partir seul déjouer la tentative suicidaire de Paulo. Risqué, la jeune est sévèrement blessée, Cineyair ne manquera pas de tenter sa chance si je m'éloigne.

                              Plan C : aller à la rencontre du père et du fils tous ensembles. Mirabella touchée, notre vitesse de déplacement s'en trouvera largement réduite, mais je m'assure de sa sécurité, et donc d'obtenir d'elle l'endroit où retrouver Hadoc.


                              Alors, on fait quoi ?
                              Plan A, petite. Plan A.
                              Plan A ? C'est quoi, le plan A ?

                              Je sors mes flingues. Vif. Les pointe sur les poitrines de chacune de mes cibles. Le regard torve, le rictus fielleux. Cineyair en reste interdit. Il ne l'avait pas vu venir, je parie. Mirabella oscille entre doute et crainte. Elle répète, hésitante :

                              C'est... c'est quoi le plan A ?
                              Le plan A, merdeuse, c'est celui où toi, tu me donnes la localisation de Hadoc pour rester en vie. Et c'est aussi celui où toi, Cineyair, tu me dégotes un navire pour ne pas finir torturé à la mode vaudou. Il vous plait ?
                              Ce n'est pas ce qui est convenu, tu te souviens ?
                              Je m'en fous. J'en ai plus qu'assez de suivre tes directives. Alors, ça vient, ces infos ?
                              Tu ne tireras pas.
                              Ah tu crois ça ?

                              Bang. La détonation claque. La balle perfore la jambe de Mirabella. Elle s'effondre, fauchée. Cineyair hurle, terrifié. La jeune se met à gueuler :

                              Achilia ! Mais qu'est-ce que tu as fait ?
                              Je prends les commandes. Adieu, idiote.
                              Achilia ! Hé ho ?
                              ...
                              Hm ?
                              Ah, quand même, pas trop tôt. Alors, que fait-on ?

                              Mirabella est devant moi, en pleine forme. Cineyair aussi, impassible. Je cligne des yeux. Quelque chose m'échappe.

                              Mais... ça va, toi ?
                              Hé bien, ma jambe me fait souffrir mais...
                              Non, mais, je veux dire... ça va, à part ça ?
                              Mais de quoi tu parles ? Tu es bizarre, tu sais.
                              Hm...

                              J'ai eu une vision. Elle était bien. Mais elle ne m'aiderait pas tant que ça, en fait.

                              Bon, alors : que fait-on ?
                              Ce qu'on fait ? Hé bien...

                              Adieu le plan A, déjà, c'est net.

                              Plan B, jeune fille. Plan B.
                              Plan B ? C'est quoi, le plan B ?

                              * * *

                              Nouvelle poursuite. Je bats la rase campagne et ses vallons. Seul. Ainsi, mes chances d'intercepter le duo formé par le captif et son fils de ravisseur sont les meilleures. Et ma superviseuse l'a bien précisé. Ils sont tout près. Elle ne se trompait pas. J'aperçois déjà le costard souillé de boue du jeune Paulo, qui force son vieux à avancer plus vite que son âge l'y autorise en le poussant dans le dos toutes les trois secondes. Je suis de trois-quart dans leur dos et aucun des deux ne se retourne. Je vais fondre sur eux en véritable félin. Mettre hors-combat le freluquet sera un jeu d'enfant. Le douzième travail de Rik, le plus simple. J'aime cette vision des choses. J'en ai assez bavé jusqu'ici. Foulée après foulée, je me rapproche. Paulo bouscule toujours son père. Il ne me remarque pas, pas assez lucide pour songer à couvrir ses arrières. Dans le désordre, arrive ce qui doit arriver. Guillermo trébuche. Il part en roulé-boulé sur quelques mètres et s'effondre pour ne plus se relever, exténué. Les coups de grolle qui lui chatouillent les côtes n'y changent rien, il n'a même plus la force de se protéger. Son fils enrage. Déjà, en haut de la colline, les plus pressés des marines les aperçoivent et rameutent dans la bonne direction le gros des poursuivants. Dans une grosse minute, peut-être deux, ils les auront rejoints.

                              Mais moi, je suis déjà là. Prêt à intervenir. La chute du vieil homme aura été la diversion idéale pour couvrir mon approche. Au dernier moment, mes foulées se font moins discrètes, Paulo reporte enfin son attention sur moi. Sa gueule me débecte. Jeune premier de mes deux. Il est trop tard pour toi. Je bondis. Le plaque au sol en un éclair. Lui distribue une prâline bien condensée en sensations qui vient froisser son joli minois et l'envoyer bouffer la fange. Il se débat, brouillon, essaye de se défendre. Ridicule. Les riches ne savent pas se battre. Mon poing part s'enfoncer dans son estomac, il crache ses tripes et dépose les armes, vaincu plus par la douleur que trahi par ses forces.

