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Cinquième Epoque: Les Recoins glauques des âmes perdues.

Rouge, soleil couchant.

Shri, ton île est malade. Ils me remontent jusqu’aux narines alors que je n’y suis pas encore vraiment. Les relents d’inhumanité qui s’y côtoient, qui y végètent et qui la gangrènent. Tueurs, violeurs, sabordeurs, j’ai été chacun d’eux, je les reconnais sans peine. Mais qu’ils s’acoquinent entre eux et s’en satisfassent et s’y reproduisent ? La vermine ne devrait pas s’agréger à la vermine aussi durablement. Elle est la fange du monde, le liant morcelé qui lui sert de fondement. L’ennemi contre qui les honnêtes gens s’allient et que les imaginaires combattent sans relâche, sans lui permettre de devenir une nation, un tout à part entière.

Et moi je n’entends que le bruit qu’ils crachent en permanence, tous ensemble, ce chuchotis sorti d’entre leurs dents jaunes dans la nuit du monde, qui devient litanie macabre puis logorrhée guerrière à mesure que j’approche. J’approche, Shri, j’approche de ton île et je crois bien que je n’ai plus très envie d’y aller. J’ai le souffle qui s’accélère et mes tempes bourdonnent parce que trop de voix m’appellent, résonnent sous mon scalp sans que je puisse les en empêcher. Mais si la course du lion marin m’a guidé jusqu’ici, mais si les étoiles là-haut qui savent et si les maelstroms impossibles et si les rousses du monde m’y ont ramené quand je me suis égaré sur le chemin que ton pose traçait, c’est que je dois y passer. Non ?

Mais je n’ai pas envie, pas envie de savoir ce que je viens faire là.

Il y a trop de monde sur ton île, Shri. Comme sur l’Usage Modéré au sortir d’Impel Down, il y a trop de monde autour de moi et moi je ne supporte plus bien le monde. Déjà avant je ne l’aimais pas bien. Maintenant c’est… Et à travers les cris et les jurons qui me parviennent de la ville je guette le chant qui pourrait me guider comme les chants d’Alma montraient la voie à l’égaré de Down Below. Mais je sais bien qu’il ne viendra pas, il n’y aura pas de mélopée qui traversera vents et marées pour indiquer la direction à suivre, et il n’y aura plus de petit Tahar non plus pour me mener là où je dois aller. Elle m’a expliqué. Et puis pourquoi m’aiderait-elle alors que je l’ai laissée là-bas à gâcher sa vie pour guider son peuple, laissée comme j’ai laissé Lilou retourner changer le globe selon ses idées et comme j’ai laissé Izya pour me trouver le mien. Mon monde.

Peut-être bien que c’est celui-ci, mon monde. Jaya…

Elle est ce que j’ai été. Une fosse à purin, une écurie pleine d’étalons fous trop asservis par leurs bas instincts pour voir encore leur propre lie dans laquelle ils marchent, se roulent et se complaisent à survivre.

Mais je ne t’aime pas, Jaya. Je t’aimerais peut-être si j’étais en bonne compagnie, seulement je suis seul aujourd’hui alors que j’avance vers toi. Et je ne t’aime pas. Tu me rappelles des souvenirs où j’étais joyeux près d’endroits qui te ressemblent, pourtant. Las Camp, Dead End. Villes de chaos, villes perdues comme toi. Peut-être que c’est justement pour ça, peut-être que tu es comme cette nouvelle conquête qui ressemblerait trop à l’ancienne, ancienne qui aurait toutes les raisons de l’être devenue. Mais moi je ne veux pas te conquérir.

Moi je veux m’enfuir. Moi Tahar Tahgel, empereur en ces lieux pourtant.

Il y a deux pôles opposés et une zone tampon au centre. Des pics çà et là. De bons pics qui font comme une chaîne de montagnes depuis le premier pôle jusqu’au second, mais seuls quelques vrais sommets se découpent. Deux, ou trois, et un de plus dans la zone vers laquelle j’ai laissé partir Lilou et Maal. Et des sommets que je pourrais atteindre à l’aise. Mais il y a trop de courant autour de chacun de ces endroits, trop de concentration, d’allées et venues, de vies baveuses et criardes et excessives. La prison a dû me rendre ascète. Moi ?

Je ne t’aime pas Jaya, les ouailles que tu vomis me crient l’ironie de ce que je suis devenu.


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Rouge, jungle embrasée.

Feuilles d’automne. Il n’est pas si tard dans l’année que ce puisse être la saison, mais les couleurs majeures de la zone où je m’enfonce me rappellent l’humeur du prélude à l’hiver. Quelle saison morte m’attend, moi, cachée loin derrière ces troncs aqueux, ces lianes folles et ces larges feuilles larges, tous rougis en ce crépuscule qui les met en feu ? Quels sont ces dangers à venir qu’Alma mentionnait et dont boiter me ralentit l’approche ? Il fait humide là où je marche mais rien n’est comparable aux marécages de Down Meadow. C’est à peine si je note que mes bottes font un bruit de succion quand je les soulève. Je ne glisse même pas une seule fois sur ce sol un peu flasque. Et je progresse dans le sous-bois.

Je le savais, je le sais mieux encore : j’évolue dans un milieu vivant, dont les moindres ramifications me sont accessibles désormais. Des racines des arbres qui creusent la terre les nourrissant aux oiseaux dans les branches qui creusent le ciel les accueillant. De la source qui jaillit de la grotte masquée par ces fourrés jusqu’à la rive de ce torrent qui loin là-bas d’où je viens se vide dans la mer qui à son tour ira se vider dans le tourbillon antique de Down Below. Saint Nemo parlait d’anus du monde, mais je vois de ma perspective qu’il se trompait, pauvre fou qui ne savait pas, comme moi. Plus même que Marie-Joie, Down Below est le vrai nombril du monde, celui vers lequel tous les courants convergent et d’où tous repartent, lessivés, oxygénés, vidés de la crasse qu’ils ont apportée avec eux depuis toutes les îles du monde infestées par les humains.

Et tout autour de ce centre invisible, nous les bêtes humaines, nous évoluons. Nous construisons des machines telles Serenity qui se perdent de n’avoir de père et s’emballent et deviennent folles comme nous.

Croyons évoluer, mais depuis les premiers jours jusqu’au dernier rien n’aura changé. Nous sommes les mêmes que nous rampions à terre sur nos quatre pieds ou que nous abandonnions nos carcans de chair pour voler de toute la légèreté de nos âmes, pour ceux qui en ont. Nous sommes les mêmes larves incapables et inconscientes, et quand nous croyons savoir nous n’en savons en réalité que moins.

Philosopher m’occupe, à mes souhaits. Et il fait nuit maintenant, si bien que de souhaits je n’ai plus que celui de trouver un coin tranquille ou camper et dormir au chaud. J’ai depuis longtemps dépassé la grotte où se trouvait la source au destin merveilleux, il faut que j’en trouve une autre. Autant par prémonition avisée que parce que sentir le terrain est depuis longtemps devenu une de mes compétences à moi le chien fou, chien-loup, je sais qu’il y en a une là-bas en contrehaut au bout de cette vallée derrière les deux arbres en pleurs.

J’y grimpe avec confiance et assurance jusqu’à ce qu’une zone d’éboulis qui s’était bien jouée de moi se révèle et me fasse grincer des dents. Je compte sept cascades à dépasser dans le ruisseau que je longe, et quand j’arrive à bout de la troisième ma cuisse est complètement bloquée, refuse de transmettre le moindre ordre à mon pied dont la cheville devient toute molle. Je ne peux plus continuer qu’à la force de mes bras et je n’ai pas envie. Le blocage total est une première, je prends ça pour un signal et m’effondre, la crainte aux tripes. La crainte sourde, du danger qui court dans le noir mais que rien ne dénonce, que rien n’annonce. Malgré tous mes atouts je ne sais rien de ce qui se passe, de ce que j’ai et de ce dont je souffre. Plus on sait, plus on ignore. Mon sang circule jusqu’à mes orteils, ma jambe toute entière est irriguée du liquide de vie, et pourtant ma motricité meurt. Souvent j’ai cru voir la fin, souvent même je l’ai vraiment vue. Elle était franche et frontale.

