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Valse Martiale, mode d'emploi









-Tout le village sera présent. Alors, s’il vous plait, faîtes attention.
-…
-Ne dîtes rien qui soit susceptible de nous compromettre, Capitaine.
-…
-Nous attirons déjà bien assez l’attention comme ça, en ce moment.
-…
-Et arrêtez de jouer avec ce crocodile.
-Mais il est sympa !
-…, la menaça l’autre.
-Ok, ok. On jouera une autre fois, d’accord ?, adressa-t-il au saurien en lui grattouillant une dernière fois la gueule.

Vous souvenez-vous de cette fameuse baignade avec les crocodiles ? Dogaku avait adoré l'idée, et passé tout un après midi à barboter avec les reptiles en faisant de la plongée sous marine. Haylor avait pour sa part refusé de prendre part au jeu, précisément parce qu'elle n'était pas là pour ça. Contrairement à son collègue, elle ne se sentait pas du tout en vacances. Tout ce qu'elle voulait, c'était déterrer son trésor. Restait à attendre quelques jours, qu'on leur confie une barque, et elle forcerait aussitôt son associé à la conduire jusqu’à l’emplacement indiqué par leur carte.

En attendant qu'il finisse de faire l’idiot avec les lézards, sa compagne était restée sur un coin de plage, tranquillement installée sur une chaise longue, à lire un roman à l'eau de rose dont elle s'empressait de cacher le titre dès que quelqu'un approchait. L’autre ne s’était même pas fatigué à la persuader de se dégourdir les jambes.

À part ça, ils avaient également visité la ferme de Rodion, l'éleveur de crocodiles, qui avait aussi toute une bande d'autruches et quelques autres excentricités dans sa ferme. Seul Sigurd avait réussi à briser la glace avec lui depuis leur première rencontre, cela dit.

On pouvait y rajouter d'autres activités qui ne valaient pas la peine d'être mentionnées. Haylor était d'humeur maussade, car en ce qui concernait son trésor, ils n'avaient pas pu faire quoi que ce soit d'autre que du repérage lointain, à l’aide d’une longue vue depuis l'une des collines de l'île. Et le troisième jour de leurs vacances touchait à sa fin.

Encore que... la nuit serait longue, aujourd'hui. C'était ce soir que la fête du village devait avoir lieu. Si tout se passait bien, on leur ferait moitié prix pour la location d'une barque le lendemain matin. Myloxidia, la pile électrique qui se rêvait opératrice touristique de Bedrock, leur avait arrangé l’affaire.

Pour cette raison, et aussi parce que Dogaku comptait s’y rendre de toute manière, Haylor avait décidé de le suivre. Elle le savait parfaitement capable de suffisamment bien s’entendre avec un villageois digne de confiance pour leur expliquer ce qu’il venait réellement faire ici. Et, digne de confiance ou pas, elle préférait largement rester prudente et ne rien dire à personne. Et donc, l’accompagner pour le surveiller.

Pour l’occasion, la miss ne s'était certainement pas mise sur son trente et un, mais avait enfilé une robe un peu plus aérée que d’habitude. Son habituel chignon d’institutrice sérieuse avait lui aussi été troqué par quelque chose d’un peu plus relevé, et agrémenté de quelques accessoires.

Dogaku, pour sa part, ne s'était pas du tout donné cette peine.

-Vous comptez vraiment vous y rendre comme ça ?
-Le nombre de fois que j'ai entendu ça avant une réunion... ah, nostalgie...
-...
-Ça marchera pas aujourd'hui, laissez tomber. Primo, c'est juste une petite fête de village, y'a rien de soutenu. Sinon vous auriez enfilé tout l’attirail de parade. Secondo, tout le monde m’adore jusque là, donc j'ai pas à compenser sur l'apparence. Contrairement à vous, haha.
-...
-C'est bon, je plaisante, pas la peine de me regarder comme ça.
-...
-Pour finir... euh... ben ça vous va vraiment bien. La robe, le chignon. J'aime beaucoup.
-... hum.