                              Je chope le merdeux au col.


                              T'es calmé ?

                              Il répond pas, mauvais. Ça veut dire oui en langage de snobinard. Je lui intime de pas bouger d'un pouce en tapotant presque paternaliste une de mes pétoires, rangée à ma ceinture. Et puis je me redresse, et vais m'enquérir de l'état de Guillermo. Il est pas frais. Mais ça, plus grand monde ne s'en soucie. S'il gémit, c'est qu'il est vivant. Je le secoue vivement. Le vieil homme rouvre les yeux, me dévisage dans un " Vous ? " hébété.

                              Ouais, moi. Tenez, il est chargé, je fais en lui confiant un de mes pistolets. Ça fait mal de remettre son arme de toujours à un gredin pareil, mais pas le choix. Gardez votre engeance en joue le temps que les marines arrivent. Vous pouvez bien faire ça, hein ?
                              O... oui...
                              Bien. Alors adieu. ... Oh, et dernier détail. Dites à vos sauveurs de ne pas chercher à me suivre.

                              Le vieux propriétaire hoche la tête, trop sonné pour contester mes directives ou pour vraiment comprendre ce qui vient de se passer. J'avise une dernière fois son fils. Il ne bougera pas, trop occupé à reprendre son souffle et ses esprits. Et trop lâche pour risquer le tout pour le tout. Je peux partir.

                              Je suis à mi-chemin quand une détonation claque. Je me crispe. Ça ne vient pas de derrière moi, mais bien de devant. Et ce n'est pas moi que l'on visait, l'écho est encore un peu trop lointain. Ce coup de feu qui retentit ne peut alors vouloir dire qu'une chose. Cineyair tente son va-tout. Il va forcer sa chance face à Mirabella pour nous échapper. Une fois encore, je file à travers champs. Je ne suis qu'à quelques centaines de mètres, la jeune devrait pouvoir tenir d'ici à mon arrivée. Du moins, j'espère.

                              J'atteins vite ma destination. Le souffle court. Je ne vois personne. Je me bloque, avise les alentours. Où sont-ils ? Une voix étranglée me prévient.


                              Achilia...

                              Ça vient de tout près.

                              Par... ici.

                              Je me retourne. Dix mètres en contrebas, masqué par des taillis : Mirabella, étendue dans un lit d'herbes teintées de rouge. J'accours à son chevet. Sa tunique maculée au niveau de la poitrine ne ment pas. Cineyair ne l'a pas loupée. Le sang coule. Abondamment. Merde.

                              Tiens bon, petite. On va te faire soigner par...
                              Attention... derrière-toi, Achilia...Achilia...
                              ...
                              Hm ?
                              Achilia !
                              Hein ? Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?
                              Alors, on fait quoi ?

                              Hm. Mirabella et Cineyair sont toujours plantés devant moi. À l'endroit même où la jeune criminelle nous a rejoints. Attendant ma décision. J'ai encore eu une absence, moi.

                              Euh... qu'est-ce qu'on fait à propos de ... ?
                              Des Alvarez, pardi !
                              Oh, pour ça ? Oui, de quoi d'autre aurait-il pu être question. Hum. Hé bien... Plan C, Plan C bien sûr !
                              Plan C ? C'est quoi, " le Plan C " ?

                              * * *

                              Allez, plus vite, enfin !
                              Je fais de mon mieux, tu sais !

                              Quelle idée foireuse, ce plan C. J'en reviens pas que ce soit le meilleur à suivre. On se croirait en randonnée avec des moutards. Cineyair traine des pieds volontairement, Mirabella traine carrément la patte. À un moment, j'ai aperçu Paulo et son vieux qu'il trimballait sans ménagement prendre le chemin le plus court vers la ville, juste sous notre nez. À peut-être trente mètres devant nous. Mais quand j'ai voulu bondir, un voyant s'est allumé dans mon esprit et l'image de la jeune baignant dans son sang m'a tout bonnement scié les jambes. Résultat, j'avance pas bien vite non plus. Pour couronner le tout, Mirabella s'est permise de me crier dessus que je devais absolument me lancer à la poursuite des Alvarez, quand ils ont déboulé, en parachevant sa gueulante d'un " Mais qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi ? " ô combien vexant.

