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Gueule dans le sable. Coeur dans le vague.

J'en avais peur, de ce moment, j'avais les jambes qui flageolaient comme ceux d'un gamin pour le premier baiser. J'avais les tempes suintantes et ce n'était pas du qu'à cette foutue chaleur qui bouffait tout.

J’étais là, sur le ponton, à jeter mirettes sur ma montre chaque seconde qui passait. Je me fichais des regards des autres. Je me fichais de leurs peurs ou de leurs compassions. Des regards de travers, des pas d’évitement ou des cris d'horreur de gosse. La seule chose que je voulais, c'était de voir la grande aiguille pointer sur le haut de ma montre pour enfin mirer ce bout de coque à l'horizon.

J'avais couru comme un damné pour arriver là et c'était bête, je le savais, ça n'allait pas faire venir cette foutue coque plus vite mais j'y pouvais rien. J'avais le cœur qui tambourinait trop pour me retenir. J'aurais voulu plonger dans l'eau pour aller la chercher, nager jusqu'à perdre haleine pour gagner quelques secondes. J'aurais voulu, j'aurais voulu... Ne plus attendre.

Mais je l'ai fait. J'ai vu les secondes passer plus lentement que les heures. J'ai vu le temps ralentir au fur et à mesure que la petite tache noire se transformer en puissant navire de la Transilienne. Mon esprit tournait en boucle les mêmes infos. Cette lettre que j'avais envoyé. « Je suis tombé à Drum, prends deux billets pour Alabasta. Je vous aime ». Cette réponse que j'avais reçu deux semaines plus tard. « On arrive pour le 12, 15h30, on t'embrasse. ». Je me revoyais dans la glace avec ces rides qu'avaient gagné ma gueule, avec cette barbe que je n'avais pas voulu coupé, avec ces 20 ans que j'avais pris en quelques semaines.

Tu m'aimeras encore, hein ?
T'auras pas peur de moi, mon ange, hein ?


J'ai entendu le son particulier du choc de la coque contre le ciment. J'ai vu le ponton se mettre en place et les premiers gens descendre du bateau. J'ai vu des hommes et des femmes se prendre dans leurs bras. J'ai vu des gamins piailler de revoir leurs parents. Et puis je vous ai vu, toutes les deux.

Je l'ai vu avec la jolie robe blanche qu'on avait acheté à Logue Town. Je l'ai vu avec dix centimètres de plus que la dernières fois ; J'avais les jambes si fragiles que je suis resté là, comme un con, sans pouvoir bouger. Il leur a fallu un temps, pour me reconnaître. Et puis...

La petite a couru vers moi avec la joie de me retrouver, avec les larmes de me voir ainsi. Ma femme, elle, est restée à quelques mètres. Elle était toute droite avec ses seins bombés et le vent qui courait le long de sa robe, pourtant collée par le soleil qu'en finissait pas.

On s'est rien dit, j'ai juste ouvert les bras. Je l'ai serré contre ma poitrine avec tout l'amour qui bouillait. Je voulais plus la lâcher... Je pouvais plus...

Mais je l'ai fait... Et bien de trop vite....
    On avait loué une petite chambre, en plein milieu de la ville. Y'avait le bonheur de se revoir. Les joies de réentendre parler du village, de la petite maison qu'était la notre. Et puis l'horreur de devoir raconter ce que j'avais subi, l'horreur et la honte. Mais j'ai tout raconté. Le sang, les morts, la chance de pas être parmi eux et la tristesse de voir un tel carnage. J'ai attendu que la petite s'endorme. On était tous les deux dans le noir, son visage était serré contre mon bras métallique, sans vie. Je sentais son souffle contre mon cou qui me donnait assez de force pour tout dire. Et le noir l'empêchait de voir mes yeux se rougir au fur et à mesure des mots. Je me suis arrêté quand je sentais ma voix partir. Elle m'a serré autant que je serrai les dents.

    Le lendemain, quand elles ont ouvert les yeux c'était pour trouver mon côté du lit vide. J'avais besoin de respirer, de plus sentir sa tristesse de me voir dans cet état. Ça me bouffait. De plus être l'homme qu'elle avait épousé. De n'plus être qu'un pauvre gars comme les autres, bon qu'à pleurer. J'avais besoin d'air, de violence. De ressentir l'adrénaline monter aussi que les ennemis tomber.
      -C'est qui ?