Elle attaquait droit, elle ne se dérobait pas. Alors quoi ?


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 21 Fév 2014 - 15:22, édité 1 fois
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Rouge, langue des pendus.

Les images n’en restent pas mais mes rêves sont gris, noirs et glauques tout à la fois, suintant le pus du monde et j’ai déjà eu cette impression de me noyer dedans, il y a longtemps sur la Santa, ou sur l’Ecume je ne me souviens plus, et c’est toujours aussi désagréable, comme une sensation d’avoir la peau raclée par un grattoir aux dents duquel perlent les gouttes de cette mort liquide. Même les yeux fermés et l’inconscient plein éveillé, je sens mes tempes s’agiter et la malice des ténèbres m’engloutir au plus profond d’un puits sans fin qui me ramène moins loin dans le passé, beaucoup moins loin à un endroit où je ne veux pas retourner. Dans les recoins de ces cauchemars il y a des rayures droites comme les barreaux d’une cage où je m’enferme et où des rires me blessent et ces rires sont creux et résonnent et excavent mes pleins à moi qui me vide et me laisse remplir par toute cette morve que les flots continus de la mer brassent et entraînent jusqu’aux abysses où je suis, où je vais, d’où je ne sortirai jamais. J’ai chaud, j’ai froid, je suis entre deux états et conscient de l’être.

Je voudrais être mort mais je suis encore vivant, je voudrais vivre encore un peu, encore un peu peut-être, juste un peu peut-être s’il le faut après tout, mais je sens que déjà je suis trop maculé de cette sanie qui me corrode et m’effrite et peut-être que de l’acide m’est resté dans le sang et que c’est ce qui me ronge de l’intérieur sans que je ne m’en rende compte ? Peut-être que, comme moi je change, mon sang change et mute en une forme de lymphe que je ne contrôlerai pas et qui me contrôlera ?

Non !

Au petit matin je me réveille nez à nez avec des bottes flottant sous les branches ployées des arbres près de la caverne. Il s’avère que les troncs pleurent les morts qu’ils supportent, l’endroit est un site de récupération des ordures. Le torrent brasse les jus de leurs corps en décomposition et les convoie jusqu’au village en contrebas pour donner à l’eau bue ce petit goût de tanin que la racaille apprécie tant et qui les rend un peu plus fous chaque jour que les démons font. J’ai de la chance, ou peut-être qu’eux en ont. En tout cas je me suis réveillé avant l’heure des bourreaux et j’ai le temps de m’abriter de leurs regards que je ne veux pas croiser. Je dois tirer ma jambe morte qui se réveille un peu pour cette fois encore, j’arrive à glisser jusqu’à un taillis dont je ne laisse rien dépasser. Et massant ma cuisse je les regarde passer, s’attarder sur l’herbe tassée par mon poids pendant mon somme et repartir, imaginant un sanglier ou un chevreuil qui serait venu si près d’eux. Ignares.

Ils sont quatre, des servants de Mannfred à en juger par ce que j’entends de leurs délires de petits piratons qui veulent devenir grands, plus grands même que Flist, aussi grands que Teach. Et servir de laquais à tuer les morts les berce d’illusions. Même invalide je pourrais sans mal leur ouvrir les yeux sur la réalité du monde et du diable qu’ils suivent mais je ne le fais pas par manque d’altruisme. Au lieu de ça j’attends donc qu’ils s’éloignent pour me redresser et retourner, une béquille en bambou sous l’épaule pour compenser, près des corps.

Les morts sont raides et ils ont cette insouciance au visage qu’on a quand on en a fini avec le dur labeur qu’est vivre, et de leurs yeux crevés parce que c’était sûrement drôle hier soir il y a cette humeur qui s’écoule, vitreuse et sanglante et arc-en-ciel aussi, qui me rappelle mes songes et le sentiment qu’ils m’ont laissé. Je tangue et je me force à penser que c’est la faute à la terre ferme, après tant de nuits en mer je n’ai plus l’équilibre nécessaire pour mon premier retour dans le vrai monde qui n’est ni mort comme Thriller Bark ni sous les eaux comme Down Below, le vrai monde vivant avec des êtres de passion qui l’animent, et j’ai bien fait de ne pas aller droit en ville, de faire un détour près de la civilisation mais à côté. Oui j’ai bien fait sans doute. Mais est-ce que je suis bien retourné dans la partie où les gens vivent ? Pas sûr.


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Rouge, argile du monde colossal.

Toc toc toc fait le pic sur son tronc et rititititii fait la grive en mal d’amour dans le ciel et le toucan fait des gros bruits au loin puis s’arrête. La jungle morte cette nuit revit ce matin et l’eau sur le côté me berce et m’endort et me réveille de meilleure humeur le temps de rafraîchir ma face. J’ai effacé mes souvenirs, je ne regarde pas les cadavres que les mouches chatouillent maintenant qu’il fait chaud, et puis je m’en vais plus haut, plus loin, plus profond. Atteindre la dernière cascade du torrent me prend jusque après le zénith mais je n’ai pas faim, je n’ai plus faim, je me nourris de ces nerfs qui m’ont poussé et qui puisent dans la vie du monde pour me gonfler l’esprit et mon esprit gonfle mon corps qui ne se rend compte de rien, de rien parce qu’il est très bête.

L’eau qui court n’est plus qu’un ruisseau qui marche et moi je boite et moi je m’arrête. Le paysage a changé encore, la jungle est moins verte, plus terreuse. Au centre de l’île il y a son cœur et le cœur d’une île est la terre, protubérance du continent sous l’océan qui remonte à la surface. Je suis sur un sein du monde et l’eau que j’entends s’écouler de cette source masquée par les herbes grasses est son lait. Derrière la source il y a des canaux secrets dans la terre et dans la roche et je sais combien ils sont et je les suis pour me nourrir et mes yeux percent le sol poilu de l’herbe grasse jusqu’aux réservoirs souterrains dont s’épanche ce lait si clair. Près de ces réservoirs il y a des créatures que je devine à ramper dans l’ombre et dans le noir et leurs mandibules sinistres claquent sous la terre et les autres gens ne les entendent pas mais moi je les entends car j’écoute. Brrr.

Il est temps, je ferais bien mieux de repartir.

Il n’y a plus de ruisseau à ma droite et il n’y en a pas de nouveau à ma gauche et je ne suis plus guidé que par cette carte souterraine que je foule par au-dessus. Je suis les canaux invisibles qui s’enfoncent toujours plus loin, plus profond sous moi comme moi je m’enfonce toujours plus loin, plus profond dans le pays. J’ignore ce qui se trouve au bout mais je le sais, il y a quelque chose. J’ignore ce que je suis, mais je suis mon chemin. Et il n’y a plus que ça qui compte, ni pourquoi je suis ici ni pourquoi je ne suis pas là-bas. Et les cris derrière moi au loin dans les rues sales des taudis où vivent les pirates, les cris se font plus faibles car les arbres les arrêtent.

Et enfin j’arrive près de la verticale exacte du réservoir de lait sous la terre d’où jaillit la vie qui coule jusque là-bas, jusqu’à la côte où les gens la souillent avant qu’elle n’aille se régénérer dans le tourbillon de Down Below au nombril du monde. Il est tard, je ne vois rien, il faut encore que je dorme pour attendre. Ma jambe devrait être molle de savoir quel est mon chemin, qu’elle est mon chemin, mais elle est raide de l’effort et j’ai mal.

