Show must go on

La porte de la salle d'audience s'ouvrit.
En sortit une Lin, mi figue mi raison. Visiblement éprouvée par un combat où elle n'avait pas la supériorité. Où Sperz et Couak furent les ennemis. Elle en sortit avec un certain soulagement, mais avec cette amertume qu'on les zombies à s’extirper de leur sommeil éternel. Et c'était à peine s'il elle n'avait pas le même regard. L'éclat de son œil qui lui était propre naguère avait visiblement décidé de prendre des vacances dans une autre partie du corps de la tigresse. Sa,s doute que quelque part, ses vêtements se sentiraient gênés par un muscle au regard insistant.
Mais pour l'instant, si ce regard avait perdu de la superbe qu'il arborait du temps où la commandante chassait Drake sur les mers avec les Sea Wolves, il repéra après qu'elle eut fermée la porte comme on tournait une page décevante de sa vie une Rachel adossée au mur en face d'elle.

Leurs regards se croisèrent. Et Lin trouva dans les yeux de celle qui fut la faucheuse le reflet du sien. Des yeux verts sans cette pugnacité et cette volonté qui avaient fait sa gloire. Elles avaient été jetées, presque sans ménagement, dans un engrenage qui les avaient broyées. Et elles allaient devoir se redresser. Aller de l'avant.

Elles ne s'étaient jamais vraiment aimées. Pas de cette amitié qui forment les amis durables tout du moins. Elles ne s'étaient pas vraiment détestées. Du moins pas de l'avis de Rachel. Mais elle avait pourtant la sensation qu'elles s'aimeraient plus que jamais. Du moins de cette amitié forgée par les coups durs d'une vie impitoyable et moulée dans une peine partagée.

Toji les avaient trahies.
Red avait disparu.
Elles avaient été les dommages collatéraux.

-Je t'offre un verre ?

Autour d'elles, des hommes et des femmes qui parlaient, qui se détendaient, qui prenaient du bon temps pendant leurs temps de pause.

Après plusieurs minutes de déambulations à travers des couloirs tantôt vides tantôt pleins, essuyant des regard parfois antipathiques parfois compatissant et suivant des instructions écrites ou orales pour trouver la salle de repos des marins, elles avaient débouché dans cette espèce de bar. Dans le fond, babyfoot, denden-télévision et des fauteuils si longs qu'ils se révélèrent en fait être des couchettes. Rachel et Lin étaient les deux seules filles. Quoique. Rachel avait un sérieux doute sur le marin qui jouait au babyfoot dans le fond, et ce malgré ses trois mètres de haut. Son propre regard vert y revenait sans cesse et ça l'agaçait elle-même.

Rachel avait pris un verre de jus de pomme. Auquel elle n'avait pas touché. Elle se contentait de le remuer de sa paille et de jouer avec le dessous de verre qui serait plus de décoration.

Entamer la conversation avait été difficile. Il fallait dire qu'aucune des deux n'avait réellement envie de commencer. D'ouvrir le bal. Et puis il fallait bien l'avouer ; pour parler de quoi ?

-Tu n'as jamais eu un caractère facile pourtant. Dit-elle, pince sans rire. Tu devrais être habituée à être traité comme une paria.

Il y eut un regard entendu et un demi-sourire. Elles n'avaient jamais vraiment parlé, c'était vrai. Lin n'avait jamais été plus qu'une collègue, et pourtant elle avait gardé un secret pour Rachel. La gothique avait espéré à un moment que ça les rapprocherait. Ça n'avait pas vraiment fonctionné.

-Le banc n'était que du spectacle. J'étais hors de moi, c'est vrai... mais la séance était publique. Le banc n'était que du spectacle.

Rachel garda un temps pour porter le verre à ses lèvres, les tremper dans son jus, puis le reposer sur la table avec une grimace qu'elle ne put retenir. Elle eut un mouvement compulsif de la main. Red est là-bas. Son poing se referma dans le vide et elle dut inspirer l'air par goulées entières. Comme si elle manquait d'air.

-Red me manque. … Je veux dire, Red est un manque. Et j'ai pas été capable de le voir avant. J'ai cru... J'ai vraiment cru que j'allais mourir à Impel Down. Tahar, Rimbau... Je n'ai jamais été aussi terrifiée. Et de retour ici... ce manque atroce. Toji a presque détruit nos carrières -la tienne surtout... Et telle que je me vois, maintenant, incapable de mettre un pied devant l'autre... je me dis que finalement ils ont peut-être réussi à nous tuer.

Rachel essuya ses yeux d'un revers de manche. Vainement. Elle avait tellement pleuré cette semaine que ses yeux lui semblaient constamment humides. Elle tenta de boire une gorgée de son jus de pomme, fut satisfaite d'y arriver, puis se laissa aller sur la table, plus avachie que droite. Elle n'avait que faire des regards condescendants. Elle remarqua juste qu'elle ne pouvait pas fixer Lin dans les yeux.

-Mais je suis malgré tout assez contente qu'on te laisse exercer encore. Malgré cette laisse dont tu ne pourras pas te départir...