                              Alors, on avance, dans la mauvaise humeur la plus totale, en suivant le sentier qui serpente jusqu'à la ville. Il ne passe pas cinq minutes que des cris nous préviennent de l'arrivée imminente de la marine, son Commandant Ragnar en tête. Ils nous aperçoivent. La troupe se divise. Cinq ou six hommes continuent de prendre en chasse la famille Alvarez, le reste s'oriente vers nous. Cineyair étouffe mal un soupir soulagé, Mirabella glapit :

                              Ils vont nous rejoindre !
                              Ouais, merci du scoop, je ronchonne.
                              Mais qu'est-ce que tu fais, encore ?
                              Je m'assieds. Les semer, c'est peine perdu avec toi.
                              Avec moi ? Dis donc, Achilia, c'est bien facile de rejeter la faute sur les autres ! Si tu t'étais élancé seul à la poursuite des Alvarez comme je te le suggérais, on n'en serait pas là.
                              C'est ça, pour t'offrir en pâtures à l'autre vipère ?
                              Je peux très bien prendre soin de moi toute seule !
                              Pas du tout, dans le plan B, tu mourrais, je te signale.
                              Plan B ? Mais quel plan B ? On a même pas de plan A !
                              Rha, mais si... c'était mes... hm, comment t'expliquer...
                              Hu-hum... Je ne vous dérange pas trop, j'espère.

                              Ragnar est là. À nous surplomber. Ses hommes nous encerclent, sur un signe de sa part. Mirabella me lance un ultime regard assassin avant de poser sa main sur la garde de son katana, prudente. J'avise l'officier en chef avec un air de " Encore vous " dans le regard. Puis je me redresse, un sourire de façade sur les traits.

                              Commandant, précisément l'homme que je voulais voir.
                              J'ai peine à le croire. Saisissez-vous d'eux.

                              Ses hommes approchent, menaçants. Hé bien. C'était plutôt court, comme échange. Je l'ai connu plus enclin à deviser. Théâtral, je lève une main bien haut vers le ciel. Le geste suspend les gardes, méfiants. Ragnar se fait plus vigilant. Mais, je reste affable au moment de dire.

                              Commandant, je ne veux pas me battre. Mais je ne peux vous laisser nous arrêter. Ma mission passe avant tout et si je dois croiser le fer avec d'anciens frères d'armes pour la mener à bien, je le ferai. Oui, inutile de prolonger ce jeu de dupes plus longtemps, vous avez sans doute déjà découvert mon identité. Rik Achilia, ancien sous-officier des Ghost Dogs.

                              La renommée de l'équipage est arrivée jusqu'aux oreilles des hommes en faction sur Whiskey Peak. Elle m'accorde un crédit dont je dois jouer savamment maintenant, même si mon statut de déserteur l'entache grandement.

                              Commandant, si vous m'accorder un entretien particulier avec vous, je vous garantis que vous conviendrez de ma bonne foi. Je vois en vous un homme clairvoyant, je suis persuadé que nous pouvons aboutir à un accord, vous et moi. Mais il nous faut faire vite. Pour la sécurité de Guillermo Alvarez, et pour la réussite de nos missions respectives. Qu'en dites-vous ?

                              La proposition est honnête. C'est mon ultime carte à abattre. Le plan D.
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                                D’un signe de tête et à l’aide de quelques gestes précis de ses mains, Ragnar ordonne à ses hommes d’encercler le trio incongru sans toutefois les oppresser. Les fusils et les sabres sont baissés, mais les marines sont prêt à réagir au quart de tour au moindre problème. Le commandant s’avance, une lueur de malice dans les yeux, venant se poser solidement face à Rik. Derrière l’ex-Ghost Dogs, Mirabella jette un regard mauvais en direction de l’officier tandis que Cineyair fixe le commandant qu’il a tant cherché à évincer de l’ile et qui est maintenant sa seule chance d’en sortir vivant à moyen terme. D’un geste rapide, Ragnar dégaine le pistolet à sa hanche et le pointe en direction de Rik Achilia. Aucune réaction. Car il n’y a pas de velléité de meurtre dans le regard du commandant, juste un brin d’amusement envers une situation qu’il commence à comprendre. Le canon de son pistolet est soudainement redirigé vers Cinéyair et Mirabella. Cette dernière à un geste de recul, mais le commandant lui fait comprendre d’un regard assuré qu’elle ne s’échappera pas.