      -Des Mamerauds.

      John était un gars tranquille. Qui passait ses journées là, sur un banc, à admirer ces drôles de gens aller et venir. La quarantaine, le teint grisé par le tabac et le crane déjà dégarni, il avait pris l'habitude de me voir et avait fini par me parler. On avait passé pas mal de jours à rester là ? Moi à attendre ma femme et lui à laisser couler la vie.

      -D'étranges gars qui se vantent de résister au désert. Qui n'chassent qu'avec des lances et qu'aiment se foutre des plumes dans les tifs. Des fous.

      -Ils vivent de quoi ?

      Il a balancé son bras dans le vent, comme par dépits.

      -Pff... De tout, de rien. Ils chassent c'qu'ils trouvent dans le désert. S'en prennent une bonne partie pour piacter et revendent le reste en échange de plantes, frusques et d'autres choses. Là, ils doivent rev'nir en ville justement pour ça. Eh ? Qu'est c'que tu fais ? Comptes pas pouvoir leur parler hein ! Ils sont plus orgueilleux que des nobles !

      J'ai pas entendu sa dernière phrase, j'étais déjà parti. Je les ai suivi faire leur troc. Avec leurs peaux de bêtes qui recouvraient à peine leurs corps, leurs manières de porter la tête toujours trop droite et le visage serré, ils me donnaient envie de les connaître. J'en avais oublié ma femme et ma gosse tellement ils m'intriguaient. Je crois bien qu'ils m'ont vu les suivre. Je crois même que ça les énervait. Et je crois que ça m'en bouchait encore plus un coin de ne pas les voir réagir. Je les ai suivi tout le début de journée.

      Ils se sont arrêté chez un boucher. Il y avait leurs chariotes qu'ils traînaient, recouverts de viandes salées. Le gros avec son tablier ensanglanté, sa grosse gueule rougeaude et ses airs de rustres gueulait déjà qu'ils n'avaient pas commencé à parler. Et pourtant, eux, continuaient à faire mine de rien. Ils ont juste ouvert leur gueule pour lancer une info de leur grosse voix teinté d'accent, forte et claire. Le marchand a baissé les yeux. A sorti ses sous et les a laissé partir une chariote en moins, les poches remplies en plus.

      Je les voyais vendre leur peau et demander leurs prix aux pauvres commerçants qu'étaient outrés de la valeur demandé. Je les voyais chaque foutue fois gagner raison et partir le crane toujours bien haut sans même sourire, sans même pleurer, avec le son de la voix toujours égal.

      Ils ont fait une dizaine de détails comme ça et quand ils se sont mis à sortir de la ville, le foutu cercle jaune était déjà au plus haut. J'ai choppé un gamin, ait gratté sur un papier quelques mots pour qu'il les remette à me femme et ai continué à les suivre. Ça m'a coûté la dernière pièce que j'avais en poche. J'ai traversé toute la ville comme ça avec le soleil qui me cognait la gueule. Tout suintant, je suivais leurs pas sans trop savoir où ça m'amenait jusqu'à... Les perdre.

      C'était au détour d'une ruelle. Quand j'ai pris le virage ils avaient disparu. J'étais là, entre deux chopes que je connaissais pas. Y'avait pas âme qui vive. Pas un seul mouvement tout autour. Et pis... J'ai levé les yeux sur les toits pour voir une vingtaine d'arc braqués sur ma gueule.

      -Pourquoi tu nous suis ?

      J'ai sorti une clope qu'a fini aussi vite au bec.