Dans la nuit quand je m’installe sous la lune absente, un oiseau qui doit être un hibou échange avec un ami, sans doute un perroquet puisqu’il ne fait que répéter ce que lui dit le premier. J’aurais préféré des loups, les loups sont plus poilus et on peut s’en faire un oreiller ou une couverture. Je fais avec ce que j’ai, mon manteau et des feuilles en paquets dans un creux de la terre, dans un creux des reins du monde puisque je suis remonté si près de la matrice. Le ciel tout éteint reste silencieux, il écoute comme moi la conversation des oiseaux.

Hou-Hou-Houu chuchote le hibou.

Hou-Hou-Houu rétorque le perroquet.

Et moi je dors, allongé là tout au centre du monde.


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Rouge, ivresse des vagabonds.


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Au réveil il y a ce visage penché sur moi et ce hibou qui n’en est pas un derrière, et tout un corps au-dessus du mien, un corps penché qui me renifle comme une bête ferait de son casse-croûte matinal. Me renifle la tête, me renifle le buste, me renifle plus bas aussi. Sur le visage deux yeux éteints découpent des ronds noirs sur une plaque blanche de peinture du front au menton en passant par les joues. Les paupières sont blanches aussi, blanches encore les oreilles. Les cheveux sont gras, ocre comme la terre et marron et rouges et noirs comme elle. Sales, salis, peints et raides. Le bandeau où s’agrippe le volatile aux mêmes couleurs donne l’impression d’un malade échappé d’un hôpital, mais qui s’échapperait d’un hôpital sur Jaya la catin des mers ?

Je me laisse faire non parce que j’ai peur mais j’ai peur parce que je me laisse faire. Enfin, l’homme-bête se redresse et me rend d’un grognement mon espace vital d’homme bête. Mes yeux qui ne sont pas éteints l’ont surpris, ils les fixent tous deux, lui et l’oiseau. A mon tour je me relève et je m’assieds sur une souche là-bas où.

Houu-Houu ricane le hibou pendant que je masse ma cuisse endormie, et son support bipède hoche la tête puis disparaît derrière un rideau d’herbes ligneuses un peu trop ligneuses. De ses deux ailes mal dépliées, l’oiseau volète jusqu’à un roc en surplomb d’où il me contemple et m’observe et me surveille, mais il ne dit plus rien.

Passent ainsi quelques instants où rien d’autre ne passe qu’eux. Le vent ne se lève pas, le soleil non plus et surtout pas les nuages qui bougeraient, non, non, il n’y a que le bruit du lait qui naît tout en bas dans la terre et les yeux azimuthés en face qui ne clignent, clignotent pas. Et puis des bruits de choses renversées, cassées, abîmées dans les entrailles des roches alentour et puis un cri de victoire déraisonnable pour l’occasion matinale, d’autres bruits et enfin l’homme peinturé qui surgit d’une autre entrée à son antre, l’universel langage d’entente et de dialogue entre les peuples à la main. Il s’approche, je remarque que sa peau marron n’est pas que sa peau, il y a aussi du cuir animal en quelques endroits, fort bien l’honneur est sauf.

Et me requinque une eau-de-vie qui annonce le beau temps chaud revenant dorer la peau du monde. Les fougères bruissent sous les chatouillis des premiers rayons, mes veines se débouchent sous l’alcool persuasif, trop persuasif, et mon muscle comme vidangé se débloque, pour un temps au moins. Après m’être un peu lavé des douze vertus solaires, j’accompagne l’illuminé redevenu perchoir en son royaume. Au jour des torches à huile, son teint de panda récupère de sa mystique ombrageuse et je soupçonne la bouteille d’avoir fermenté plus que du simple fruit, sans doute un peu d’herbes aussi mais bon je n’ai pas très très envie de savoir ce qu’étaient les morceaux qui flottent. Je flotte à mon tour.

Un fauteuil pas très local, vachement typé quinzième, me fait de l’œil au milieu de la pièce à vivre toute de glaise et de pierre mêlées, je plonge avec ardeur jusque dans les limbes accueillantes de ces coussins. L’atterrissage se fait comme il se doit, je me rétablis dans le bon sens pour faire honneur à mon hôte qui lui est assis à même le sol sur une natte en brindilles. Son domaine est propre bien qu’encombré d’un fatras de trucs inutiles et hétéroclips, j’ai le hoquet à cause de son pousse-café. Je lui en demande pour faire bonne mesure.

Du café. Il n’en a pas, mais la chouette lui sifflote un air de chez eux à l’oreille, et me voilà avec en main des biscuits secs mous et du rat crevé séché. A l’odeur. Je prends des uns, mastique de l’autre comme on chique du tabac : pour repeindre l’ivoire de mes dents et pour le glavioter ensuite à petits jets tout en politesse. Je n’avais pas faim mais mon estomac si, la tête me tourne moins et le monde autour se calme aussi.

Le calumet liquide me revient pour que je l’enterre encore un peu plus et, devant mon refus, ils parlent.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 21 Fév 2014 - 15:32, édité 1 fois
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Rouge, sang des innocents.

L’oiseau houhoute et son servant me traduit dans les mots sacrés de la langue des hommes. Moi j’écoute. Des moins pensants, moins sentants que moi croiraient sans doute que le bougre aux peintures de paix étalées sur les bajoues est autonome, mais moi je vois clair dans ses yeux sombres et vides ; il n’a pas de vie, pas d’âme et encore moins de volonté. Son nom même est signe qu’il n’existe qu’à travers le regard d’un autre. Truc-que-t’as-pas-lu. Tu, toi qui me regarde et dans l’œil de qui je suis vivant. Une grande tristesse s’invite dans l’ombre.

La seule once de lui-même que je perçois c’est quand il réfère à l’emplumé sur sa tête. « Grand Esprit », dit-il. Ça pose son ambiance. Les flammes ocre, sa voix de cave et l’humidité que je sens couler dans mon dos le long des murs de roche jusque dans le sol et puis dans le réseau lacté en-dessous de nous, tout ça aussi la pose. L’ambiance. Nous sommes posés. Leurs vies défilent devant moi. Ils n’ont pas bavassé depuis un long, long, long moment, je le devine. Les pirates des villes ne viennent pas si loin sous les arbres. Les pirates se moquent des tétons, du cœur ou du nombril du monde. Ils n’en boivent que le lait tourné.

- Ohé ?

Et les pirates se moquent de l’histoire d’un pauvre fou qui vit à la sauvage dans les arbres où ils ne vont jamais, se moquent de savoir que son compagnon aux huiles essentielles de pigeon est une espèce rare de Torino, se moquent de ce que Torino est une île qui vaut le détour, ça fait si longtemps que je ne l’ai pas vue mon ami, je suis triste à t’en parler reprenons donc un peu de ce rosé fumé à quatre-vingt-dix pourcents c’est de la bonne came. Les pirates sont laids et furieux d’une colère qu’ils n’identifient pas, ils se tapent dessus pour l’oublier.

- OH !
- Plaît-il ?
- Grand Esprit demande qui tu es, toi ?

Je regarde l’oiseau qui me regarde encore, qui me regarde toujours. J’ai la tête à l’envers ou lui la sienne. Un vertige étrange me gagne. Peut-être parce que ça fait longtemps qu’on ne m’a pas demandé qui j’étais, j’ai envie de parler de moi. Parler au lieu de penser, je sais que je pense trop. J’ai toujours trop pensé, c’est pour ça que je tapais les gens, pour oublier moi aussi. Et la prison m’a maintenu isolé, m’a rendu plus seul, et c’est pire maintenant. Lilou a dû s’en rendre compte, que Razzer n’était pas le seul fou à bord. Si elle était ici sans doute qu’elle s’en rendrait compte encore, que Truc n’est pas le seul fou dans cette cahute.