Elle lui passa devant, sans un mot, et il suivit sans un mot de plus, avec un léger sourire. La réplique faisait très certainement cliché, mais Dogaku avait l'habitude d'exprimer les compliments qu'il pensait. En particulier depuis qu'une de ses amies lui avait dit qu'elles en avaient toujours besoin.

Pour autant, Haylor resta de marbre pendant tout le trajet jusqu'à la place du village. Elle ne réagit qu'à l'approche d'un crocodile, que Sigurd alla cajoler un moment. Le blondinet ignora son air réprobateur, et incita le reptile à faire un bout de chemin avec eux.

La nuit ne tomberait que dans une, peut être deux heures. Malgré cela, les lumières, torches et flambeaux avaient déjà été préparés. Plusieurs loupiotes colorées s’alternaient avec des draperies festives. La plupart étaient usées et fatiguées par le temps, mais le décor qu’elles assemblaient restait agréablement vivant et coloré. Quelques estrades et un certain nombre de stands avaient été arrangés ici et là, le tout encadrant un grand nombre de tables et deux pistes qui serviraient probablement aux danseurs.

Une petite foule s’était déjà réunie sur place. Sans compter les hameaux périphériques et les maisons isolées, le village comptait quelques centaines d’âmes.

Et surtout, il y avait l'odeur de nourriture, qui leur donna un coup de fouet et les incita à avancer. Sigurd reconnaissait l'odeur caractéristique des brochettes de viande de crocodile, toutes tartinées au poivre et accompagnées de morceaux d’ananas caramélisés. Il en avait déjà gouté la veille : la viande de crocodile était un grand classique pour tous les aventuriers du goût, lui avait assuré Myloxidia. Et il avait apprécié.

Aussi disparut-il gentiment dans la masse, pour en ressortir quelques minutes plus tard, armé d’aliments en tout genre. A son retour, le crocodile s’était éclipsé, et Haylor avait été rejointe par leur chaperonne attitrée, la petite guide touristique vêtue d'une robe pour l'occasion. Elle trépigna de bonne humeur en le voyant s’approcher, mais ne le bombarda pas de paroles comme à l’accoutumée. Toutes les deux s’intéressaient surtout à ce qui se passait sur l’estrade la plus proche. Au même titre que tous les autres villageois. Forcément, Sigurd devint curieux, et essaya à son tour de voir ce qu’il se passait de si intéressant là haut.

Sur l’estrade se tenaient quatre personnes. Deux adolescents, visiblement frère et sœur, qui faisaient face à un second duo. Une jeune femme, accompagnée d’un homme sensiblement plus âgé. Il devait approcher de la quarantaine.

Tous avaient l’air d’attendre quelque chose. Dogaku en profita pour mieux étudier le décor.

Le sol de l’estrade, surélevé d'un bon mètre par rapport au public, était formé de plusieurs tapis matelassés. Quelque chose qui ressemblait beaucoup à un assemblage de tatamis artisanaux. Malgré sa hauteur, la scène ne disposait pas de rambardes. Au lieu de cela, elle était entourée par de très gros matelas duveteux, susceptibles d’amortir efficacement les chutes qui pourraient avoir lieu.

Qui devraient avoir lieu, d’ailleurs. Plus Sigurd regardait la scène, plus elle lui évoquait un dérivé de ring de boxe. La superficie de l’estrade permettait à des combattants d’évoluer confortablement dans l’espace, sans pouvoir pour autant fuir le combat pour de bon.

C’est à peu près lorsqu’il en fut convaincu qu’un orchestre commença à jouer. Et que les danseurs présents sur la scène se mirent doucement à prendre leurs marques.

Le couple d’adolescents, côte à côte, se balançait en rythme, de la gauche vers la droite en faisant de grand pas à chaque fois. Ils avaient beau se tenir bras dessus bras dessous, passés respectivement à la nuque et autour de la taille, Dogaku remarque que leur pas de base correspondait à ce qui se faisait par les adeptes de la capoera. Il ne parvenait pourtant pas à les imaginer en train de faire des pirouettes dans les airs. Pas accrochés comme ça.

