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Le retour [Reedlock]


Le gardien ne pouvait en supporter davantage. Il n'estimait pas son maigre salaire à la hauteur de cette torture quotidienne qu'il subissait. En rugissant, il lança un nouveau coup de matraque contre les barreaux, espérant couvrir le bruit des hurlements du prisonnier en lui ordonnant de se taire, mais rien n'y faisait. Cela faisait déjà une semaine que ce cirque durait, se déroulant de manière cyclique. La Goule balançait son crâne, ses pieds ou ses épaules contre l'acier qui le retenait enfermé dans l'espoir de s'en sortir.

"PUTAIN NAZGAHL C'EST PAS BIENTOT FINI TON BORDEL ?"

Les autres taulards non plus ne parvenaient plus à supporter leur camarade. Le monstre au visage bandé avait résisté à toutes les manœuvres d'arrestation et d'enfermement, tant et si bien qu'il était devenu nécessaire de lui enfiler une camisole pour limiter les dégâts. Dans sa cellule, les parois étaient toutes lacérées de marques de griffures, et la chose en allait même jusqu'à se blesser pour tenter de se libérer. Et par dessus tout, elle hurlait à s'en décrocher la mâchoire pendant la majeure partie de la journée, jusqu'à ce qu'elle s'épuise. Et c'était toujours la même rengaine, toujours...

"TUER KAMINA TUER KAMINA TUER KAMINA JE DOIS TUER KAMINA TUER KAMINA TUER KAMINA KAMINA KAMINA KAMINA KAMINA TUER KAMINA TUER KAMINA !"

Le voilà relancé, sans doute le coup de matraque. Il fallait s'y prendre avec des pincettes pour s'occuper de lui, mais les gardiens n'ayant jamais été très psychologues, il était difficile de leur demander plus de patience que ce qu'il était possible d'endurer. Il n'était pas coincé ici avec eux, c'était l'inverse. Certains prisonniers continuaient de menacer la Goule, beuglant qu'ils le tueraient à la moindre occasion s'il n'arrêtait pas, d'autres se roulaient en boule et usaient de tout ce qu'il trouvaient pour se boucher les oreilles, n'ayant pas pu fermer l’œil depuis des jours.

La créature diabolique cessa de crier un instant, tombant à genoux pour forcer sur la camisole grise, espérant la détruire en déchirant sa structure. Après une bonne demi-heure passée à tirer dessus comme un forcené, il abandonna sous le coup de la fatigue et s'écroula sur le côté. Il avait soif, et se traîna tel une larve jusqu'à la cuvette usée et salie pour remédier à ce problème. Mais une fois reposé, nulle doute qu'il repartirait de plus belle pour une nouvelle symphonie de hurlements.

De furibond, il était devenu formidablement haineux. La seule chose qui lui donnait encore la puissance nécessaire pour se débattre était sa colère sans limite pour celui qui était responsable de son emprisonnement. Le Lieutenant Kamina, dont il conservait une image mentale aussi précise que possible, un visage de prédateur marin qu'il n'oublierait jamais. Jusqu'à présent, le requin avait été la seule entité civilisée qui soit parvenue à le vaincre, et c'était un état de fait qu'il ne pouvait décemment pas accepter. Il s'enfuirait, et il le tuerait. Quoi qu'il puisse arriver, il le tuerait et dévorerait ses entrailles. Pour les dieux du sang, il arracherait son cœur... A cette pensée, le monstre éclata d'un rire sardonique, et les contestations de ses camarades ne tardèrent pas à s'élever partout au sein de la prison.

Des bruits de pas, ceux de deux hommes qui se dirigent vers la cellule. Au milieu de cet enfer de lamentations, de cris rageurs et de rires possédés, les individus s'approchent en silence du responsable de ce chaos. Un second prisonnier vient compléter les effectifs de cette cellule. Le gardien se penche sur l'homme menotté, lui chuchotant quelques mots sur un ton de plaisanterie malsaine. Suite à quoi, il entreprend de trouver les clés en cherchant parmi celles qui ornent son jeu personnel.