                                -Bien. Si nous n’avons pas le temps. Caporal. J’aime les histoires et je serai heureux d’écouter tout ce que vous avez à dire. Vu les efforts que vous dépensez à préserver ces deux là, je pense que vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je vous les garde pendant que vous en finissez avec cette affaire et que vous veillez par vous-même à la sécurité de l’inestimable Guillermo.
                                Non ?

                                Les marines s’écartent pour laisser passer Rik et accomplir une tâche dont il est parfaitement capable. En soi, le plan D est un plan B avec une assurance vie de qualité en la personne du commandant Ragnar.

                                Un plan B version 2 plus tard, c’est un Guillermo libéré de la tyrannie passagère de son fils qui retourne dans les murs de sa demeure dévastée par l’affrontement, accompagné par quelques marines l’aidant à marcher. Plus loin, le fils a droit à beaucoup moins d’attention et il est poussé sans retenue comme lui-même poussée son propre père quelques minutes auparavant. Le dernier groupe est constitué de Ragnar, Rik, Mirabella et d’une poignée de marines plus pour l’esthétisme d’une escorte que pour autre chose. Ragnar a aimablement demandé à Guillermo s’il pouvait utiliser un de ses salons pour l’entretien annoncé entre lui et les différents protagonistes de cette affaire et l’homme d’affaires a accepté. Rik et Mirabella sont emmenés dans ledit salon tandis que Ragnar insiste pour échanger quelques mots avec Cinéyair en privé.

                                Le salon en question a souffert, mais il est encore viable. Ça ne sent pas trop le cramé et les fauteuils ne sont pas éventrés. Par contre, le tapis est bon à être jeté. Quelques minutes passent tandis que plusieurs marines restent dans la pièce, un œil sur les deux individus. On leur propose à boire et un médecin vient examiner leur blessure. Finalement Ragnar entre dans la pièce.

                                -Bien. A nous, Caporal Achilia.

                                Il prend place dans un fauteuil, pas le meilleur, mais suffisamment bien pour lui et invite Mirabella et Rik à faire de même. Il dévisage un instant le caporal avant de commencer.

                                -Si je vous ai fait confiance, caporal Achilia, c’est que des déserteurs, j’ai pu en voir dans ma carrière. Et vous êtes bien le premier de toute cette expérience à venir « de son propre chef » régler une affaire complexe sur une ile dont l’intérêt pour lui me parait nébuleux. Et de réussir à arranger cette affaire.

                                Une pause.

                                -Vous serez peut-être heureux d’apprendre que l’intégralité des chasseurs de primes de l’ile a été arrêtée. Apparemment, ils se livraient à de la contrebande et d’autres activités tout aussi illicites sur l’ile. Notre présence n’était pas des plus souhaitées. Et Guillermo, sous l’emprise de Cinéyair, ne pouvait qu’accepter cette situation s’il ne voulait pas être mis hors circuit comme semble si bien le faire la BNA.

                                Autre pause. Un sourire.

                                -Mes hommes ont contacté la BNA, et celle-ci semble totalement méconnaitre ce qui se tramait ici. C’est l’œuvre, apparemment, de Cinéyair.

                                Regard entendu. Il n’est pas dupe.

                                -Bref, maintenant que tout semble aller mieux, Caporal Achilia. J’aimerais entendre de votre bouche toutes les subtilités de votre présence ici.

                                Mirabella jette un regard appuyé à Rik. Ragnar le capte et semble comprendre.

                                -Laissez-nous.

                                Et les marines laissent l’écoute du récit aux seules oreilles du commandant.
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                                On s'installe dans le salon. Le décor offre un cadre assez cocasse pour un débriefing de cette importance, entre les tentures éventrées, la porte dévastée et le tapis tailladé. Mais qu'importe. Qu'aucun ici n'y attache d'importance montre bien que la discussion et son contenu prennent le pas sur les étiquettes. Et ce n'est pas un mal, considérant le désavantage que m'octroierait mon statut de déserteur s'il fallait jouer selon les protocoles. Le médecin, aimable, a constaté plus que soigné dans mon cas la présence de multiples éraflures et entailles plus vilaines à l'œil du profane que véritablement préoccupantes du point de vue de l'expert. Hormis la perte considérable de sang, rien de particulièrement remarquable. L'ordonnance orale prescrite consiste simplement à prendre du repos. Luxe que je ne pourrai cependant m'offrir qu'à moitié. Mirabella, elle, s'en tirera avec un large bandage autour de la cuisse et une démarche claudicante pour les semaines à venir. L'homme à la blouse et aux petites lunettes rondes lui remet du tissu propre en quantité de sorte à pouvoir changer régulièrement le strap, ainsi qu'un onguent à utiliser à titre de cataplasme pour favoriser la cicatrisation de cette blessure et de toutes les autres. Enfin, quand l'examen ponctué d'un " Vous êtes extrêmement chanceux, j'espère que vous vous en rendez compte. " porte à sa fin, le commandant revient fort à propos pour lancer la discussion qui scellera mon intervention ici.