L'autre duo, la jeune femme qui dansait un homme ayant l'air d'être son père, était sensiblement plus classique. Un habitué aurait reconnu les gestes et la cadence d'une valse de salon. Face à face, en posture de couple traditionnelle, on voyait mal ce qu'ils faisaient avec les deux autres.

Ni même ce que faisaient les deux autres, en fait.
Quand il s’approcha de Myloxidia pour lui demander à quoi ce spectacle correspondait, elle lui répondit avec un large sourire, ravie de sa curiosité.

-Haha… oui. Vous comprendrez dans deux minutes. Quand ils commenceront à se taper dessus. Pour la petite histoire, les origines de cette danse remontent à très longtemps, aux premiers pèlerins qui ont colonisé Bedrock. On raconte qu’ils avaient un fort penchant pour tout ce qui est câlins, embrassades et signes d’affection entre proches. Le genre de personnes qui étreignent leurs mamans dans la rue sans en éprouver la moindre gène, vous voyez ?
-…, répondit Haylor d’un regard circonspect.
-Moi je vois très bien, vous en faîtes pas.
-Sauf qu’en fait, pour eux, c‘est tout le contraire qui s’est produit : un véritable concours qui vira à la foire d’empoigne et une escalade de déclarations d’amour, qui serait gagnée par celui qui aurait la marque d’affection la plus effusive qui soit. C’a finit par devenir tellement bruyant que les gens ont décidé de se calmer.
-C’a l’air marrant, votre truc. La prochaine fois que j’viens, j’ramène ma mère, ça pourrait être fun.
-De cette époque, il ne nous reste que cette tradition. Deux couples qui s’affrontent sur le terrain, dansent ensemble, et confrontent la puissance de leur affection. Le tout dans une ambiance bon enfant et avec des règles strictes en ce qui concerne l’encadrement de la violence, bien sûr.

Sigurd ne répondit pas tout de suite. Les participants… danseurs… combattants… peu importe, venaient de très sérieusement accélérer le mouvement. D’un coté, les pseudos capoeiristes voltigeaient dans les airs, envoyant des coups de pieds retournés dans le vide avec une synchronisation ahurissante. Il leur arrivait parfois de se tenir par la main, et parfois de se séparer un moment, mais ils agissaient de concert quoi qu’il arrive.

En face, l’autre duo préférait travailler sa mobilité. Sigurd n’y connaissait rien, mais il remarqua qu’eux n’étaient pas non plus en manque d’agilité. Et, surtout, qu’ils disposaient d’un jeu de jambes combiné que pourraient envier la plupart des instructeurs militaires qu’il avait croisé. Mais le plus jeune duo était bien plus accrocheur, niveau mise en scène.

Au bout d’un moment, Dogaku se retourna vers sa guide touristique.

-Donc à la base, les gens se battaient ensemble pour…
-Ca dépendait. Certains le faisaient pour éprouver la force de leurs sentiments, d’autres parce que c’est vraiment fun, tout simplement. Il y en a même qui avaient inventé une variante pour déclarer leur flamme à leur partenaire. Sans compter la danse de mariage martial, où les prétendants devaient affronter les deux couples de parents assemblés pour l’occasion, et puis…
-Mariage martial ? Mwararharharh, ça devait être rigolo à voir, ça. Niveau romantisme, par contre…
-On parle de gens qui étaient assez badass pour que les crocodiles qui infestaient l’île avant leur arrivée fassent profil bas et deviennent dociles en compagnie des humains, même plusieurs siècles après leur mort. Alors oui, nos ancêtres étaient tout à fait le genre de personnes qui pouvaient considérer que casser la gueule des gens était une activité de couple particulièrement romantique.
-Ce qui explique les crocodiles. Evidemment. Je crois que je comprends beaucoup mieux la culture de votre île, s’amusa sombrement Haylor. Merci beaucoup pour l’explication.
-C’est un peu la légende du coin, si vous voulez. Après, vrai ou pas…

Finalement, la cadence des deux groupes accéléra, et ils foncèrent l’un vers l’autre en cherchant clairement le contact. Les plus jeunes portèrent la première attaque, d’une double roue que les deux autres contournèrent rapidement. Sans se démonter, les adolescents poursuivirent leur assaut.

