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A la table des rois

Lieu : inconnu. Date : inconnue.


Dans un climat de douceur, un vent taquin agite sereinement les herbes folles d’une clairière. S’enroulant tendrement autour d’un bouquet de fleurs sauvages, il agite quelques pétales sous le nez d’un jeune rongeur avant de se perdre négligemment sous le couvert des sous-bois. Discrètement, le bruissement des feuilles répond au pépiement des oiseaux curieux alors qu’un serpent intrigué sinue contre le sol, se rapprochant de deux silhouettes inconnues, formes atypiques en ces lieux. Du bout de sa langue sensible, il perçoit des odeurs qui le rendent perplexe. Drôles de mammifères que les deux qui se font face, immobiles. L’une des formes, féminine, a les poignets entravés par de lourds bracelets de fer. Assise contre une souche de bois, elle défie du regard l’homme qui lui fait face, une colère à peine dissimulée dans les yeux. Elle le regarde. Droit dans les yeux. Et elle ignore délibérément l’arme qu’il pointe sur elle, calmement.

« Tu veux quoi ? »
« Je te l’ai dit. »
« Une histoire ? »
« Ton histoire. »
« Non, mais sérieusement, tu veux quoi ? »
« Je suis tout à fait sérieux. »

La jeune femme soupire, lève ses yeux dépareillés au ciel, comme si une solution allait lui tomber sur le coin du nez. Seul le vent lui répond, agitant ses cheveux blonds, tandis que le soleil indifférent profite d’un nuage pour disparaitre.

« T’es qui ? »
« Le Narrateur. »
« Le Narrateur. D’accord… Donc t’es quoi ? Un espèce d’écrivain ? »
« Quelque chose comme ça. »
« Et tu veux mon histoire. »
« Oui. »
« Mais t’as pas autre chose à faire de tes journées ? Genre aller te faire foutre ? »
« Non. »

Le silence retombe dans la clairière. La blonde ne dit rien, détaillant une nouvelle fois le curieux individu. Son visage est serein, son regard attentif et intense. Patient, il attend que son interlocutrice reprenne la parole. Mais la jeune femme hésite. Elle n’aime pas l’idée de céder. Encore moins celle de parler.

« Je suis née à Inari. »
« Ne me mens pas, s’il te plait. »

Son visage se referme devant la facilité à déceler le mensonge. A nouveau, le silence reprend ses droits.

« Tu n’es pas obligée de tout me raconter. »

La jeune femme ne répond pas. La situation lui échappe complètement, et, d’une certaine manière, cela l’effraie. Elle ne connait pas l’homme, elle ne se souvient plus vraiment comment elle a atterri ici et elle ne peut s’enfuir sans se prendre une balle dans le crâne. Mais est-ce que l’homme tirerait ? Ne vaut-il mieux pas parler que se perdre en risques inutiles ? Finalement, elle décide.

« Tu aimes les échecs ? »
« Beaucoup. »

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South Blue. 1619

Je ne sais pas quand ça a commencé, ni vraiment pourquoi. A l’époque, je vivais chez mes parents. Je ne faisais rien de particulier, j’attendais simplement que le temps passe, que quelque chose arrive et me sorte de la chaleur étouffante d’une ville de merde. Mes parents donnaient l’air d’être heureux, faisaient semblant de me comprendre et subissaient les années. Moi, je venais d’avoir dix-huit ans et je n’étais rien.

Et puis, il y a eu ce jour. Un mardi, je crois. Pas que ce soit réellement important, mais quitte à te raconter une histoire, autant lui ajouter des détails, non ? Je pourrais aussi te poser l’atmosphère, te dire qu’on était en novembre mais qu’il faisait chaud. Que le vent était humide, la pluie chaude et un peu salée. Que les vieux du quartier me lançaient des regards désapprobateurs parce que je les croisais sans dire bonjour, que je les dépassais en leur disant merde et qu’avec mes cheveux trempés et mes fringues dégueulasses, j’avais l’air d’une pouilleuse. Mais ça, à l’époque comme aujourd’hui, je m’en tapais. Je voulais juste à sortir de chez moi. Et, ce fameux jour, ce mardi de novembre pourri, j’ai vu une affiche. Je pourrais même dire l’Affiche. Avec une majuscule. Posée sur un tableau d’affichage défoncé, mangée par un avis sur la propreté des rues et une annonce pour un concert d’un groupe du coin, elle s’acharnait à exposer son motif. Tu le vois venir : un damier noir et blanc. Je me suis rapprochée. J’ai arraché ce qui gênais et je suis tombée sur cette affichée défraichie et complètement nébuleuse. Une pièce d’échec – un roi – et une phrase : « 8 novembre, 22h, les remparts ». Rien d’autre.

Evidemment, j’y suis allée.

***

Quand on parle des remparts, c’était juste un vieux bout de mur branlant qui tenait un peu par miracle à l’extérieur de la ville. Ca faisait belle lurette qu’ils ne protégeaient rien d’autres que trois lézards et deux oiseaux. Mais comme il était là, ce mur, il était devenu un lieu de rendez-vous facile, un coin pour se retrouver où les amoureux se planquaient pour se retrouver en cachette et où les enfants prétendaient être les maîtres d’une terrible cité. Moi, ce mur, il m’a toujours fait chier.

Toujours est-il que ce huit novembre, j’étais là, à vingt-deux heures, comme une conne, à attendre qu’un truc se passe. Il ne pleuvait plus, il faisait toujours chaud et y’avait pas un chat. J’ai attendu un peu, râlé pas mal et, quand j’ai commencé à envisager de me barrer, j’ai vu une lumière. C’était discret, pas vraiment rassurant, mais je suis allée dans sa direction. Après tout, qu’est-ce que j’avais à perdre, à part ma soirée ?

J’ai suivi la lumière, comme on dit. Je ne savais pas si le destin me préparait un mauvais coup, si tout ça n’était qu’un mauvais présage, mais je voulais savoir. Je n’avais pas peur, j’étais juste un peu en colère, sans trop savoir pourquoi. Mais les pourquoi étaient un vaste sujet que j’avais décidé de ne plus aborder. Pendant que je me demandais à quoi toute cette connerie allait mener, la lumière avançait. Je distinguais vaguement une silhouette qui la tenait, qui s’éloignait un peu plus à chacun de mes pas, mais dans l’obscurité grandissante, je ne distinguais rien d’autre. On s’éloignait de la ville et j’ai cru apercevoir un vieux chemin de terre à moitié recouvert par la végétation. Je connaissais le lieu et j’ai compris qu’on se dirigeait du côté de la ferme abandonnée d’un criminel arrêté depuis déjà bien longtemps. Des histoires sordides couraient sur le lieu et c’était un jeu d’enfant que d’en rajouter sur les légendes de la propriété. Quand j’étais gamine, mon fr... on avait coutume de me traiter de froussarde pour m’énerver. Un jour, j’en ai eu assez et, pour lui prouver qu’il avait tort, je me suis glissée hors de la maison pendant la nuit et je suis venue dormir ici. J’y suis restée jusqu’à ce qu’on me retrouve. Sans eau ni nourriture, j’ai tenu un moment, mais j’ai fini par avoir faim et je suis rentrée. On ne m’a plus jamais fait de réflexions.

Quand je suis arrivée au niveau de la grange, elle m’a parue bien moins impressionnante que dans mon enfance. Et, même si des ombres inquiétantes dansaient sur la façade, ce n’était plus à mes yeux qu’un vieux tas de cailloux qui pourrissait en silence. Il y avait de la lumière à l’intérieur et des murmures de paroles indistinctes.

Sans hésiter, je suis rentrée.


Dernière édition par Louise Mizuno le Sam 30 Aoû - 23:11, édité 1 fois
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« Bienvenue ! »

Je me souviens avoir été éblouie par la clarté soudaine et surprise par la voix de stentor qui m’avait accueillie. Il m’avait fallu quelques secondes pour m’accommoder à la lumière mais ce n’était rien comparé à ma surprise face à l’imposante figure qui se dressait sur une estrade, à quelques pas de moi.

Haut de près de deux mètres, taillé comme une armoire à glace, il était le premier homme poisson que je rencontrais. Sa peau bleutée lui donnait un air froid et lugubre qui m’évoquait irrépressiblement le cadavre d’un noyé que j’avais aperçu, enfant, sur la plage près de chez moi. Ses épaules larges et massives semblaient pouvoir porter le monde tandis que ses jambes courtaudes mais compactes semblaient faites pour s’ancrer au sol et ne plus en bouger. Il avait de larges branchies de chaque côté du cou, béantes et écœurantes. Et s’il portait un costume trois pièces noir et blanc, parfaitement taillé, il ne pouvait dissimuler sa laideur ni faire oublier ses mains abîmées et couvertes de cicatrices. Je crois que je l’ai dévisagé longuement, incapable de dissimuler ma surprise et mon dégoût face à son apparence. Pourtant, sa bouche à moitié édentée ne s’est jamais départie de son sourire alors que ses yeux globuleux me rendaient ma curiosité.

« Mademoiselle, bienvenue parmi nous. »

La phrase brisa le charme et je repris mes esprits. Rapidement, je parcourus du regard le reste de la pièce, éclairée à grand renfort de torches. Nous étions une dizaine ici. Hommes et femmes, de tout âge. Je ne reconnu qu’une vieille femme que je croisais parfois près de chez moi. J’ignorais son nom et elle ignora ma présence. Quant aux autres, je ne les avais jamais vus. Tous semblaient savoir ce qu’ils faisaient ici. Ils étaient vêtus de noir ou de blanc, propres sur eux, comme s’ils assistaient à une quelconque cérémonie. Avec ma robe noire délavée, trop lâche et trop courte, je me suis demandée une seconde ce que je foutais là. Puis j’ai aperçu la table.

Massive, laquée de vernis noir, elle supportait un imposant échiquier de verre. Les pièces étaient si finement travaillées que j’avais l’impression qu’une simple pression de doigt pourrait les briser. Elles s’emparaient de la lumière des torches, s’ornant d’une parure de feu, comme dotées d’une vie propre. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau.

Subjuguée, je ne pus détacher mon regard de l’échiquier que lorsque l’homme poisson reprit la parole, sa voix tellement grave que je relevais la tête presque malgré moi.

« Nous sommes désormais complet, le jeune Léo ayant guidé jusqu’ici cette charmante demoiselle. »

D’un geste ample, l’homme poisson désigna un garçon d’une dizaine d’année. Il avait les cheveux roux, ébouriffés, la mine revêche et autour de son cou pendait une lampe de poche écarlate. La situation était suffisamment étrange pour que sa présence m’interpellât sans me choquer.

« La plupart d’entre vous le sait, ce soir est une réunion spéciale. »

Quelques murmures s’élevèrent et je fronçais les sourcils. Je ne comprenais toujours pas dans quel genre d’endroit j’étais tombé et chaque nouvelle phrase me laissait plus perplexe que la précédente.

« Vous avez joué souvent, perdu ou gagné. Toutefois, la fierté seule était l’enjeu. Mais ce soir… Ce soir, il vous faudra risquer plus que votre orgueil, aller plus loin que ne le permet votre dignité. Ce soir, nous avons un enjeu et cet enjeu mérite que vous vous dépassiez. »

Il fit un signe derrière lui et une jeune femme approcha un petit coffret blanc. Dans un silence presque religieux, avec mille précautions, l’homme poisson s’empara de l’objet et, alors que la foule retenait son souffle, l’ouvrit avec une lenteur toute calculée.

« Ce soir, je vous offre le pouvoir d’être Roi. »

Dans le coffre se trouvait un fruit, à peine plus gros qu’une pomme. Des motifs compliqués couraient le long de sa peau lisse carrelée de noir et blanc. Sans qu’il soit nécessaire de l’expliquer, chacun comprit de quoi il s’agissait.

Un fruit. Unique et inestimable.

Le fruit de l’échiquier.

Et face à cette mise en scène ridicule, alors que tous les protagonistes se perdaient dans la contemplation du fruit, une seule pensée me restait à l’esprit.

« Connerie. »


Dernière édition par Louise Mizuno le Lun 18 Aoû - 1:02, édité 1 fois
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La jeune femme se tait. Prise dans ses souvenirs, elle ne s’est montrée que trop exhaustive. A mesure que les mots ont coulé, elle a oublié la clairière et les menottes, Le Narrateur et la menace. Elle a parlé, voyagé, perdu son regard dans le feuillage d’un arbre pour retrouver la vue dans une grange délabrée. Elle s’est souvenue.

« Connerie. »

Froids et sévères, ses yeux se sont fichés dans ceux du Narrateur. Il sourit.

« C’est n’importe quoi cette histoire. Relâche-moi. »
« Pas avant d’avoir entendu la fin. »

La blonde soupire et garde le silence quelques minutes encore. Pour la forme.

Elle parcourt des yeux la clairière, suit le louvoiement d’un serpent coloré qui leur tourne autour et détaille le vol agité d’un couple de papillons. Son visage est impassible, mais elle sait que l’homme ne cédera pas. Alors, finalement, elle reprend la parole, le fixant toujours droit dans les yeux.

« Qu’est-ce que t’en as à foutre de mon histoire ? »
« La question serait plutôt de savoir pourquoi je suis le seul à m’y intéresser. Et pourquoi personne ne cherche à connaître les histoires de ce monde. »
« T’es un espèce de parasite qui vit en piquant les histoires des autres ? »
« Les chasseurs de prime sont des parasites©. Moi, je ne suis qu’un rêveur. »
« Un rêveur avec un flingue. »
« Il semblerait. »
« Tout ça c’est des conneries. »

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Le silence qui a suivi mon intervention a été tel que j’ai eu l’impression d’avoir crié. Tous les regards se sont tournés vers moi et j’ai eu l’impression d’être celle qui avait proféré la pire absurdité. Ils me contemplaient sans mot dire, comme s’ils attendaient un développement ou des excuses. Mais je n’avais rien à leur dire à ces crétins sectaires, alors j’ai haussé les épaules.

