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La douce odeur des bombes

Les restes déjà fumant de c'te ville tremblent sous les coups d'bombardes, les canons. Les premiers impacts ont eu lieu c'matin, à l'aube. D'puis, rien ne bouge. Les gens s'planquent, habitués. Caves, bunker d'fortune, etc. N'importe quel trou planqué fait l'affaire, pourvu qu'on soit en terrier façon lapin. Posé dans les entrailles d'une cave à vin, j'allume une tige. De celles qui n'en sont pas vraiment, tout en étant un peu plus. Spécialité des forêts d'cette île. Encore faut-il pouvoir y aller, en forêt. Une bouffarde tirée, et j'repense à mon arrivée. A l'arrache, comme de d'habitude. Une fuite dont j'ai baqué les raisons, une arrivée in media rem, et m'voilà sur c'caillou. Pas l'temps d'me faire aux coutumes locales, on m'téléporte direct dans l'cœur du problème. Il est simple. Ici c'est zone de guerre.

Guerre entre qui et pourquoi? Jack pas trop savoir. Une histoire de vieilles familles, de clans. De la mine est à moi, pas à toi. Un truc à la con, suffisant pour envoyer du bougre s'faire rôtir. J'ai vite compris. Débarqué, on a réussi à m'enrôler dans un truc. J'ai r'çu un fusil et quelques plombs. Et une jolie casquette. Pour un type moustachu a gueulé "CHARGEZ!". Les aut'zigs présents ont fait comme il a dit. Les tirs, d'partout, les coups d'mortiers, les grenades. En moins d'deux, restaient plus grand monde. Et moi j'avais pas bouger. Le moustachu m'a posé un flingue sur la tempe. "Tu ne penses tout de même pas à déserter gredin?", qu'il a dit. L'canon d'sa pétoire à fini dans sa gorge, j'l'ai jamais r'vu.

Après j'ai couru. Run Away blindé. j'ai traversé c'qui d'vait être une ville avant. Maint'nant, que des ruines, des tas d'gravas. J'ai vite grillé. Mieux valait partir. Puis en fait non. Chang'ment d'idée. J'suis tombé au soir sur deux gars: Rob et Job. Deux types peace, nihilistes en puissance. Deux types qui faisaient partie d'aucun camp. Mais qui se servaient partout. On a partagé l'abri, et quelques victuailles. M'ont expliqué l'pourquoi d'ici. J'ai rien compris. Puis z'ont parlé boulot. Ça s'était mieux. Les gus s'amusaient à détourner tout c'qui était possible. Z'en gardaient une partie, donnaient c'qui pouvait l'être à la populace d'la ville, qui crevait la faim. Des gentils méchants. Ou l'inverse. J'ai proposé d'les aider, pour payer l'repas. Z'ont accepté.

L'truc, c'est qu'ça m'a plu. Pas que les rapines. Ça j'connaissais déjà. Non, l'ambiance aussi, la ville en ruine, la gagne, les tirs, l'odeur des bombes, et la sauvag'rie ambiante. L'instabilité d'la morale. Trois lunes que j'traine dans l'coin. Trois lune qu'j'défie la mort, et l'reste. Le pied. Une autre bouffarde, j'tend ma tige à Job. Adossé à un tonneau, y m'fait non du doigt. Parfait, ça fait plus de Kasha pour moi. La Kasha, autre truc ultimement utlime d'ici. C'est c'te feuille qui pousse dans les forêts qu'entourent la ville. Quand tu la broies et qu'tu la fumes, ça t'envoie ailleurs. On est beaucoup à la consommer. Tu m'étonnes. Pas mal des gens qui trainent ici aimeraient bien être ailleurs. Moi, ça m'détend. La Kasha temporise mes humeurs. Et faut m'croire, dans un environnement aussi tordu qu'ici, c'est mieux pour les autres. M'permet d'pas d'venir un animal au milieu des bêtes. 'fin, pas trop, on s'entend.

Un nouveau tir frappe pas loin. La cave tremble. Certains squatteurs font mine de paniquer. Les jeunes surtout... D'puis la rencontre avec Rob et Job, notre orga' s'est agrandie. Pas mal d'orphelins, d'petites frappes nous ont rejoint. Pas des mauvais bougres. Juste des gosses qu'ont grandi sur un champ de bataille. Il en vient, il en tombe. Sans pleur ni pierre tombale. Ils savent. Au moins, avec nous, z'ont une chance. Plus de chance en tout cas qu'armé d'un fusil face à un canon. Nous, on leur apprend à être invisible. Et à courir. La course à pied a sauvé plus de vie que l'honneur. Une dernière latte, et j'écrase mon mégot de Kasha. Le soir va bientôt tomber. Ça va être à nous.