Et mine de rien, les valseurs se tenaient beaucoup plus efficacement que ce qu’aurait cru Sigurd. Jusque là, ils s'affairaient principalement à éviter les attaques. Ils avaient beau être deux, ils étaient étonnamment mobiles, et parvenaient à traverser l'estrade en se balançant sur quelques pas. Pire encore, ils étaient deux : cela signifiait qu'ils pouvaient se surveiller l'un l'autre, se protéger mutuellement, et même déplacer leur partenaire en cas de besoin. Ils s'étaient déjà tirés d’affaire à plusieurs reprises par ce seul geste. Et avaient enchaîné sur une prise, un quelque chose de gracieux qui aurait évoqué de l’aikido à un œil habitué, qui manqua tout juste de mettre fin prématurément à l’affrontement.

Une fois rétablis, les deux capoeiristes avaient tenté de leur foncer dedans, pour les perturber. En vain. Les danseurs avaient contourné l'attaque en pivotant autour, sans difficulté apparente. Ils évitaient les attaques latérales avec la même facilité, en se rétractant rapidement.

Quand ils paraient des coups, ils le faisaient à deux. En règle générale, il leur restait toujours un ou deux membres de libres pour porter une attaque dans la foulée, d'ailleurs.  Le jeune homme d’en face, qui devait avoir quinze ans, s’était prit un mauvais coup au ventre en essayant de passer leur garde.

Mais les deux adolescents n'étaient pas en reste pour autant. Encore en plein échauffement, ils commençaient à effectuer des cabrioles de plus en plus audacieuses. À deux reprises, Sigurd vit le jeune homme prendre appui sur sa soeur pour s'élancer dans les airs, et atterrir sur les deux autres pour les séparer d'un grand écart. La première fois, ils l'éjectèrent d'un même mouvement de bras. La seconde, ils lui empoignèrent les mollets pour le jeter au sol, ce qui aurait réussi si sa sœur ne les avait pas perturbés d’un croche pattes assassin. Tous les combattants se rétractèrent après cet échange, quelques instants.

-C'est vachement plus marrant à regarder que les combats de l'école militaire, dites donc, remarqua Sigurd.
-Ah ? Vraiment ?
-Ouaip. Vous savez tous faire des trucs comme ça, sur l’île ?
-Nous ? Naan. Eux, ils sont à fond là dedans. Surtout les valseurs.
-Les jeunes se débrouillent vachement bien, remarqua Dogaku. Ils ont déjà un chouette niveau, mais alors niveau synchro, c’est hallucinant… et puis, c’est moi ou ils sautent plus haut et plus loin quand ils s’accrochent l’un à l’autre ?
-Hehehe. Et encore, vous les avez pas vus faire leur Super Technique. Le Rouleau Compresseur.
-Ca donne quoi ?
-Vous voyez, quand ils font une roue de coté, sans les mains, justes en balançant les pieds ?
-Ouais. Ils arrivent même à le faire sur place, d’ailleurs.
-Imaginez-les faire ça l’un en face de l’autre, à toute vitesse et chacun son tour, en avançant comme une scie circulaire vers leurs adversaires. Et ça donne… le Rouleau Compresseur. Soit on l’évite, soit on prend le choc, soit on finit pif à terre, soit ils vous grimpent dessus et enchaînent avec leur Méga Technique Finish, le Double Suplex en Demie Lune. Et ça, c’est juste vraiment indescriptible parce qu’ils vous choppent la nuque avec les mollets en gardant leur élan, et que la suite est vraiment, vraiment énorme.

Dogaku ne répondit pas, et se contenta de regarder les combattants. Entre le spectacle, la musique, les acclamations des villageois alentours et ses brochettes de crocodile, il se sentait particulièrement bien.