-Je sais bien que tu as raison...

Mais il est plus facile de se laisser aller que de se relever. Rachel le savait bien. Et pour l'heure, Lin aurait pu lui dire toutes les plus belles paroles du monde, la brune n'aurait pas réussi à en saisir le sens, à en éprouver la véracité. Aller de l'avant, bien sûr. Mais comment faire une fois que les jambes sont brisées et les projets mis à sac ?

Droite sur sa chaise, les deux coudes sur le comptoir, la commandante avisa le verre d'alcool que venait de lui tendre la charpentière. Elle n'aimait pas l'alcool et préférait les fruits. Alors elle n'y toucha pas plus qu'à son propre jus de pomme. Puis le silence s'installa à son tour. Dans un petit coin de sa tête, son esprit était à moitié occuper à localiser Red et sa boussole interne tournait à plein régime. Repenser à Rossignol lui procurait un mélange de plaisir et de douleur, lui étreignait le cœur. Presque un battement sur deux. L'ignorer était presque aussi dur. Et s’appesantir sur son sort était pire encore.

-Si tu arrivais à te relever, qu'est-ce que tu ferais ? Je veux dire, j'ai réussi à atteindre mon but, même si ce fut une grande désillusion, mais toi, c'est quoi ?

-Une fois sortie de ce bar, si j'arrive à me ressaisir, je trouverai une opportunité, une... brèche, où je pourrais m'engouffrer pour continuer de mener cette vie qui est la mienne – la seule que je connaisse.

Si elle arrivait à trouver assez de force pour être optimiste. Elle avait horreur de ça, de se donner en spectacle de la sorte, exposer à des gens qu'elle estimait beaucoup une image d'elle qu'elle ne supportait pas. Comment pouvait elle garder ce visage si bas, cet air si triste, cette tête pessimiste, quand la personne à quelle elle s'adressait avait beaucoup plus perde qu'elle dans cette affaire ? Le pessimisme n'était pas un de ses vices, pourtant, mais il était vrai que, tout à coup, la seule chose qu'il lui restait et qui lui importait, c'était Salem, quelque part ; même la marine risquait de lui mettre des bâtons dans les roues maintenant « pour l'exemple » ou pour la garder sous contrôle « au cas où ». Peut-être qu'elle devrait essayer de le recontacter en sortant du bar. Peut-être qu'elle devrait essayer d'en sortir de ce bar.

-Mais je crois que je vais rester ici un petit peu plus. Ils ont le visio-denden, ça devrait aller...

Sinon il restait bien cette jeune rousse. Cette amie qu'elle n'avait pas vue depuis un long moment. Hé, quelle drôle de pensée, maintenant, les yeux bouffis par la tristesse et noyés dans un verre de jus de pomme, que celle d'une amie qu'elle n'avait croisé que deux fois dans toute sa vie. Et qu'elle estimait beaucoup plus que la plupart des personnes qu'elle connaissait. Enfin, qu'elle croyait connaître.Toji, Red qui est là-bas .

-Essayer de me trouver un nouveau but, peut-être.

Un but qui n'aurait pas été foulé aux pieds de pirates sanguinaires ou de capitaines renégats. Mission compliquée.

-Et puis j'en ai assez de déprimer. Je l'aime bien ce bar... je vais peut-être vraiment y rester... Au moins le temps de m'habituer à ce nouveau constat.

Rachel détailla Lin. Elle ne put soutenir son regard très longtemps, pour une obscure raison. Elle repensa aux allods et à ces enfants de révos sauvés. À cet acte qu'elle n'arrivait pas à définir comme étant de la bonté, de la stupidité ou de la faiblesse, et qu'elles avaient partagé ensemble. L'une des rares choses qu'elles aient partagé hormis un champ de bataille et un calendrier. Comment pouvait-elle rester si droite dans ses bottes, optimiste, brûlante de volonté ? Enfin, en y repensant, Lin avait toujours fonctionné à la passion, et il était normal qu'elle se dresse de toute sa hargne pour montrer à tous qu'elle n'était pas détruite. Dans un demi-sourire las, Rachel but une gorgée de son jus de pomme en ignorant l'alcool si gracieusement offert par la tigresse. Peut-être devrait-elle simplement prendre exemple sur elle et saisir la première opportunité qui se présenterait à elle.

Mais bien sûr, entre le penser et l'approuver, il y avait un monde. Notre brune avait le temps de laisser la lucidité chasser ces voiles qui obscurcissaient pour l'instant ses désirs et ses volontés étouffées.

-Dis-moi... Comment tu t'es retrouvée à servir sous le fanion des Sea Wolves ?

Rachel doutait, les pauvres, ça les avait vraiment mises mal cette histoire. La rouquine resta silencieuse pendant que la faucheuse parlait, elle ne savait pas trop quoi lui répondre pour la rebooster. Déjà qu'elle avait eu du mal à se rebooster ne serait-ce qu'un peu elle même....

-Dis-moi... Comment tu t'es retrouvée à servir sous le fanion des Sea Wolves ?