Dernière édition par Jack Sans Honneur le Mer 5 Déc 2012 - 13:31, édité 3 fois
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Quand les bombardes se taisent, on sort. C'est l'mot d'ordre. On sort et on prend ce qu'on trouve. L'arrive même que pour trouver, on cherche. Aujourd'hui, c'est le cas. Sur le champ Est, surnommé l'terrier, rapport aux milliers d'trous d'mortier qui l'jonchent, d'vrait passer un convoi rempli d'poudre et d'munitions. Ravitaillement tout ça. L'info vient d'plusieurs mouchards, c'est du tout cuit. Alors, on s'prépare, en laissant passer l'temps nécessaire à c'que les deux camps vident leurs derniers stocks d'bombes. Toiles de jute, draps poussiéreux, le groupe s'emmitoufle, 'stoire d'passer inaperçu. Rob, Job et moi, on saute cette étape. Perso j'suis assez sale qu'pour passer pour un grain d'poussière, et les deux zigs ont leur bac +12 en planquage caractérisé. Invisibles ils sont, dès qu'ils veulent. J'vérifie donc mes pétards, mes gadgets et ma réserve de Kasha. Tout est bon. Il fait sombre et calme dehors. C'est l'heure d'sortir d'ce trou.

Sur l'paysage déclassé d'c'qui était une ville, plusieurs p'tites silhouettes grises progressent. Chaque accident du terrain d'vient une cachette potentielle, un possible salut. Du ch'min s'parcoure. Sans heurt. Sans problème. On est raccord avec le timing, on entre sur le champ Est. ... Quelle merde. C'qui était, m'disait Rob, une beau quartier, avec place de marché et tout, n'est plus qu'un champ d'ruine, une étendue d'trous. J'aime la guerre. Et ses modifications d'urbanisme. Nos deux guident font un signe, et nous v'là qui disparaissons. Qui nous fondons dans l'décor. Malgré les tatous qui couvrent leur corps et leur dégaine pas possible, j'vois déjà plus Job et Rob. J'me couche sur l'sol poussiéreux, planqué sous un pan d'mur effondré. J'attends.

Deux minutes passent, et nous entendons qui s'approchent les cliqu'tis caractéristiques d'une faction armée qui la joue discrète. Autant dire qu'faut avoir passé la journée à canonner pour pas les griller. C'est pas notre cas. Par contre c'est notre cible. La main de Job apparait, nous f'sant signe d'attendre l'moment parfait. Je m'saisit d'deux flingues. Prends une grande inspiration. Et observe Job. 'Fin, sa main. Tout doux. Tout doux.. L'bataillon apparait, suivi d'sa carriole plaine de matos. On s'tient. Mais un p'tit sifflement v'nu du ciel s'fait entendre. D'plus en plus. On tient toujours? Non! La patte à Job fait signe d'se barrer fissa, mais trop tard. L'sol s'explose, à quelques pieds d'moi, balançant d'la boue sur une demi-lieu! Les soldats s'jettent à terre, un nouvelle impact s'fait! La carriole explose! Un souffle brûlant m'envoie valser sans qu'j'puisse rien faire. Deux, trois shrapnels m'perforent l'épaule, et j'm'écrase dans du gravas. J'ai juste le temps d'capter l'chaos d'vant moi, et d'comprendre. Les bombardements sont loin d'être arrêté. On est dans l'purin. L'vrai, c'lui qui mord en plus d'sentir.

Des coups d'feu r'tentissent, mais j'suis toujours dans l'gaz. Semble qu'les soldats nous ont r'pérés. De facto, ils nous envisagent comme la cause des bombes. J'vois deux d'nos gamins qui s'cavalent, pour s'effondrer aussi sec. Balles dans l'dos. Les chiens. D'nouveaux impacts. D'nouveaux morts. Chez nous, chez eux. Mes esprits m'reviennent, mes nerfs aussi. J'ai mal: épaule qui pisse, flanc idem. Plus un morceau dans la poitrine. Sur le cœur. Si j'en avais eu un, j'serais mort. Bien fait d'le laisser sur le Rocher. Une nouvelle bombe s'écrase, et une chiure d'boue m'crade la tronche. J'plonge, m'planque. Malgré les tirs des derniers péons encore debout. La mort, la vrai vient d'en haut. Au vu du nouveau sifflement qui s'profile dans les cieux sombres, ces crétins vont apprendre la leçon... Maintenant. Boum. Ils sont morts. Héhé.