"Amuse-toi bien."

Petit rire moqueur, et la porte s'ouvre.

"Regarde ce qu'on t'amène, pauvre taré. Un copain, si c'est pas beau ça ?"

Le monstre ne cesse de rire, et le gardien lassé se jette brusquement sur lui, administrant à ce dernier une série de coups de pieds rageur au niveau de l'estomac. Ici, le règlement vis-à-vis du comportement des gardiens n'est qu'une forme de guide qu'il n'est pas toujours nécessaire de suivre, en fonction de la situation...

"Tu vas la fermer, le cinglé ?"

Nazgahl s'étrangle, étouffé par le sang qui emplit sa gueule. Se roulant en boule dans le coin de la pièce, il laisse son rire puissant se changer en un léger sifflement. Son corps est secoué de spasmes, mais le silence est temporairement revenu, au plus grand soulagement des détenus...
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Le voyage en mer depuis South Blue me donna un avant goût de ce qui m'attendait à l'arrivée. Ce ne fut que brimades et coups, chaque garde du navire se délestant de son amertume sans que je ne puisse riposter sous le poids des chaines. On aurait pu croire que c'était le début du traitement visant à me briser mais ce que chacun d'entre eux ignoraient c'est que cela produisait l'effet inverse. Ma rage de m'échapper et de me venger bouillonnait un peu plus en moi pour chaque coups que je recevais.
J'ignorais à quoi pouvait bien ressembler ce bagne de Classique Town mais une chose était sûre, je n'allais pas y pourrir.

Il fallut de nombreux jours en mer avant de rejoindre la prison privée et ce fut par une matinée brumeuse que l'on me déchargea sans ménagement sur l'unique port de l'île. Ici tout n'était que caillasse abrupte et fortification, du moins aussi loin que ma vue perçait le brouillard il semblait n'y avoir qu'un seul et unique moyen d'entrer dans l'île et donc de la quitter.
A mon arrivée à terre mon escorte entreprit de me désincarcérer de mes fers pour ne plus laisser qu'une paire de chaines aux poignets. Avec une telle liberté retrouvé je pouvais aisément étrangler un garde sans que celui ci ne puisse rien, la sécurité de Classique Town m'avait peut être était exagérée. C'était ce que j'aurais pu croire jusqu'à ce que mon regard croise celui d'un homme au visage émacié affichant une barbe de trois jours, le gabarit sec il discutait avec le chef de mes convoyeurs tout en me fixant et je pouvais sentir que ce n'était pas un plaisantin.

Je n'eus pas l'occasion de plus m'interroger à son sujet que des matons me saisirent par les épaules pour me signifier d'avancer, j'entrais officiellement dans la juridiction de Classique Town en franchissant l'épais portail d'acier. On me fit traverser la cour de l'île jusqu'à un bloc carcéral, malgré le brouillard je distinguais des silhouettes patrouillant de vagues murs derrière les blocs. En revanche la cour était déserte, pas âme qui vive.

-C'est plutôt vide pour une prison soit disant réputée dans tous les Blues.

-C'est pas l'heure de la promenade. Dit le premier des matons qui m'escortaient.

Le second me donna un coup de matraque dans le dos qui faillit me faire fléchir.

-T'ouvriras ta gueule quand on te le dira, compris ? Ici y a des règles et tu ferais mieux de te tenir à carreau si tu veux au moins passer l'année.

