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Le ciel

La marine est ici ?
Ils venaient recruter... Ils sont posés au port, avec un navire enrobé. Je crois qu'ils repartent d'ici une demi-heure.
Hum... Aucun doute, ils ont fait chou blanc.
Sincèrement, j'espère bien... Parasites...

J'me bénis... J'sais tellement bien écouter aux portes. Les darons, dans leurs chambres, le soir, je les entend discuter, beaucoup discuter, quand ils prennent la peine de rentrer d'leurs boulots de pourris pour venir voir leurs gosses, ces foutus bourges. Et on apprend des choses. Et parfois, ça change la vie.

J'cours dans la chambre de Tark. J'me fais ninja, quand même, pour pas risquer de tout gâcher par des pas trop bourrins. Il ronfle fort, parce qu'il s'est couché très tôt, aujourd'hui, pour compenser ses sacrées insomnies. Mais quand il tombe, impossible d'le faire remonter. Faut pas perdre de temps. Alors j'le secoue dans tous les sens, j'lui murmure à l'oreille. J'lui murmure que la marine est ici. Que c'est peut-être le jour J. 'fin, la nuit N. Cet instant dont on rêve depuis des plombes, qu'on s'est imaginé sous toutes les coutures. Tark ! C'est le moment ! Putain frangin, on va pas manquer ç...

Hmmmm... Qu'est-ce... tu dis ?
La marine ! Elle est ici, elle recrute !
C'est pas vrai... On se bouge !
Ouais ! Ils étaient là aujourd'hui et on était même pas au courant !
'chier... Ils vont repartir ?
Bientôt ! Viiite !

Surexcité, j'ai l'esprit en feu. La bouche qui s'perd entre un franc sourire un peu crispé et un aspect relax et détendu. Une hâte frénétique et une quiétude apaisée. T'enfiles ta veste et ton froc par-dessus ton pyjama. Puis t'attrapes une casquette et des lunettes de soleil. Moi, j'peux juste t'observer, les bras ballants. J'crois que j'me rends pas encore bien compte. C'est l'occasion ? Ça serait l'occasion ? On partirait, comme ça, en plaquant tout ? On saute dans l'vaisseau du destin en marche sans vérifier si c'est l'bon ? J'lève une voix hésitante alors qu'tu bondis vers les escaliers, m'invitant à t'suivre.

... Tu penses que c'est l'heure, alors ?
Plus que ça, frangin. C'est maintenant ou jamais.
On plaque tout ? T'es sûr ?
Et toi, t'es sûr ?
Ouais. Ouais.
Magnons nous !

Quatre à quatre, les marches. On sort dehors, on déambule dans les rues. On court, imprégnés d'une énergie folle. On fait se retourner les derniers passants du soir. On rompt l'silence des grandes avenues rougies par les dernières lueurs du Soleil, Là-haut, qui s'apprête à s'coucher. P'tete la dernière fois que l'on courra à travers ce labyrinthe de ruelles et d'pontons qu'on connaît par coeur, Tark ! Mais faudrait pas rater le train. L'train de la vie. On va... devenir marine. Aujourd'hui ? Ça me paraît pas encore réel. On va tout quitter, tout de suite ? Maintenant, fini ? Sur un... coup de tête ? Un coup de tête qu'on attendait de pouvoir porter depuis des lustres ? Ouais. J'laisserai pas s'échapper le futur ! Tark, j'suis complètement derrière toi. Tu doutes p'tete de ma volonté... et t'auras raison. J'sais que j'suis lunatique, émotif, sensible, que la moindre bourrasque m'envoie voler dans des horizons tourmentés. Mais pour l'instant, rien n'pourra m'ébranler. Et faut battre le fer tant qu'il est chaud...

Car ils resteront pas longtemps, c'est sûr. Ils ont du se heurter à un mur d'méfiance et de préjugés, les bougres. J'crains... J'crains qu'on soit les seuls. A s'présenter à eux, à nous enrôler. J'crains qu'on ait été les seuls, aujourd'hui, à choisir cette voie, ce destin. Qu'on devienne des... exclus. Encore plus qu'avant... Frérot et moi, on a toujours été un peu marginaux. Un peu... différents, tous les deux à notre manière. J'ai jamais pu m'intégrer chez les gens de ma race. Et les laisser tomber comme ça, même si j'sais que j'ai aucun compte à leur rendre, ça me froisse un p'tit quelque chose dans les tissus. On abandonne, on trahit les congénères poiscailles. Pour de bon, on les jette. On officialise notre anormalité, on est d'pures anomalies. Commencer une nouvelle vie sur une telle base, c'est pas super mal partir ?