- Reste conscient ! Grand Esprit, la dose était trop forte !
- Houhou…

Cet ermite qui m’en rappelle un autre par ses manières d’être sans être, il me fixe par-delà le feu, depuis son siège gris et sans chaleur contre le mur opposé. Oui, il y a un peu d’Adam et Belle dans Truc et Grand Esprit. Je me demande s’ils sont toujours en vie, tous les deux. S’il ne boit toujours plus, s’il a déménagé ou s’il est toujours. Peut-être parce que ça fait longtemps qu’on ne m’a pas demandé qui j’étais, je me livre.

- Je suis Tahar Tahgel, je tue des gens.
- Houhouhou…
- Quoi ?
- Grand Esprit dit que c’est un prénom lourd de sens.
- Pire que « Truc » ?

L’oiseau se tait, laisse se faire une magie que lui seul connait, que moi j’ignore. L’âtre me sourit de ses dents avides, ses flammes lèchent ma désinvolture, la caressent et la réduisent en cendres. Dans ces cendres, celles des gens que j’ai tués, qui me définissent et par lesquels je viens de me définir. Dans ces cendres, le premier-né et le premier-mort revenu à la terre, trop tôt sans doute et par la petite porte de derrière qu’était Troop Erdu.

- Un prénom lourd à porter ?

Dans le sifflement des braises, le doux son de Maman qui parle. La prison m’a rendu seul et j’y ai oublié après m’y être souvenu. Vertu, vertueux… Mais ce n’est qu’un prénom ?


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Rouge, lèvres de luxure.

- Tahar Vertueux Sanglant Imaginatif Lucide Méchant Gentil Sage Avisé Parfait Méticuleux Artiste Tahgel, ainsi je te nomme, toi mon fils après ton frère et avant ta sœur, ainsi soit-il et que ton père ne rentre pas, ne rentre jamais, oh là là, j’ai l’oreiller à repriser ça traine depuis trop longtemps que je suis grosse de toi…

Mes cerveaux s’affairent sous la pression combinée de tous ces yeux qui m’entourent, les siens et puis les siens et puis ceux de dehors derrière le rideau d’herbes qui ondule au rythme de la brise agitant les flammes, les agitant doucement. Je me souviens maintenant de cette bouche maternelle et des mots qui s’en échappaient, je m’en souviens comme si c’était hier encore, hier un peu neuf, un peu différent mais hier auquel j’assiste, auquel j’assiste doucement. Cette bouche en appelle d’autres et entre les pierres brunies du foyer les flammes se font femmes et chacune me donne le même prénom et chacune me nomme comme elle se rappelle.
- Tahar !
- Charmant !
- Maître !
- Capitaine !
- Monsieur Connard !
- Commodore !
- Seigneur !
- Caporal !
- AH !
- Saigneur !
- Colonel !
- Mon dieu !
- Je vous aime !
- Prince de mes nuits !
- Monsieur le baron !
- Mon Dieu !
- Ta-Kon !

- Grand Esprit ! Il ne bouge plus !
- Hou…
Non, je ne suis pas mort.
- Grand Esprit, es-tu sûr ?
- Hou.
Oui tu le sais, hein, tu le sais, toi l’oiseau-roi qui vois, qui vois tout…
- Mais son regard est comme celui du crâne poli par les ans passés au creux de la terre !
- Hou !
Dis-lui de se calmer oui, j’ai besoin de ce silence, du silence du giron de la terre où nous sommes justement pour contempler ma personne dans ses douze intensités et dans les dix-huit paradigmes que cette femme m’a fait devenir. « Cette femme que je prends comme excuse pour ce que je suis devenu », dis-tu ? Tu trouves qu’elle est une excuse ? « Oui » ? Elle ne serait pas la cause de ? Alors qu’est-ce que ? « Lui » ? « Non, moi » ? « Et alors, qu’est-ce que ça change » ? Je ne sais pas ce que ça change, moi, à toi de me dire, Grand Esprit…
- Mes excuses, Grand Esprit, Truc va devoir dévoiler ses pouvoirs pour le ramener !
- Fou…
Laisse-le, va, laisse-le essayer, moi je sais et je ne dirai rien. Ni à lui ni à personne, de toute façon personne ne s’intéresse à lui ici, et ailleurs non plus. Les fous perdus dans la seule terre qui est la leur, leur esprit, n’intéressent personne. C’est pour ça qu’ils deviennent ermites ou qu’ils meurent. Puis qu’ils meurent. Va, fais-lui plaisir, donne-lui l’impression que c’est lui qui me réanime. C’est bien comme ça que tu procèdes, non ? Des sentiments, des sensations dont lui ne sent pas qu’ils ne sont pas siens, mais dont moi je sais l’origine ? Et tes hululements ne sont là que pour la beauté des choses, parce que tu es un artiste et que tu aimes ta propre voix ? Ta propre voie.
- Tahar Tahgel, reviens tuer des gens !
Je me demande comment tu as fait au tout début. Tu as joué les symbiotes ? J’ai besoin de toi, tu as besoin de moi ? C’est pour ça qu’il s’est peint de tes couleurs, parce qu’il se croit chevalier de toi son roi et de tes édits ?
- Houhou…
- Par les Sept Directions et la force du Grand Esprit, je conjure !


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 21 Fév 2014 - 15:37, édité 1 fois
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Rouge, cire du sceau secret.

- Ça va, ça va… Assez !
- Il est vivant ! Grand Esprit, Truc a réussi !
- Hou ?
- Pas grâce à tes coups de poing, triple buse… C’est vraiment comme ça que tu crois pouvoir réanimer ?

Mais je ne dirai rien. Qui suis-je pour casser les derniers rêves d’un imbécile heureux qui se prend pour mon sauveur, mon sauveur de plus ? Je suis Tahar Tahgel, et je tue des gens. J’ai dit. Je pourrais lui casser son rêve. Je l’ai fait plusieurs fois alors bon. Un de plus, un de moins. Hein, Truc, avec ton visage niais penché sur le mien, pourquoi je ne te casserais pas tes illusions ? On pourrait y voir œuvre humanitaire d’ailleurs. Les illusions c’est mal, la vérité c’est mieux, et la vérité vraie c’est que ce piaf te possède. Grand Esprit. Grand Esprit a beau jeu, Truc. Et toi tu fais peine à voir. C’est peut-être pour ça que je ne dirai rien. J’ai de la peine pour toi.

Je ne t’aime pas beaucoup, Truc, tu es un peu comme cette île. Toi et tes drogues, vous me perturbez.

Le temps qui n’avait déjà plus beaucoup d’importance à mon échelle s’étire encore, l’espace que je sens différemment depuis ces moments où Maman m’a parlé en prison s’estompe et se mêle un peu plus, et les voix des villes que je n’entendais plus grâce aux arbres, je les entends à nouveau. Mes chakras s’ouvrent et je rejoins le grand-duc non pas sous terre comme je pensais après mon parcours et la jungle et les eaux et le lait de la terre mais là-haut, tout là-haut dans les cieux où Grand Esprit vient de s’élancer. Tout-là haut par-dessus les arbres qui ne font plus barrière, tout là-haut dans les nuages où le bruit de toute la vie plus bas sur terre se condense. Je ne me rappelle pas ce phénomène sur Second Peace, mais je ne comprends pas comment les anges des îles célestes ont supporté ce raffut depuis leur exil depuis Birka sans avoir mené neuf croisades contre la race humaine. J’aurais été eux… J’aurais été… eux…

Je reste en hauteur mais à travers mes paupières qui s’entrouvrent de peu je perçois que je suis aussi resté au sol, assis avec toi, Truc, assis avec toi autour de ce feu qui s’est éteint depuis longtemps et qui pourtant chauffe encore mes veines et les tiennes mortes de pantin mort, et sous le regard de cet oiseau de malheur qui lui n’est plus là mais qui nous contrôle, qui me contrôle et qui projette en moi les mêmes images qu’il projette en toi. Tu ne le sais pas, tu ne le sauras pas, mais je vois et je sais ce transfert qu’il opère, depuis là-haut. Grand Esprit.