Le bloc dans lequel ils me firent pénétrer était plongé dans une obscurité que troublait de temps à autre une lumière palote. Des cellules s'étendaient partout sur plusieurs étages et des gardes patrouillaient entre elles à intermittences régulières. Les deux gardes me firent stopper et un maton plus grand et balèze que les autres arriva pour m'attraper et me jeter dans une pièce annexe. Il me fit comprendre à avec son langage fleuri que je devais me désaper et revêtir une tunique de prisonnier qu'il me jeta à même le sol. Si tôt fait il revint avec un énorme tuyau et m'arrosa avec un jet haute pression avant de gueuler que désormais j'étais propre. Je sortis retrouver mes deux matons d'escorte eux aussi rigolards, au loin résonnaient des cris difficilement distinguables et ce fut vers eux que mes nouveaux amis m’amenèrent. Au fur et à mesure que l'on s'approchait je pus distinguais le nom "Kamina" parmi les hurlements jusqu'à ce que ces derniers ne s'interrompent progressivement.
Je finis par me retrouver devant les barreaux d'une cellule alors qu'un troisième garde trifouillait ses clés pour trouver la bonne, à l'intérieur je pouvais observer une forme rampante mais dont la gestuelle était assez inquiétante pour faire douter de son humanité. Visiblement le garde aperçut mon air mi inquiet mi interrogateur car il se pencha pour me murmurer quelque chose.

-Je te présente ton nouveau meilleur pote et accessoirement l'un des plus gros tarés qui ait eu l'occasion de franchir nos murs, je suis sûr que vous allez vous entendre comme larron en foire mais dors que d'un d'un œil la nuit....il mord.

Il saisit la clé tout en me glissant ces quelques mots doux puis balança un derniers "Amuse-toi bien" dans un rire avant de me faire signe d'entrer. Je pus enfin voir de près mon compagnon de cellule où du moins je pus me retenir de gerber. Comment décrire ce que c'était ? Les premiers mots qui me vinrent à l'esprit furent "plaie humaine", une sorte de blessure vivante et consciente. Il empestait les lieux d'une odeur qui rappelait la gangrène et la dysenterie à bord des navires de longs voyages. Son visage était dissimulé par des bandages et seuls ses yeux transparaissaient, des yeux de fous injectés de sang. De ses bandages un rire bruyant commença à s'échapper et le maton réagit comme on pouvait s'attendre d'un maton, à coups de bottes dans le bide d'autant plus que le type ne pouvait pas se défendre vu la camisole qu'on lui avait passé.

Dans un flot de jurons le garde referma la porte et se tira avec ses collègue me laissant seul avec cette chose crachant du sang et corrompant mon oxygène. Je me demandais si me foutre avec ce type faisait partie de la vengeance des Tempiestas ou s'il s'agissait juste de ma chance naturelle. Je jetais un coup d’œil à la chose en train de se tortiller à mes pieds puis au reste de la cellule. J'en fis vite le tour, des chiottes avec plus d'eau sur les côtés qu'à l'intérieur, une fenêtre avec des barreaux solides et deux lits superposés.
Sans un mot j'entrepris de monter sur lit du dessus avant de lâcher quelques mots pour briser la glace.

-Bon j'sais pas si tu peux parler ou même me comprendre mais on va instaurer deux trois règles maintenant que je suis là. Déjà ce lit est à moi et si tu essayes ne serait ce que d'envisager de l'approcher je t'écrases, ensuite si tu t'amuses à gueuler comme je t'ai entendu le faire je t'écrases, enfin si tu tentes quoi que ce soit contre moi je t'écrases. Tiens t'en à ça et on sera les meilleurs potes du monde, t'as compris ma saloperie ? D'ailleurs c'est quoi ton nom ?
    Position de faiblesse, situation difficile, techniques de survies mises en vigueur. Ces ordres traversèrent l'esprit de la Goule tandis qu'elle se remettait difficilement de sa blessure au ventre. L'homme qui venait de pénétrer dans la cellule était, semble-t-il, prisonnier lui aussi. A en juger par son physique, il n'avait strictement rien d'une proie facile et aucune once de peur ne se lisait dans sa voix aux échos puissants et dévastateurs.