-Bref. Tout ça nous amène à… vous savez danser ? Vous voulez jouer ?
-Mmmh ?
-Participer aux jeux. Vous allez bien le faire, non ? Allez, allez. Dans une semaine, vous ne pourrez décemment pas dire que vous avez passé vos vacances à Bedrock si vous n’avez pas participé aux jeux traditionnels de Bedrock. Pas vrai ?
-C’est… discutable, commença Haylor. Mais, voyez-vous…
-Ca peut être marrant, ouais.

Et comment, qu’il voulait essayer. Débuter ne lui faisait pas peur, et il avait vraiment envie de jouer dans une aussi bonne ambiance. Malgré cela, Sigurd sentit les pulsions négatives de sa partenaire se diriger vers lui. Grinçant légèrement des dents, il parvint tout de même à ignorer sa gêne.

-Boah, allez. Moi je dis, ça peut être drôle. Après, vous n’êtes pas du tout obligée de participer, si vous voulez pas, hein. Vous avez des cavalières en rab, j’imagine ?
-Bien sûr. Des tonnes et des tonnes.
Mais quand même… ça serait dommage, que vous ne participiez pas, mademoiselle. Vous êtes sûre que vous ne voulez pas ?

Myloxidia rassembla toute ses forces, et usa de son arme secrète, toujours utile dans ce genre de situations : le regard du gentil chien battu. Sans succès. Toute son énergie positive s’écrasa lourdement devant les remparts inébranlables de la sombre et délicate Haylor. Elle n’aimait pas danser, de toute façon.

-Je me contenterai de profiter du spectacle, renifla-t-elle à contrecoeur.
-Beuh. Vous êtes vraiment pas marrante, Haylor.
-Si vous le dîtes…

-Bon, bah tant pis pour elle. Moi chuis prêt. Où est-ce qu’on se prépare ? Je vous préviens, par contre, je suis franchement pas un danseur de folie, et une petite session d’échauffement-mise en forme serait pas de refus. Et même, vraiment appréciée. Je suis demandeur, quoi.
-Absolument !, s’écria la petite blonde, ravie devant tant d’entrain. Je connais quelqu’un de p~a~r~f~a~i~t pour ça. Attendez un instant, je vais chercher…
-Une jolie blonde sexy et avenante rien que pour moi ? Whoo que je suis gâté, aujourd’hui.
-Mieux que ça ! Mwehehehihihuhu ! ‘Ttendez, je vais le chercher.

Avec la vivacité d’une gazelle gambadant dans une plaine, la jeune femme se fondit dans la masse grandissante des villageois, sans se faire bousculer par qui que ce soit. Dix secondes plus tard, elle fit signe à Sigurd de la rejoindre, et lui présenta l’un des plus grands spécialistes de la danse de l’île. Ils échangèrent rapidement, et une fois les dernières brochettes de Dogaku englouties par les deux hommes, ils se dirigèrent vers un coin de piste, pour commencer une première leçon de danse de combat.

Un style unique en son genre, mais qui n’avait jamais été élevé au rang de véritable art martial, faute d’attention et de pratiquant capable de s’en servir en situation réelle.

Ca n’était qu’un jeu, après tout.


Dernière édition par Sigurd Dogaku le Mer 19 Fév 2014 - 1:54, édité 2 fois
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Une fois Dogaku aux bons soins de l’instructeur de danse, Myloxidia retourna aux cotés d’Evangeline. Réticente ou pas, la petite blonde estimait qu’il était de son devoir de faire en sorte que tous les visiteurs de l’île gardent un excellent souvenir de leurs vacances à Bedrock. En particulier s’ils étaient des touristes. Et ce, peu importe si elle devait leur forcer la main.

Ou, en l’occurrence, s’assurer qu’elle ne s’ennuie pas. Ne serait-ce qu’en lui tenant compagnie. Étonnamment, ce fut Haylor qui prit la parole, curieusement intéressée par le villageois qui venait de se joindre à Dogaku.