Les ruines s'immobilisent un court instant, mais un mouv' m'attire les mires. C'sont Rob et job, qui m'font signe d'les r'joindre. J'compte mentholement, dans ma tête. Dernier impact il y a cinq secondes. Jouable! J'bondis! Roule! Souffre un peu, parce qu'il faut. Pour rejoindre les deux zigs. Rob sue du rouge, niveau tête, mais ça va. A coté d'eux, l'cadavre du p'tit Bobby, emporté par l'explosion. Étendu sur l'sol, j'ose pas le r'tourner.

C'tait quoi c'te merde!?!?

Rob me grogne, aussi mauvais qu'moi:

Faut croire qu'nos mouchards n'ont pas rencardés qu'nous...

Sa tronche pisse bien, mais il a l'air de tenir. Rob est un solide. C'est pas un trou dans la tête qui va lui faire peur. Sur c't'île, tu dois être fort. Ce faisant, y m'fait la politesse de pas m'demander si j'vais bien. Le sol tremble à nouveau, en mode dolby suround, on se jette à terre. Job en profite, tout en frottant la carte à jouer dessinée sur son avant-bras. Saloperie de poussière.

C'était Bobby qui avait eu les infos. Sans vérifier probablement.

On se tait. Pas besoin de charger un mort. Par contre, s' carapater fissa sera pas du luxe! On est en plein milieu d'un champ d'bombardes, not' espérance de vie s'en prend un sérieux coup. Synchro, on commence à compter. Impact. Max cinq secondes, et on court! Mais l'échappe canon, c'est pas une science exact. Ça siffle, et on s'planque à l'arrache. Pour progresser c'est pas l'ultime. Sûr. Mais pour l'instant, on est trop occupé à survivre. Une nouvelle série d'mortels cadeaux, nous v'là qui plongeons sous une kra-façade effondrées, dont l'ancienne fenêtre donne comme un accès d'cave. Rob la r'père. Job s'y précipite, moi j'suis. L'endroit est presque confort. L'apporte une sentiment rassurant d'sécurité. Belle pioche.

J'crains qu'on sorte pas d'ici en un seul morceau, cher amis.

J'crains que tu ne te trompes mon cher Rob.

J'crains qu'vous parliez comme d'riches pucelles.


On rie, nerveusement. Mais Rob pointe le doigt vers l'fond du trou.

Regardez, ça se prolonge.

En effet, même si c'est noir comme l'trou d'fion d'un aqua monstro, on peut voir qu'un tunnel s'prolonge en bout d'planque. l'impression est confirmé par un vent frais qu'en sort, et m'caresse les plaies. Job bondit vers la trouvaille, et commence à gratter, en mode lapin. Y vire les crasses qu'empuantent l'passage, c'lui-ci grandit.

J'crois qu'on est tombé sur une vieille entrée d'égouts les gars! J'crois qu'on est pas fini!

C'te bavage Job, me fait plaisir. Alors ni une ni deux, on allume une torche d'fortune et on s'enfonce. Rapidos. Au bout d'quelques mètres, ld'vrais murs apparaissent, bien maçonnés. C'sont bien des égouts, ou dans l'genre. Un sourire masta s'affichent sur nos tronches, mais pas l'temps d'être heureux! La terre s'remet à trembler, et dans un fracas pas possible, la faible lumière qu'émanait d'derrière disparait, avec l'entrée du trou. Tout s'est effondré. ... Bon.

Continuons.
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Et on s'enfonce. Dans l'humide, le sombre et le sale. On croyait avoir tout vu, c'était pas le cas. J'allume une nouvelle tige de Kasha. Tire dessus, frénétiquement. J'ai l'habitude des souterrains. J'en ai vu pleins, et des pires. Égouts, idem. Pourtant, j'suis pas à l'aise. Pas du tout. Les murs tremblent quand tombent les bombes. C'est plutôt fréquent. Puis j'entends des bruits, un peu partout, autours. Comme si on nous observait. Comme si on nous suivait. Je sens les regards sur mon dos. Une nouvelle taf. Ça calme la douleur. J'ai réussi à arracher deux des shrapnels plantés dans mon épaule et mon flanc. Mais pas celui dans l'poitrail. Y s'est écrasé dans une d'mes côtes. Mieux vaut pas toucher.