      -Je viens avec vous.
        Ils ont accepté. Sûrement que ça aurait été me donner trop d'importance que de refuser. M'ont juste dit que j'allais crever dans le désert et que ça ne servait à rien de croire le contraire. J'ai souri, z'étaient loin d'être les premiers à me dire ça. Et pourtant j'étais toujours là. Et puis ils sont reparti, comme ça, sans faire de présentation, sans prendre garde si je les suivais. Et c'est c'que j'ai fait. On s'en engouffré dans le grand bac jaune sans cérémonie. On a marché toute la foutue journée en crevant de chaud, en se faisant avaler par les rafales de vent. En n'buvant que quelques gorgés ça et là parce que dans ce monde là, l'eau remplace l'or. En s'enfonçant à chaque pas les pieds dans le sable mou et après à se crever les semelles dans le plus rigide. De temps à autre, ils s'arrêtaient pour observer les dunes, le soleil, et repartaient aussi sec, après à peine quelques mots dans une langue que je comprenais pas. C'était un mélange de la langue locale que j'avais entendu dans quelques lieux de la ville et d'un autre dialecte que j'avais jamais entendu.

        Il y avait une sorte de hiérarchie chez eux. Z'étaient une vingtaine et la bande était menée par le plus vieux. L'avait bien une cinquantaine de printemps. Ses gros sourcils gris étaient bien les derniers poils qu'il lui restait sur le cailloux. L'était suivi de cinq jeunes. Eux, n'avaient pas les tifs coupés comme les autres et les tiraient dans une queue de cheval qui descendait jusqu'au bas du dos. Les autres avaient plus ou moins mon âge, tous plus chauves que le vieux. Ce qu'était étrange, c'est qu'il n'y avait aucune femme avec eux. J'ai pensé que là où on allait, c'était pour les rejoindre.

        Je me mettais le doigt bien profond dans l'oeil.

        Quand le soleil a commencé à plonger, j'avais plus d'eau depuis un bail. J'avais paumé toute la flotte de mon corps à grosses gouttes suintantes. La fournaise me faisait voir des paillettes dans les yeux, me faisait souffrir chacun de mes membres avec le sable qui se faufilait partout jusqu'à manquer de bloquer mon bras. Mais eux, ces gars là, continuaient à garder la gueule bien droite malgré tout ça, comme si la force du grand bac jaune ne les atteignait pas. Comme s'ils étaient au dessus de ce genre de souffrance. Ils s'étaient mieux rationnés si bien qu'il leur restait encore de la flotte mais je leur ai pas donné la chance de m'en refuser. J'ai rien demandé et continué à souffrir sans l'ouvrir, pour leur montrer que moi aussi, j'avais ma fierté.

        C'est arrivé comme ça. Sans que je ne comprenne, tout le monde s'est arrêté sous l'ordre silencieux du vieillard. J'avais beau mirer, je voyais rien. Et puis... A ma gauche, à plusieurs dizaines de mètres, j'ai vu entre les paillettes une tache noire. J'ai continué à regarder pour enfin comprendre que c'était un petit renard. J'ai lentement levé le bras, ait tendu mon flingue et la balle est venu se loger entre ses deux yeux. De la viande, enfin ! Du sang pour s'hydrater et de la viande ! Les gars avaient pas encore compris que j'étais déjà à sucer le sang pour enfin revivre ! J'avais la gorge qui me disait merci, mes yeux qui pleuraient de bonheur ! Sauf qu'autour, j'ai vite senti que les arcs étaient braqués sur ma gueule.

        -Ce renard n'était pas seul. Si tu l'avais laissé vivre, il nous aurait conduit à sa meute. Au lieu de ça, ton tir a fait fuir tous les autres.

        -C'est que j'avais faim.

        -Il faut faire cuire la viande si tu ne veux pas mourir de maladie.

        C'était ma première leçon et la deuxième fois de la journée que j'entendais le vieux parler.
          Quand on s'est couché, le vent glacial avait laissé place au cagnard depuis longtemps. Il lacerait la peau et toutes les parties de mon corps. Il giflait les joues à chaque secondes, rendait encore plus dur chaque pas, les transformait en calvaire. Et alors que même eux étaient obligé de courber l'échine sous la force du vent, on s'est arrêté au creux d'une dune. Ils ont commencé à creuser de petits trous. La tache était horrible parce qu'à chaque pelletée enlevée une autre revenait, soufflée par la tempête. Mais ils persistaient, et moi aussi, à creuser, creuser, et encore creuser. Il nous a fallu lus d'une heure pour se former de minuscules trous où s’engouffrer pour la nuit. Ils se mirent là dedans deux à deux pour se tenir chaud si bien que je fus le seul à roupiller sans personne. J'avais les dents qui claquaient, les cris de la tempête qui m'hurlaient aux oreilles, la gorge asséchée, remplie de grains de sables qui crachaient à chaque mouvement de mâchoire.