« Mes propos vous ont-ils paru ridicules ? »

D’un mouvement d’un synchronisme presque comique, la foule a tourné la tête en direction du maître de cérémonie qui m’avait interpellé. Il souriait toujours, du même air amusé et tranquille que toi. Et, soit dit au passage, il n’avait pas l’air plus finaud que toi avec sa gueule de noyé.

« Parce que vous y croyez vraiment ? » je lui ai demandé.

J’ai bien senti que mon intonation ne plaisait pas. Ils devaient penser que si j’avais suivi la lumière jusqu’ici, c’est parce qu’elle n’était pas allumée à tous les étages chez moi. C’était vraiment une belle bande de cons. Mais moi, j’étais lancée, alors j’ai continué à parler. Quitte à emmerder le monde, autant faire les choses bien.

« Pour peu que votre fruit soit pas un canular, j’en vois pas bien l’utilité. Vous voulez être rois ? Alors montez sur le trône, torchez vous le cul avec votre gloire et attendez que la mort vous emporte. C’est à ça que ça sert un roi : à faire la potiche jusqu’à ce que la merde du monde lui tombe dessus. »

Quand j’ai eu fini, c’est un silence perplexe qui m’a répondu. J’ai cru qu’on allait encore se taper un moment gênant où personne allait rien dire pendant des lustres, mais derrière moi, y’a un type qu’a applaudi avec enthousiasme.

« Ça c’est un point de vue intéressant ! J’suis pas vraiment d’accord, mais merci à toi. »

Je me suis retournée et suis tombée nez à nez avec un type d’une banalité si triste que ça me faisait chier pour lui. Il était de taille moyenne, des cheveux bruns, des yeux marron et pas le moindre signe distinctif. Pas de grain de beauté ou de cicatrice, pas de fringues extravagantes ni même d’intonation particulière dans la voix. J’ai voulu répondre, mais l’homme-poisson a repris la parole.

« Merci pour cette intervention intéressante quoique très imagée. » Quelqu’un toussota. « Vous l’avez donc compris, ce soir nous mettons en jeu le fruit de l’échiquier. Et pour ce prix exceptionnel… Un tournoi exceptionnel ! »

Adepte de la mise en scène, il avait ouvert ses énormes bras, comme pour embrasser la salle, et toutes les torches se sont éteintes. J’ai jamais compris comment il était arrivé à faire ce coup-là, mais il avait réussi son effet : la tension était plus palpable que jamais.

Et soudain, l’échiquier de verre s’est illuminé. Sous la table de verre, un projecteur l’éclairait de manière à le faire irradier. L’effet était encore plus impressionnant que précédemment et j’en avais oublié mon irritation.

« Mesdames et messieurs, à vous de jouer ! »

Je ne comprenais toujours pas ce que je faisais là, mais ça n’importait plus le moins du monde. Deux personnes sont sorties du groupe et se sont positionnées face au plateau.

Le tournoi venait de commencer.
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Ce n’était pas un tournoi banal dont les parties du premier tour se jouaient simultanément en attendant de pouvoir atteindre le second round. Non, ce soir, pour cet événement exceptionnel, chacun passerait tour à tour par l’échiquier de verre. Je sentais des frémissements dans les doigts à l’idée de pouvoir toucher ses pièces incroyables. Même si je n’étais pas certaine de désirer le fruit du démon, je voulais absolument participer à cette étrange compétition. C’est donc avec une certaine déception que je vis deux joueurs s’avancer pour amorcer le premier affrontement. Un frisson d’excitation parcourut la petite foule et je ne pus m’empêcher de faire un pas en avant pour mieux voir. La lumière presque irréelle qui se dégageait de la table ajoutait un côté solennel et mystique au moment. La concentration des deux adversaires était totale, l’intensité de leur regard renforcée par la lueur de l’échiquier.

« Un rafraichissement ? »

Retenant un sursaut, surprise par la présence soudaine de la jeune femme qui avait tenu le coffret tout à l’heure, je tournais la tête pour m’apercevoir qu’elle me tendait un verre. Son visage neutre, presque niais, donnait l’impression qu’elle n’avait aucune conscience de ce qui se passait autour d’elle. J’imaginais qu’elle était un espèce de larbin qui était là pour le décor. Légèrement agacée, je m’emparais du verre qu’elle m’offrait. Elle ne s’attarda pas, et, le regard dénué de toute expression, elle passa de personne en personne en proposant un verre de son ponch dégueulasse – j’en avais à peine avalé que je manquais de lui recracher les morceaux de fruit à la gueule. Mais avant d’avoir pu émettre la moindre protestation, l’un des joueurs avança son cavalier et j’oubliais tout de la serveuse et de mon irritation.

« C’est Isaac, me souffla une autre voix féminine. Il est particulièrement offensif, comme on peut l’attendre d’un individu dans son genre. »

Effectivement, Isaac était du type brut de décoffrage. Sa stature n’avait rien à envier à celle de l’homme-poisson et on devinait à son visage dur marqué par le temps et les épreuves qu’il n’avait pas eu la vie facile. Ses vêtements amples et l’attirail qu’il trimballait à la ceinture laissaient deviner qu’il était marin et j’avais la conviction qu’il n’était pas un type honnête. Cependant, intègre ou pas, l’homme n’était pas mauvais. Si sa technique brutale donnait l’impression qu’il déplaçait ses pièces au hasard, je me suis toutefois vite aperçue qu’il y avait un vrai schéma derrière le mouvement de ses pièces. Il encerclait peu à peu son adversaire, le menant irrémédiablement à la défaite. Et en effet, quelques minutes plus tard, le roi tombait sous les coups d’un cavalier particulièrement virulent. Chacun applaudit le vainqueur alors que je me tournais finalement vers la fille qui m’avait indiqué l’identité du marin.

Je fus un instant soufflée par la beauté qui se dégageait de la finesse de ses traits. Elle avait le maintien d’une reine et la grâce d’une danseuse. Plus grande que moi, elle avait une longue chevelure blanche et soyeuse qui lui tombait au creux des reins, lui donnant un air angélique qui, j’en étais sûre, était trompeur. Elle était vêtue simplement, portant une robe blanche rehaussée de dentelles qui présentait un élégant contraste avec sa peau légèrement tannée par le soleil. Elle avait également des yeux clairs et perçants qui auraient pu m’impressionner si je n’avais pas été accoutumée à mon propre regard. Elle m’inspira une antipathie presque immédiate.

« Tu es… ? »
« Je m’appelle Lys. Je ne crois pas vous avoir déjà aperçu ici. Je peux vous demander votre nom ? »
« Louise. »

Sa voix douce et suave m’agaça instantanément, autant que le vouvoiement et son ton maniéré. Quant à ses airs de princesses et sa façon de me fixer comme si elle essayait de lire en moi, ça n’arrangeait rien. Je soutenais son regard avec la même insistance, attendant qu’elle se détourne ou qu’elle amorce un nouveau mouvement.

« Enchantée, Louise. Si c’est la première fois que vous venez ici, vous devez vous sentir un peu perdue. J’imagine que vous avez saisi les implications de ce tournoi. Désirez-vous y participer ? »
« Evidemment. »
« Bien. Alors je suppose que vous prendrez part au dernier affrontement. Queen… » Elle désigna la femme qui nous avait apporté des boissons et qui se trouvait désormais auprès de l’homme-poisson. « …devait faire office de remplaçante, dans la mesure où nous étions en nombre impair, mais puisque vous êtes là, tout s’arrange au mieux. Vous savez jouer, j’imagine ? »

Une vague d’agitation autour de nous m’ôta la lourde tâche de répondre, grand bien en fasse à cette pétasse. Je doutais qu’elle eût apprécié que je lui fasse remarquer que je n’étais pas la plus platine des deux.

Deux nouveaux adversaires venaient de se positionner autour de l’échiquier. Il s’agissait cette fois-ci du petit Léo, qui m’avait amenée ici, et d’un autre grand gaillard aux traits taillés à la serpe. Le jeune garçon était monté sur une petite caisse poussiéreuse afin de pouvoir faire face à son adversaire. Sa lampe de poche trainait sur la table, ajoutant des reflets rougeoyant hypnotiques au plateau de verre, donnant l’impression qu’il s’agissait d’un tout autre jeu. Cependant, personne ne se laissa distraire et la partie commença…

Et se termina.

En trois coups.

Je n’avais même pas eu le temps de me demander ce que ce gosse foutait là. Il avait éclaté l’adulte à plate couture. J’étais soufflée. Ce gosse était un putain de prodige, ou son adversaire un putain de blaireau… La scène avait été trop vite pour que j’eusse le temps de vraiment l’analyser. Cette fois-ci, les applaudissements pour le garçonnet furent plus nourris. Malgré l’esprit de compétition qui régnait, les joueurs savaient reconnaitre le talent du petit. Le visage aussi écarlate que sa lampe de poche, Léo descendit de sa caisse et courut rejoindre l’ombre protectrice de la grange. Pour une petite lumière, il n’avait pas l’air fan du feu des projecteurs.

Mais déjà, les participants au troisième match s’installaient autour de l’échiquier. Il s’agissait cette fois d’un affrontement entre une femme rousse, visiblement âgée d’une quarantaine d’années…

« Sonia. »

…Et de l’homme-poisson.

« Monsieur La Tasse. »
« Sérieusement ? »

Je n’avais pu retenir un sourire à la mention du nom et Lys me dévisagea avec un air pincé avant de reprendre la parole, son ton un peu plus froid qu’auparavant.

« Vous n’êtes pas la première à rire du patronyme de Monsieur La Tasse. Sachez toutefois que cela est tout à fait inconvenant, compte tenu de sa position au sein de cette assemblée. »

Je ne répondis pas tout de suite, préférant me concentrer un moment sur la partie déjà entamée. A l’image de son caractère, le jeu de l’homme-poisson était calme et réfléchi. Jusqu’à présent, il n’avait fait aucun mouvement inutile, se contentant d’avancer une stratégie défensive. En face de lui, Sonia se montrait prudente, jaugeant son adversaire avec défiance, pensant soigneusement chacun de ses coups. Contrairement à précédemment, les joueurs prenaient le temps de jouer et ne se perdaient pas dans l’excitation du tournoi. C’était une partie intéressante, mais elle durerait probablement un moment. Sans détacher mon regard de l’échiquier, je reprenais donc la conversation avec cette conne de Lys.

« C’est lui qui a créé votre petite secte ? »
« Nous ne sommes pas une secte. » Sa voix s’était encore durcie. « Mais vous avez raison, il est celui qui a créé cette association. »
« Depuis combien de temps elle existe, votre ‘association’ ? »

L’assemblée s’agita soudain. Sonia venait de mettre en échec La Tasse. Cependant, toujours aussi calme, le poisson mit son roi en sûreté et la partie reprit comme s’il ne s’était rien passé. Toutefois, les épaules de la femme s’étaient raidies, et une nouvelle tension animait les joueurs.

« A peine trois ans. Nous sommes plutôt discrets et le recrutement s’est établi par bouche à oreilles. »
« Sur cette île ? »
« Oui. Nous sommes tous issus de la région ou nous y passons régulièrement, comme Isaac qui fait souvent escale sur nos côtes. »
« Pourquoi avoir posé une affiche si vous vouliez rester discrets ? »
« Nous sommes en comité plutôt restreint depuis le départ de quelques membres au cours des derniers mois. L’événement de ce soir est plutôt exceptionnel et nous espérions pouvoir convier quelques nouveaux membres afin de participer au tournoi et le rendre plus intéressant. Toutefois, notre système de communication s’est révélé peu efficace et vous êtes malheureusement la seule à vous être présentée au rendez-vous. »

Je ne savais pas ce qu’elle insinuait dans la dernière partie de sa phrase, mais je n’aimais pas son ton. J’avais vraiment envie de l’affronter et de lui faire ravaler ses airs d’artiso’ coincée. Cependant, je m’abstenais de tout commentaire pour le moment. J’avais déjà fait assez d’esclandres avec ma petite intervention pendant le discours de La Tasse. Je reportais donc mon attention sur la partie qui ne tarderait pas à se terminer. Comme je m’y attendais, La Tasse avait pris la main, la palme, ou je ne sais quoi, et chacun de ses mouvements gagnait en agressivité. Sonia ne tarda pas à être acculée et à se déclarer vaincue sous les applaudissements des autres convives. Je devais admettre que ça avait été une belle partie. Aucune des personnes présentes n’était un amateur, j’en prenais pleinement conscience à mesure que les joueurs défilaient au centre de la grange. Je crevais d’envie de jouer à mon tour, mais si j’en croyais les propos de Lys, je devais attendre encore deux autres affrontements. J’ai jamais été du genre impatiente, mais ce soir, je me sentais comme une gamine qui n’en pouvait plus d’attendre le Père Noël.