Un crissement r'tentit sur ma gauche. J'suis surpris. J'sursaute. Rob s'tourne vers moi. A la lueur de sa torche, il a vraiment un sale gueule. On dirait un violeur d'enfants. Y s'marre, s'fout même de ma gueule.

Alors Jack, on a les boules? Tu sues à grosses goutes. Peur du noir.

J'crois surtout qu'la Kasha le rend parano sur ce coup-là. Abuse pas de ce truc mec, c'est une crasse.

Surenchérit Job. Et les deux s'marrent. Ouais. Ca rigole bien. Même si ça rigole jaune. J'suis pas dans mon état, on fait comme ça. Mais la situation pue sérieusement. C'est pas du délire d'ma part. C't'égout pue la merde. Difficile de savoir s'il vaut mieux qu'les bombes. La mort venue d'en haut ou la mort venue d'en bas, c'est bourricot. Kif-kif.

Le couloir est droit pour l'instant. Pas de croisement, pas de mauvais choix en perspective. Job soutient qu'c'est un égout, j'y crois pas. J'pencherais plutôt pour des entrepôts sous-terrain. Vrai qu'avant, au-dessus, y avait un centre de commerce, des boutiques, tout l'tsoin-tsoin. Mais en fait on s'en fout. La vrai question, c'est : Quand est-ce que ça s'arrête !!! Quand est-ce qu'on sort, quand est-ce qu'on trouve! J'ai pas envie d'crever comme un rat dans une cave. Que j'rumine. En roulant une autre tige. Mais les deux compères se stoppent tout à coup. J'pige pas. Je mate. J'comprend. Face à nous, sortie d'nul part, une porte fermée. Rien d'vraiment étonnant à ça, si c'n'est qu'sous la porte passe un liserais d'lumière... ... Il y a de la vie, derrière.

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Job pousse la porte. Elle grince salement en s'ouvrant. Et on ferme nos gueules. On écarquille les yeux, grand, en tentant d'garder la bouche fermée. Dur. Impossible même. L'spectacle qui s'étend en face à d'quoi étonner, on s'attendait à tout sauf à ça. J'passe la porte, à la suite des deux autres.

Nous sommes sur une 'tite passerelle en hauteur. Et d'vant nos mires ébahies, not'bouche bée, s'étend une ville planquée. Dans c'qui semble être l'plus grand entrepôt souterrain des blues s'agitent des centaines d'âmes, au milieu d'baraquements d'taules et d'crasses. Je check mes compères. Sont aussi incrédules que moi. Au milieu des "maisons", un espace sert de marché. Des gus y gueulent pour vendre leur steak de rat, refourguent des brols à moitié pétés. Pas d'monnaie, ça troc à tout va. Une gamine échange une balle et d'la poudre contre un maxi menu double viande, avec surplus d'sauce au sel marin. Pas l'air dégueulasse son 'dwich.

Sous l'choc, y nous faut un p'tit temps d'adaptation, au point qu'on remarque pas tout d'suite les r'gards qui nous pointent. Sont nombreux, parfois méfiants, souvent rapides et sans poids. Rob m'tire le coude, m'invite à avancer. J'le fais, tire une nouvelle bouffarde pour m'donner du courage. On descend un escalier branlant, pour arriver au niveau zéro. Là nous attend un comité d'accueil: un gus à la bouille sympa, encadrés par quatre gorilles aux tronches de portes de prison. Le type nous alpague, gaillard:

Bienvenu dans la Cité messieurs. Avant de vous laisser entrer, nous aimerions vous poser quelques questions. Pas d'inquiétude, c'est la procédure habituel.


J'aime pas les procédures.


Les gorilles m'mirent comme si j'venais d'pisser sur leurs pompes, mais l'baveur garde son calme. Rob et Job, qu'ont eu la chance d'avoir une éducation (la bonne blague), prennent le r'lais. 'Stoire de pas m'laisser envenimer not'première rencontre. L'gus d'mande d'où on vient et ils répondent: d'en haut. Comment qu'on a trouvé l'endroit? En marchant pignouf. En marchant dans des tunnels sales, crades, pas accueillants pour un sou. L'info fait tiquer notre hôte, qui susurre un truc à l'oreille d'un des singes. L'primate comprend, entreprend, et s'barre par l'escalier d'où on vient.