C'était une drôle de question, Lin leva la tête.

- Comment je suis rentrée chez les sea wolves...

Elle prit quelques instants, pour se souvenir, c'est vrai qu'à la base c'était soit les Sea Wolves soit la porte de sortie pour elle.

- Ben je passait mon temps à insulter mes supérieurs, à foutre un bordel pas possible en mission, faisant tout pour vaincre qu'importe les dégats collatéraux. Ça plaisait pas trop au mecs tranquilles des blues, alors on m'a plus ou moins forcée la main pour aller à un entretien d'embauche pour cet équipage.

Elle soupira.

- C'est Toji lui même qui m'a reçu, il m'a provoquée, je l'ai provoqué.

Rien d'anormal vu le tempérament des deux personnages.

- À la fin j'ai brisé son bureau, il m'a ordonnée de tout ranger, s'est foutu de ma gueule et il s'est barré. Le lendemain j'était sur le Fenrir en route pour Grand Line.

La rouquine ricana un peu.

- Au final j'ai eu de la chance qu'un équipage de grandes gueules existe sinon je me serait surement faite virer depuis longtemps. Faut croire que trop l'ouvrir c'est pas bien vue dans la marine... tu m'étonne que je sois entrée dans l'élite au moins là on reconnait nos actions.

La commandante se massa le front, l'air un peu dégoutée.

- Je sais pas toi mais j'avais jamais approchée la bureaucratie et le gouvernement d'aussi prêt, c'est tellement different de ce qu'on avait l'habitude de voir ou de faire. Ici la moindre parole de travers peut te foutre en taule c'est... écoeurant.

Écœurant ? Peut-être. Rachel n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle là. Elle se détourna et laissa le mépris que Lin avait craché avec ce dernier mot glisser sur elle et venir tâcher un homme plus loin derrière elle. C'était une chose pour laquelle elle semblait formée : la politique, la diplomatie... Elle trouvait ça excitant de jouer avec les limites, avec les sous entendus, les demi-mots tout en se débrouillant pour que la personne en face comprenne ce que l'on pense sans l'avoir dit clairement. Elle n'y était pas forte, mais ces phrases bureaucratiques, politiquement correctes, elle ne les trouvait pas écœurantes. C'était juste un jeu auquel ni elle ni Lin n'étaient habituées. Elles restaient toutes les deux de l'élite malgré tout. Mais ce n'était qu'un détail. Notre brunette garda la silence face aux déclarations de sa collègue sulfureuse puis le laissa s'épaissir. Elle repensa à sa propre intégration, la manière dont elle avait affronté le regard de Toji sous une pluie battante à Citadelle. Et les pluies battantes de citadelles la marquèrent au fer rouge. Des flashs. Elle avait l'impression qu'elle serait amenée à y retourner.

-Et tu n'as jamais...
-Commandante !

Alors que la faucheuse se forçait à reprendre la parole pour attiser une conversation aux braises froides, un homme avec un chapeau de cow-boy et de longues chaussettes aux couleurs bigarrées remontant jusqu'à ses genoux entra dans la salle. La mine dure, les traits tirés et haletant d'avoir couru, il regarda de toute part, cherchant du regard cette commandante qu'il appelait. Dans la salle trois personne se retournèrent, dont Rachel et Lin. L'homme avisa ces deux dernières d'un regard circulaire et parut soulagé. Il s'élança vers elles et s'immobilisa, au garde à vous, à quelques centimètres d'elles. Par égard pour lui, les deux femmes se levèrent et demandèrent à l'homme que les galons disaient Caporal de se reposer. Son bras retomba avec empressement. Sa voix explosa à nouveau comme si elles se trouvaient à plusieurs mètres.

-Commandante ! Il faut que vous veniez, vos corbeaux font des leurs !

Rachel tiqua. Non sur la tournure de la phrase approximative mais plus par étonnement. Elle ne s'était pas doutée que les corbeaux la suivraient si longtemps et si loin. Elle accusa le coup une seconde de trop et Lin lui donna un coup de coude discret qui arracha un soupir à notre brune au regard insipide. Elle se retourna pour finir d'un trait le verre qu'elle avait mis trop de temps à siroter puis offrit un sourire faible à l'homme au look détonnant.

-Ce ne sont pas mes corbeaux vous savez ?
-Eh bien vos non corbeaux s'attaquent aux réserves de graines et de farine ! Ils ne laissent personne entrer sans les griffer ou tenter de leurs percer les yeux.
-Hihi. Ils sont mignons.
-Quoi ??
-Je vous suis dans une seconde.

Rachel lança un regard à Lin, mi figue mi raisin.

-Moi qui voulais rester là pour les deux prochaines semaines... Mais ça m'a fait plaisir que tu acceptes passer un moment avec moi. Je te laisse régler la note ? Je te revaudrai ça.

Avec un sourire triste mais teinté d'une complicité qu'elle recherchait désespérément à partager, la faucheuse suivit d'un pas presque assuré l'homme pressé aux bretelles trop serrées. Sans savoir qu'elle ne reverrait pas la tigresse avant très longtemps.