« Qui va jouer, maintenant ? »
« Jack et Nikolas. »

Lys me désigna un homme ridiculement petit qui trottina vers l’échiquier, l’air guilleret et concentré. Dans son costume noir, il ressemblait à un enfant qui aurait voulu imiter son père. Il était d’un risible ! Et puis il me donnait l’envie de lui donner un coup de pied. C’était donc le nommé Nikolas. En face de lui, il y avait un autre homme, très simple, que je mis un temps avant de le reconnaître comme celui qui avait approuvé ma remarque de tout à l’heure sur le rôle des rois. Sérieusement, ce type était si plat que son visage m’était immédiatement sorti de l’esprit. Même son prénom était banal à pleurer. C’était un sentiment vraiment troublant. Les adversaires avaient à peine pris place qu’ils commencèrent à jouer. Nikolas était extrêmement rapide, mettant un point d’honneur à avancer chacune de ses pièces en moins de cinq secondes. La technique était dangereuse mais curieusement efficace : il ne commettait aucune erreur. Je n’ose pas imaginer le stratège qu’un tel homme pouvait être. En face, Jack jouait… normalement. Aucun de ses coups n’avait de force, sa vitesse de mouvement était moyenne et sa stratégie répondait logiquement aux coups de Nikolas. Pourtant, sans que je comprenne pourquoi, aucune de ses pièces ne tombait. C’était une technique d’une parfaite normalité. Autour de moi, personne ne semblait s’étonner du style des deux opposants, et je compris qu’ils y étaient habitués. Malgré tout, la tension qui régnait dans la salle, accumulée déjà au travers des autres affrontements, croissait petit à petit. Les coups se succédaient, chacun intelligemment placé, et aucune pièce ne tombait. C’était complètement surréaliste. Pourtant, ils avaient tous les deux le moyen de prendre des pions, de sacrifier un fou pour atteindre une tour, mais ils se contentaient de se déplacer, de se tourner autour, attendant une occasion pour passer véritablement à l’action. A l’évidence, le premier qui laisserait tomber une pièce serait le perdant. Je n’avais jamais vu personne jouer comme ça. Et puis soudain, tout fut terminé. Jack déplaça un pion et Nikolas tendit la main au-dessus de l’échiquier pour serrer celle de son adversaire. Ils venaient de déclarer le nul ; le dernier coup de Jack avait placé les deux rois en échec.

Cette fois-ci, la foule resta silencieuse quelques instants avant d’applaudir. Les clappements de main n’étaient pas enthousiastes et je voyais de nombreux visages perplexes détailler l’échiquier, analysant la partie. Il y eut quelques paroles échangées, des remarques intéressées, mais cela ne dura pas bien longtemps. A côté de moi, je vis Lys et une adolescente se mettre en mouvement, et je compris à regret qu’elles seraient les prochaines à jouer, m’ôtant donc la possibilité d’affronter Lys durant cette première épreuve du tournoi.

Comme je m’y attendais, la princesse – et quand je dis princesse, j’espère bien que tu saisis toute l’ironie du mot –  avait un jeu clair et élégant. Elle s’était instinctivement dirigée vers les blancs, des fois qu’on doute encore de sa pureté angélique… Pourtant, derrière ses airs doux et malgré son affabilité, elle se montrait complètement implacable. Elle n’offrait aucune ouverture et n’hésitait pas à se frayer un chemin audacieux à travers le regroupement des pièces noires. Elle était une reine immaculée qui avançait, intouchable, au milieu d’une foule qui perdait en lumière à chacune de ses avancées. Et évidemment, elle parvint rapidement à ses fins en mettant le roi à ses pieds. Non seulement c’était une garce, mais en plus elle était douée. Elle reçut donc de chaleureux applaudissements de la part des autres, un regard noir de ma part. Mais je n’eus pas le temps de m’étendre sur mon agacement qu’elle m’invitait à prendre place avec un sourire qui se voulait engageant mais dans lequel je discernais une pointe de sarcasme. Elle était persuadée que je n’étais qu’une bonne à rien. J’allais lui montrer que je n’étais pas n’importe qui. Et, alors que je m’apprêtais finalement à gagner l’échiquier, j’entendis une voix :

« A nous deux, petite salope. »

Dans mon dos se trouvait mon adversaire : la vieille de mon quartier.


Spoiler:


Dernière édition par Louise Mizuno le Sam 8 Nov - 23:56, édité 4 fois
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Sur le moment, je me suis demandée si j’avais bien entendu. La vieille avait tout de ces grands-mères revêches qui attendent des jeunes une conduite impeccable. Elle était ridée comme un vieux pruneau et sèche comme un cotret. Sa bouche trop maquillée se perdait dans les crevasses de son visage alors que ses yeux manifestaient un mépris évident à mon encontre. Je ne doutais pas une seconde qu’elle connaissait ma réputation et mon histoire, comme bien des gens dans notre quartier. Cette vieille peau se permettait de juger ce qui se passait derrière les murs des maisons des autres, s’accordant le droit de s’immiscer dans nos vies. Je la détestais, comme je détestais les grands airs de Lys, le regard de la foule et toute cette foutue existence qui ne plaçait que des obstacles sur ma route.

Cette vieille cinglée, avec sa robe rongée par les mites et son chignon parfait, m’avait bien traitée de ‘petite salope’. Elle m’avait insultée calmement avant de trainer sa carcasse bossue jusqu’à l’échiquier. Je suis restée un peu interdite devant la situation, ne sachant pas très bien si je devais lui péter une rotule ou lui renvoyer une réplique cinglante. Mais j’ai réalisé qu’aucune de ces solutions n’était la bonne. J’ai compris que, ici, les règles étaient différentes ; pendant cette première épreuve de tournoi, les actes prévalaient sur les mots. Aucune parole n’avait été échangée au cours des parties jusqu’à présent, et, en m’insultant, la vieille avait commis sa première erreur.

Avec un sourire, je l’ai devancée et me suis installée du côté des noirs.

J’ai toujours joué les noirs. Sur le principe, leur couleur m’attirait depuis que j’étais gamine. J’ai jamais pu supporter le blanc : c’est salissant, ça pète les yeux et on imagine toujours qu’une gamine fringuée en blanc est une bonne petite sage et obéissante. Autant te dire que quand j’étais môme, je n’étais pas du genre à rester en place en attendant qu’on me dise quoi faire. Et puis, en grandissant, j’ai préféré les noirs sur un plan stratégique. Ils me permettaient de jauger les autres par leur premier mouvement et de leur donner un coup d’avance pour faire durer la partie un peu plus longtemps. Cette fois ne faisait pas exception et j’attendais donc que la vieille prenne place et joue son premier coup. Très banalement, elle a déplacé un pion pour ouvrir la voie à l’un de ses fous ; j’ai répliqué de manière similaire.

La partie était engagée.

Dès l’instant où j’ai réalisé que je jouerais contre elle, j’avais pensé lui faire bouffer son dentier. Mais maintenant que j’étais là, au centre de l’attention, à jouer une partie décisive, je me rendais compte de l’absurdité de cette pensée. L’écraser comme une vieille merde était beaucoup trop simple, sans parler de l’erreur stratégique que ça représentait. J’étais douée, bien plus qu’elle – tu peux penser que c’est prétentieux, mais je n’ai pas à être modeste sur des évidences –, et l’abattre trop facilement impliquait de dévoiler mes capacités et d’offrir aux autres la possibilité de songer à une parade pour les parties à venir. Si je voulais remporter ce tournoi, il n’était pas question d’établir des stratégies pour chaque partie. Je devais planifier l’intégralité de la soirée, repousser l’imprévu et prévoir des issues de secours. Je devais tendre discrètement ma toile pour piéger un à un tous les participants. Ici, je n’étais plus une pauvre fille au passé dramatique. J’étais une reine.

En face de moi, la vieille était concentrée et je la voyais marmonner des propos incompréhensibles alors que sa main tremblante passait au-dessus de telle ou telle pièce. A la lueur de l’échiquier, les sillons de son visage semblaient se creuser de plus en plus, lui donnant l’aspect d’une horrible sorcière. Parfois, elle relevait les yeux vers moi avant de rebaisser brusquement la tête, comme si la vision de mon visage lui était insupportable. J’imagine que mon regard la désarçonnait. Cependant, pour cette fois, je ne jouais pas sur l’intimidation, je me contentais de répliquer calmement à chaque offensive. Je jouais avec la simplicité d’une débutante, commettant volontairement des erreurs pour établir un climat de confiance pour la vieille. Toutefois, à chacun de mes faux pas, je voyais mon adversaire s’approcher de plus en plus de la défaite. Elle se laissait guider par ses préjugés et me sous-estimait à un tel point qu’elle ne voyait pas au-delà du coup par coup. Sous mes doigts, je sentais la douceur de la victoire alors que mes pièces avançaient doucement, irradiant d’une lumière que j’étais peut-être la seule à voir. Sans qu’elle s’en soit rendue compte, mes erreurs s’étaient transformées en un piège parfait.

Souriant durement, je vis les lourdes paupières de la vieille se soulever, son regard s’écarquiller alors qu’elle ne prenait conscience que trop tard qu’elle s’était faite manipuler tout au long de la partie. Je vis sa bouche trembler, ses marmonnements accélérer alors que sa main incertaine ne savait plus quelle pièce jouer pour se dépêtrer de ce guêpier dans lequel elle s’était fourrée par excès de confiance. Elle hésita plusieurs minutes avant de se résoudre à bouger une pièce. Ce fut son dernier mouvement.

« Échec et mat. »

J’avais gagné.
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« C’est impressionnant. »

La blonde sursaute presque à la remarque du Narrateur. Elle s’est à nouveau perdue dans l’intensité de ses souvenirs et c’est la voix de l’homme qui la ramène à la réalité. Alors qu’elle détaille encore son visage serein, elle se rend compte qu’elle a le souffle court et que son cœur bat la chamade. Dans ses yeux danse encore la lumière de l’échiquier sur lequel elle avait affronté cette vieille femme.

« Pourtant, un détail m’intrigue. »

Le ton de l’homme reste calme et neutre, rien sur son visage ne laisse deviner la curiosité. La jeune femme ne répond rien, se contentant de se décaler un peu alors qu’un éclat de soleil agaçant s’accroche au canon du pistolet pointé sur elle, fichant sa balle de lumière dans son œil droit.

« Cette vieille femme que tu as affronté, quel est son nom ? »
« Je te fais le compte-rendu d’un tournoi improbable, je te parle d’homme-poisson, de secte et de personnes hors du commun et toi tu ne t’intéresses qu’au nom d’une vieille folle ? »
« Oui. »
« Pourquoi ? »
« Parce que tu m’as détaillé avec précision les lieux et le contexte. Tu as choisi de me décrire précisément les individus importants de cette histoire, tu fais état de leur rôle et de leurs particularités, mais pourtant, tu fais l’impasse sur le nom de la seule personne à te connaître. »
« Et alors ? »
« Je pense que tu fuis. »

Le regard de la blonde se durcit brusquement alors que son corps se raidit. Lorsqu’elle reprend la parole, c’est sur le ton d’une ironie agressive.

« C’est ça. D’ailleurs, tu ferais mieux de te mettre à courir, je suis en train de te semer dans les bois. »

L’homme continue à sourire, nullement impressionné.

« Comment s’appelait cette vieille dame ? »
« J’en sais foutrement rien. Et soit dit au passage, tu m’emmerdes avec tes questions. Je comprends toujours pas pourquoi t’en as après mon histoire. Tu peux pas te trouver un roman, comme tout le monde ? »
« Il y a dans l’oralité une spontanéité que l’écriture ne saurait rendre. »
« T’as quand même conscience que tu parles comme un bouquin ? »
« J’aimerais également connaître ton histoire… »
« Prends surtout pas la peine de réagir, j’adore parler dans le vide. »
« …Et savoir pourquoi tu la refuses. »
« C’est un vrai courant d’air que je sens ? Ou tu viens de me foutre un vent monumental ? »
« Alors ? »

La blonde soupire et se renfrogne.

« Y’a rien de bien joyeux à raconter. »
« Heureuse ou malheureuse, une vie reste une belle histoire. Même dans les moments les plus tragiques, tu peux y trouver la beauté. »
« A la limite, si tu continues à dégoiser des conneries pareilles, je me demande si ce serait pas préférable de me prendre une balle. »
« Tu ne trouves pas ça incroyables ces petits bonheurs de tous les instants ? Sais-tu quelle magie tu peux retirer d’un courant d’air contre ta joue ou de la pluie contre ta peau ? Tu n’apprécies pas la douceur et la sérénité de cette clairière ? »
« T’es vraiment en train de me poser cette question en pointant une arme sur moi ? »
« Tu dois être bien triste. »
« Bon, t’écoutes la fin de mon histoire que je puisse me tirer d’ici ? »
« Tu ne répondras pas à mes questions ? »
« Va crever. »
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Lorsque le roi de la vieille folle tomba, il y eut un silence. Il n’avait rien de l’intensité du duel de Jack et Nikolas, il s’agissait simplement d’un silence un peu surpris, comme si personne ne s’attendait à me voir remporter cette partie. Cependant, après quelques secondes, quelques applaudissements polis se firent entendre et je ne retins pas mon sourire victorieux. De l’autre côté de l’échiquier, la vieille me lança un regard venimeux doublé d’un doigt d’honneur ridé.

Toutes les lumières se rallumèrent alors, animant la grange d’une nouvelle vie. Quelques murmures s’élevèrent, des bribes de paroles que je n’écoutais pas mais dont le sujet était certainement la suite de la soirée. J’étais moi-même curieuse de savoir quelle était la suite du programme. D’un geste, Queen m’invita à descendre de mon piédestal alors que La Tasse reprenait sa place de maître de cérémonie, se positionnant judicieusement face à une torche qui l’auréola de lumière. Sans qu’il ait à la demander, notre attention fut sur lui et le silence retomba une nouvelle fois. J’espérais que les choses allaient être plus intéressantes, parce qu’à ce rythme, le côté répétitif de cette soirée allait vraiment me les briser sérieusement.

« Voici donc la première manche de ce tournoi terminée. Nous voici donc sept en lice pour la seconde épreuve qui amènera un heureux gagnant au privilège de détenir un inestimable prix. Quand bien même certains parmi vous n’ont pas la chance de participer à la suite de cette compétition, j’espère que vous serez en mesure d’apprécier les parties à venir. Je vous invite maintenant à suivre Queen jusqu’au terrain de la seconde manche. »

D’un nouveau geste ample, La Tasse désigna sa boniche dont j’apercevais la tignasse de jais par-dessus l’épaule d’Isaac, campé fermement devant moi. De près, l'homme était encore plus impressionnant : un vrai colosse, représentant des stéréotypes sur les marins. Il avait les bras croisés et son regard dur, un peu perplexe, était planté dans le mien, comme s’il essayait de comprendre quelque chose. Je venais seulement de prendre conscience qu’il me fixait, et je me demandais s’il avait écouté un seul mot du petit discours emmerdant de l’homme-poisson. Malgré l’air peu engageant d’Isaac, je ne me démontais pas et lui rendais son regard, ce qui eut le mérite de le déstabiliser.