Et je remonte et je remonte d’un seul coup tout là-haut, tout là-haut seulement et plus en bas, je remonte à trop fixer ces épaules qui en face balancent au rythme de ces ailes qui là-haut battent et battent l’air jusqu’à dépasser cette île qui devait être Skypiea, je remonte jusqu’à contempler le monde et puis bien plus encore, et puis bien trop pour finir. Le monde n’est bientôt qu’un point de ce que mon esprit traverse, temps et espace mêlés, passé, futur et présent dissous en ce grand chaos calme comme dans ces histoires de héros en transit chez les morts ou chez les dieux, et peut-être bien que c’est là qu’il m’emmène, cet animal.

Est-ce que c’est ça ton nirvana, Truc-que-t’as-pas-lu ?

J’aime bien. Ma cuisse s’y tait.

Eh. Tout se tait. Je ne sens plus rien.

Et je sens tout aussi. Tout le poids de cette gravité qui me reprend, toute la force de ce monde qui me rappelle à lui soudain, qui me renvoie jusque dans mon enveloppe charnelle décharnée, acharnée, laissée pour compte dans cette grotte minable et qui ne me laissera pas tranquille sans se battre un peu, ce serait trop beau. Désolé Grand Esprit, je crois que je ne vais pas pouvoir rester. Tu sais ? Je sais que tu sais, mais chut, il ne faudrait pas que les autres sachent non plus. Quels autres ? Très juste. Les autres. Eux, là. Et puis elles, aussi. Elle.

C’est bien elle, là-bas, petit point rouge sur le petit point noir qu’est le monde qui devient gros, n’est-ce pas ?

- Houu…

J’en étais sûr.


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Rouge, joues du joufflu.

Splash. L’atterrissage est rude comme le grain du sol de roc.

La peau de la terre pleine de poussière contre celle de ma joue si tendre et si marquée des ans que je viens de reprendre. Le silence de la pleine jungle revenu. Les bruits sales de deux hommes qui émergent d’un mauvais voyage, d’un voyage mouvementé dans les tréfonds célestes de leurs mois, émois intérieurs.

Nous sommes froids, nous sommes en sueur et sur la paume que j’ai passée sur mon front, il y a du blanc épais et lavasse, semblable à celui dont Truc est dépeint à mes côtés. Je me redresse, gras et lourd, et dolent, et chaque pas moins éthéré et chaque claudication plus bassement réaliste. Quand je sors de l’abri j’aperçois au milieu de la nuit tombée deux gouttes de lumière s’approchant vers la clairière. Et bien vite elles deviennent les yeux du Grand Esprit qui revient parmi nous et je l’observe et il fait son beau avant d’atterrir à hauteur d’homme sur une petite butte d’où il fait son malin. Il a fallu ses pirouettes et ses plumes pour que je comprenne intimement les liens entre la pensée qui domine et les corps qui subissent. Houhou, fait le hibou.

Truc sort sur mes talons, s’agenouille sur le vide du monde comme si c’était normal de léviter en cette heure indue où seuls les chacals de la forêt peuvent nous surprendre. Il murmure des sanités, je crois qu’il prie son dieu de misère et le remercie avec déférence et révérences pour l’expérience. Bonne blague.

Je pense moins, j’ai envie d’agir et donc je vomis, contrecoup peu répressible de l’essence de térébenthine que m’ont fait boire en douce les deux gredins. Le rat peut-être aussi n’est pas si bien passé qu’espéré.

La terre accueille mon don avec la solennité qui lui est dû, je m’éloigne du centre du monde inconnu d’un pas complètement quelconque. Ce, sans qu’aucun des deux énergumènes ne tente quoi que ce soit. L’un est toujours prostré dans son rituel et l’autre a ses mires plantées dans mon dos mais ne dit rien. Quelques daims dans les fourrés s’émeuvent de mon passage, je les mange tant pis pour eux. J’ai faim.

J’ai faim comme si je n’avais pas mangé depuis des mois. Depuis Impel Down. Depuis Dead End. Depuis 1615 ?

C’est un peu vrai. Je vois, je vis.

Depuis avant, toujours avant. Depuis que mon père est devenu mon père, depuis que son père est devenu le sien et depuis que le monde est monde et depuis que je suis moi, être de légende jamais mort et jamais né.

J’ai faim. J’ai faim, par les dieux !

Les pentes gravies avec peine la veille, ou l’avant-veille ou le jour toujours avant, qu’importe, je les dévale. Les buissons me lardent le derme dans le noir que je pourrais percer mais que j’affronte sans empathie. Mon sang est vif, ne se désoriente pas malgré ces accrocs. Chaque goutte m’est précieuse et pourtant si dispensable. Je cours, je gambade comme un chien bienheureux, comme le chien fou que j’étais jadis. C’est transitoire et je le sais et pourtant je ne me projette pas plus loin. J’ignore si c’est d’apercevoir Izya dans les brumes de ma transe, si c’est de n’avoir ressenti que du calme à ce moment, ou encore si c’est la transe elle-même, j’ignore ce qui m’a creusé l’appétit à ce point, j’ignore quel bouchon dont je me limitais j’ai fait sauter et comment je l’ai fait sauter. Peut-être bien que je suis encore sous l’influence du Colour Trap de ce vieil emplumé.

Peut-être bien que je ne me maîtrise pas, et j’y compte bien. C’est bon d’être sauvage encore.

Comme une drogue dont j’aurais manqué. Qui m’aurait manqué.

Et que je vais retrouver là-bas devant, et que je retrouve déjà dans ces sons qui me parviennent en avant-première, de derrière l’orée du bois, de la lisière des habitations apeurées. Les lumières tremblantes me parviennent malgré la distance, celles de cette ville de débauche et de dommages qui m’attend de toutes ses portes ouvertes et où rien ne le sera. Dommage. Qui n’attend que moi, Tahar Tahgel qui tue des gens.

Moi, Tahar Tahgel, empereur de vertu par les mots de ma mère.


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Rouge, rubis des yeux envieux.

Le jour prépare son lever pour m’embellir le menu quand j’arrive enfin en vue du plat de résistance. Sur la lande dégagée de toute forêt, des bicoques construites à la va-vite s’amoncellent dans la demi-lumière des matins moroses, sans organisation ni vision globale. Les pirates se reproduisent entre eux mais quand même, la civilisation a ses limites enfin, ne soyons pas trop contraignants avec nous-mêmes pauvres âmes égarées qui nous oublions dans le chaos et la misère. Au loin sur toute la longueur de mon panorama, l’amère mer, seule source de bruit véritable en cette heure si matinale. Les mouettes devenues charognards en ces contrées perdues s’agitent sur le sable, s’ébrouent, attendent les dépouilles de la nuit qu’on leur donnera à dévorer dans la Baies aux Criquets tout à l’heure quand on sera réveillés. Criquets. Comme s’il y en avait dans le coin.

Mais les becs qui claquent tout le jour durant sur les os des morts imitent un peu le bruit des insectes.

J’approche à pas plus mesurés pour soigner mon entrée, mais malgré le temps que je prends c’est à peine si deux fenêtres s’allument sur mon passage au travers des faubourgs. Je doute qu’on m’ait reconnu, il n’y a pas de tocsin pour m’annoncer à toute la ville. Pourtant je me doute bien que la nouvelle intéressera la sommité locale. Je suis à l’ouest de l’île, le soleil orange mord la canopée là d’où je viens quand il apparaît derrière le bled. Il semble presque à portée de bras, comme s’il sortait de la caverne de Truc-que-t’as-pas-lu, et je me demande pour un instant si Grand Esprit saurait voler jusqu’à lui comme il a volé jusqu’à la lune cette nuit. Puis je plonge dans l’océan pour me laver de mes péchés à venir et de la teinture dont m’ont enduit les pignoufs.