    Bien. Nazgahl se tourna sur le dos et plongea son regard de vipère dans celui de l'inconnu. Ce dernier entama une série de directives qu'il était difficile de refuser, étant donné que ses griffes se situaient actuellement contre ses propres hanches et que, malgré tous ses efforts, il n'était jamais parvenu à se défaire de ses liens. Crachant encore un filet sanglant, le fauve rampant tenta désespérément de se relever en secouant ses jambes dans le vide, sans succès. Inutile de tenter d'impressionner cette grosse brute, c'était peine perdue. Alors mieux valait courber l'échine et rester tranquille, pour l'instant.

    "Oui, compris. Je suis Nazgahl."

    Le fauve ressentait néanmoins cette haine vivace qui l'avait poussé à hurler le nom de son Némésis depuis plusieurs jours, et son envie de trancher la gorge de ce dernier se voyait toujours grandissante, surtout lorsqu'on lui interdisait de beugler ses menaces à qui voulait bien -ou non- l'entendre. Son rythme cardiaque atteignant des sommets, la Goule décida qu'il était temps de se calmer un peu et de tenter une approche sociale afin d'éviter de se faire arracher la tête par le nouveau venu. Un cri résonna depuis une cellule adjacente :

    "DEMONTE-MOI CE TARE ! DEMONTE-LE !"

    Si Nazgahl lisait parfaitement la rancœur dans le ton de ses camarades, il n'en avait cure. Eux aussi étaient détenus, aucun risque qu'ils ne parviennent à représenter la moindre source d'agression pour lui. Le fauve poussa un petit rire étouffé et, à force de ramper en direction du mur, finit par y prendre appui afin de s’asseoir dans un coin, repliant les genoux contre son torse comme pour se protéger. Il ne connaissait rien des intentions de son nouveau partenaire, qui pouvait devenir proie comme chasseur. Mais une chose était sûre néanmoins : si ses griffes étaient paralysées, sa gueule ornée de crocs acérés ne l'était pas. A cette pensée, il ricana silencieusement une fois encore. Sa folie le rendant lunatique, les rires spasmodiques semblèrent se changer doucement en sanglots incontrôlés, puis à nouveau en expressions de joie morbide. Instable, c'était le mot. Un murmure s'échappa de sa gorge sèche.

    "J'ai... J'ai faim. Une proie, une proie. il me faut une proie... Je suis le chasseur oui, je le suis. Oui. Déjà enfermé, déjà libéré. Recommencer ? Oui."

    Bien entendu, les rations de la prison étaient loin de combler les besoins nutritionnels d'un monstre cannibale et vorace. Nazgahl était affaibli, tremblant et semblait encore plus rachitique qu'à son habitude. On ne le lavait que très sommairement et rarement, étant donné le danger qu'il représentait. Personne ne souhait avoir affaire à lui, pour ainsi dire. Son oeil carnassier s'orienta un instant sur le nouveau venu avec envie, la faim l'emportant passagèrement sur l'instinct de défense. Mais bien vite, la raison le poussa à abandonner cette idée.

    Pour le moment.
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    Les quelques mots qui finirent par sortir de la gueule de la bestiole m'assurèrent que j'avais au moins bel et bien affaire à un être humain. En voyant le désordre mental du type ainsi que l'état de son corps je n'osais imaginer ce qu'il avait dû traverser pour en arriver là. L'espace d'un instant je tressaillis en songeant que c'était le bagne qui l'avait transformé et ce Nazgahl n'était rien d'autre que ce qui m'attendait. La gueulante d'un détenu voisin coupa court à ce bref passage de panique, non Nazgahl semblait être un cas unique au sein de la prison, d'autant plus unique que je ne parvenais pas à savoir ce qu'il mijotait. Mi craintif mi haineux, ses yeux tressautaient le long de mon corps comme s'il analysait ses chances de me massacrer ou pire.... mais l'instant d'après il se recroquevillait de peur.
    Je n'avais encore aucune idée de comment m'évader d'ici et j'allais devoir cohabiter avec ce monstre humain un certain temps. Les paroles du gardes me revinrent en mémoire et mon regard s'attarda sur ses crocs. Bien que pourris ils semblaient toujours acérés et la langue qui serpentait entre eux d'envie acheva de m'inquiéter. La dernière chose que je voulais était qu'il me bouffe la gorge dans mon sommeil, il ne me restait que deux options. Soit je trouvais le moyen d'amadouer ce Nazgahl soit je le mettais hors d'état de nuire au risque que les gardes me fassent bouffer mes tripes pour avoir tué un autre prisonnier.