« ‘teh. »

Il se détourna et suivit les autres en dehors de la grange. Je n’avais absolument rien compris à ce qu’il venait de me faire.

***

Le lieu de la seconde épreuve se trouvait à une centaine de mètre de la grange. Tenant la main de Queen, Léo nous avait guidé avec sa précieuse lampe de poche. Heureusement pour nous, les épais nuages orageux ne dissimulaient pas la lune et la nuit était suffisamment claire pour que la lumière du gamin soit à peine nécessaire. Ce fut donc sans difficulté que fîmes le court trajet qui s’achevait après avoir contourné l’un des imposants amas rocheux qui caractérisaient la région. Je ne m’étais jamais aventurée jusqu’ici, mais la familiarité du terrain me laissait à penser qu’on allait déboucher sur un nouveau bâtiment désaffecté ou sur une étendue désertique quelconque, peut-être marquée par un damier artificiel ou quelque chose du genre. Je n’étais pas loin de la réalité et, pourtant, je ne pus réprimer une exclamation de surprise en découvrant les lieux.

« Mesdames et messieurs, la seconde épreuve ! »

Cette fois-ci, la gestuelle théâtrale fut parfaitement inutile tant l’installation qui occupait l’espace était surprenante. En effet, en dévers du chemin, à quelques mètres de nous, se trouvait un échiquier à taille humaine. Il ne comportait aucune pièce, mais on pouvait voir soixante-quatre cases épaisses noires et blanches, parfaitement assemblées, qui composaient un plateau monté sur pilotis. Sous chacune des cases pendait un filet qui semblait pouvoir contenir une personne. Etant donné le contexte et l’installation, j’imagine qu’ils servaient à récupérer les perdants et il devait y avoir un mécanisme pour ouvrir les cases. Tout le monde s’était figé en découvrant l’échiquier, cependant, ni Léo ni Queen ne manifestaient la moindre surprise. Quant à La Tasse, j’imaginais que lui non plus, mais c’était difficile à dire étant donné sa gueule défraichie. Il fit signe à Queen qui s’empressa d’aller activer un levier dans l’ombre et le terrain baigna dans la lumière. Je distinguais alors plus précisément l’échiquier, devinais les rainures sur les cases qui indiquaient la possibilité d’une ouverture. Je remarquais également deux échelles de corde, pour atteindre le plateau, ainsi qu’une sorte de tableau de bord dont la forme était celle d’un échiquier. De vastes moyens avaient été déployés pour ce tournoi. L’homme-poisson s’avança alors et je me reconcentrais sur lui :

« Tout d’abord, je tiens à remercier Sonia pour sa contribution à la construction de cet échiquier. Ses talents en menuiserie et en mécanique nous auront été d’une grande utilité. »

Il s’inclina légèrement en direction de la femme qu’il avait battu plus tôt. Elle lui rendit un signe de tête et un sourire un peu crispé. J’imagine qu’elle aurait préféré faire parti de la seconde manche plutôt que d’observer son travail de loin.

« Comme vous vous en doutez, c’est sur ce plateau que ce déroulera la seconde épreuve. Laissez-moi vous en expliquer les modalités. Mais d’abord, je souhaiterais que les participants à cette manche approchent. »

Il se tut le temps que nous nous exécutions. Une fois à son niveau, il fit un signe à Queen qui, semblant habituée à la gestuelle de l’homme-poisson, s’approcha avec des morceaux de papier qu’elle distribua à tous les participants, en gardant un pour elle-même.

« Queen vous a distribué des papiers sur lesquels vous trouverez une couleur : noir ou blanc. Inutile de vous dire que cela représentera votre camp, vous vous en doutez très certainement. Dans la mesure où nous sommes un nombre impair, Queen prendra part à notre partie. »

Je dépliais mon papier et constatais avec satisfaction qu’il présentait un cercle d’un noir profond. A côté, j’avisais celui de Lys et constatais qu’il était immaculé. Bien, quelque soit cette épreuve, j’allais avoir l’occasion de lui faire ravaler ses grands airs.

« Les échecs ne sont pas une discipline d’équipe, pourtant c’est cet aspect qui sera mis en valeur pour cette épreuve. Nous jouerons tous ensembles, nous affrontant mutuellement grâce à notre équipe. Il vous sera donc nécessaire de communiquer afin d’établir vos mouvements et votre stratégie. Le but sera simple : prendre le roi adverse. Toutefois, certaines règles particulières ont été instaurées : votre position sur l’échiquier sera définie au hasard. Queen a entre les mains deux sacs comprenant des pièces, vous piocherez tour à tour afin de connaître votre rôle. Ensuite, les rois sont inamovibles. Ils seront représentés par deux hommes ayant échoué à la première épreuve. »

Il se tut, nous laissant le temps d’assimiler ses paroles, et en profita pour scruter la foule à la recherche de ses rois.

« Roland, Kevan, auriez-vous l’obligeance de remplir ce rôle pour nous ? »

Il s’agissait des deux hommes qui avaient été battus par Isaac et Léo. Ils acquiescèrent, Roland semblant nettement plus heureux que Kevan, et rejoignirent l’échiquier à la demande de Queen qui en profita pour leur tendre deux couronnes de la couleur des camps qu’ils représenteraient.

« En troisième lieu, même si votre camp perd la partie, cela ne signifie pas nécessairement votre élimination. Cependant, afin d’éviter que cet affrontement ne vire à l’acharnement à l’encontre des uns ou des autres, vous n’aurez pas la possibilité d’ignorer le roi s’il est en position de faiblesse. C'est-à-dire que, si vous en avez la possibilité, vous devrez faire tomber le roi adverse sans quoi vous serez éliminé. »

Au-delà même du côté travail en équipe qui me déplaisait fortement, cette règle impliquait des revirements stratégiques importants. Il s’agissait d’une épreuve de survie, de rapidité et d’intelligence. Ca allait être compliqué et loin d’une partie de plaisir. Et, à voir l’expression des autres, je n’étais clairement pas la seule à considérer les enjeux d’une telle règle.

« Enfin, afin de tester vos capacités et de voir si vous êtes dignes de détenir le fruit de l’échiquier, plusieurs cases ont été piégées. »
« Comment ça ‘piégées’ ? »

Avec surprise, je baissais les yeux pour tomber sur la mine méfiante de Nikolas. Je ne l’avais pas entendu parler jusque là et, si sa petite taille lui donnait déjà l’allure d’un nain de jardin, sa petite voix fluette et nasillarde le faisait basculer dangereusement du côté des gnomes.

« A l’intérieur de seize cases se trouvent des mécanismes visant à handicaper les joueurs ou à les éliminer. Ces pièges vous pousseront à tester vos limites physiques et mentales ou bien à vous adapter pour pouvoir continuer à jouer. Il peut s’agir d’entraves physiques, de questions ou de changement de règles. Bien évidemment, les cases ont été disposées au hasard et je ne sais pas où elles se trouvent précisément, si ce n’est qu’elles ont été placées entre les lignes trois et six. »
« Et si on est éliminés, hein ? »
« Alors la case s’ouvrira et vous tomberez dans les filets disposés sous l’échiquier. D’autres questions ? »
« ‘teh. Faut qu’on soit tous d’accord pour bouger ? Ou chacun s’bouge comme y veut ? »
« Idéalement, une décision commune favorise la stratégie, mais chaque individu est libre de bouger une fois son tour venu. A condition bien sûr d’un mouvement par tour. »

La Tasse attendit quelques instants encore mais, voyant qu’aucune autre question n’était posée, il porta son attention sur la foule.

« Sonia, très chère, vous êtes celle qui connait le mieux cette installation. Auriez-vous l’obligeance de vous occuper de la partie technique de cette partie ? »
« Bien sûr. »

La petite rousse se détacha de la foule des spectateurs et se dirigea vers le tableau qui contrôlait les différents mécanismes de l’échiquier géant.

« Bien, en ce cas, je vous propose de tirer votre rôle et de prendre place sur vos cases, celle que vous souhaiterez tant qu’elle respecte l’une des positions de départ de votre pièce. Quant à vous, chers spectateurs, votre position en hauteur vous donne un point de vue idéal pour la partie et je vous suggérerais de rester où vous êtes. N’hésitez cependant pas à vous déplacer si vous pensez trouver une meilleure place. »

Les perdants se mirent donc en mouvement, se répartissant le long des hauteurs du terrain, comme suggéré par l’homme-poisson. Je vis même l’adolescente battue par Lys se hisser sur les hauteurs des rochers et s’installer confortablement sur une grosse pierre.

De mon côté, je m’avançais donc vers Queen qui tenait les sacs contenant les pièces qui détermineraient nos positions. Juste avant moi, Léo avait pioché un cavalier noir et je tiquais en réalisant que j’allais avoir un môme dans mon équipe. Queen avait un morceau de papier marqué de noir dans l’une de ses mains, et elle attendait visiblement que les deux autres membres du camp aient pioché avant de le faire à son tour. Je tournais la tête à la recherche du quatrième membre lorsque je vis La Tasse me sourire poliment, montrant son morceau de papier noir et m’invitant à piocher d’abord. Je m’exécutais donc, espérant tomber sur une pièce correcte. Je tirais le fou.

« Voilà qui est intéressant. »

Avec un sourire narquois, Lys s’éloigna, mine de rien, jouant avec la reine qu’elle venait de piocher. Garce arrogante, ça lui allait bien de jouer les grandes dames, tiens. Après moi, La Tasse tira également un cavalier et Queen piocha une tour. A côté, je vis Nikolas avec un fou blanc entre ses petites mains, Isaac avec un cavalier et Jack avec un pion, l’homme semblant s’obstiner au banal même dans le hasard. Je reportais mon attention sur le sombre fou dans ma main. Intéressant, en effet, même s’il ne s’agissait pas de ma pièce de prédilection. Qui plus est, il m’offrait la possibilité de ne pas me préoccuper de la règle obligeant à prendre le roi si celui-ci était dans notre ligne de mire. En effet, en me positionnant sur une case blanche, il m’était impossible d’atteindre un roi posé sur une case noire. Ceci me laissait la possibilité de bouger et d’éliminer mes adversaires sans encourir une élimination stupide. Le tout était d’agir subtilement afin de remporter la partie et de faire en sorte que le moins de joueurs possibles subsistent, qu’ils soient noirs ou blancs. Cette épreuve promettait d’être passionnante. Avec un sourire, je me dirigeais donc vers l’échiquier pour y prendre place.


Dernière édition par Louise Mizuno le Dim 9 Nov - 1:38, édité 1 fois
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Ce fut une impression étrange que celle de me tenir sur cet immense échiquier. J’avais l’impression d’être minuscule, une simple pièce qui attendait la main d’un géant pour être manipulée. L’espace d’un instant, je restais immobile, fixant ce vaste damier sous mes pieds, éblouie par la lumière des projecteurs placés judicieusement autour du plateau. Je repris toutefois rapidement le contrôle de mes émotions et partie m’installer sur ma case à quelques pas de Roland qui attendait, coiffé de sa couronne, un sourire joyeux sur le visage.

« Eh, donnez-vous à fond, j’tiens pas à finir là-dessous ! » lança-t-il en désignant la case sur laquelle il se tenait.
« T’es pas le seul gros poisson de ce jeu, tu t’en sortiras. »

Je ponctuais ma remarque par un regard éloquent à La Tasse qui venait se positionner de l’autre côté de l’échiquier, secondé par Queen, fidèle à son poste d’ombre, alors que Léo s’installait à côté de moi en regardant ses pieds. L’homme-poisson parut surpris par mes paroles, ne s’attendant visiblement pas à un tel sarcasme. J’eus même l’impression de l’avoir blessé et, lorsqu’il répondit, son ton avait perdu en chaleur et en amabilité.

« Prenez garde à ce que vous insinuez, jeune fille. Vous avez dépassé l’âge où l’insolence est tolérée. »
« J’ai touché la corde sensible ? »

Il s’apprêtait à répliquer lorsque je sentis quelque chose tirer ma jupe. Je tournais la tête pour apercevoir Léo, rougissant, le regard détourné et la main crispée sur ma robe.

« Tais-toi. »

Étonnement, il parvenait à avoir l’air à la fois gêné et irrité alors qu’il n’osait même pas me regarder. Je lui arrachais ma jupe des mains avec un regard dédaigneux et me retournais vers La Tasse, mais l’intervention du gamin semblait avoir réprimé sa véhémence et, rapidement, la deuxième épreuve nous occupa tous l’esprit à nouveau.

En face, à une distance qui me paraissait infranchissable, les blancs s’installaient. La place de Lys ne laissait aucun doute, mais je fus surprise de constater que Jack se positionnait devant elle. Certes, se tenir sur cette case lui permettait d’avancer tout droit pour pouvoir atteindre et prendre le roi, mais c’était un espoir dérisoire. Un pion comme lui n’avait aucune chance de passer ce tour. Qui plus est, sa position entravait les mouvement d’Isaac, qui faisait face à Léo, et de Lys qui se retrouvait dans l’incapacité d’avancer en ligne droite. Peut-être tentait-il de protéger la reine ? J’avais toutefois à me méfier, me trouvant sur la même diagonale que Lys mais également que Nikolas qui, de sa démarche rapide et nerveuse, avait rejoins la case blanche du fou.