Nous devons faire attention à nos poins d'accès. Notre anonymat est notre plus grand bien.

Points d'accès? C'est quoi? Une sorte de boutons? Pas compris, soit, on s'en fout. En face d'nous, l'expression du mec a changée, probablement à cause d'cette dernière question qu'il pose.

Une dernière chose: dans quel camp êtes-vous messieurs?


Rob et Job hésite. Alors j'prends l'initiative.

Dans celui d'ceux qui s'en foutent loustic. Et cherche pas à nous embrigadés, j'aime pas prendre des couleurs, quelqu'elles soient.


Y m'mire avec une gueule mi-fougue mi-voisin. Il hésite. Puis y comprend. Quoi? J'sais pas. P't'être juste qu'j'suis pas un type qui suit. Qu'j'suis pas un partisan. Le gus nous r"garde, une dernière fois, puis s'retourne et part. Il lâche et décarrant:

Faites comme chez vous. Mais tenez-vous à carreau.


Comme ça c'est dit. Et nous v'là dans la cité. Tout y est. Une averne puante, des tables d'jeux puantes, des gens puants. On se sent comme à la maison.
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Tu crois que tu sais de quoi tu parles ? T’en es sur ?
Qu’est ce que tu connais de la vie, de la mort et de tout ce qu’il y a autour ?
Pas grand-chose j’crois bien.
Tu crois qu’à ton âge t’as déjà tout vu tout lu ?
Tu te goures.
Tu crois qu’après avoir couru quatre océans, t’as plus rien à découvrir ?
Tu te goures encore.
Le monde est bien plus grand que ça, oui il est vaste, et j’en ai pas fini le tour des Blues que parfois, je me dis que faudrait bien plus qu’une vie pour tout voir.
Chuis pas du genre qui cause en temps normal mais puisque t’as l’air friand d’histoires, laisse moi t’en compter une. Ca parle justement de la vie et de la mort, et tout qu’il y a autour…
Je de vais avoir vingt huit ans, par-là, et moi aussi, comme toi, je pensais que j’avais déjà bien fait le tour des choses. Je pensais même que je connaissais l’homme et sa nature et là, c’est bien moi qui me gourait.

Y’avait cette ile perdue au milieu de nulle part, et ce n’était pas un paradis tu peux me croire, à vrai dire ça ressemblait plus à l’enfer, un enfer de métal, de bombes de chaire vivante, de chaire morte et surtout, de boue, de la putain de boue qui s’étalait du nord au sud et de l’est à l’ouest, t’en étais couvert du matin jusqu’au soir, t’en ramenait jusque dans ta paillasse.
Y’avait ces deux grandes armées qui se mettaient sur la tronche depuis des lustres sans savoir pourquoi et y’avait surtout des types comme nous, qu’en avaient rien à foutre de leur gueguerre mais qu’étaient là, et fallait faire avec. Le pire c’était de voir des pauvres gars de quinze piges aller au casse pipe, la trouille au ventre, pour une sombre histoire qui leur échappera jusqu'à ce qu'ils crèvent dans la gadoue, et aussi de voir des gamins de huit ans s’battre entre eux pour manger un bout de pain ranci, de voir ses mêmes gamins, dix minutes après, se faire ouvrir la cafetière à grand coups d’obus ou de grenade, à deux pas de toi, et toi t’es là, mon gars, et tu te sens impuissant et tout petit. Quand t'y vois plus rien à cause de la fumé, t’as plus que l’odeur de la poudre à canon et de la chaire brulée pour t’expliquer ce qu’il se passe. Si t’as pas vu la guerre, tu connais rien de la nature humaine.

Alors ceux qui n'étaient ni d'un camp ni d'un autre se sont organisés, ils se sont adaptés, et pendant que les pauv’ victimes à la surface se faisaient désosser, eux, ils avaient trouvé le moyen de se planquer sous la terre.
Y’avais en dessous des champs de boue et de cratères tout un réseau de galerie souterraines avec des points d’accès, des portes blindées et tout, et tout, à la fin quand t'as bien barboté dans la puanteur des ces vieux égouts, au détour d'une porte, tu découvres ce que t’aurais jamais pensé découvrir ; une ville souterraine, je pensais même pas que c'était possible.
Un endroit puant, fait de bric et de broc, rien de reluisant, c’était pas le nouvel Eden, mais un endroit ou t’avais bien plus de chance de survivre qu’à la surface. C’était comme une ville où il faisait tout le temps nuit, avec ses torches, ses braséros, ses étales et ses commerces, et même que là bas, les berries n’ont pas court, rien que des arrangements, à l'ancienne. Là bas tu manques de tout, un litre d'eau potable a bien plus de valeur qu'un ligot d'argent.