    -Oh... Nazgahl c'est ça ? Qu'est ce que tu gueulais tout à l'heure à propos de ce Kamina ?

    Jusqu'à maintenant j'avais vu un concert de folie et de peur dans son regard mais soudain au nom de Kamina ce fut de la haine qui s'embrasa. Je pouvais reconnaître ce regard chez n'importe qui car peu importe qui nous sommes nos réactions se ressemblent lorsqu'il s'agit de se venger et je ne le savais que trop bien. Après avoir légèrement sourit je repris.

    -Visiblement je ne suis pas le seul à avoir une dette de sang qui m'attend à l'extérieur. On atterit pas ici sans raison je suppose, ma dette s'appelle Jarod et à vrai dire elle n'est qu'un début de liste.

    Je laissais ma phrase en suspens quelques instants espérant que j'avais réussi à l'accrocher à mon histoire. Si je parvenais à le captiver pour ensuite créer de l'empathie voir une cause commune ce serait gagné.

    -C'est un larbin d'une famille mafieuse de North Blue, une famille qui a tout fait pour me pourrir la vie. J'y pense je ne t'ai pas donné mon nom ! Reedlock Volgin si ça te dit quelque chose. Jadis ce nom était plutôt connu dans certains milieux de North mais grâce à la famille Tempiesta j'ai tout perdu, mes chances de me refaire également.

    D'un geste lourd je me laissais tomber sur le matelas du lit pour m'allonger et scruter le plafond.

    -Mais je compte bien rembourser ce que je leur doit, jusqu'à la dernière goutte de sang mais avant ça faudra que je me tire d'ici.

    Pour une raison qui m'était inconnue j'appréciais pouvoir m'épancher sur mes problèmes et même si mes propos auraient pu me valoir des problèmes avec les gardiens je savais que ce type était bien trop haï pour qu'on lui accorde le moindre crédit.

    -Alors ce Kamina ? Et profites en pour me baver pourquoi tu es là.
      Le monstre tiqua, cessant subitement de fixer son camarade pour venir lorgner le sol à la recherche d'un cafard ou d'une blatte, ou quoi que ce soit de plus nutritif que cette bouillasse informe qui lui servait de repas. Mais un élément accapara toute son attention, venant réanimer la flamme de haine qui animait ses pupilles injectées de sang. "Kamina", le nom qu'il ne fallait surtout pas prononcer. Ses muscles s'affolèrent sous la camisole de force et il essuya un léger spasme.

      "Kamina..."

      Le dénommé Reedlock enchaîna, expliquant les raisons de sa venue ainsi que la rancoeur qu'il éprouvait vis-à-vis d'une certaine famille, probablement un groupuscule humain assimilable à un clan. Mais Nazgahl n'écoutait que d'une oreille, toutes ses pensées allaient vers le Lieutenant responsable de son propre enfermement, et l'image de son visage de requin semblait brûler l'esprit même de la créature haineuse. Des noms... Jarod, le Kamina de Reedlock. Lui aussi avait une bête noire, un Némésis, ils défendaient des intérêts communs.