« Bien, il semblerait que nous soyons tous à nos places. Sonia, si vous êtes prête… »
« Vous pouvez commencer. »

Spoiler:

Soudainement, le monde sembla silencieux. La tension avait repris sa place dans cette étrange soirée et je pris conscience que, alors que nous prenions place sur l’échiquier, les spectateurs n’avaient cessé de bavasser ; ils avaient profité de l’entracte pour boire quelque rafraichissement sorti de je ne sais où, commenter, plaisanter, exprimer leur rancœur sur leur défaite… Autant de discussion que j’avais entendu sans vraiment les écouter. Maintenant que le calme était retombé et que la partie était amorcée, je me sentais moi aussi nerveuse. Je n’aimais pas l’idée de travailler en groupe sur cette partie ni de ne pas savoir où je mettais les pieds en me déplaçant sur cet échiquier géant. Bien heureusement, les blancs ouvraient les hostilités et seraient les premiers à faire les frais des pièges du plateau. J’espérais toutefois que rien d’inquiétant ne se profilerait, sans quoi la panique pourrait handicaper mon côté et nous faire partir avec un désavantage certain.

Je voyais les blancs se concerter discrètement, échangeant regards et murmures, évaluant les possibilités. La présence d’un nombre si restreint de pièces offrait la possibilité d’entamer le jeu de manière agressive, mais le facteur humain soulevait d’autres problèmes, et il était nécessaire que les joueurs se coordonnent d’emblée. Finalement, les quatre blancs parvinrent à un accord et se retournèrent tous vers nous alors que Jack s’avançait de deux cases. Un pion pour ouvrir une partie, rien de plus classique. Si son visage neutre ne témoignait pas de crainte, il y avait un léger tremblement dans sa démarche qui laissait deviner son appréhension quant à ce premier mouvement. Il passa la première case blanche dans un silence de mort, atteignant finalement son but. Et, alors que ses épaules se relâchaient, l’homme visiblement persuadé d’avoir rempli son rôle, la case s’illumina tout à coup d’une lumière rose et le visage de Jack se décomposa quelque peu.

« D4, case piégée. »

Comme mus par une même conscience, nous nous tournâmes tous vers Sonia dont la voix avait été amplifiée au moyen d’un den den mushi. La jeune femme nous rendit un sourire un peu intimidé mais se reprit rapidement et elle annonça à quelle épreuve allait être confronté Jack.

« Jack, vous devez gagner une partie d’échecs contre l’un des spectateurs. Seulement, vous n’aurez pas le droit de voir le plateau, vous jouerez à l’aveugle, contrairement à votre adversaire. »

Pour un début de partie, ça n’allait pas de main morte. Jouer à l’aveugle demandait un effort considérable, tant de mémoire que de stratégie. En effet, plus la partie s’éternisait, plus le risque de commettre une erreur fatale. Je n’enviais pas la position de Jack.

« Je vais jouer contre qui ? »
« Moi ! »

Avant même que Sonia ait pu ouvrir la bouche pour répondre, l’adolescente qui avait affronté Lys s’était redressée de son rocher en levant la main au ciel. Elle sautillait sur place, visiblement très emballée à l’idée d’affronter Jack.

« Va pour Rose. Tu peux descendre ? L’échiquier est ici. »

L’adolescente descendit de son promontoire avec agilité et arriva rapidement jusqu’à l’échiquier désigné par Sonia. De ma position en hauteur, je ne voyais rien du plateau et c’est à peine si je discernais le crâne des deux filles. Jack, encore plus éloigné, devait sûrement se contenter des voix.

« Rose commence avec les blancs. »
« Cavalier en F3. »
« Pion en D6. »

De ce que j’avais pu voir pendant son premier match, Rose n’était pas une mauvaise joueuse, elle était simplement trop enthousiaste. Cependant, cette ardeur qui l’avait conduite à échouer contre Lys risquait de s’avérer déstabilisante pour Jack. Je suivais la partie avec intérêt, fermant moi-même les yeux pour essayer de mieux visualiser l’échiquier mental. Etrangement, comme portée par l’ambiance de cette soirée, cela ne me paraissait pas vraiment difficile et je me représentais sans mal la partie. Je distinguais le chemin emprunté par les pièces de Rose, sa stratégie imprudente et offensive, tout comme je reconnaissais le jeu simple de Jack, avec ses mouvements classiques, presque anodins. Toutefois, à mesure que les coups s’échangeaient, Rose perdait du terrain, ses pièces unes à unes éjectées alors que celles de son adversaire tombait méthodiquement jusqu’à atteindre leur but : la victoire.

« Echec et mat. »

Les trois mots, comme une formule magique, dissipèrent la tension sur l’échiquier. D’une certaine manière, voir quelqu’un réussir cette première épreuve nous rassura tous, quand bien même j’aurais préféré que Jack échouât. En face, les blancs affichaient une mine plus que satisfaite, Nikolas allant même jusqu’à pousser une exclamation de joie qui monta dans des aigus surprenants. Jack lui-même semblait à la fois ravi et surpris de sa victoire. Je crus entendre quelques paroles venant du côté de Sonia et Rose, mais je ne distinguais que l’intonation déçue de l’adolescente. Ce n’était vraiment pas sa soirée. Cependant, lorsqu’elle s’éloigna finalement, son visage était toujours aussi jovial, sa bonne humeur reprenant le dessus sur son échec. J’étais sûre que si elle s’était entrainée autant qu’elle souriait, elle aurait eu un bien meilleur niveau. Cependant, je n’avais pas le temps de m’appesantir sur le sort de cette jeune imbécile. En effet, déjà, la lumière de la case de Jack s’éteignait et il était temps pour les noirs de jouer leur premier coup.
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Je pense n’avoir jamais autant appréhendé un premier mouvement que celui de cette partie. Les implications derrière le jeu dépassaient tous les enjeux que j’avais expérimenté jusqu’alors. Certes, j’en ai vu d’autres depuis, mais à l’époque, c’était une toute autre histoire. Comme attirés par une sorte de magnétisme naturel, je me souviens que nous nous sommes tous tournés vers La Tasse, comme si son statut de maître de soirée le plaçait aussi en directeur de partie. Evidemment, il avait souri aimablement, peu surpris, et avait pris la parole comme nous l’attendions.

« Bien, il semblerait que ce soit notre tour. »
« Tu m’en diras tant… »
« Nous devons nous mettre d’accord sur la stratégie à suivre. Dans cette situation, une stratégie défensive me paraît appropriée. »
« Parce qu’à quatre vous croyez vraiment qu’on a le luxe de tenir une position défensive tout au long de cette partie ? Vous avez remarqué qu’ils ont une reine, en face ? Si on ne les pousse pas à se mettre en danger et à confronter les pièges, on part perdant. »
« Ce n’est pas une vision très optimiste. »
« On ne gagne pas une partie avec des de la bonne humeur. »
« Léo, qu’en penses-tu ? »

Peu loquace, le petit rouquin n’avait clairement pas l’intention de l’ouvrir sans une interpellation directe. Et même là, il hésita à parler, ses joues s’empourprant et son regard fuyant les nôtres. Finalement, il agrippa sa lampe de poche pour se donner du courage et parla d’une voix mal assurée.

« Il faut qu’on bouge Queen. Elle est dangereuse et si elle est éliminée, c’est pas grave pour le tournoi. »

Je dois avouer que sa réponse m’a surpris. Je ne m’attendais pas à ce que ce gosse soit aussi calculateur, mais il tapait dans le mille. Queen était un atout de notre partie, une pièce puissante mais qu’on pouvait sacrifier sans regret. Elle pouvait être aussi bien défensive qu’offensive et nous servir d’éclaireur quant aux pièges.

« Je suis d’accord avec lui. On peut l’avancer en ligne quatre pour menacer Jack. Même sans attaquer, la menace directe peut détruire leur cohésion si Jack veut sauver sa peau. »
« Queen ? »
« Ca me parait censé. »
« Je suis également d’accord avec cette stratégie de départ, nous aviserons par la suite quant à la conduite à tenir. »

Sans plus de cérémonie, la jeune femme se mit en mouvement. Elle était calme et son visage impassible de trahissait aucune inquiétude. Finalement, lorsqu’elle posa son pied sur la case qu’elle visait, il ne se passa rien. Aucun piège ne se déclencha et nous respirâmes tous. Nous partions avec un léger avantage.

Spoiler:

En face, les blancs se concertèrent à nouveau, leurs lèvres s’agitant furieusement sans qu’aucun mot ne parvienne à nos oreilles. Jack nous tournait le dos, et il était impossible de savoir si sa position l’inquiétait ou s’il était prêt à prendre un risque et rester immobile malgré la présence de Queen. Nikolas faisait de grands gestes que sa petite taille rendait ridicules. Quant à Isaac et Lys, ils restaient froids et impénétrables. Après quelques minutes de discussions véhémentes, ils se calmèrent enfin et Jack fit un pas en avant pour se dégager du chemin de notre tour. Il ne se passa rien, mais nous avions pris un tour d’avance.

« Il faut continuer sur cette lancée. Les forcer à bouger pour les empêcher de se placer stratégiquement. »
« C’est à double tranchant, si nous agissons ainsi, nous ne serons pas en mesure de nous positionner intelligemment. »
« Les pièges sont à prendre en compte. Plus ils bougeront, plus ils y feront face et seront confrontés à des difficultés. »
« Nous aussi. »
« On a un tour d’avance, Queen est bien placée, on peut se le permettre. »
« La prise de risque n’est pas la meilleure attaque sur ce plateau. »
« Bien sûr que si. Cette partie est basée sur les risques, à quoi bon placer des pièges si ce n’est pas pour nous inciter à les confronter ? »
« Je vous rappelle que j’ai créé cette épreuve. »
« Si vous ne voyez pas l’évidence, c’est que vous êtes stupides. »
« Vous êtes décidément bien insolente. »
« Mais je sais jouer. »
« Alors joue. »

Encore une fois, je fus surprise par la voix fluette de Léo. Je l’avais complètement oublié, occupée à faire rentrer une idée dans la minuscule cervelle de mollusque de ce crétin d’homme-poisson. Avec une tête aussi petite, va savoir comment il pouvait seulement être capable de parler.

« Tu veux que je joue ? »
« Tu peux pas prendre le roi sur une case noire, alors tu dois attaquer les autres. Si tu restes ici, tu pourras pas. Tu dois bouger. »

Ce gosse était surprenant de justesse. Pour la deuxième fois consécutive, il imposait sa parole et proposait une solution efficace. Du moins à mes yeux. Je n’étais pas tout à fait certaine que La Tasse approuvât, mais avant qu’il pût dire un mot, je prenais les devants et entamait mon mouvement. L’homme-poisson ne dit rien et se contenta de suivre ma trajectoire assurée jusqu’en F5, me positionnant non loin de l’actualisation de position de Jack. Et, à nouveau, il ne se passa rien, le sort nous préservant des pièges du plateau. Avec un sourire franchement arrogant, je haussais les sourcils en direction de Lys, attendant de voir comme son camp allait réagir à ça. J’étais placée idéalement pour éjecter Isaac du terrain, mais cela impliquait de me sacrifier pour me faire attraper par Lys au tour suivant. Il était évidemment hors de question que j’agisse de la sorte, mais ça, les blancs n’avaient pas besoin de le savoir. Toutefois, il était probable que Lys ait deviné que je n’avais pas l’intention de perdre ici. Restait à voir l’influence que ses paroles auraient sur les autres dans cette situation tendue.

Spoiler:

Avec un côté répétitif presque agaçant, les blancs se concertèrent de nouveau, mais cette fois-ci j’étais suffisamment proche pour entendre quelques bribes de mots. Toutefois, conscients de ma présence, les blancs s’en tenaient au minimum et Jack faisait preuve d’une discrétion exemplaire dans ses mots et ses gestes. J’avais toutefois une vue imprenable sur la mine contrite de Lys et voyait son agacement prendre le pas sur la grâce de son visage à mesure que le débat avançait dans le petit groupe. La reine manquait clairement d’autorité, à ma grande satisfaction. J’en eu d’ailleurs la confirmation lorsqu’Isaac avança en C3, devenant alors impossible à prendre. Du moins par moi, car dès lors qu’il se fut arrêté, sa case s’éclaira et une fumée légère s’éleva jusqu’à son visage. Surpris, il ne put qu’en respirer une pleine bouffée et, devant nos yeux anxieux, nous vîmes sa face se transformer, perdant son expression bougonne et bourrue, pour arborer une sorte d’impression perplexe, curieuse, comme s’il ne savait plus vraiment où il se trouvait. Cependant, il ne bougea pas, ne prononça pas un mot, se contentant de regarder autour de lui avec les sourcils froncés par la concentration. Sa case s’éteignit et après quelques instants de flottement, nous comprîmes que c’était à notre tour de jouer.

Cette fois ci, nous n’étions plus si sereins vis-à-vis de notre avance. Nous lancions des regards anxieux à Isaac, cherchant à comprendre ce qui lui arrivait. Il avait probablement reçu un quelconque gaz hallucinogène ou une autre drogue qui le plongeait dans un état de confusion, mais nous ne savions pas combien de temps cela allait durer et quels effets cela aurait sur la stratégie des blancs. Isaac allait-t-il devenir hors de contrôle et attaquer sans réfléchir, nous mettant en danger ? Pour le moment, nos positions nous assuraient la sécurité, mais rien n’empêcherait Isaac d’avancer dans la mauvaise direction. Et même s’il serait éliminé avec un déplacement interdit, ça ne nous empêcherait pas de prendre un mauvais coup avant qu’il soit arrêté, ce qui pourrait nous mettre hors jeu également. Les pirates avaient après tout tendance à se montrer violent.

« Nous devons jouer. »

La voix calme de Queen nous ramena à la réalité et je détachais mon regard d’Isaac pour me concentrer à nouveau sur la partie.

« Je ne peux pas bouger sans me mettre en danger et un déplacement de Léo serait inutile pour le moment. Reste donc la tour et l’autre cavalier. »

Résumer la situation permit de dissiper un peu la tension et une décision fut prise bien plus rapidement qu’auparavant.