          Ce soir là, où le sommeil venait pas et où la fatigue engluait tout mon corps, je me suis demandé. Je me suis demandé pourquoi je m'étais engouffré dans une histoire pareille. Mais l'était plus le temps de faire demi-tour. Je pouvais pas. Je pouvais plus. J'avais plus qu'à redevenir l'homme que j'avais été. Celui qui luttait contre la mort chaque jour que le bon Dieu lui donnait. Qui riait à gorge déployée devant la grande faucheuse.

          Quand j'ai trouvé le sommeil, le corps engourdi et l'esprit harassé, je commençais redevenir celui que j'avais été.

          Les oreilles se sont réveillés par le bruit de corps bougeant. Par le râle d'un homme et le craquement des os. Le jour était à peine levée mais le cagnard avait déjà gagné les lieux. J'avais le nez suintant du chaud-froid, le corps engourdi par la posture toute délicate de la nuit et pourtant, je crois bien que j'étais heureux.

          J'ai allumé une tige. Regardé le grand bac jaune qui narguait de tous les côtés. C'était une étendue de rien qui s'alignait à perte de vue de chaque côté. Qui nous transformait en minuscules microbes. Et puis il y a eu un gros grognement. Énorme. On s'est tu sous la surprise pour tenter de comprendre. Et là, un instant après, tous nos pieds se sont mis à bouger le sol ds mouvait dessous pour se lever ! J'ai manqué de m'étaler, j'ai tenté de tenir en équilibre mais ça se levait de plus en plus, faisant voler le sable sous nos panards. Et là, le grognement a encore volé, encore plus grand, encore plus fort.

          -Un scorpion géant !

          On avait dormi dans le sable au dessus de sa carapace ! Et maintenant, maintenant qu'il se réveillait et que je voyais son énorme dard pointer salement vers nous, pauvres fourmis sur son dos, l'adrénaline revenait.

          -Les yeux ! Visez les yeux !

          Sauf que le Monstre semblait pas vouloir nous laisser le temps. Il se bougeait si vite, si salement, qu'il nous ballonnait d'un côté à l'autre avec son dard tentant de nous percer. On tombait d'un côté pour rouler de l'autre et éviter la pointe. Ils armaient leurs arcs pour les lâcher sous le choc d'un mouvement. Le premier à tomber fut l'un des gamins. Alors qu'on était encore au dessus, on entendait ses hurlements sous les piétinements du Monstre. Les autres tenaient bon mais ce n'était qu'une question de seconde avant qu'on ne lache. Et c'est ce que j'ai fait. J'ai roulé sur la coque, j'ai chuté d'une trentaine de mètre et je dois ma survie qu'à mon bras de métal qui amortit la chute. J'ai entendu mes os craquer mais j'y prêtais pas garde. Je voyais déjà les minuscules yeux du scorpion, rouges de colère. Et je tirai ! Sauf que ça fit « crac » plutôt que « boom » et je compris que le sable avait enrayé l'arme.

          J'ai pas cherché, j'ai sorti un clou bien clipsé sur ma paume et j'ai recommencé l'escalade, encrant à chaque fois la pointe comme je pouvais la peau dure du monstre. Je sautais presque en l'air à chaque geste du Monstre et chaque mètre gagné était pire qu'un combat. Mais je réussis à me hisser sur son crane tant bien que mal et alors que j'étais là, son œil gauche à quelques centimètres de mon poings de chair, je l'enfonçai dans l’orifice !
            Quand j'ai réussi à enfoncer mon bras dans l’œil du scarabée, ça n'a pas manqué, le Monstre a redoublé de violence pour nous balancer par dessus bord. Ça chavirait tant qu'en quelques secondes j'ai cru chuter plus d'une vingtaine de fois. Mais je persistais avec épaule enfoncée jusqu'au coude dans l'animal. L'avait beau avoir de petits yeux, ils faisaient au moins le double du diamètre de mon corps, si bien qu'au gré d'un mouvement, d'un saut de l'animal, j'ai pas résisté. J'ai sauté les deux pieds en avant dans le trou gluant, faisant gicler le sang partout. Le cri qu'a suivi, celui de l'animal, l'aurait pas manqué de réveiller tout le désert mais ça suffisait pas. Il continuait à chavirer de tous sens et parce qu'il sentait un truc dans son œil, l'a rien trouvé de mieux que d'y enfoncer son dard, le con !