Alors de temps en temps, nous la marine de commerce, on venait vendre quelques denrées; de la viande boucanée, du rhum en pagaille et surtout, des fruits secs pour endiguer l’épidémie de scorbut. Comment ils pouvaient payer?
J’en avais pas la moindre idée et le capitaine du « Wendigo », gars pour qui je roulais depuis quelques mois, il restait discret sur la façon dont on le rétribuait. Ma foi, c’était pas mes oignons.

Nous on avait débarqué par le point sept, celui le plus proche de la crique où dormait le "Wendigo". Traverser la « ligne ouest » commençait à devenir routinier et on s'en sortait bien, presque sans encombres, un mort par ci par là. Les hommes du "Wendigo", c’était pas des débutants, et fallait au moins ça; une bande de baroudeurs, mi-aventurier, mi-crapule alors pour nous, c’était presque une promenade de santé. Tant que t’étais pas sur la ligne de front nord, t'avais toutes les chances de survivre si tu faisais pas n'importe quoi. C’était un travail de titan d' acheminer une cale pleine à craquer dans ce trou, au travers de ces galleries merdiques mais bon, fallait le faire et j’étais copieusement payé pour ça.

Une fois le boulot terminé, le capitaine devait s’entretenir avec le guss qui faisait office de dirigent de la cité, nous en attendant on avait quelques heures de libres, alors j’avais un peu visité le coin.
Comme dans toutes les villes, y a des bons et des mauvais quartiers et moi, j’aime bien les mauvais quartiers. Y’avait les estropiés, aveugles ou cul de jatte, y’avait les gros loulous à sale gueule qui surveillaient les filles qu’avaient que leur chair à troquer, les gamins crasseux qui venaient te gratter un truc toutes les minutes, et bien entendu, les meilleurs endroits pour boire du rhum, j'aimais marcher au milieu de tout ça.
La gargotte que j'avais déniché n'était était pas fameuse, vieille planches et taule rouillée, des caisses de bois en guise de tabourets, les tables n'étaient pas mieux.
J’avais troqué un vieux couteau contre un verre de rhum, pas fameux. C'était la taverne miteuse classique, y’avait le petit gros complètement ivre qui racontait sa vie à qui voulait l’écouter, y’avait le gars en train de roupiller assis sur une caisse, fin rond lui aussi. T' avais aussi l'inévitable table de jeu où quatre excités y jetaient à tour de rôle une paire de dés dans des éclats de voix frénétiques, et y’avait ces deux types au comptoir qui causaient pas beaucoup, genre pilier de comptoir, et leur pote aux cheveux mi-long, une tête de tueur et qui empestait la Kasha, Jack qu’il se prénommait.
Ce Jack, c'était le genre de type qu'on oublie difficilement...


Dernière édition par Sam Sylvius le Lun 3 Sep 2012 - 21:38, édité 1 fois

    Je suis assis sur un tabouret, dans c'troquet miteux. On me sert un gnôle frelaté, ça goute le charbon. On me laisse fumer ma kasha aussi. C'est un endroit sympathique. Une bonne planque. J'sais plus bien, j'me souviens plus trop du quand on est arrivé. Ni quand j'me suis établi ici, dans c'bouge, sur c'te caisse. On m'fout la paix, c'est tout c'que je sais. L'patron m'sert des verres, contre des services. Majoritairement foutre dehors le pékin qui s'met à faire l'mariolle, parfois un p'tit cassage de jambes à droite à gauche. L'gus est correct. L'en demande pas trop et il est pas chien sur les doses.