« Bien, à mon tour d’entrer en scène alors. Je mettrai Jack en danger à nouveau. Toutefois, je doute que cette stratégie soit bien efficace cette fois-ci. Elle implique un sacrifice que le camp adverse me saura refuser de faire. »

Chacun de nous approuva et La Tasse rejoignit la case F6. Sitôt qu’il y fut installé, celle-ci s’illumina et la voix de Sonia retentit :

« F6, case piégée. Monsieur La Tasse, vous devrez résoudre un problème d’échecs*. »

Spoiler:

La vague d’anxiété que j’avais ressenti à l’idée du piège fut dissoute à l’annonce de l’épreuve. Quand bien même j’étais sceptique quant aux capacités intellectuelles d’un homme-poisson, j’avais vu jouer La Tasse et ne doutais pas qu’il fût capable de passer outre l’énigme en quelques minutes. Et, sans surprise, ce fut le cas. L’hôte de la soirée hésita quelques instants, fit quelques gestes comme pour se représenter l’échiquier, et donna la réponse juste. Pour ma part, je l’avais également trouvé avec une certaine facilité, comme si baigner dans cet environnement de cases noires et blanches décuplait ma capacité à me projeter et à comprendre toutes les subtilités du jeu. C’était une sensation agréable, mais je n’avais pas le temps de m’épancher dessus car, déjà, la partie reprenait. Cette fois-ci, les blancs adoptèrent une posture plus qu’agressive, décidant enfin de mettre leur reine en avant. Lys se déplaça sans crainte jusqu’en E2 pour aller confronter notre roi qui se trouvait en plein dans sa ligne de mire. Pour la première fois de la partie, nous étions en danger. Toutefois, il ne nous fallut pas longtemps pour réagir et envoyer Queen se dresser sur le chemin de Lys. En se plaçant en E4, Queen se plaçait idéalement pour empêcher Lys de bouger et, si cette dernière décidait de s’en prendre à notre tour, je me serais fait un plaisir de la virer du plateau. Cette garce arrogante n’avait qu’à retourner sagement en arrière ou se faire bouffer. Je n’eus toutefois pas le temps de savourer ce moment que la case de Queen s’illumina.

« E4, case piégée. Queen, vous changez de rôle. Vous serez désormais un fou. »

Spoiler:

Ça, personne ne l’avait vu venir et plusieurs exclamations de surprise retentirent tant sur le plateau que chez les spectateurs. Voilà qui allait impliquer un changement de stratégie assez radicale… Cependant, nous n’étions pas les seuls à être dans une situation délicate. En effet, alors que nous l’avions oublié avec les derniers mouvements, Isaac changea de position sans que personne n’ait eu le temps d’énoncer une parole. Malgré un air confus toujours clairement visible sur son visage, il semblait également très déterminé et il marmonna quelque chose que je crus comprendre être les mots « roi » et « garde » et il se positionna tout prêt de Lys en D1. En réponse, de notre côté, comme s’il avait compris lui aussi quelque chose, Léo s’avança sans attendre que nous ayons pris une décision. Il vint se placer prêt de Jack. C’était tout simplement idiot et suicidaire. Le pion n’aurait besoin que d’un geste pour se faire dévorer alors que La Tasse aurait pu régler le sort de l’homme en un coup. Je laissais échapper un juron et m’apprêtait à insulter le sale gamin quand il se produisit un phénomène curieux. Alors que tous ses compagnons encourageaient Jack à manger Léo, l’homme ne se décidait pas à accomplir sa mission. Au contraire, il regardait fixement l’enfant qui agitait doucement sa petite lampe rouge, incitant l’homme à ne pas bouger en murmurant. Surprise, j’observais la scène sans mot dire, presque hypnotisée moi aussi par le mouvement régulier de la lampe. Je compris alors qu’une part du talent du garçonnet résidait dans sa capacité à hypnotiser ses adversaires. Décidément, ce môme était plein de ressources.

Spoiler:


Jack était complètement perdu dans le chatoiement écarlate et se refusait à avancer. Aussi, ce fut finalement Nikolas qui amorça son premier mouvement de la partie pour se placer en G2 et menacer Queen. La jeune femme se retrouvait ainsi bloquée, ne pouvant bouger sous peine de laisser la voie libre jusqu’au roi pour Lys. Son sort semblait réglé, mais, dans le fond, j’estimais qu’il ne s’agissait pas d’un mal car un changement de rôle pour Isaac pourrait s’avérer utile pour nous. Aussi, ce fut Léo qui se déplaça à nouveau pour former un double rempart sur la voie de Lys, une fois que Queen aurait disparu.

Spoiler:

Comme prévu, Nikolas ne put ignorer la prise facile et s’empara de Queen qui, alors que Nikolas se dirigeait sur elle, tomba dans le filet sous sa case, libérant la place pour le petit bonhomme. Évidemment, le piège se déclencha à nouveau et de fou, Nikolas passa à cavalier. Cependant, il ne le fut pas bien longtemps que déjà, La Tasse prenait ce nouveau cavalier pour devenir Reine.

Spoiler:

Cette partie devenait franchement ridicule. Cependant, la situation se trouvait renversée totalement, Lys se trouvant bloquée sur sa case, contrainte de protéger son roi à  tout prix. Proche d’elle, Isaac se refusait toujours à bouger, et ce fut donc Jack qui reprit son avancée, passant en D6.

« D6, case piégée. Les blancs se regroupent tous en D6. »

Là, je dois avouer qu’on s’est tous regardés avec un air ahuri. Sérieusement, ils nous dégageaient le passage aussi poliment ? C’était d’un ridicule à pleurer. Sérieusement, on aurait presque pu tous les éliminer d’un coup si Léo avait été mieux placé et sans cette règle stupide qui nous imposait de prendre le roi. Mais au moins, nous avions gagné la partie. En effet, La Tasse ne tarda pas à s’avancer jusqu’au roi blanc et à déclarer solennellement :

« Echec et mat. »


Spoiler:






* La narratrice en ayant un petit peu marre de se prendre la tête avec des stratégies d’échecs, elle a décidé de laisser au lecteur le soin de piocher le problème d’échec de son choix ici et d’imaginer La Tasse le résoudre. Vous pouvez appeler ce moment de narration obscur un flou artistique. Merci de votre compréhension o/
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« Un joueur en moins ? Vous voulez dire que nous venons de passer cette épreuve pour nous retrouver à six au lieu de sept ? C’est ridicule ! »
« T’aurais préféré que les perdants soient éliminés ? »

Les lèvres pincées, Lys ne répondit pas immédiatement. Visiblement, elle avait sa défaite en travers de la gorge. Ceci dit, aussi jubilatoire que soit le fait de l’avoir écrasée, j’étais plutôt d’accord avec elle. J’avais l’impression d’avoir joué pour rien. Qu’on soit six ou sept ne changeait strictement rien à la compétition.

« Bien sûr que non. Cette épreuve était inégale et une perte de temps, vous pouviez sacrifier Queen comme bon vous semblait. »
« Parce qu’à quatre contre trois ça aurait été égal peut-être ? »
« Ce n’est pas la question ! »
« Ben tiens, tu m’en diras tant. Sinon t’es au courant que sacrifier une tour c’est juste jouer connement ? »
« Pas besoin d’être vulgaire. »
« Je suis pas vulgaire, t’es conne, j’y peux rien. »
« Quoi ? Je n’ai pas de leçon à recevoir d’une petite arriviste stupide qui ne doit sa place dans cette compétition qu’à la chance ! »
« Tu me rappelles qui a gagné les deux premières manches, pétasse ? »
« C’était de la chance ! Battre cette vieille femme était un jeu d’enfant, tout le monde le sait. »
« J’ai tout entendu, pute insolente ! »
« C’est ta répartie de cour de récré le jeu d’enfant ! »
« Mesdemoiselles, je vous en prie… »
« Mais c’est elle qui… »
« Mais c’est elle qui… »

Réalisant que nos paroles se faisaient écho, nous nous tûmes en même temps, échangeant au passage un regard mauvais. A côté de moi, je voyais Jack arborer un sourire goguenard, clairement plus amusé qu’agacé par la situation. C’était n’importe quoi.

« On fait quoi maintenant ? »
« Nous continuons la compétition. J’ai envisagé l’éventualité selon laquelle nous serions trop nombreux pour la troisième manche, alors je vous propose de nous départager avec une étape intermédiaire. »

Il se tut un instant pour nous dévisager Lys et moi, mais comme nous étions fermement décidées à ne plus prononcer un mot, il reprit paisiblement.

« Nous sommes six, cette épreuve divisera le nombre de participants par deux. »
« Et vous appelez ça une épreuve intermédiaire ? »
« Le terme est peut-être mal choisi, j’en conviens, sourit l’homme-poisson. Ainsi, pour décider qui participera à la troisième manche, nous allons à nouveau nous affronter en un contre un. Seulement, encore une fois, nous serons confrontés à un type d’échecs particulier : nous nous affronterons sur un plateau à plusieurs niveaux. »
« ‘teh, qu’est-ce que c’est que ça encore ? »

J’étais aussi perplexe qu’Isaac qui, par ailleurs, avait repris du poil de la bête. Je n’avais jamais entendu parler de plateau nivelé et je ne comprenais pas vraiment de quoi il était question. Autour de nous, les spectateurs comme les joueurs n’avaient pas l’air d’être plus au courant et La Tasse savourait son effet de surprise. Finalement, après un moment de suspense, il nous invita à revenir à la grange pour découvrir ce qui nous attendait.

Le chemin du retour fut ponctué de questions insistantes à La Tasse. Cependant, malgré la curiosité du groupe, l’homme poisson refusait de répondre à la moindre interrogation. Pour ma part, je n’essayais même pas et me contentais d’espérer que Lys se péterait une jambe sur le sentier escarpé. Évidemment, ça n’arriva pas et, quoiqu’elle ait pu en dire en trébuchant, je ne lui ai pas fait de croche pied sur la route. Comme à l’aller, Léo nous guida et rapidement la grange fut en vue.

Dans le noir, dissimulée aux yeux de la ville grâce au relief du terrain, elle brillait d’une lueur presque irréelle. Il s’était remis à pleuvoir, de cette pluie lourde, chaude et orageuse qui, mêlée à la lumière qui filtrait de la grange, nimbait le bâtiment d’un halo doré. Des sifflements aigus parvenaient jusqu’à nous, échos du vent qui s’insinuait entre les planches des murs. Par moment, il donnait presque l’impression de former des mots et les flammes vacillantes des torches ne faisaient rien pour lutter contre l’aspect cauchemardesque de l’endroit ; elles renvoyaient des ombres aux silhouettes monstrueuses. Cependant, rien de tout cela ne nous arrêta et notre petite troupe continua son chemin tranquillement, quoique certains avaient l’air nerveux, jusqu’à nous trouver à l’abri des murs branlants.

« Bien, j’espère que cette douche improvisée n’aura pas refroidi vos ardeurs, mes amis. »

L’homme poisson laissa échapper un rire à sa plaisanterie et je crus un instant qu’il était en train de s’étouffer avant de réaliser que ce râle rauque qui sortait de ses branchies était un signe d’amusement. Et, soit dit au passage, il était bien le seul à trouver sa remarque drôle. D’ailleurs, constatant qu’il avait fait un bide, il toussa d’un air gêné et reprit la parole comme si de rien n’était.

« Passons donc à la suite des événements. Queen, si vous voulez bien aller chercher les échiquiers. »

La jeune femme acquiesça et se dirigea vers une large malle posée dans un coin. Seulement, avant d’avoir pu atteindre sa destination, Isaac s’interposa et, posant la main sur son épaule pour l’arrêter, il lança un regard dur à La Tasse.

« Je crois pas, ‘teh. »
« Pardon ? »

Le pirate ne répondit pas et porta deux doigts à sa bouche pour pousser un sifflement strident qui me rappela terriblement celui du vent, quelques instants plus tôt. Et, alors qu’une horde de pirates surgissait soudain dans le bâtiment, je réalisais que, peut-être, le temps n’avait pas été responsable des ombres effrayantes de l’extérieur.  


Dernière édition par Louise Mizuno le Dim 9 Nov - 1:49, édité 1 fois
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« Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce qu’il se passe, Isaac ? »

La petite voix stridente de Nikolas fut la première à retentir après l’arrivée des pirates. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu’il eût choisi les questions les plus pertinentes. Pas besoin d’être Vegapunk pour comprendre qu’Isaac était un pirate qui en avait après la richesse évidente de La Tasse ou après le fruit du démon. Peut-être même les deux. Et, si La Tasse était vraiment poissard, on pouvait même envisager qu’Isaac fût un marchand d’esclaves. Je crois que, sur le moment, je me suis demandée si j’avais les moyens de l’acheter…

« ‘teh, y s’passe que j’en ai assez de faire le guignol ici. Queen, ramène-moi le fruit du démon et y’aura pas de blessés. »
« Non. »

Le sang froid dont elle faisait preuve m’impressionnait. Elle restait impassible quand bien même la poigne d’Isaac lui broyait l’épaule. Même la voix de la jeune femme n’avait pas bougé d’une octave.

« Sois pas bête, Queen, donne-lui ce qu’il veut ! »

Sans oser bouger, Roland implorait Queen mais celle-ci restait imperturbable. Elle reçut d’autres encouragements de quelques personnes, mais se refusait à obtempérer. Au lieu de cela, elle fixait La Tasse, semblant le percer jusques au fond du cœur de son regard mortel. Son visage était froid et rigide, mais ses yeux brûlaient d’une haine que je n’avais pas perçu jusqu’ici. L’homme-poisson restait silencieux, semblant incapable de lui intimer d’abandonner le fruit. Il avait perdu de sa bonhommie et ses larges épaules étaient roides d’une tension nouvelle qui n’avait plus rien à voir avec la compétition.