      Nouvelle allusion à la vengeance, et encore une fois : le nom défendu. Nazgahl s'agita, une fois encore mais, par peur, il tenta de se retenir de hurler à la mort contre cette ignominie dont il avait été victime. Faisant craquer sa nuque tout en se redressant lentement en prenant appui contre le mur, la Goule entreprit de s'éclaircir un peu la gorge avant d'entamer le récit de son malheur.

      "Kamina est... un Marine. M'a capturé, broyé la jambe. Enfermé ici. Kamina... Kamina..."

      Le monstre perçut un écho, au loin. Du métal cognant violemment contre une masse rocheuse. La violence était partout, la haine parsemait chaque cellule de cette prison maudite. Ce lieu attisait sa rage sans fin, sa volonté toujours croissante de détruire chaque chose pour son bon plaisir. Et lorsque l'on privait Nazgahl de ses petites passions, il n'en devenait que plus instable et par extension, bien plus dangereux. Ses yeux vides se braquèrent sur les barreaux, fixant leur surface luisante comme pour en analyser la composition. Il ne rêvait que de retrouver cette liberté absolue qu'il détenait jadis.

      "Enfermé... M'ont volé mon visage puis enfermé. J'ai voulu m'enfuir, disparaître. Kamina m'a retrouvé. J'ai tué, tué beaucoup de misérables gibiers. Les gibiers, le professeur Wisselhöf. Détruits, les uns après les autres. Kamina m'a retrouvé, j'ai voulu le tuer. Il m'a vaincu. KAMINA !"

      Sans crier gare la bête s'élança contre les barreaux qu'elle frappa d'un grand coup de tête, allant même jusqu'à se blesser pour se retenir de hurler. Le son du métal hurlant sous l'impact de ses assauts créa une nouvelle vague de protestations chez les prisonniers, semant à nouveau le chaos en ce lieu infernal.

      "JE-TE-HAIS."
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      Instable était un euphémisme pour décrire ce type mais parmi toute cette folie qui l'animait je pus enfin tirer quelques choses d'utiles. Je n'avais pas tout compris à ses élucubrations sur ce professeur, ces gibiers mais je comprenais au moins la rancune de mon compagnon de cellule. Kamina semblait être un officier de la marine, un lieutenant qui l'avait vaincu et envoyé pourrir ici, sa haine était compréhensible.
      Malgré mes antécédents je n'avais pas une haine farouche de la marine, des larbins du gouvernement dont la moitié était corrompue et l'autre fanatisée mais je pouvais utiliser sa haine à mon avantage. Du moins j'aurais pu le faire si Nazgahl n'avait pas pété un énième plomb pour se jeter contre les barreaux et s'y broyer la tête à répétition. Les gueulantes des prisonniers et des gardes s'élevèrent en union avec les chocs métalliques et bientôt la prison ressombra dans le brouhaha. Certains prisonniers m'appelèrent pour faire taire Nazgahl mais je n'en fis rien préférant poser ma tête contre l'oreiller et réfléchir à un moyen de sortir d'ici. A quoi bon m'occuper de lui, il semblait sur le point d'exploser avec toutes les contraintes qui l'entouraient et celles que je lui avais imposées et se fracasser la tronche était son seul exutoire.

      La nuit passa au rythme des chocs de Nazgahl jusqu'à ce qu'il tombe épuisé et s'endorme. Le lendemain commença les premières activités de la prison notamment la cour où les prisonniers pouvaient déambuler quelques heures par jours pour se dégourdir les jambes. Ceux qui étaient dans les petits papiers des gardes pouvaient même participer à des travaux payés dans l'enceinte de la prison et bénéficier d'une liberté plus grande. Lorsque je l'avais appris cela était devenu ma nouvelle obsession, peu importe comment m'évader mais parvenir à atteindre ce statut serait surement un pas dans cette direction. La question du "comment y parvenir ?" demeurait.
      La cour était une reconstruction miniature de la société, on avait des clans, une hiérarchie au sein d'eux, des matons qui tabassaient ceux qui troublaient l'ordre et enfin les parias. Nazgahl s'était attiré depuis son arrivé la haine de tous et il croupissait seul dans un coin de la cour sous les regards haineux sans que nul n'ose s'approcher. Visiblement même avec cette camisole il avait su donner quelques bons coups de crocs qui avaient marqués les prisonniers.
      Pour ma part j'étais assimilé aux parias il fallait croire car je n'attirais que des regards noirs et m^me jusqu'à de l'animosité. Un groupe de détenus vint me voir alors que je réfléchissais à comment me rapprocher des gardes.