                                Si j'affectionne tout particulièrement de garder un atout dans ma manche jusqu'au terme de la partie, j'écarte d'emblée toute tentative de supercherie avec l'officier. Il est lucide, d'une part, et a fait montre d'une bonne volonté tout à fait louable jusque là d'autre part. En acceptant mon offre de discussion, en nous confiant aux bons soins d'un docteur ensuite, et maintenant en demandant à ses hommes de quitter la pièce pour faire de cet échange un entretien privé enfin. Aussi, je ne cherche ni à maquiller la vérité, ni à user d'artifices au moment où je prends parole pour faire un exposé concis mais complet de mon rôle ici. Quand je me tairai, le verdict tombera. Les mots se succèdent, clairs, directs. Je ne m'arme d'aucune gestuelle persuasive, ni ne me lève de tout l'intervalle de mon discours. Je sais ce que j'ai à dire. Ils jugeront.


                                Commandant, vous devez avoir beaucoup de questions. J'ai assez peu de réponses, mais elles devraient pourtant suffire à éclaircir tous les points d'ombre restants. Pour expliquer ma présence sur votre île et les actions que j'y ai menées, laissez-moi vous informer – ou plus probablement vous remémorer – des faits regrettables pour la marine survenus il y a plusieurs mois déjà. Alors que le Passeur et son équipage, les Ghost Dogs, sillonnaient Grand Line, voguant vers leur prochaine mission, un groupuscule aux motivations restées obscures a kidnappé son Officier en chef, le Commodore Gharr Hadoc. Un homme juste et sage, un défenseur de la Justice, un représentant modèle de la marine comme il y en a trop peu. Au moment des faits, je faisais partie de cet équipage, j'ai vécu ce jour noir aux côtés de mes frères d'armes. Cette nuit-là, chacun d'entre nous a lutté sans faillir, avec cette volonté inébranlable que l'on nous accorde dans les récits de nos aventures. Pourtant, nous, Ghost Dogs, réputés maîtres dans l'art de l'infiltration et de la dissimulation, avons été battus à notre propre jeu dans cet affrontement éclair. L'ennemi agissait trop vite, trop efficacement. Même Hadoc fut vaincu en duel singulier.

                                Nous sommes restés un temps désemparés face à son enlèvement, mais le devoir et le don de l'investigation que nous avions tous appris à cultiver à bord du Passeur nous sont vite revenus. Chacun d'entre nous a fait appel à toutes ses notions, à tous ses contacts – marine, et d'ailleurs – pour tenter d'en apprendre plus sur les mystérieux ravisseurs. Sans succès. Ces individus étaient d'authentiques fantômes. Faits pour fuir la lumière et les légendes, et non pour les alimenter. Jusqu'à ce que l'un d'eux se présente à nous, alors que l'échec nous étreignait.

                                Elle.

                                L'histoire vous paraitra peut-être absurde, mais j'affirme devant vous que mes actes plaident en faveur de ma bonne foi. Et mon statut de déserteur n'y change rien. Hadoc était un visionnaire, il a reconnu en moi un homme bon quand bien même mes méthodes ne répondaient à aucun des codes sur lesquels se basent les instructeurs pour enseigner aux recrues à devenir de parfaits soldats. Ces libertés, parfois morales, vis à vis des règles en vigueur m'ont valu la haine du plus méprisable et non moins influent bureaucrate de la marine, pour mon malheur officier en second sur le Passeur : le commandant Lou Trovahechnik. Si j'ai abandonné l'uniforme, c'est suite à un différend incurable avec ce petit énergumène froid et sans relief. Il rêvait de m'envoyer croupir à Impel Down sous un motif obscur. Mais dans le fond, c'est sans importance.