    Le rade accueille la basse populace du bloc. Ici c'est truandages et compagnie pour s'en sortir, la lie quoi. Mais pas la pire. Puis y a cette sorte de camarad'rie bonhomme dans l'voisinnage, une solidarité d'malandrin. Fait bon enfant dans l'coin. Mon verre est vide, j'fais un signe au barman. Il est rapide, il comprend, se baisse pour sortir d'sous la planche-comptoir un bouteille ambrée. Elle glisse sur le bois pour stopper dans ma main, mon verre est à nouveau rempli. Je me tourne. Contemple. C'est plutôt calme aujourd'hui. Je dis aujourd'hui, mais quand j'y pense, j'sais plus vraiment quand est aujourd'hui ou hier. Sous la terre, sans soleil, je ressens moins le temps. C'est comme ça... Je vide mon verre et roule un tige de kasha.

    Et le temps passe, serpente. Il fait chaud, des verres se vident. Un type entre, deux types sortent. Quelque chose comme ça. Et tout l'monde accroche le pauvre mobilier quand les murs tremblent. Quand la ville tremble. Au-dessus, ça pilonne sec faut croire. Rob passe, sans job. Il me dit qu'ils ont trouvés une combine, qu'ils continuent le vol et la contrebande entre ici et la surface. Bien joué. Je crois que j'lui dit ça. Il boit un verre et puis part. Un mec tape une claque à sa gueuze pour qu'elle la ferme. Le barman m'fait signe. Le gus vol dehors, comme sa mouflette qu'y casse vachement les couilles. J'suis à la porte à les mirer qui s'barrent, plusieurs ravi's investissent le bar quand j'rentre.

    Les ravi's. Sont eux qu'font l'lien avec l'extérieur. Qu'amènent la bouffe. Parfois. Y vivent pas ici, sont souvent différents, même si certaines têtes reviennent. Souvent des baroudeurs à la manque à qui ont a proposés gros. Certaines mères s'aventurent à leurs d'mander des nouvelles d'en haut, la plupart évite. Se méfie. Les gus se plantent au bar, à côté d'moi. Corrects. Harassés. Moi, je suis assis, une tige au bec, et je bois.

    Ils boivent aussi. Un verre. Un moustachu s'plaint du goût. Les gens s'marrent. Ici, dire qu'l'alcool est dégueux revient à s'avouer comme un novice de l'endroit. Ce genre de truc ça se braille pas, juste ça se sait. Lieu commun. Il braille donc. Puis ils parlent. J'les entends à propos du trajet pour v'nir s'enterrer ici, d'leur paye aussi. L'moustachu r'commande, en tendant un billet. L'barman fait non. Ici, on paie en concret. Et l'moustachu à l'air con, avec ton son pognon. Y comprend p't'être quelqu'chose. Son pote, un loustic à la gueule joyeuse comme un cancer, le dépanne et paie la tournée, avec un vieux canif rouillé. Tout va bien.

    Mais arrive ce gus, un autre ravi' . Le type sue, respire fort. Le type est paniqué. L'a b'soin de quelques s'condes pour se r'prendre et pour expliquer à ses potes. Il déballe l'histoire à coups d'murmures. Ca m'donne envie d'écouter, je tends l'oreille. L'mec bave une histoire d'accord pas respecté, de problème avec le chargement. Ses potes tirent un tronche, plusieurs d'entre eux s'lèvent pour cavaler à son cul. J'reste là presque seul. Z'ont laissés leur blagueur ici, qu'illumine le vieux bois d'son aura d'gaieté. Longue journée qu'j'me dit. J'ai bien envie d'une tige, alors j'sors ma pochette, la mort dans l'âme. Parce qu'ça m'rappelle qu'ma pochette, elle est presque vide.
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    -J’en sais trop rien, j’crois que l’captain et m’sieur l’maire de Trouville, bin y’s sont pas mis d’accord. Disaient qu’y manquait d’la marchandise, du Rhum à c’que j’ai pu comprendre. Une trentaine de tonneaux, rien que ça, t’imagines! J’ai tenu les cales tout le voyage et j’pas vu plus gros qu’un tonnelet, alors j’sais pas d’où il les à rêvé ces tonneaux.

    (...)

    Puis le Second, M’sieur Bardwell qui peut pas s’empêcher de la ramener, l’aurait commencé à la jacter comme quoi que l’éqipage du Wendigo, on était pas des enflures de pirates et qu’y avait jamais eu de rhum.

    (...)

    Le truc c’est que maintenant, M’sieur l’maire troglodyte, il veut pas lâcher le grisbi, on est bloqué ici jusqu'à ce qu’ils trouvent une solution, sans le Rhum, pas de paye, et sans la paye, on ne part pas.