-Qui est cet homme ?, s’enquit-elle aussitôt.
-Euh… lui ? Alkynoos. Un type chouette. Et le meilleur prof de danse qu’on peut filer à un débutant. Il aime bien faire découvrir le truc aux gens.
-Il a l’air plutôt… particulièrement… musclé, pour un danseur. Il s’exerce tant que ça ?
-Hein ? Naan. Avant, il travaillait dans la marine, ça doit être pour ça. Mais depuis qu’il est revenu sur l’île, il se partage entre sa ferme et les cours de danse. Ou de combat. Ou des deux, héhé.

L’ex-commissaire continua de fixer le professeur, le regard vague. Il faut dire qu’il était plutôt bel homme. Sans aucun doute. Et… un ancien marine ? Exactement ce qu’il fallait pour piquer l’attention de la jeune célibataire.

Pendant quelques instants, elle fut en proie à une lutte intestine. Perdu d’avance ? Très certainement. Mais le seul fait de s’approcher lui suffirait. Malgré ses penchants moroses, la miss aimait bien rêver. Son hésitation ne dura donc pas bien longtemps.

-Mmmh… excusez-moi. Je pense que je vais participer, finalement.
-Ah ? Vraiment ? Yehehe ! J’étais sûre que vous finiriez par changer d’avis. Qu’est ce qui vous a décidé ?
-Eh bien, comme vous aviez l’air de vraiment y tenir… je ne me voyais pas refuser votre offre plus longtemps. Vous devez avoir raison, mentit Haylor en s’éloignant d’elle.

Evangeline s’efforça de ne pas sourire lorsque le dénommé Alkynoos remarqua son approche, et l’invita à les rejoindre en levant les bras en signe de bienvenue. Diable, qu’il était musclé, pensa-t-elle. Il était fin et sec, mais aux contours rudement bien dessinés. Et ses vêtements le mettaient parfaitement à son avantage. Simples, mais efficaces, compte tenu du mannequin qui les portait.

Haylor se voyait déjà virevolter sur la piste de danse en compagnie de ce bel éphèbe. Elle était sûre qu’il pourrait la soulever sans problème. Non pas que cela puisse arriver. Ou même qu’elle en ait la moindre envie. Pourquoi y avait-elle pensé, d’abord ? C’était idiot. Même si cela lui ferait anormalement plaisir.

Ils se présentèrent rapidement, mais elle fut bien incapable de comprendre ce qu’il se passait. Il y avait elle, et il y avait le sourire éblouissant qui lui faisait face. Alkynoos. Eva trouvait que ce nom avait de très belles sonorités. Exotique, en plus. Dogaku parla, mais elle n’y prêta pas la moindre attention. L’instant ne durerait pas éternellement, et elle ne voulait pas en perdre une seule miette.

Lorsqu’il la prit par le bras pour la mener sur la piste de danse, la miss sentit sa température prendre plusieurs degrés d’un coup. Entre son air béat, les fricotis d’excitation qui lui chatouillaient l’épiderme et ses oreilles qui bourdonnaient joyeusement à chaque parole délivrée par son beau danseur, il n’y avait pas à dire : Haylor  était ravie d’être là où elle était.

La démonstration dura une bonne trentaine de minutes. Ç’aurait du être beaucoup moins, mais Sigurd était un spectateur attentif et intelligent. Perspicace, également. Il parvenait à discerner la plupart des difficultés propres à chaque mouvement, et n’hésitait pas à poser ses questions aux bons moments. Face à un tel élève, Alkynoos répondait à chacune d’entre elles avec un plaisir évident, en prenant le temps d’aller au fond des choses. Ils échangèrent longuement de la sorte, sans que le danseur ne cesse pour autant son activité. Et même lorsqu’il le faisait, il gardait Haylor harnachée à lui, de sorte que tout le monde y trouvait son compte.

Mais, malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin. Il était grand temps de commencer l’entraînement. Dans un couinement de déception inaudible, Haylor accepta de se séparer de son partenaire.