Quand je ressors il fait grand jour et les premiers badauds peuvent contempler mon plus simple appareil.

Leurs glapissements apeurés font de ces loups des mers de petits agneaux à la chair si tendre.

Mes crocs polis du sel de mer plus tôt salivent d’eux-mêmes. Mais je suis patient, je n’en mange aucun.

- Salut, Jaya.

J’exige plutôt qu’on m’amène à la taverne qu’on aura ouverte pour me repaître. A quoi bon être discret quand on peut avoir les égards d’un prince ? Certains se sont enfuis quand j’ai agité la langue, d’autres sont restés qui maintenant s’exécutent. Fieffés gredins, je vois à vos yeux tristes que vous n’avez pas l’envie derrière le geste.

Ou plutôt, si, vous avez l’envie mais pas celle de me servir. Ou plutôt si, vous avez l’envie de me servir mais pas de me servir à manger. Vous, ce que vous désirez, et je le lis dans vos petites billes chafouines qui ne s’arrêtent jamais dans leurs orbites craintives, c’est me servir au premier comptoir des primes que vous pourriez croiser sur votre route de repentis. Je vaux tant que ça et vous le savez mieux que moi.

- En effet ! Jugez plutôt, Saigneur…

La majuscule m’interpelle. L’homme qui vient de faire son intéressant sans peurs mais avec plein de reproches  potentiels m’est introduit comme le vieux Abe, fumiste de première catégorie et suppléant céans de son altesse le premier commandant de. De je ne sais pas, je n’écoute pas jusqu’à la fin toute la présentation pompeuse qu’il me refourgue. Il essaie en plus de m’embobiner en curant ses prémolaires inférieures gauches avec un de ses ciseaux à os, mais je suis plus absorbé par le papier qu’il a extrait d’une de ses poches de personnage très secondaire, un peu utile au demeurant. Je lui prends la petite annonce de la main. A moi.

Gouge rousse, je suis l’homme qui vaut cinq cents millions désormais. Un demi-milliard.

Tahar Tahgel
490.000.000


Je siffle, apprécie. Les fantasmes sur ma personne des brebis égarées alentour prennent une saveur nouvelle, se justifient soudain bien mieux. Le morne ordonnancement approximatif de ma coiffure représente à lui seul plus que tout l’argent raflé par leurs mains d’infamie depuis leur venue au monde. Quelle leçon sur la vanité de tout, mes aïeux ! Et de quelle magnificence voilà mon aura drapée, en ce pays où règne la plus grosse. Aura ?


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 21 Fév 2014 - 15:45, édité 4 fois
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Rouge, braison mutin.

Le jour tombe et la foule se remet de sa frayeur. Autour de moi un rayon de sécurité d’une dizaine de pas s’est naturellement formé au fil de la journée, rempli de vide et de rien d’autre, ni table ni chaises ni personne d’assez fou pour prendre le risque d’encore subir mon charisme tellement impressionnant à petite distance. J’ai trouvé ça utile de rappeler tout à l’heure qu’on ne me la faisait pas à tous ces manants, et ce qu’il pouvait en coûter de même juste penser à m’attaquer. A penseur, penseur et demi, et un penseur averti en vaut deux, si bien que, arithmétiquement, je peux tous les poutrer d’entre mes deux oreilles et sans bouger le petit doigt. Je n’aurais pas écrit un manuel sur la question, mais ils ont compris assez vite quand ils se sont relevés.

Seule exception aux consignes de sécurité adoptées à demi-mots par toute cette brave clique de bons truands respectueux, Abe me colle aux basques depuis notre rencontre comme s’il pouvait me contenir si je décidais quoi que ce soit qu’il refuserait de cautionner. J’espère que son patron le paie bien, son cœur me semble en bonne voie pour le lâcher là maintenant tout de suite dans pas longtemps, ce qui serait assez ballot pour lui. Enfin. Au moins il fait en sorte que j’aie à bâfrer sans discontinuer depuis l’aube, et je dois bien lui reconnaître que sans lui ç’aurait été pas mal plus compliqué. Aucun des grouillots n’ose même sortir des cuisines pour m’apporter la pitance qu’ils préparent pour sa majesté Bibi, invité de marque et très marquant.

Si c’est ainsi que Grand Esprit me possède, tant que ma panse n’explose pas, c’est plutôt chouette.

- Chouette… Hibou… Non, ça fait marrer personne ? Non ? Bande de cons ! Furoncles !

Ces ignares, ignorants même de ce qui se passe au cœur de leur propre forêt m’énervent. Et au pays des fous je suis toujours le seul à l’être vraiment, c’est malheureux. Je préférais avant, quand j’arrivais encore à tisser des liens, éphémères mais réels, avec les déchets qui peuplent les endroits sans âme où j’aime à m’alanguir. Le cordon de sécurité s’élargit un peu plus avec la crainte que je ne récidive pour leur apprendre à rire quand il le faut, et pour finir la maison fait terrasse. La moitié des soiffards se retrouve à désoiffer en sécurité dans la rue.

Et rebelote quand, au milieu de la nuit, il me prend de raconter la blague héritée de Potemkin, du singe qui…

- Eh mais restez ! Oh, sales larves !

Mais il n’y a plus qu’une table vide dans un coin en sus de la mienne et pendant que dans la rue ils s’abreuvent au sang rougi des sillons de la terre leur mère pleine de pendus, je remarque la dernière figure à résister. Non, la table vide ne l’est pas. Une femelle, plus dure à cuire face aux flammes de mon courroux que toutes ces fillettes se prétendant hommes lorsque, abritées par leur drapeau noir elles détroussent les gens biens ? Une braise devant son nez. Elle fume la pipe, c’est signe qu’elle est capable de survivre à mes dépends.


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- Celle-ci, je ne l’aurais pas pariée… Abe, un autre sanglier ! On ne va pas discuter la bouche vide, quand même, tu ne crois pas très chère ? Abe ? Abe mon si bon tu es encore là ?
- Abe se repose, je lui ai donné congé.
- Ah, je vois… Madame lui a donné congé, très bien très bien…
- Tu ne vois rien, n’est-ce pas Tahar Tahgel ?
- Eh. Je ne suis pas très à jour sur les dernières célébrités, il est bien vrai…
- Je suis Elize.
- Eli… Oh, Elize ?
- Djean !
- C-Chef ?
- Tu as entendu Monsieur, un peu de viande je te prie.
- Euh, je, je pourrai rester dans les cuisines, après, chef ?
- Tu iras où je te dirai, froussard ! Rapporte-nous ce sanglier !


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Jeu 20 Fév 2014 - 18:00, édité 1 fois
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Rouge, béatitude de l’extatique.

Nuit débat, nuit d’ébats, ébats sages. Elize est une femme à qui on ne la fait pas non plus. Etre second d’Empereur comme elle l’est forge le caractère ou en exige un, et soit je suis trop fou soit je suis trop vieux, nous avons chacun respecté l’espace vital de l’autre. Les odeurs de viande retombent comme la chaleur des cheminées. Le quartier s’est rendormi, seuls quelques inconditionnels de la sorcière de glace montent la garde dans les ruelles que nous traversons. A quelques encablures depuis la falaise où elle m’a menée, le navire sur lequel sa troupe est parvenue jusque Jaya depuis le Nouveau Monde. Des lampes-tempête s’agitent et transforment ce petit coin de mer plus sombre que les autres en un petit coin de ciel étoilé alors que les autres astres sont déjà partis se coucher pour ne pas croiser le soleil en approche.