Mais quand j'te regarde sprinter devant moi, Tark... Quand j'me rends compte à quel point j'rame à te suivre et quand j'pose les yeux sur ce sourire déterminé que t'as dans tes meilleurs jours, ton ardeur vaporise mes doutes. Et vite, à mon tour, je change, j'me sens quelqu'un d'autre. Quelqu'un d'plus fort. Quelqu'un qui s'apprête à faire le choix le plus important d'sa vie.

Savourer encore et toujours la chaleur poisseuse des abysses. Ou goûter le Soleil de la surface.
Rester à vie un poiscaille d'aquarium ou les laisser me libérer dans l'océan. Peu importe c'qui nous attend là-haut, Tark ! On façonnera l'monde à notre image ! Les frères Kamina seront plus ce duo de garnements sortis des entrailles d'nobles corrompus... Ils rentreront dans le cercle des héros. La MARINE ! LA MARINE ! On s'apprête à rejoindre pour de bon le camp des JUSTES ! L'ordre là-haut ! Le GRAND ordre ! A des parsecs de notre pauvre garde royale miteuse et arrogante !

On laisse nos vies derrière nous. Là-haut, ça sera comme une renaissance. J'sais que tu prends ça comme ça aussi, Tark. C'est juste notre destin ! Tu redoubles de vitesse. Encore, j'aurais pas cru ça possible. J'suppose qu'en ce moment, tu carbures à des sentiments à la fois si forts et si doux. Et moi aussi, j'surchauffe. Ma respiration saccadée et rauque, mon front qui crame. La fatigue de la journée peine à s'faire entendre. Car mon âme hurle trop fort.
Bondir des abysses. Percer le ciel. J'ai jamais eu autant foi en l'avenir ! C'est la première fois que j'goûte à un espoir si puissant ! La VRAIE FOI ! Une confiance pleine en toi, frérot, et en notre futur ! J'me laisse porter par les vents du hasard et par ces pensées chaleureuses, et avant même que j'aie l'temps de calculer qu'on arrive, j'te vois lever un bras en direction d'un attroupement d'soldats humains en blanc à la mine blasée.

ATTENDEZ !

Ta voix s'élève, les marines tournent la tête. Ils s'apprêtaient déjà à redécoller. Ils s'apprêtaient à faire un flop prévisible. Une mauvaise pêche. Mais deux jeunes homme-poissons foncent en leur direction, gigotant leurs bras. Eux s'apprêtent à embrasser leur destin. Eux n'se satisfont pas d'une vie vide plaquée or mais qui raisonne creux. Eux sont encore jeunes, eux ont des rêves et des idées qui les poussent vers l'avant.

L'un des gars s'avance. Sa veste blanche, ses galons, cette aura imposante et ce charisme dans la voix et l'intonation qui m'ferait m'évanouir comme une donzelle en un jour moins sacré... Plus tard, on sera comme ça.

Hum... Bonsoir. Vous venez vous enrôler ?
Oui !

Ton regard croise celui du grand homme et s'y fixe fermement. Vous vous cherchez, hein ? Vous vous reconnaissez entre... Héros. Tark, il doit l'sentir. Il doit l'sentir que t'as l'âme d'un Héros.
Moi, j'ressens quelque chose de gênant... à force d'admirer tout ces gens plus grands que moi de taille, d'âge, et d'âme. J'me sens comme une groupie, ouais. Frangin, t'as un regard déterminé, volontaire, plein d'espoir, ce style de regard qui défie l'monde où qu'il soit posé. Mais moi... j'crois que mes yeux se contentent d'être bêtement remplis d'étoiles que j'parviens ni à contrôler, ni à comprendre. Me contente d'une hystérie enfantine. Celle d'un gamin qui lisait des BD, et qui aujourd'hui pourrait devenir le héros d'sa propre aventure. L'espoir d'un rêveur, ça a pas grande valeur, hein ?

Noms, prénoms ?
Kamina Tark.
Kamina Craig...
Z'êtes frères ?
Ouais.
Ouais...
Signez là.

Tu griffonnes ta croix, je griffonne la mienne.

Héhé. Bienvenue dans la marine. Matelots Kamina. Vous enfilerez vos uniformes sur le navire !
Alors c'est tout ? On est enrôlés ?
C'est tout. Vous embarquez avec nous !

Les derniers bagages sont pliés.

... Z'avez pas de valises ?
Pas besoin.
Oh, je vois.

Des choses qui ne changeront jamais. Comme toi qui répond toujours à ma place.
J'laisse sans remords tous ces vieux, derrière, qui m'ont toujours martelé que la surface était un coin dangereux, balayé par les pires tempêtes, squatté par les pires monstres, obéissant à des dynamiques qui m'échapperaient totalement, qui m'souilleraient et effrayeraient mon p'tit coeur pur.

Ils me prennent pour qui ?