Lorsqu’elle se retrouva rapprochée d’un Dogaku qui resta planté sans réagir, ses horizons furent nettement plus sombres. Face à ça, le blondinet lui-même aurait préféré une autre partenaire.
Avec l’impression de poser ses mains sur un tas de ronces vénéneuses, son acolyte lui enlaça prudemment la hanche. Sigurd s’attendait presque à ressentir une sensation de brûlure intense, ou à ce qu’elle lui gifle le visage en guise de protestation.

Il n’en fut rien.

Elle ne fit rien, en fait.

Rien du tout.

-Euh… vous comptez rester plantée là sans rien faire ?
-…
-Haylor ?
-…
-Youhou ?
-…
-Evangeline ?
-…
-Eva ?
-…
-Evie ?
-…
-Evil ?
-…
-Damn. On va la perdre, rigola-t-il en commençant à la remuer doucement.
-…
-Si je vous dis que vous êtes une atroce sorcière malfaisante qui se repait des larmes de ses victimes, j’ai une réaction ?
-…
-Bon, je vous laisse encore dix secondes pour vous préparer mentalement à danser avec moi, et ensuite…
-…
-Allô la mer ? Super Captain Dogaku à l’appareil. Nous avons un message de la plus haute importance à communiquer à Evangeline Haylor, prisonnière du fin fond du pays des beaux gosses. Présidente Evil, vous me recevez ?
-Je vous demande pardon ?, marmonna-t-elle en émergeant enfin.
-Ah ! Bien. Ben je sais pas… vous pourriez protester, me repousser, me baff… euh, nan, je veux dire… danser ? Non ? J’ai besoin de vous, là. Faudrait que vous me donniez la main et que vous me preniez l’autre bras. Là. Voilà.

Et c’est à partir de cette merveilleuse base de confiance réciproque que leurs exercices d’entraînement purent véritablement débuter. Comme point de départ, il leur fallait travailler sur leur mobilité. De ce que Dogaku avait pu observer au cours de sa formation militaire, ainsi que lors des affrontements auxquels il a pu assister, les mouvements et le positionnement d’un combattant étaient primordiaux en situation de combat. Pire encore, c’était aussi bien vrai à l’échelle d’un duel que lors d’un affrontement entre deux escouades. Ou deux équipages.

Sur un champ de bataille, c’était souvent ce qui faisait la différence entre des morts inutiles et des adversaires déprimés, selon lui. Déprimés au point de laisser tomber l’affaire et se rendre gentiment, si possible. D’autant plus probable quand ils étaient faits comme des rats, face à des adversaires qui les comprimaient sans les attaquer franchement.

Et, pour leur situation actuelle, ça se résumerait à apprendre et maîtriser les pas de base que leur avait présenté Alkynoos. Du matériel pour débutants, tout ça. Pédagogique, mais rarement utilisé en dehors de ça. Avec suffisamment de pratique, Dogaku s’imaginait que des danseurs, et en particulier des danseurs de combat, donnaient une très large part à l’improvisation. Tout ça devait se faire en fonction de la musique, de l’espace libre sur la piste, et de tous les coups tordus que pouvaient leur balancer leurs adversaires.

C’était aussi bien valable pour la danse traditionnelle que pour les arts martiaux, de ce qu’il avait pu voir. Ils devaient surtout comprendre les mécanismes de base, et le reste suivrait tout seul. C’était comme marcher, ou courir : il s’agissait de se déplacer sans penser aux pas que l’on faisait. Pour un enfant qui apprenait à se mouvoir, ça n’était pas encore le cas. Il devrait traverser la même période d'assimilation.

Pour autant…

Sigurd pouvait bien raisonner tout autant qu’il le souhaitait, il ne pouvait rien changer à la réalité. Il se sentait ridicule, désespérément mauvais et maladroit, et à peine plus optimiste en ce qui concernait le niveau de sa partenaire. Alkynoos avait pu la guider avec aisance, mais lui n’avait pas la moindre idée de comment s’y prendre.