Entre deux tirades elles-mêmes glissées entre deux pipes, le discours du lieutenant de Vladimir a voulu se faire un chemin jusque mes cerveaux malades. Je n’ai plus faim, et voilà qu’on me propose une vie de satiété si j’accepte de me joindre à monsieur-dame pour maintenir l’équilibre de plus en plus vacillant du monde neuf. Et puis le Malvoulant a désormais une dent contre moi, paraît-il. Depuis mon petit impromptu à Thriller Bark et nos maux échangés par le biais de Méphora sa métayère sur Grand Line. Alors autant que je me défende par l’attaque, ou le sort qui m’attend se chargera de décider pour moi, et quand il l’aura fait je ne pourrai plus répondre. Flist Gonz est aussi sur cette île et doit être au courant de mon arrivée, pas de doute. Ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’il ne me rejoigne et veuille m’expliquer que son maître, son gentil maître serait ravi de me rencontrer pour m’expliquer deux ou trois petites choses à propos de convenances et sur la façon dont les institutions tournent, n’est-ce pas très cher, donne la papatte qu’on t’y mette un joli crochet.

Des vautours sur une carcasse de choix.

La mienne.

C’est un peu l’impression qu’elle me laisse, la petite miss pas si petite que ça. Je suis plutôt doué pour ça d’habitude, mais je ne saurais même pas lui donner un âge : trente ? quarante ? Elle me parle avec la déférence que pourrait avoir une cadette, mais c’est peut-être et sans doute une manière de s’attirer mes faveurs qu’elle ne pourrait gagner, nous le savons elle comme moi, par la force. Ce, malgré toutes ses aptitudes.

- Qu’est-ce que tu en dis alors ? Le jour est bientôt là.

Je me demande si elle est un peu jalouse ou pas du tout que son maître à elle, bonne chienne à son papa de substitution, s’intéresse à moi qui pourrais la détrôner dans son cœur de gentil pirate si j’acceptais. Elle n’a pas l’air d’être concernée. Sûre d’elle, de sa place auprès de Toreshky, à ce point ? Hum. Passe dans son œil de glace, insensible au frais qui bise, une lueur que j’interprète comme de l’ennui mortel. Si je m’oriente bien aux dernières fenêtres sur l’au-delà qui brillent encore là-haut, il y a, tout droit et loin, très très loin derrière la crique où est amarré son navire les mers agitées qu’elle a dû quitter pour venir recruter des péquins ici dans cette île de loqueteux. Ça en fait du chemin parcouru par dévotion, la cause doit être importante. Ça en fait du changement de cadre, entre la rage des affrontements quotidiens de là-bas qui luisent dans le givre de sa peau d’ombre, et ce bourg poisseux, boueux, crasseux du sang et de la sueur d’hommes qui n’en sont plus, n’en seront jamais et n’en auront jamais été.

J’aimerais bien voir les types de là-bas, savoir à quel point ils méritent la réputation de leur territoire. Mais je sais que je serai déçu. Qu’ils seront aussi gras et abscons que ceux d’ici. Garder une zone fantasmée dans un coin de mon esprit, c’est ce que je peux faire de mieux, de moins pire. Et un jour j’irai peut-être, un jour après celui-ci qui se dévoile maintenant. Le violet se répand, s’éclaircit, se déchire, laisse place au bleu rosé, le ciel se remplit de la mer et puis la mer retourne s’alanguir en bas à sa place, chauffée des rayons de la grosse boule.

Quel branleur, ce soleil.

- Elize, très chère Elize. J’ai donné ma part d’obéissance aux ordres, dans ma vie. Je vais continuer le jeu solo.
- Ta perte, Tahar Tahgel.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 21 Fév 2014 - 15:51, édité 1 fois
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Rouge, peau rosie des matins frais.

- Ma perte ?
- Tu y aurais gagné.
- Un poids, des contraintes ?
- Des compagnons, une famille.
- Elize, très chère Elize, sous-entendrais-tu que je suis trop seul pour mon propre bien… ?

Elle ricane, moi aussi.

J’ai déjà une famille. Ça doit commencer à se savoir, même moi je l’ai entendu dans les conversations des poivrots apeurés hier alors que je bâfrais. Izya Tahgel, la fille du saigneur qui réveille les volcans… Ça en jette, elle ira loin cette petite. Et elle a de qui tenir. Sans me vanter parce que ça se saurait si j’étais du genre à me pavaner pour mes bonnes œuvres, à considérer qu’un enfant de moi en soit une d’ailleurs, je doute que ce soit Séléna l’ange douce et perfide et discrète qui lui ait transmis l’art et la manière de tout faire péter sans en avoir honte. Paix à ton âme, Séléna.

Et puis eux aussi y perdent. Ils y perdent moi.

- Mon Seigneur n’aime pas vraiment les refus, Saigneur.
- Tu sais, vous aussi vos informations datent un peu. J’ai plus ou moins laissé tomber ce titre il y a quelques huitaines déjà. Avec une amie on a pensé à Lord Tahgel d’ailleurs, mais moi je trouvais que ça faisait un peu m’as-tu-vu, qu’est-ce que tu en penses, toi… ? Elize ?
- On récolte ce que l’on sème, Saigneur…

Au royaume de ma veine mes sangs font un petit tour, deux puis s’en vont. Toudoum.

- Elize ? On est vraiment obligés ? Je t’aimais bien, tu pourrais retourner à ton recrutement, moi à mon chemin d’homme boiteux qui ne sait pas encore pourquoi, et puis on se revoit dans cinq ans pour se faire une bouffe ?
- Hélas.
- Mais, Vladimir, c’est pas le gentil dans l’histoire, normalement ? Celui qui laisse des choix aux gens, qui s’érige en chantre de la bonhommie contre Mannfred ? Où est-ce que j’ai loupé un wagon ?
- Ne. L’appelle. Pas. Vladimir.
- Roh, tu me déçois un peu, là… Me sortir le masque de la fanatique sourde et aveugle et dévouée à l’extrême, vraiment ? Allons, on est entre nous, personne de ton équipage ne nous écoute discuter, nous deux bons adultes et gens de bien…

- Tu as raison.

Elle dit ça après un petit silence comme j’en ai laissé passer un juste avant. On est entre nous, je l’ai dit, nous deux bons adultes et gens de bien. Je sais le poids des silences, et je les comprends encore mieux après l’éternité noire d’Impel Down. Toudoum. L’atmosphère jusqu’ici légère et agréable s’alourdit, notre espace vital à chacun augmente peu à peu et nous prenons nos marques l’un à trois pas de l’autre.

Hou-Hou-Houu chuchote quelque part un hibou égaré.

Elle lève doucement les yeux au ciel, moi aussi.

Il n’y a pas lieu de se presser, il n’ira nulle part tant que nous n’aurons pas fini, Elize et moi, moi et Elize. Pour un œil naïf, le nocturne là-haut par-dessus les toits de la ville est en train d’imiter le faucon, le vautour. Mais le vrai vautour est humain, il est face à moi et n’a pas obtenu ma carcasse à rapporter à son maître. Et le faucon est en vacances. Ne reste que ce foutu ersatz tout droit venu de Torino qui nous épie, caquète et fait le beau.

Hou-Hou-Houu murmure-je en réponse. Dans sa caverne Truc-que-t’as-pas-lu se rassure à travers les yeux de son véritable maître. Et tout vient à point à qui sait attendre. Toudoum, toudoum. Les tambours s’élèvent depuis la jungle où l’ermite en transe nous observe. Toudoum, toudoum. L’écho en résonne jusque dans ses veines glacées à elle. Elle plisse les paupières, elle a compris ce qu’elle entreprenait, ce qu’elle avait réveillé.

Toudoum, toudoum.

Toudoum.

L’aube.


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Rouge, rouille déliquescence.

Il n’y a pas lieu de se presser, je n’irai nulle part tant que nous n’aurons pas fini.

Mais ses sbires ne l’entendent pas ainsi et ceux que je croyais éteints jusqu’au midi se relèvent à peine les hostilités sont-elles entamées. Elle ne se cache pas derrière eux, mais ne les retient pas non plus. C’est une pirate, elle se bat comme elle l’a appris, fatigue ses adversaires comme elle peut pour espérer gagner.