J'les vois, s'attrouper. Quelques passants que j'reconnais. Le boulanger, auquel tu volais des croissants, Tark, là-bas. Tu le vois nous montrer du doigt ? Et la prof', qui t'traitait de moins-que-rien ? Qu'a essayé de m'enfoncer dans le crâne que l'futur était un marbre statique, qu'on ne pouvait sculpter qu'en faisant ses devoirs et en répondant bien aux adultes ? Et l'voisin, ce fils d'une catin noble ? Et les p'tits soldats, fiers avec leurs trèèès grandes lances, qui contrebalancent la petitesse d'autre chose ?

J'vois cette populace murmurer, jacasser, casser tout ce sucre invisible sur le dos des frères Kamina. On savait qu'ils tourneraient mal, ceux-là. Mais regardez vous ! Minables, intolérants, conservateurs. Le monde n'est pas votre bulle. L'univers est là-haut.

Et on grimpe sur le vaisseau enrobé sous un regard satisfait d'un autre humain galonné, qui nous souhaite la bienvenue et nous propose des poignées de main. Pendant ce temps, les badauds s'dispersent. On sera peut-être plus jamais les bienvenus ici. Mon angoisse s'étend. J'ai tourné le dos à cette île. Maintenant, impossible de faire machine arrière. On se lance sans plan et sans sécurité à l'assaut d'une montagne immense et inconnue. J'veux pas que ma voix tremble, mais c'est plus fort que moi. Désolé Tark, j'm'excuse d'avance... J'suis faible. La question s'en va.

J'es-J'espère qu'on trouvera notre place, là-haut.
Notre place ? Ce sera à nous d'nous la construire !

On quitte un monde pour un autre. Alors qu'on entend autour de nous s'affairer les matelots à faire partir cette coque de noix enrobée, alors que j'sens qu'on bouge, que le paysage se fait de plus en plus lointain, que les racines sont tirées, bientôt arrachées, mes derniers regards s'posent là-bas, au loin, sur mon ancien quartier. P'tet bien que j'la verrai plus jamais, la zone des bourges et des nobles, le sanctuaire des experts du mensonge et du vol.

Là-bas. Mon quartier. J'y ai appris à penser puis à rêver avant de savoir marcher. Je t'y ai rencontré, Tark, j'ai appris à te connaître et tu as appris à me comprendre. Tu m'comprends mieux que j'me comprendrai jamais moi-même. Ici, j'ai vécu, j'ai ri, j'ai pleuré, j'ai appris, j'ai aimé, j'ai haï, j'ai senti. J'ai fais mes premières dents en bouffant la mousse d'un fauteuil de la voisine. Je ramenais des jolies notes de l'école et mes parents si superficiels s'vantaient d'avoir un môme surdoué. J'apprenais à m'défendre avec toi, frangin, et j'sentais que j'te désespérais quand j'chialais de peur de te faire mal. Tu me protégeais quand j'suis rentré dans la cour des grands et on a fini par se tailler une réputation de sécheurs, de sales gosses, de gâchis qui s'reposent sur des lauriers qu'ils n'ont jamais mérités.

Ma nostalgie, c'est pas un vice de faible. C'est comme si ma mémoire s'épurait, comme si elle exorcisait et scellait dans le temps passé d'anciennes images que j'retrouverai plus jamais.

J'sens une main se poser sur mon épaule et j'ai pas besoin d'me retourner pour savoir que c'est la tienne.
Alors que là, en-bas, le quai est devenu désert, on aperçoit deux silhouettes foncer vers le navire à la dérive, et leurs cris étouffés par la bulle qu'ils tentent de percer nous parviennent incompréhensibles.

Quelqu'un a du les prévenir. Trop tard. La culpabilité, l'sentiment de trahir. Ça remonte.

Besoin d'les regarder une dernière fois ? Les darons...
Ils...
Ils doivent nous hurler de revenir, ouais. Ça va ?
Ouais... De quoi ils vont se souvenir, à ton avis ?
De leurs fils qui avaient l'âme trop sauvage pour être dressée par des berrys et quelques cadeaux.
T'auras été un sacré môme jusqu'au bout... Haha...
Ils ont fait de mauvais choix. Tout le monde en fait.
Et notre choix, là ? Et si c'était pas comme on l'imagine, là-haut ?

D'une tape dans le dos, t'envoies ma poitrine contre le bastingage et ma tête rebondit dans la bulle. Toujours du mal à contrôler ta force ?  Tu m'gratifies d'un sourire qui veut me rassurer.

Ici, on a plus rien à apprendre. La suite DOIT se faire à la surface, frangin.
La suite...
Le début.
C'que tu disais. Une renaissance.
Eh, tu fêtes tes dix-huit ans dans une semaine.
Ouais... Dommage pour les couillons qui m'avaient déjà acheté le cadeau, haha.
Là-haut nous attend le meilleur cadeau qui soit...


Le ciel !
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