      -Eh tas dmerde !!! On peut savoir c'est quoi ton problème ?

      Je restais silencieux en observant ces types m'encercler, ils ne semblaient pas particulièrement costauds mais devaient compter sur leur nombre.

      -T'es nouveau ici et tu penses pouvoir la jouer selon tes règles ? Lorsqu'on te demande de faire un truc tu le fais et ce soir dans ta cellule tu vas buter l'autre détraqué.

      -Et pourquoi tu t'en occupes pas toi même ? Il est juste ici.

      Une veine se gonfla sur son front et son regard chuta instinctivement vers ses pieds avant de remonter furibonds.

      -Oh je vois vous avez essayé et ça c'est mal passé je suppose.

      Le détenu explosa et sorti un cran d'arrêt fait d'os de poulet avant de foncer sur moi. J'aurais pu l'esquiver mais je vis cela comme un ticket d'entrée dans le milieu des gardes et fit en sorte qu'il s'enfonce dans mes muscles sans toucher un point vital. J'achevais l'autre tache avec un coup de boule qui le fit s'effondrer à terre et ces potes s'enfuirent en courant voyant que j'étais toujours d'attaque et aussi car les matons rappliquaient.
      Le premier qui arriva sur les lieux me décocha un coup de matraque dans la nuque pour me faire plier puis balança un juron en découvrant ma blessure.
      Je fus conduit à l'infirmerie pour que le médecin de l'île découvre une blessure superficielle qu'il cautérisa sans anesthésiant. Tout cela aurait pu être anodin ou inutile si le garde qui m'avait éclaté dans la cour n'était pas venu prendre de mes nouvelles. ou du moins s'assurer qu'il avait pas fait une bévue en tuant un prisonnier.

      -Volgin c'est ça ? Le médecin m'a dit que tu allais t'en tirer, t'as fait fort pour un premier jour mon gars.

      -Pas autant que le coup que tu m'as filé.

      Le regard du garde se renfrogna et sa main voulut descendre vers sa matraque jusqu'à ce qu'il se rappelle qu'il était dans une infirmerie.

      -T'énerves pas c'était de l'humour.

      -Fais gaffe de pas trop prendre ça à la rigolade, on aime pas que les détenus se foutent de notre gueule ici.

      Il tourna les talons pour s’apprêter à sortir.

      -Eh c'est quoi ton nom ?

      Il se retourna la main bel et bien posé sur sa matraque et le regard lançant des éclairs.

      -Du calme, c'est pour savoir si tu es de garde près de ma cellule.

      -Et qu'est ce que ça peut te foutre ?

      -J'ai compris que le taré de ma cellule faisait chier pas mal de monde et ce y compris les matons alors je me disais que je pouvais faire en sorte qu'il se taise quand t'es dans le coin.

      Son expression changea instantanément passant de l’agacement à un intérêt mal dissimulé.

      -Pourquoi tu ferais ça ?

      -Visiblement j'ai pas la côte avec les prisonniers donc je préfère faire en sorte de me faire des amis parmi les gardes. On a besoin d'amis en taule pour se couvrir et j'ai entendu dire que la vie était plus agréable quand on s'entend bien avec vous.

      Le garde resta là à m'observer l'air interdit puis se retourna pour sortir de l'infirmerie mais au moment de franchir le seuil il lâcha à haute voix :

      -C'est Mike moi et demain soir j'suis de garde dans ton bloc. Si tu fais en sorte qu'il soit tranquille je t'en devrais une Volgin.