            Je l'ai à peine vu venir. J'ai senti l'énorme pic jaillir à quelques millimètres de ma gueule, manquant de me la réduire en charpie. Et c'est ça qui l'a tué. C'est ce dard là qu'a éventré une poche de sang dans son crane et qui l'a tué en moins de deux minutes. Deux minutes épouvantables à cracher du sang qu'était pas le mien, à me noyer dedans tellement y'en avait. Deux minutes à toujours subir les mouvement d'un monstre faisant cent fois ma taille.

            Quand l'a arrêté de bouger, quand il s'est écrasé sur le sol de son énorme poids, créant un nuage de poussière aussi gros que toute la ville d'Alabasta, j'ai bien cru que mon cœur allait arrêter de battre, tellement l'était fatigué de frapper aussi vite. Sauf que j'avais pas encore vu le reste. J'avais pas encore vu la gueule du vieux à plus de dix mètres de son corps. J'avais pas encore vu des bras, des jambes, éparpillés ça et là sans que je sache comment c'était arrivé. J'avais pas vu l'un des cinq jeunots de la bande devant la tête du vieux, genoux à terre. L'avait pas de larmes qui coulaient. Le regard ferme, il mirait ce pauvre vieux. C'était le seul rescapé.

            Je l'ai laissé faire son deuil. L'a du rester plusieurs heures comme ça, sans rien bougé, agenouillé et tenant la caboche dans les mains comme une sorte de sanctuaire de prière. Lui a fallu un moment pour piger que j'étais encore là.

            Il m'a rien dit, pas même un mot et on a recommencé à marcher comme s'il s'était rien passé. Il marchait toujours aussi droit. Il se préoccupait toujours aussi peu du cagnard, des rafales de vent, de l'eau qu'il avait perdu, que j'avais plus depuis longtemps. On marché comme ça durant des heures. Avec les pieds qui brûlaient à chaque pas. Avec le dos qui tirait sur chaque distance, avec la gueule qui cognait à cause du manque d'eau. Et puis... J'ai compris... J'ai compris que lui s’arrêtait pas pour regarder le ciel, ni le soleil, que lui ne l'avait jamais fait avant.

            On était perdu.

            -Attends.

            La veille quand on s'était arrêté vers midi, on avait suivi la gauche du soleil et avions continué dans cette direction toute la foutue journée.

            -Alors, bordel, pourquoi est -ce que là, à la même heure, on va vers la droite de ce foutu soleil ?

            Il m'a pointé du doigt une ombre que je mirais mal entre les paillettes dans les yeux, et l'est reparti. Quand je l'ai enfin rattrapé, c'était pour voir à une centaine de mètre ce qui ressemblait à un haut de palmier. Un oasis !. De l'eau ! Enfin ! De l'eau ! Il m'a stoppé de la main et m'a fait signer de la fermer, puis s'est allongé sur le sol et a commencé à ramper contre le sol, lentement. Je voulais courir moi ! J'avais une putain de soif et ce con voulait ramper ! Mais j'ai serré les dents et je l'ai suivi. Y'avait mes genoux qui s’égratignaient contre le sable, jusqu'à les saigner à blanc, mes muscles qui se crispaient à avancer quelques mètres. Et ce foutu Mameraud qui faisait comme si de rien, qu'avançait si bien qu'il me dépassa vite de plus d'une dizaine de mètres. Lui qu'avait toujours vécu ici. Qui vivaient dans le désert, avec le désert.

            Quand je l’atteignis enfin, les genoux en sang, les muscles explosés et le souffle court, ce fut pour voir, à quelques mètres une dizaine de gros canards le bec dans l'eau. On était si bien caché derrière une dune qu'ils ne nous virent pas et continuèrent à se gaver. Ils étaient grands, les plus âgés devaient faire la taille d'un cheval. Le Mameraud coupa une ficelle qu'il avait à la taille en deux et m'en donna la moitié. D'un signe il me dit de nouer une extrémité par un nœud coulant, comme celle des pendus.