« Sinon, vous pouvez aussi fouiller la grange vous-mêmes… hasardais-je, agacée par la situation. »

De nombreuses têtes se tournèrent vers moi, étonnées ou furieuses pour ce que j’avais osé dire. Plus que les autres, Lys me fusilla du regard et je compris qu’elle était prête à sacrifier Queen pour garder le fruit. Comme si elle avait eu une chance de gagner…

« ‘teh, t’as raison la nouvelle. Georges, Marcel, fouillez-moi c’t’endroit, et plus vite que ça ! »

***

« Georges et Marcel ? »
« J’ai oublié leur prénom depuis… »
« … »
« Oh, c’est bon, j’ai pris les deux premiers qui me sont venus par la tête. »
« Georges et Marcel ? »
« Je t’emmerde ! »


***

Les deux hommes se mirent en mouvement pendant que le reste des pirates surveillait notre groupe. Leur allure patibulaire et peu avenante réfrénait mon envie d’essayer de leur taper dessus. Ils étaient armés, visiblement rôdés au combat, autant dire que nous n’avions aucune chance en tentant de résister. Toutefois, cela n’arrêta pas Queen.

La jeune femme se dégagea de la prise d’Isaac d’un mouvement fluide et inattendu et se précipita au fond de la grange, ouvrit la malle qui devait contenir les échiquiers que nous allions utiliser, et en retira le petit coffret contenant le fruit. Lorsque les pirates tentèrent de s’en emparer, elle s’éloigna encore jusqu’à atteindre une torche dont elle s’empara pour dissuader les hommes de s’approcher.

« Laissez partir les autres et je vous remettrai le coffret. »
« ‘teh ! ‘teh ! ‘teh ! » Le rire gras d’Isaac me fit frissonner. Cette histoire allait mal se terminer à ce rythme. « Queen, sois pas stupide, j’ai pas besoin d’m’approcher pour récupérer c’te boîte. Donne-moi le fruit. »

A ces mots, le pirate sortit un pistolet qu’il pointa sur la jeune femme. Isaac n’était peut-être pas un exemple de finesse, mais il savait se montrer efficace pour obtenir ce qu’il voulait.

« C’est impossible. »
« C’que t’es têtue, ‘teh ! »
« Non, ce n’est pas une question d’entêtement. Je ne peux réellement pas vous donner le fruit… »

A ces mots, elle ouvrit le coffret et, à la stupéfaction de tous, il était vide.

« Il a déjà été mangé. »
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Les mots de Queen furent un raz de marée dans la salle. Ils recouvrirent le monde par leur impact avant que le silence ne s’impose, béant chaque lèvre.

Le coffret était vide. Aucune trace de l’étrange fruit aux motifs bicolores. Mais le fruit n’avait pas seulement disparu. Il avait été mangé. Par qui ? Comment ?

Dans le silence, des regards s’échangèrent et la suspicion sembla se doter de sa propre partition. Les cœurs battants faisaient échos aux respirations rapides et je sentais venir, peu à peu, le moment où, pareil à un reflux, la tension lâcherait pour laisser place à la prochaine vague.

Sans surprise, ce fut Isaac qui craqua.

« QU’EST-CE QUE CA VEUT DIRE ? »

Le rugissement fit sursauter bon nombre d’entre nous, y compris des pirates. Cependant, nous fûmes moins nombreux à avoir le réflexe de nous reculer lorsqu’il se précipita dans la foule, d’une démarche lourde de menace, comme s’il espérait trouver le coupable d’un simple regard. Mais aussi fous que fussent ses yeux, ils ne décelèrent aucune trace du fruit. Il s’agita, cherchant plusieurs minutes durant, brutalisant sans vergogne ceux qui tentaient de s’opposer à lui, en vain. Pour ma part, consciente de la folie qui habitait désormais l’homme, je faisais en sorte de me déplacer discrètement, restant toujours à l’ombre de la carrure d’un autre.

Je n’en avais rien à carrer de ce fruit. Je n’avais participé à ce tournoi que par intérêt pour le jeu, pour tester mon niveau et prouver ce que je valais dans mon domaine de prédilection. Je n’avais jamais eu l’intention de dévorer ce fruit et je ne souhaitais pas être la victime des conneries d’un autre. Toutefois, glissant un regard vers Queen, je me demandais à qui elle avait bien pu laisser l’opportunité de dévorer le fruit. La Tasse ? C’était idiot, il aurait pu le dévorer seul bien plus tôt s’il l’avait désiré. Il avait désiré le mettre en jeu, il n’avait aucune raison de tricher et de le bouffer en douce. Queen elle-même aurait eu l’opportunité bien avant le tournoi. Mais qui, alors ? Queen savait que le fruit avait été mangé, elle avait donc connaissance du coupable et peut-être même était-elle complice. La jeune femme aperçut mon regard et me lança un énigmatique sourire auquel je ne répondis pas. Elle nous foutait tous dans la merde, j’avais pas l’intention de copiner maintenant. Toujours est-il que mes mauvaises manières me sauvèrent d’un mauvais coup. En effet, alors que j’avais le dos tourné, Isaac m’avait finalement repéré et s’apprêtait à me saisir au collet. Seulement, je m’en aperçus et, par pur réflexe, m’écartais prestement.

« C’est toi, hein ? ‘teh ! T’es pas là par hasard ! »
« Ca va pas, non ? Foutez-moi la paix, j’ai rien à voir avec vos conneries ! »
« C’est elle, j’en suis sûr ! » s’exclama soudain Nikolas d’une voix nasillarde.
« Cette poufiasse de gamine est une délinquante, je la vois faire tous les jours. Elle a sûrement volé le fruit ! »
« Ou…ouais… C’est sûrement elle… Hein ? » Roland avait l’air complètement paumé, sa voix incertaine alors que son regard restait posé sur Queen. Mais personne ne se posa de question sur son accusation et les dénonciations calomnieuses continuèrent à tomber.
« Je le dis depuis le début que cette fille n’a rien à faire ici. Elle n’est pas honnête, c’est évident ! »
« Super, j’adore jouer les boucs-émissaires. »

Mon ironie manquait de conviction et c’était plus une tentative pour me redonner du courage que pour convaincre quiconque. Ils étaient en danger et tout me foutre sur le dos était le moyen le plus efficace pour se sortir de la merde. Moi, je ne pouvais que reculer en voyant les pirates avancer, plus menaçants que jamais. Une contre dix, y’a pas, c’était honnête…

« Je vous répète que j’en ai rien à foutre de ce fruit ! Faut être con pour bouffer une merde pareille en habitant au bord de l’eau ! »
« ‘Teh ! Ca suffit, blondie, qu’est-ce que t’en as fait ? »
« Mais rien, putain ! »
« Si tu me le donnes, je serai clément, ‘teh. »

J’avais l’impression que la scène se déroulait au ralenti alors que j’exécutais un curieux pas de deux avec les pirates. Mais je ne pouvais pas lutter contre eux et je reculais avec de plus en plus de précipitation, sans voir où je mettais les pieds. Et évidemment, ce qui devait arriver arriva : mon talon se prit dans l’une des aspérités du sol et je perdis l’équilibre. Avec horreur, je sentis mon corps basculer et avant d’avoir pu me reprendre, je chutai lourdement, heurtant le sol avec le même talon qui avait provoqué ma chute.

J’étais foutue. J’en étais sûre. Alors, dans un réflexe très con, je fermais les yeux en attendant l’impact. Mais il ne vint jamais. Au lieu de ça, des exclamations de surprise s’élevaient à nouveau et, lorsque j’ouvris les yeux, je découvris avec stupeur un immense échiquier sur le sol, semblable à celui de l’extérieur, et chaque personne était prise sur une case dont elle ne parvenait à sortir.

Quelqu’un venait de déclencher les pouvoirs du fruit.

Hébétée, je regardais autour de moi : fous, rois, reines, pions… Chaque pièce représentée sans qu’aucun changement ne soit réellement apparu chez quiconque, si ce n’est une légère teinte sur leur vêtement pour distinguer les camps. Mais alors… Comment étais-je capable de distinguer chaque pièce ?

Quelqu’un venait de déclencher les pouvoirs du fruit. Et, ébahie, je réalisais que ce quelqu’un, c’était moi.
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« Pas intéressée, hein ? Alors qu’est-ce que c’est que ça ? »

Les joues empourprées par la colère, Lys fut la première à réagir. Si un regard avait pu tuer, je peux t’assurer que je serais morte. Douloureusement.

« Mais j’en sais rien ! »

Moi aussi j’avais envie de lui mettre une mandale à cette garce. Je n’étais pas responsable de ce qui arrivait. Je n’avais pas mangé de fruit, je n’avais pas voulu le manger, et je ne comprenais absolument rien à ce qui se passait.

« Je vous en prie, les circonstances sont contre vous, mademoiselle. Expliquez-nous donc ce que signifie cette mascarade. »
« Mais y’a un oursin qui vous pousse dans les oreilles ou quoi ? Je n’en sais rien. »

La Tasse, qui était enfin sorti de sa léthargie, me contemplait d’un air sceptique que ses yeux globuleux rendaient ridicule. Toutefois, sa voix basse et calme sembla apaiser tout le monde, comme si tous se reposaient sur lui, le maître de cérémonie.

« Vous êtes la seule à pouvoir nous renseigner. Vous ne pouvez ignorer votre propre condition. »
« Ben si. »

Et sans plus de manière, je croisais les bras et m’asseyais sur ma case, décidée à attendre que ces conneries se terminent. Ma réaction tira un soupir à l’homme poisson, ses branchies se gonflant de lassitude, alors qu’Isaac se remettait à tonitruer.

« ‘teh, cette nana nous prend pour des abrutis. T’as intérêt à faire quelque chose pour changer ça ! »

Je m’emmurais dans mon silence. Je ne savais pas quoi faire et je ne contrôlais pas ce fruit. Même si j’avais une idée quant à la manière de libérer tout ce beau monde, il était hors de question que je lève le petit doigt, c’était juste un coup à me faire buter. Alors, je tentais de contrôler la situation du mieux que je pouvais.

« Allons, c’est idiot tout ça. A quoi bon dissimuler la vérité ? »

Ce ne fut pas non plus le petit doigt que je levai en direction de Jack.

« Tu vas pas faire la maline longtemps, ‘teh. J’suis prêt à parier qu’une balle peut traverser ce bel échiquier. Tu veux jouer, blondie ? »

Et merde. J’étais sûre qu’il avait raison. Aussi, sans me soucier d’être digne, je me relevai.

« Et tu veux que je fasse quoi ? Que je vomisse un fruit que je me souviens pas avoir bouffé ? Si tu veux savoir qui est responsable de toute cette merde, demande-donc à l’autre bonniche là-bas. Elle, elle savait que le fruit avait été mangé ! »

Dans un mouvement uni, suivant mon doigt accusateur, toutes les têtes se tournèrent vers Queen qui occupait à nouveau le rôle de la tour noire dans le coin de mon échiquier.

« Queen, y êtes-vous vraiment pour quelque chose ? »

Pour la première fois de la soirée, La Tasse perdait de sa superbe au prix d’émotions sincères. Sa voix hésitante semblait peinée par la possible trahison de son employée. Je ne savais pas quelle était leur relation, mais visiblement, ils étaient suffisamment proches pour que l’homme poisson ressente une douleur véritable suite à ce retournement de situation.

« Oui. »
« Quoi ? Mais pourquoi ? »
« Parce qu’il était hors de question que je prenne le risque de voir ce fruit mangé par l’une de ces ordures de bourgeois de votre club stupide. »

Le masque d'impassibilité de Queen se fissura, laissant entrevoir une haine profondément enfouie. Derrière ses mots prononcés sur un ton trop calme, on devinait la marque du ressentiment. Et, évidemment, qui payait le prix de sa rancœur ?

« Je suis pas opposée à ce raisonnement, ça me ferait chier aussi que l'autre pouf' le gagne, mais pourquoi moi ? J'veux dire, tu vas pas me faire croire que Léo, Rose ou Sonia sont des gosses de riche ? Même Kevan, Roland ou Isaac ne roulent clairement pas sur l'or. Et même toi, t'aurais pu le manger. »

A la réaction de la foule autour de moi, je venais clairement de poser les bonnes questions. Bon, Kevan me lança un regard noir par rapport au fait qu'il avait une gueule de clochard, mais dans l'ensemble, c'était la même curiosité qui brûlait les lèvres de chacun. Ainsi qu'une certaine déception pour certains.

« Je ne savais pas que vous le mangeriez. »
« Quoi ? Je comprends rien. Comment est-ce que t'as pu me le faire manger, d'abord ? »
« Le ponch. »
« Pardon ? »
« En début de soirée, après avoir présenté le fruit, j'en ai découpé plusieurs morceaux que j'ai versé dans certains verres de ponch. Je les ai servi et vous avez été la première à avaler un morceau du fruit. »

Soudainement, je me rappelai le goût infâme de la boisson, le regard fixe de Queen au moment de me servir, la facilité que j’avais eu plus tard à suivre la partie à l’aveugle de Jack… Depuis le début de cette putain de soirée, j’avais mangé un putain de fruit. Je ne savais même pas quoi dire. Je devais être la seule de cette salle à ne pas vouloir de ces conneries de pouvoir et ils me tombaient dessus sans que je demande quoique ce soit. Toutefois, La Tasse m'épargna la lourde tâche de répondre.

« Mais Queen ? Pourquoi cette rancœur ? Je nous croyais amis. »
« Amis ? Amis ? Ne soyez pas ridicule. Toutes ces années que j'ai passé en votre compagnie, c'était simplement pour honorer la mémoire de mon grand-père. Le pauvre fou n'a jamais réalisé que vous étiez responsable de sa chute. Mais il était sur son lit de mort, je n'étais qu'une enfant, que pouvais-je faire sinon attendre ? Alors j'ai attendu. Je me suis pliée à vos volonté. J'ai suivi votre ascension sociale en serrant les dents pour attendre de vous retirer ce qui vous importait le plus. »

La Tasse ouvrit la gueule pour répondre, mais aucun mot ne sortit. Les propos de Queen semblaient l'avoir assommé. Pour ma part, je n'avais pas grand chose à fiche de ces histoires de famille et de vengeance. Bien au contraire, j'avais eu assez à gérer de mes problèmes sans avoir envie de m'intéresser à ceux des autres. Pour le moment, seul m'importait de sortir d'ici entière, sans me faire tuer par un pirate cupide.