                                Dispersant la brume et le néant de notre enquête, Mirabella s'est présentée à nous, donc. Elle nous a exposé la situation, qui n'a toujours pas évolué à ma connaissance. Son supérieur détient le nôtre dans un endroit qui restera secret. Et elle nous a surtout informé du contrat : tant que nous n'aurons pas prouvé notre valeur à cet énigmatique personnage, Hadoc restera son captif. Le marché était étrange, assez peu régulier, mais nous n'avions aucune autre alternative. Nous l'avons accepté. Nous avons relevé le défi, pour l'honneur de l'équipage et la vie de son Capitaine. La jeune tueuse nous a donc imposé une première mission, au terme de laquelle je me suis éclipsé pour fuir l'influence de Trovahechnik. Elle menait à une seconde quête. Je ne saurais vous dire si elle fut couronnée de succès, elle aussi. Mais ce que je sais, Commandant, c'est que Mirabella m'a retrouvé – moi, perdu sur un ridicule archipel loin de toute civilisation, en réclamant que je joue mon rôle jusqu'au bout pour sauver celui qui fut un jour mon supérieur. Et cette mission – que j'ai acceptée – était fort simple : rétablir l'ordre sur Whiskey Peak. Réhabiliter la marine réduite à des actions de maraudeurs, tapie dans l'ombre. Destituer les chasseurs de primes totalitaires, étouffer l'influence de tout ces propriétaires véreux. Enfin, ramener le bien-être du peuple au centre de toutes les considérations. Une tâche complexe, un objectif noble, tout le devoir d'un élément des Ghost Dogs.

                                Je me suis évertué à rétablir le bien ici, avec le succès que vous connaissez. Ai-je agi de manière régulière ? Non. Mais Mirabella m'avait interdit votre aide. Un Ghost Dog opère par lui-même. Mais j'ai toujours gardé le résultat final en vue, en dépit des vagues que j'ai pu faire. Maintenant, Commandant, j'en ai fini avec mes actions ici, et avec mon discours. C'est à vous, et à Mirabella, de m'apporter vos réponses.

                                Me laisserez-vous quitter l'île pour poursuivre ma quête ?

                                Et toi, jeune fille, conviendras-tu que j'ai rempli ma mission ici ? Consentiras-tu à me dire où se trouve Hadoc à l'heure où nous parlons ?


                                Dernière édition par Rik Achilia le Mer 28 Oct 2015 - 0:57, édité 2 fois
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                                  Et Ragnar juge. Silencieusement, il écoute les explications de Rik Achilia sans l’interrompre, par respect. À plusieurs reprises, il sourit légèrement, recoupant une information énoncée par le déserteur avec l’une des données fournies par ses hommes. Il hoche la tête aussi. L’impression qu’il donne est plutôt positive. À l’inverse, Mirabella est beaucoup plus incertaine dans son impression. Visiblement, elle oscille entre blâmer et autoriser ce déballage à une personne extérieure à cette affaire. Visiblement, ces ordres sont un peu flous pour ce type de situation et elle ne sait sur quel pied danser. À plusieurs reprises, elle fait non de la tête, fronce les sourcils et des mots se dessinent sur ses lèvres sans qu’elle les prononce. Aussitôt le discours terminé, un silence s’installe dans la pièce. Mirabella dévisage tour à tour Rik et Ragnar tandis que ce dernier réfléchit en silence, caressant son menton avec son pouce, le poing fermé. Puis ce regard vient se braquer à l’exact moment ou Mirabella le fixer. Elle baisse les yeux, prise sur le vif.

                                  -Il me semble que ce jeune homme attend des réponses, non ? À propos de sa mission.

                                  Mirabella le fixe à nouveau, une lueur de défi dans le regard. Ragnar continue.

                                  -En tant qu’acteur indépendant à votre histoire, j’estime que cette « mission » se conclue suffisamment bien pour la considérer comme réussie, non ?

                                  À nouveau, Mirabella est en proie au doute. Plissant les yeux, elle essaie de lire dans ceux de Ragnar, mais il n’y voit que de l’honnêteté. Il se retourne alors vers Rik qui attend sa réponse. Elle déglutit. Puis, elle prend sa respiration. Une fois. Elle réfléchit, les yeux au plafond, soupire, puis reprend une nouvelle bouffée d’air.

                                  -La méthode n’était peut-être pas la plus efficace et le plan un peu hasardeux, mais il est vrai … que la mission est une réussite.

                                  Sourire franc de Ragnar qui s’engouffre dans la brèche.

                                  -Vous allez donc lui dire ce qu’il veut savoir ?

                                  Regard noir de Mirabella qui hausse le ton subitement.

                                  -Je ne vous dirais rien ! Ce n’est pas dans le contrat.
                                  -Pas à moi, à lui.