Espérer, tout ce qu’elle peut faire. Toudoum. Son rythme cardiaque a repris sa froide et attentive placidité.

Les quelques têtes enfarinées qui m’entourent en une goutte de clepsydre deviennent équipages, deviennent confédération, deviennent horde patibulaire. On ne refuse pas à un empereur impunément. Avec lui ou contre lui. Cette loyauté sans fondement est plutôt intéressante, je crois que je commence à entrevoir parce que je le vis en quoi les quatre maîtres du nouveau monde sont si spéciaux. Ils ont des troupes, ils sont à leur manière les armées de leur univers. Et leur manière anarchiste est plus adaptée à lui que ne le sera jamais celle, lourde et procédurière, de la Marine. D’où l’incapacité de celle-ci à se maintenir durablement là-bas.

Les dents sales raclent les planchers boueux des rues de Jaya-Ouest. Peut-être qu’à eux tous ils auraient une chance contre l’homme qui vaut tant que ça. Pas pour la récompense, pas par médiocrité, mais au contraire pour la gloire de leur maître dont la seconde les a recrutés, et dont la seconde les observe désormais qu’il y a de l’action véritable. S’ils battent Tahar Tahgel, saigneur rouge de Grand Line, peut-être qu’on les jugera enfin dignes d’aller aux côté du Seigneur d’Ivoire combattre Mannfred D. Teach, seigneur noir du monde neuf ?

Peut-être.

Toudoum, toudoum. Tous, Abe, Djean, et tous leurs associés plus ou moins apeurés de la veille dans la taverne, tous ils foncent au même instant, leurs mille bras de fer contre mes deux bras de cuir. Je n’ai plus de poulie et plus de sabre depuis Dead End, mais c’est ma première vraie mêlée depuis… depuis Hinu Town ?

Le contact du fil de leurs rapières sur le néant de mon intangibilité a des relents de renaissance.

Ils voient le démon comme je le leur montre, et je me détends à leurs yeux habitués au carnage mais pas à ce point, et je m’étends dans les airs à travers leur masse agglutinée pour toucher la cible, ramassée sur elle-même pour éliminer l’ancien désiré devenu importun. Les daims mangés avant-hier dans ma course à la ville à travers les bois, les viandes assimilées hier quand on me voulait dans les rangs, ils s’épandent sous leurs pieds candides, ils se répandent à leurs bottes naïves, ils se déversent entre leurs corps déjà roides qui s’imbibent, déjà morts qui m’imbibent, et la marée humaine perd ses attributs. Inhumaine. Flots pourpres.

- Abomination…

Elize et moi, moi et Elize.

Moi et les Elize. Dans le miroir brisé de la débâcle, une vingtaine de ses reflets glacés, répliques exactes de sa silhouette transparente de guerrière, m’encerclent. Elle voudrait que je me perde à la chercher parmi tous, mais je sais où elle est. Je la suis dans ses mouvements, comme je suis les eaux du monde sous le sol et comme depuis l’azur le hibou suit mon prompt rétablissement. Passant d’une statue à l’autre, elle attend l’occasion que je laisse venir pour tuer. Pour essayer. Sa frappe soudain part tous azimuths, touche et mord. Armement ? C’est très fort, c’est très froid, j’ai très mal et tant mieux. Il faut que j’aie mal. Toudoum.

La douleur crée un lien direct entre celui qui l’assène et celui qui l’encaisse, plus encore que le contact physique du poing contre les chairs, du poing dans les chairs. Par les pupilles écarquillées de la sorcière autant que par son sang en contact avec le mien, j’ai accès à celle qu’elle est depuis sa naissance, à celle qu’elle est quoi qu’elle montre ou dissimule. J’ai accès à tout son être et tout son être est à moi et je suis tout son être. Houhou ! fait le hibou.

Toudoum toudoum fait ce cœur que je tiens, que je ronge et que je corrode et dans lequel je m’immisce.

Je vois si clair en toi, Elize, fille de Vladimir. Et toi, y es-tu ? Elize, viens donc voir en toi si j’y suis.


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Dernière édition par Tahar Tahgel le Ven 21 Fév 2014 - 15:56, édité 2 fois
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Rouge, soleil levé.

Je détache mes yeux des siens et les lève vers le ciel. Elle, non. Le calme retombe. Il n’y a plus de hibou.

Il y a seulement Jaya endormie, éteinte et, ou hébétée. Le silence des âmes qui fuient.

Vole alentour le vent des fins de bataille. Au sol, les débris des doubles de glace fondent, les restes de la mêlée désemparée glissent. Au loin, les cris muets des survivants effarés relaient le message. Quel message ?

Le chapeau pointu est tombé de la crinière brune. Il flotte sur les flaques sous le balai que sa main crispée ne veut pas lâcher, comme si une part d’elle cherchait encore à nettoyer, nettoyer ces horreurs. Mais non, mais sa pupille inerte reste à fixer ces images que je lui ai transmises, ces images du sang et de la mort qu’il y avait autour de nous et que j’ai mêlées, superposées, cousues à ses souvenirs enfouis du nouveau monde. Une maille dessus, une maille dessous. Elle bave, pleure, tremble et même gémit un peu. Pitié. Mais ne peut rien.

Cataleptique.

Vladimir agonise en son esprit, et ce qui pourrait être une délivrance n’y est qu’une torture absolue car il ne meurt pas, tourmenté encore et encore par les cruelles légions du Malvoulant et par le Malvoulant lui-même. Et elle, elle Elize ne peut rien, se voit meurtrie et empêchée de tout par Flist Gonz en personne et par moi, Tahar Tahgel, pendant que sur un fond rouge décati, telles une fresque qui couvrirait les cieux, les images de la fin de son monde se gravent et s’imposent, toujours et encore et pour l’éternité de sa vie qui n’en sera plus une.

Je m’éloigne d’elle, relâche mon étreinte sur son autre main qu’elle avait plantée dans mon flanc. Son supplice perdure, il ne dépend plus de moi mais des flaques dans lesquelles elle surnage à peine. Ces flaques de couleur qui sont la palette où j’ai trempé mon pinceau. Je m’éloigne et j’explore. Jaya se dévoile, catin des mers qui en cette partie occidentale n’a plus pour clients que des squelettes immobiles, trop affolés pour oser bouger un cil.

A l’horizon sous les premiers arbres de la jungle, des visages prolongés de télescopes me lorgnent et se méfient, médisent et disent. Le bruit court, que je n’entends pas mais que je ressens. Les voix s’élèvent à nouveau au loin, le murmure redevient litanie macabre, puis logorrhée funèbre cette fois, comme si ces coquins célébraient la vie des autres coquins emportés par mes œuvres, œuvre au noir, blanc, jaune. Rouge.

Rouge, comme les airs et l’étoile du jour à mes sens. Des gouttes d’éclaboussures coulent de mon front sur mes paupières, sur mon visage et jusque dans ma barbe. Elles faussent ma vision, leur odeur emplit mes narines.

Comme Elize, moi aussi je reste où je suis.

Sur l’île, les montagnes peu à peu apprennent des fourmis les derniers évènements, les sommets s’agitent. A droite, à gauche. Chez Lilou, chez les autres. Le monde panse ses plaies, sa peau cicatrise, absorbe les déchets qui la jonche. Le sol change de couleur, les sons reviennent. Mouches, animaux, humains. Curieux, tous curieux.

Shri, ton île est malade. Ce qui y rôde noie les hommes et les engloutit sans cesse plus profond.

Je n’avais sans doute rien à faire ici, je n’aurais pas dû y venir.

Je n’ai plus rien à y faire, que la meute reprenne possession.

Le chien fou s’éloigne, que les loups soient loups entre eux de nouveau.

J’ai disparu à leurs regards.

Le mien perce, depuis mon trône de solitude jusqu’à la côte.


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Rouge. Caillot noir de sang.


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