            J'avais compris.
              Un canard, ça a une putain de force. Et c'est qu'au moment où mon nœud a fini au cou de l'un d'eux, qu'au moment où les 9 autres ont décampé, que je l'ai compris. J'ai vu tout mon corps partir en avant avec mes poings crispés sur la corde. J'ai senti mes pieds se faire traîner sur le sol sur plusieurs dizaine de mètres avec l'animal détalant à toutes jambes. Et lorsqu'enfin la bête a commencé à fatiguer de me traîner, le cou trop serré, j'avais les mains en sang. Mais me fallait déjà fonce pour défaire la distance que j'avais avec la bête. Me fallait lui attraper le dos et y bloquer mon poids pour lui faire comprendre.

              -T'es à moi, mon p'tit, t'es à moi... Bien, bien, bouge pas... Bouge pas... Je vais pas te faire de mal.

              A quelques mètres, le Mameraud était déjà sur sa monture à me narguer. Et lorsque je l'ai vu, c'était bien la première fois que je le mirais sourire. Alors lorsque j'ai failli tomber en voulant monter sur l'animal, il a pas pu s'en empêché, l'a rit aux éclats.

              -Bah dis moi, j'aurais préféré t’entendre rire pour autre chose. M'enfin...

              -Mon nom est Isouak.

              -Mihai, Mihai Moon.

              -On a encore beaucoup de route, étranger.

              On ne s’arrêta qu'un instant remplir nos gourdes que déjà, sa monture partait à toute vitesse vers l'Ouest . J'ai manqué plusieurs fois de finir le cul par terre, trop propulsé par l'étrange bête qu'avançait fichtrement vite. J'avais toutes les difficultés du monde à pencher le cul d'un côté pour lui faire comprendre que je voulais tourner, mais lui, s'en contrefoutait. On ne s'est plus arrêté. On a fait galoper les bêtes toutes la journée, faisant fi du cagnard qui baissait jamais, du vent qui fouettait nos gueules et celles des bêtes, de la fatigue de nos culs qu'avaient pas l'habitude de tant subir. On a galopé comme ça jusqu'à ce que le soleil se couche. Et on a continué encore, malgré le vent qui soufflait de plus belle, jusqu'à arriver dans une sorte de ville en ruine. Plus rien ne vivait. Les murs n'arrivaient qu'à peine à résister à l'usure. Là, dans une des baraques plus faites que de murs porteurs, une fumée éclairait le ciel.

              Là, une trentaine de femmes presque aussi peu vêtues que le Mammeraud attendaient. Lorsqu'on est entré, une odeur de viande grillée et de renfermé, de sueur de chanvre et de parfum émanait toute la pièce. Au milieu du feu, un Totem étrange épargné des flammes trônait. Magnifiquement sculpté, il représentait la tête d'un homme ailé, cornu, avec en son dos le dard d'un scorpion. Isouak avait le regard fermé, et son visage ainsi que sa posture avaient repris la forme que je connaissais, droite et sans sentiment, comme si les rires du midi n'avaient été qu'erreur.

              Il parla un long moment dans cette langue que je ne connaissais pas. Ses mots avaient la force de faire taire les crépitement des flemmes, ses bras nageaient dans la pièce, mimant les scènes de combat et de lasso, du renard si bien que je réussis à comprendre la conversation et lorsqu'il eu fini de parler, les femmes apportèrent des plats de viande grillé à nous deux. Elles me regardaient comme on regarde un étrange animal et à chaque fois qu'elles s'approchaient de moi, ne pouvaient lever les yeux. Pourtant j'en voyais plus loin, pouffer de rire en me mirant.

              Cette nuit là, j'ai découvert un étrange monde fait de rêves et de fantasmes. De choses que je n'aurais jamais cru connaître. J'ai redécouvert la joie d'être un guerrier. De ne plus avoir peur de la mort ni honte de mon corps. Et lorsque le lendemain je suis rentré en ville, harnaché sur l'animal, c'était pour retrouver ces deux bouts de femmes pour qui je vivais.