« Queen, tu perds rien pour attendre, ‘teh. » La tournure des événements ne plaisait pas à Isaac. Ce dernier se tourna à nouveau vers moi, le canon de son arme pointé sur mon visage – des fois que ça te rappelle quelqu’un. « Et toi, tu vas nous libérer tout de suite ou je te fais sauter la cervelle ! »

Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre sinon obéir ? J’étais assez partisane de l’idée de faire sa fête à Queen, aussi, dans un geste que je supposais être le bon, je frappais le sol de mes pieds pour faire disparaitre l’échiquier. J’avais vu juste et la salle reprit son apparence normale.

Isaac ne perdit pas de temps et me saisit par les poignets, me menaçant toujours de son arme.

« Oh, tu fais quoi, là ? C’est elle là-bas qu’est responsable ! »
« ‘teh, comme si j’allais laisser filer une poule aux œufs d’or dans ton genre. J’suis sûre j’peux te revendre cher pour distraire un noble. »

Bon, au moins, il ne voulait pas me tuer. Je lançais toutefois un regard autour de moi, des fois que quelqu’un fasse preuve de courage, mais tout le monde était tétanisé et les pirates d’Isaac veillaient au grain, tuant dans l’œuf toute velléité. Je n’avais pas l’intention de terminer ma vie comme esclave, mais je ne voyais pas comment me démerder dans cette situation. J’étais désarmé et j’avais bouffé l’un des fruits les plus inutiles au monde. Super soirée.

Je commençais à désespérer lorsque la vue d’un échiquier posé contre un mur, ses pièces renversées sur le plateau, me donna l’illumination nécessaire pour me sortir de ce traquenard.  
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Je n’aurais pas dû réfléchir. Je n’ai pas voulu agir inconsidérément et, curieusement, je le regrette. Même aujourd’hui.

Isaac me traina sans ménagement jusqu’au coin où se tenait Queen. Il aboya des ordres à ses hommes, leur dictant de garder l’œil sur les autres, de ne laisser personne fuir ou tenter d’acte inconsidéré. Déjà attentifs, les pirates devinrent scrupuleux dans leurs gestes et regards, relevant les armes, se déplaçant de manière à encercler la foule tout en protégeant les différents points d’accès à la grange. Instinctivement, les joueurs se resserrèrent les uns contre les autres, les plus faibles au centre tandis que les plus massifs ou les plus courageux carraient les épaules dans un espoir dérisoire d’impressionner leurs assaillants. Du coin de l’œil, je voyais l’homme poisson observer Queen.

La jeune femme se tenait droite et digne et je ne pus que me sentir admirative face à son sang froid ; la colère d'avoir été dupée s'évanouissait peu à peu au profit d'une fascination pour cette femme qui avait probablement été une stratège hors-pair. Malgré la situation, elle faisait preuve d’une noblesse réelle à laquelle les aristocrates de la salle ne pourraient sans doute jamais prétendre. Plus que jamais, Queen faisait honneur à son prénom.

J’aurais dû agir.

Isaac le fit à ma place.


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BANG


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Le fracas de la balle résonna longtemps dans mes oreilles.

Il y eut un cri, des exclamations alarmées vite calmées par les pirates.

Face à Isaac et moi, Queen se tenait toujours debout, son regard droit fiché dans le mien. Je ne compris jamais vraiment ce qu’elle avait pu vouloir me communiquer. Sur sa poitrine, le sang s’étalait, s’étendait, alors que son souffle ralentissait, que ses yeux perdaient de leur éclat. Tétanisée, je la regardais finalement s’effondrer, presque au ralenti.

Malgré ce que j’avais pu vivre, malgré les trahisons, malgré ce cadavre aperçu un jour sur la plage, je voyais la mort en face pour la première fois. Et alors que le corps inerte de Queen touchait le sol, élevant autour d’elle un nuage de poussière ridiculement dramatique, je réalisais que je n’étais pas aussi forte que ce que je prétendais. Je n’étais pas insensible à la vie, et encore moins à la mort.  

Je ne pouvais lever le regard de la masse immobile au sol et l’odeur du sang me donnait la nausée. La réalité de la scène m’échappait et je ne réalisai qu’avec un temps de retard qu’Isaac me parlait.

« Alors, blondie, on fait moins la fière, ‘teh. »

Avec difficulté, je relevai les yeux vers lui pour répondre quelque chose, mais lorsque j’ouvris la bouche pour parler, je me rendis compte que je tremblais trop pour articuler le moindre mot.

« ‘Teh, r’prends-toi, je vais pas te trainer jusqu’au navire. »

Il me secoua et le geste, allié à ses propos, fut comme un électrochoc. Je reprenai soudainement le contrôle de mon corps et, dans un geste à la fois désespéré et impromptu, je me dégageai de la poigne du pirate. Le capitaine réagit presque aussitôt, mais je n’avais besoin que d’une seconde pour de nouveau frapper le sol du talon et faire apparaître l’immense échiquier. Derrière moi, toutes les personnes présentes furent à nouveau réparties sur le damier, comme aimantées à leur case. Pour ma part, je me sentais reine et, même si je tentais de faire bonne figure, j’étais essoufflée comme si j’avais couru un marathon. Je ne pouvais empêcher mon regard de revenir régulièrement sur Queen, hors du plateau, mais je faisais de mon mieux pour analyser la situation. La plupart des pirates étaient blancs, Isaac compris, tandis que bon nombre des participants au tournoi arboraient le noir, tout comme moi. Je ne maîtrisais pas assez mes nouveaux pouvoirs pour répartir les deux camps comme je le souhaitais, mais c’était un début. Maintenant, restait à tester ma théorie sur le côté offensif de mon fruit. Avec une voix dont je tentais de maîtriser les tremblements, j’interpellai Nikolas qui serait probablement le plus prompt à réagir.

« Prends le cavalier ! Le pirate avec le bandeau rouge ! »

Le gnome me regarda d’un air interdit, mais, comme escompté, il réalisa rapidement ce que je lui demandais et il se précipita sur le pirate qu’il abattit d’un violent coup de pied. Surpris, le pirate fut expulsé du plateau sans avoir le temps de comprendre, s’écrasant sans finesse contre un mur de la grange.

Finalement, ce fruit n’était peut-être pas si inutile que ça.


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Aussi utile que soit mon fruit, il était malheureusement à double tranchant, comme je m’en rendis vite compte. Il n’y avait personne pour contrôler les pièces et Isaac comprit rapidement que, de son côté, il était en mesure de répliquer. Il ne tarda pas à envoyer l’un de ses hommes pour mettre Roland au tapis. Mais le garçon était déjà abattu, épaules affaissées, yeux rouges, sanglotant sans pouvoir agir. Il ne chercha pas à se protéger lorsqu’un poing virulent s’abattit sur sa pommette, le faisant s’écraser au sol, quelques mètres plus loin. Je voulus réagir à mon tour, mais Kevan prit les devants et frappa le pirate qui était le plus proche de lui avant de se faire lui-même renverser quelques instants après. La situation n’allait pas pouvoir s’éterniser ainsi. Bientôt, Isaac en aurait assez de voir ses hommes assommés et il utiliserait son arme à nouveau. Je n’avais aucune envie de voir cette histoire se terminer dans un bain de sang. Mais alors que je réfléchissais à toute vitesse, sentant la panique m’envahir à nouveau, je vis une petite silhouette se mettre en mouvement, accompagnée d’une douce lueur rouge.

Léo.

Je l’avais complètement oublié, sa petite taille lui ayant permis de passer inaperçu, probablement tout comme son curieux don. En effet, alors qu’il avançait vers le centre du plateau, balançant doucement sa petite lampe, je remarquai le regard vide des hommes qui s’étaient trouvés autour de lui au moment où j’avais déclenché le jeu. Et, alors que le garçonnet avançait de case en case, les regards se tournaient par réflexe dans sa direction, ne réalisant que trop tard, pour certains, leur erreur.

« Ne le regardez pas, putain ! »

Pour une fois, je me fis un plaisir d’obéir au pirate et je détournai vivement la tête alors que blancs et noirs succombaient au charme de l’enfant. En quelques secondes, la moitié du plateau fut hypnotisée. Et, avant qu’Isaac ne puisse beugler un nouvel ordre, l’un des pirates blanc venait frapper l’un de ses compagnons noir.

Face à la situation, je ne perdis pas de temps et je me retournai vers Isaac, envahissant sa case pour lui donner un coup de poing bien senti. J’avais peut-être un petit gabarit, mais je savais cogner. Mon coup, allié aux pouvoirs du fruit, expulsa l’homme du plateau et le sonna pour quelques secondes. Je m’empressai alors de faire disparaitre l’échiquier et m’emparait de son arme avant qu’il reprenne ses esprits.

Tout cela ne dura qu’un instant, mais fut suffisant pour retourner la situation. Avec plusieurs pirates hypnotisés et d’autres hors de combat, il ne restait qu’une poignée d’hommes valides. Cette fois, la peur au ventre mais conscients de la situation, les joueurs d’échecs saisirent l’opportunité et m’imitèrent en saisissant les armes des pirates groggy pour les menacer. Toutefois, personne n’osait tirer et Isaac se mit à ricaner, malgré la menace que je représentais.

« ‘Teh, r’garde-moi ça, t’es même pas foutue de tenir ce canon droit, tu trembles comme une feuille. Tu crois vraiment pouvoir me tirer dessus ? »

En effet, ma prise sur l’arme n’était pas stable et je ne savais pas si j’aurai le cran de tirer, mais je ne pouvais pas perdre l’avantage maintenant.

« Tu veux prendre le risque ? Nerveuse comme je suis, un coup pourrait partir sans que je le veuille. »

Menace en l’air ? Pas tout à fait. Je craignais vraiment de ne pas être capable de me maîtriser. Cependant, j’avais besoin qu’Isaac se sente en danger pour pouvoir me barrer d’ici.

« Tire. »

Merde. Un filet de sueur coulait contre ma tempe, me rappelant les vieux clichés des histoires que mon oncle aimait me raconter quand j’étais gamine. J’armai le chien lentement. Si je devais tirer pour m’en sortir vivante, je le ferai.

BANG

Le coup de feu vint de derrière mon dos.

Avec un sursaut, je me retournai pour voir La Tasse, pistolet à la palme, le visage tordu par un rictus de rage. Un grognement de douleur me fit me retourner aussi vite vers Isaac dont le bras pendait le long du corps, du sang imprégnant peu à peu sa manche épaisse. L’homme poisson avait manqué son coup et, nous surprenant tous, venait de mettre en péril notre précaire maîtrise de la situation. En effet, comme les autres, Léo avait été déconcentré et les pirates sortaient progressivement de leur transe. L’heure n’était plus à la stratégie.

« Courez ! »

Je ne me fis pas prier. Accompagnée de tous les civils, je me précipitai hors de la grange avant que la situation ne tourne au vinaigre pour moi. Rapidement, nous nous séparâmes tous, chacun empruntant un chemin différent pour regagner un endroit sûr. J’ai entendu des cris venir de la grange, peut-être un autre coup de feu, peut-être plus, je n’ai jamais vraiment su. Je sais juste que, ce soir là, j’ai couru, la peur au ventre pour rentrer chez moi avant qu’un pirate ne me rattrape. Est-ce que l’équipage d’Isaac s’est lancé à notre poursuite ? Si c’est le cas, ils ne m’ont jamais retrouvé. Les autres, je ne les ai jamais revus. Sauf la vieille, mais elle ne m’a jamais adressé la parole.



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Les feuilles des arbres se parent d’une robe écarlate alors que les derniers rayons du soleil caressent la ramure des arbres. Le vent qui souffle toujours doucement se fait frais alors que le crépuscule s’annonce. Pourtant, dans la clairière, les deux silhouettes sont toujours là, baignées d’ombres.

« Voilà, c’était mon histoire. Casse-toi, maintenant. »
« C’est tout ? »
« Comment ça ‘c’est tout’ ? T’as pas trouvé ça assez long ? »

La voix de la jeune femme s’éraille, fatiguée par tant de mots. Elle n’a pas l’habitude de parler, encore moins de raconter. Aujourd’hui, elle s’est en plus livrée. Bien trop à son goût.

« Qu’est-il advenu de La Tasse ? D’Isaac ? »
« J’en sais rien. Jamais revus. »
« Et Queen ? »
« Pas envie d'en parler. »
« Tu n’es pas retournée à la grange ? »

Le regard de l’homme est curieux, il est toujours plongé dans le récit. La blonde, elle, se fait silencieuse un moment, son regard se perdant dans le vague. Elle hésite à raconter. Finalement…

« J’y suis retournée. Quelques jours plus tard. Elle avait entièrement brûlé, il n’y avait plus rien, pas même l’échiquier géant à l’extérieur. »
« Des corps ? »
« Aucune idée. »
« Tu ne t’es pas renseignée ? »
« Non. »
« On ne peut pas dire que tu sois d’une nature curieuse. »
« Écoute, ça s’est passé il y a des années, j’étais jeune, je connaissais rien à la vie. Maintenant, c’est du passé et je m’en bats les reins. Tu me laisses partir, alors ? »

Le Narrateur laisse échapper un soupir. Il lève les yeux au ciel, contemple le vol d’un couple d’oiseaux qui regagne son nid. Sans doute a-t-il quelque idée derrière la tête. Peut-être envisage-t-il de trouver cette grange brûlée et d’en apprendre plus sur l’histoire. Mais il n’en dit rien.

« Bien. Un marché est un marché. Ferme les yeux. »
« Pourquoi ? »
« Ferme les yeux. »

Avec une moue agacée, la jeune femme obéit et, alors qu’une main effleure son front, elle croit sentir le mot « merci » l’effleurer.

Elle ne se réveillera que quelques heures plus tard.

Seule.
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