                                  Mirabella lui lance un regard assassin avant de se renfrogner. Mais devant la posture d’attente de Rik et le sourire cajoleur de Ragnar, la combattante finit par lâcher le morceau.

                                  -Je ne dirai rien. Ça concerne Achilia et personne d’autre. Je le mènerai à son capitaine.
                                  -Bien.

                                  Ragnar passe de Mirabella à Rik.

                                  -Maintenant, il faut considérer ce que je fais de vous.

                                  Instant de tension. Ragnar plonge son regard dans celui de Rik. Il réfléchit à toute vitesse, pesant le pour et le contre, mais dans le fond, il a déjà décidé.

                                  -Caporal Achilia. D’après ce que j’ai vu de vous, vous ne manquez pas de talents cachés. Je ne doute pas un seul instant que si l’envie vous aviez pris de neutraliser votre charmante compagnie, vous l’auriez fait sans difficulté.

                                  Mirabella fronce les sourcils avant de faire la moue, boudeuse. Ragnar continue après lui avoir jeté un coup d’œil amusé.

                                  -De ce postulat, j’en tire une information. Si vous avez fait tout ça, c’est parce que vous voulez vraiment aider le capitaine Hadoc. Vous parlez en bien de lui. Je perçois un profond respect pour votre supérieur. Du respect… et peut-être une dette. Une dette que vous voulez rembourser en aidant l’homme qui vous a soutenu, à l’inverse de ce … Trovahechnik.

                                  Ragnar a une brève grimace.

                                  -J’ai entendu parler de lui et je cerne un peu le personnage, oui. Bref. Je conçois que la perspective de se retrouver en prison par la volonté d’un homme connaissant les moindres détails de l’administration ne soit guère reluisante. Il serait capable de vous enfermer sans procès, je pense. Homme efficace, mais assez peu humain, n'est-ce pas ?

                                  -Je m’égare. Quoi qu’il en soit, Achilia, vous m’avez prouvé que malgré ce qu’on peut vous reprocher, vous avez l’envie de régler des choses. De faire le bien. Et ça, c’est une chose contre laquelle je ne peux m’opposer.

                                  Sourire franc de Ragnar.

                                  -Réquisitionner un bateau des chasseurs de primes ne sera pas bien compliqué. Et ils ont de marins qui ne sont pas liés aux trafics de la BNA. Je vous laisse partir, Achilia. Et pour cela, j’aimerais que vous rendiez un service à la marine.

                                  Le commandant se lève, presque solennel. Son regard est plus grave, même si l’amusement brille toujours au fond de ses yeux.

                                  -On m’a informé que dans un mois, le capitaine Gharr Hadoc recevra la Croix de Sang, à titre posthume, évidemment. Faites en sorte qu’à votre retour, ils reçoivent l’Indomptable.

                                  Le marine regarde tour à tour Rik et Mirabella, prêt à prendre congé.

                                  -J’ai beaucoup à faire avec Cinéyair et la BNA. Si vous permettez. Mes hommes vous laisseront partir. Ah. Caporal Achilia. Si vous avez des ennuis avec le Commandant Trovahechnik, on peut s’arranger pour vous procurer un alibi. Pour ce que vous avez fait ici, c’est la moindre des choses.
                                  Et surtout, faites attention à vous.

                                  Son regard est appuyé. C’est davantage envers Mirabella que la menace se profile pour Ragnar. Mais il ne développe pas davantage et sort après un dernier hochement de tête, laissant seul les deux associés.
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                                  Sitôt le Commandant sorti, j'ai senti peser une paire d'yeux inquisiteurs sur moi. Mirabella m'en veut. Elle ne s'attendait pas à me voir déballer le pot-aux-roses et s'est cru piégée, un court instant. Peut-être a t-elle entrevu son futur à croupir dans une cellule ? Peut-être s'imaginait-elle déjà bonne pour la potence ? Ça m'importe peu. Si la sensation doit être désagréable, une minute du malaise qui fut le sien ne vaudra jamais deux harassantes journées dans la peau d'un justicier. Qu'elle ne nous imagine pas quittes, surtout. Ni même amis. En  mettant à notre disposition un navire, et les matelots pour le manœuvrer, Ragnar a ramené au premier rang notre différend originel. Maintenant que nos intérêts ne convergent plus, la fille aux katanas redevient l'ennemie qu'elle n'a jamais vraiment cessée d'être.