      Je fus reconduit à ma cellule où se trouver Nazgahl en train de laper le contenu des chiottes. Maintenant commençait la partie chiante j'allais devoir le convaincre de fermer sa gueule et de rester tranquille sans pour autant qu'il ne devienne une bombe à retardement.

      -Nazgahl je suis de retour.

      Il glissa un coup d’œil furtif dans ma direction sans cesser sa tâche.

      -Et j'ai une bonne nouvelle pour toi et moi. Cela te dirait de sortir d'ici ?
        Chez Nazgahl, le système de développement de l'affection était certes bancal et curieux, mais existait bel et bien néanmoins. Toute forme de vie organique qu'il ne pouvait ou ne voulait pas dévorer et qui demeurait profitable malgré tout pouvait devenir appréciable, Reedlock en était le plus parfait exemple. Achevant sa besogne, le monstre légèrement inquiet vit sa curiosité se faire piquer au vif lorsque son camarade de cellule prit la parole.

        Son cœur fit un bond dans sa poitrine maigrelette et il accorda finalement son entière attention à l'autre prisonnier. Le voilà bien intéressé par la proposition de son compère, qui semblait par ailleurs avoir été blessé lors de la sortie du jour. Nazgahl n'avait pas été témoin de la scène, étant donné qu'il réduisait généralement cet "instant de liberté" au strict minimum, de peur d'avoir à se confronter à des perturbateurs sans pouvoir s'armer de ses fidèles griffes.

        "Je t'écoute."

        Bref, concis et sérieux. Lorsqu'il s'agissait de ce genre d'affaires, Nazgahl savait développer un instinct de pragmatisme qui permettait -enfin- de travailler avec lui de manière plus ou moins correcte. Cela s'était déroulé de la même manière lorsque Kanbei lui avait confié son premier travail, même si ce dernier s'était soldé par deux meurtres plus ou moins gratuits. Les pupilles de la Goule se figèrent, profondément plantées dans celles de son vis-à-vis, tandis que ce dernier lui expliquait la situation et exposait les ordres qu'il devait suivre.

        Pas de bruit ce soir, et leur plan fonctionnerait. Nazgahl n'en connaissait pas les détails, mais sa confiance en Reedlock était devenue presque aveugle à l'instant même où il avait franchi la porte sans pour autant le violenter gratuitement. Pas de bruit donc, compris. La bête hocha la tête et se terra dans un coin de la cellule, se roulant en boule discrètement tout en fixant la porte sans dire mot. Inutile de chercher à comprendre, il savait que c'était une bonne idée.

        Plus tard dans la soirée, des bruits de pas alertèrent la créature de cauchemar. Une silhouette se dirigeait vers leur cellule. Le garde du soir, qui passait jeter un oeil pour vérifier que personne ne s'était retrouvé malencontreusement égorgé. Rien d'anormal donc. Nazgahl baissa la tête qu'il enfouit dans ses avant-bras, feignant de s'assoupir tout en demeurant dissimulé dans les ombres. Le garde s'interrompit dans sa marche lorsqu'il atteint leur cellule et, après avoir vérifié le contenu de cette derrière d'un balayage rapide, il ajouta :

        "Pas mal, Volgin. Pas mal."

        Suite à quoi, il retourna à sa ronde et entreprit de siffloter. Nazgahl s'accroupit et s'avança lentement en direction des barreaux, passant son visage au travers des barreaux pour observer la démarche de Mike. Jovial, c'était le mot. Incapable de comprendre le pourquoi du comment, mais infiniment satisfait de constater qu'il ne recevrait pas de coup de pied ce soir, le monstre retourna à sa place en silence, non sans jeter un regard incrédule et appuyé à son compère...

        Il commençait à l'apprécier à tel point qu'il risquait de ne pas le dévorer.
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