Ne restait qu’une chose à faire : continuer tranquillement. Les choses venaient à force de les faire, pensait Dogaku. Il n’y avait pas à se presser, ni à avoir honte. Et puis, l’ambiance était vraiment agréable. Tout ça, même s’il se sentait vraiment, vraiment, vraiment ridicule lorsqu’il essayait de dodeliner des hanches comme l’avait fait et demandé l’instructeur.

-C’est exactement comme ça, oui !, l’encouragea ce dernier. N’hésitez pas, au contraire. Soyez ferme et convaincu. Vous n’allez probablement pas vouloir me croire, mais honnêtement… dîtes moi, est-ce que vous pratiquez un sport quelconque ? De la course ? Escalade ? Cyclisme? De la natation, peut être ?
-Euh… nan. Rien. Pourquoi ?

Alkynoos jeta un regard à Haylor. Elle l’écoutait avec un intérêt exceptionnel depuis le début de l’entraînement. Une élève formidable, elle aussi, jugeait-il, sans deviner de quoi il en tenait réellement. Pourtant, il avait envie de s'entretenir en privé avec Dogaku. Ce qu’il allait lui dire ne la regardait pas vraiment. Aussi indiqua-t-il aux apprentis danseurs de faire une petite pause. Il fit enfin signe à Sigurd de se joindre à lui, pour aller chercher de quoi boire.

-Méga subtil, dans le genre j'veux vous parler seul à seul, lui fit remarquer le blondinet. Vous alliez dire quoi ?
-Eh bien, comme je vous l’ai dis… vous n’allez pas vouloir me croire. Mais, Sigurd… avec des muscles fessiers comme les vôtres, vous avez de quoi faire un excellent danseur.
-Aw.
-Oui. Gluteus Maximus, qu’il s’appelle. Le muscle grand glutéal. Il s’agit du muscle le plus puissant du corps humain, sans exception. Une arme redoutable. Et un atout indiscutable, généralement obtenu à l'issue d'années d'entraînements. Et, juste entre nous… un outil de séduction parfaitement à même de rendre folles de vous toutes les femmes amatrices du genre. Peut être des hommes, aussi.
-Boah. Oui, oui. Je sais.
-Non, je ne plaisante pas, insista Alkynoos sans l’écouter.
-…
-Huh ? Comment ça, vous savez ? Quelqu'un vous l'a déjà dit?
-Harharhar. C’est justement ça, le problème. On me l’a déjà dit. Plusieurs fois. Beaucoup. Souvent. Trop. Donc, oui, je sais.

Le Bedrockfort, car c’est ainsi que l’on appelait les habitants de l’île de Bedrock, le regarda curieusement. Il voulait poser sa question, mais ne savait pas exactement comment la formuler sans être indiscret. Dogaku s’en rendit compte, mais préféra tout d’abord finir de faire ses courses sur le buffet de nourriture. Lorsqu’ils s’en retournèrent vers la piste de danse, il reprit tranquillement.

-Comment je le sais, hein ? Facile. Quand votre mère, vos cousines, vos tantes, vos grands mères, et un bon soixante-dix pourcents de vos amies adorent danser et/ou rêvent de vous trouver une petite copine parce qu’elles n’ont rien de mieux à faire de leur temps libre, vous l’apprenez trèèès rapidement. C’est pas comme l’apprenti boxeur qui découvre avec son coach qu’il a une droite d’enfer parce qu’il n’a jamais pu pratiquer avant. J’ai des antécédents.
-Ah ?
-Hun hun.
-Haha. Toutes mes condoléances.
-Contentez vous juste de pas le répéter, et ça ira très bien.
-Je vois... désolé.
-Nan, c'est pas grave.
-...
-Donc... une arme redoutable, vous dîtes?
-Absolument.
-Haha. J'aimerais bien voir ça.

Moins d’une heure s’était écoulée depuis que la fête avait débutée. Et le soleil commençait tout juste à rougeoyer au large. Il ne devrait pas se coucher avant encore au moins une heure.

La nuit serait longue, en plus.

Sigurd espérait bien qu’ils seraient prêts. Il s’amusait énormément, et avait hâte de pouvoir enchaîner quelques combats.


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