                                  Si cette quête acharnée devait bien se terminer, le rusé Commandant endosserait quant à lui sans mal le rôle de l'allié providentiel. Au delà de nos joutes verbales et de nos perpétuels jeux de dupes, il s'est révélé fiable et d'une aide précieuse à tout point de vue. Sa proposition de me réhabiliter au regard de la loi pour me maintenir hors de portée des attaques pernicieuses et dûment paraphées de Trovahechnik en atteste. Une fois tenu informé de l'identité des hommes d'équipage confiés à notre commandement et déterminée l'heure à laquelle nous pourrons lever l'ancre, je me suis accordé un moment pour m'appliquer à couvrir mes arrières, comme il me l'avait été proposé. La version officielle visant à justifier ma " prétendue " désertion apprendra à mon ancien insupportable et minuscule supérieur que j'étais en mission secrète, mandaté par une quelconque huile pour le démantèlement d'une puissante organisation corrompue en son sein par de redoutables criminels. Et que j'ai rempli mon rôle à la perfection, déjouant tous les dangers pour m'acquitter de ma tâche avec brio. Voilà qui forcera le petit personnage à réfréner ses rêves de condamnation.

                                  Ce détail désormais réglé, plus rien ne nous retient ici. Ni les incitations au repos de notre très scrupuleux médecin, ni l'invitation à dîner qui nous est parvenue du vieux Guillermo. Le fieffé brigand s'efforce de faire oublier son rôle passé en jurant par tous les saints que notre intervention a libéré cette île de ses oppresseurs, mais personne n'a la mémoire si courte. Ni moi, ni Mirabella, ni même Ragnar. Le vieil Alvarez payera. Au lieu de parader à sa table devant douze assiettes et cinquante couverts trop clinquants pour les trois crevettes maigrichonnes au menu, je vais casser la graine avec Firmin, sur sa charrette. Au gré de nos bavardages, je lui révèle mon identité, lui explique quel rôle j'ai joué dans les heurts récents. Loin de m'en vouloir pour avoir provoqué la chute de son employeur, le paysan me félicite, admiratif. En cadeau d'adieu, il me laisse deux bouteille de mauvais rhum pour la traversée. On en vide une ensemble. Et je redescends dans la foulée vers le port sous le soleil déclinant en titubant gaiement.

                                  Peu avant d'embarquer, Mirabella exige de moi la garantie que nos hommes de pont n'interviendront en aucun cas une fois notre navire arrivé à sa destination. Elle persiste à se sentir fébrile en dépit du fait que j'ai filé droit jusqu'ici. Et que je n'envisageais pas de réclamer leur soutien. Pour la rassurer, je lui dis qu'il n'est pas en mon pouvoir de convaincre des inconnus de se sacrifier pour un autre inconnu. La jeune s'en contente, sceptique.

                                  Enfin, nous montons à bord. La marine ne fait aucune difficulté au moment de nous laisser prendre le large et bien vite, nous levons l'ancre. L'envie me rattrape de prendre la barre. Un des matelots me cède le gouvernail, et c'est moi qui guide le bateau vers le grand bleu. Pour la première fois, je me retrouve aux commandes d'un de ces destrier des mers dont parlent les histoires. J'en ressens une étrange fierté. Si j'avais découvert cette sensation à une autre époque, si j'avais laissé les chants des sirènes me draguer trente ans auparavant, j'aurais pu finir pirate. Drôle de prise de conscience.

                                  Pendant quelques minutes silencieuses, je manœuvre, joyeux. Mais bien vite, Mirabella me rejoint sur le gaillard d'arrière, chassant la magie de l'instant. Les vagues se taisent, mon sourire se dissipe. Je lui demande un cap, ferme. Pour seule réponse, elle sort un petit objet de son baluchon de voyage et me le lance. Je l'attrape, l'examine.


                                  Un Eternal Pose ?
                                  Tu n'as qu'à suivre la flèche, caporal.
                                  Quand arriverons-nous ?
                                  Bien assez vite. Je te suggère de prendre un peu de repos pendant notre traversée. Le plus dur t'attend.

                                  La tueuse repart pour aller faire valoir son déhanché plus loin, entre dédain et amusement. Je soupire. Prendre du repos. Il faudrait. Je n'ai gagné ici que mon droit d'entrée dans l'arène. Mais le temps presse. Au plus vite ce navire me mènera aux ravisseurs de Hadoc, au mieux ce sera. J'observe de nouveau le Pose, le cap qu'il indique, et fronce les sourcils. Dans la foulée, je jette un dernier regard sur le point sombre qui décroît, dans mon dos.

                                  Puis abandonne sans un regret Whiskey Peak aux hommes qui étaient d'ici.
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