    C’est ce qu’avait dit le petit Willy, ou peu s’en fallait, j’avais pas bien saisi le pourquoi du comment mais de ce que j’comprenais, on étais provisoirement bloqué ici, et tout le monde le sait, il y a du provisoire qui dure. Ceci dit, je ne prévoyais pas de moisir ici trop longtemps, y’a trop de choses à voir sur les Blues et jouer les taupes, c’était pas mon truc, même si le soleil et moi, on est pas très copains, et que l'endroit était pas si terrible.
    En attendant, je regardais mon Rhum frelaté aux relents de désinfectant, et je mirais ma tête dans le reflet. Et je pensais à tout cet univers surréaliste, cette drôle de guerre, cette ville de rats.

    Y’a des fois, une petite voix dans ta tête essaye de te parler, elle à envie de t’expliquer des trucs, genre; c’est pas tes oignons, fait pas de vague, pourquoi t’irais parler à ce type là bas. Et là, et bien c’est justement une des fois où ce que certains appellent " l’instinct " ou la "conscience"tentait de causer un brin avec moi.
    J’suis certain que t’as déjà ressenti ça, le moment où sans savoir réellement pourquoi, cette voix t’explique que si tu ne suis pas ses conseils, tu vas t’attirer de grosses emmerdes hein ?
    Et bien la voix, elle m’expliquait depuis un quart d'heure que j’avais aucune raison de parler avec le gorille aux cheveux mi longs qui venait de foutre ce couple dehors, que c’est probablement pas le genre de type qu’allait pouvoir m’aider et même qu’au contraire, j’avais tout à gagner à ne pas lui parler.

    Mais va savoir pourquoi, ce jour là, la voix, j’ai pas voulu l’écouter, j’ai pas voulu la laisser m’expliquer que sitôt que j’aurai parlé à ce gars, j’m’engagerai sur une voie sombre, un chemin moribond que les humains ne veulent pas suivre parce qu'ils ont la trouille, je parle du chemin qui mène à tous ce que les hommes ont de plus noir, celui qu’est pavé de pierre tombales et qui t’emmène nulle part sauf à la fin de ta route où tu te retrouve devant un grand miroir morbide, face à toi-même, et où t’es libre d’apprécier ou non l’image que tu vois dans ce putain de miroir. Oui, elle m'avait prévenu, et je te garantis que je me vois plus tout à fait pareil depuis.

    Oui, elle me l’avait bien dit, la voix.

    *Sam, parles pas à ce type !*

    Je ne devais pas avoir envie d’écouter ce jour là, et depuis, y'a pas une semaine sans que je repense à toute cette histoire.

    -Eh, le fumeur, j’peux t’offrir un verre ? On risque d’en manquer sous peu .
      Ma rêv'rie m'emmène loin. Dans les volutes brunâtres de l'herbe délicieuse, j'retrouve les mignonnes et leurs courbes magnétiques, les frolés-touchés à risques, les étreintes douteuses et franches. J'en glisserais presque ma paluche en poche, mais on m'tire des limbes vaporeuses. Enfin, on, une voix. Je me tourne. C'est l'autre, le ravi'. M'propose un verre. J'le mire. ... Tente d'sentir l'intention. Mais berzek, j'suis pas médium. Alors en fin d'compte, un verre, j'dis jamais non. Alors j'insiste du r'gard, puis m'tourne vers le barman, lui fait signe. Il envoie deux verres, et d'un geste de patte, indique qu'la douloureuse, ce sera pour après. Empoignant mon verre, j'salue l'ami dépressif mais en fait p't'être pas tant qu'ça, à coté. Il me rend ma trinque, et on commence à causer. J'lui donne mon nom, le mien c'est Jack que j'dis. Y m'donne le sien, le sien c'est Sam qu'y m'répond. Alors à la tienne Sam que j'lui r'dis et j'vide le verre. Guy, qu'c'est dégueulasse, j'pense en frappant l'cont'nant vide sur l'bois. L'autre, Sam, doit penser l'même.

      Sam, y a du problèmes chez vous, ravi's.

      Qu'j'lui affirme. Y m'confirme, mi-figue, mi-raisin. J'enchaine.

      Vrai qu'le rhum ça manque par ici. J'comprends qu'les têtes pensantes pensent gentiment à truander..

      J'fais un signe, on remplit nos verres. Coup d'poignet, fond du gosier qui brûle, claque, sur le bois. L'alcool délie les langues, au point qu'ça mène vers d'la discussion plus sérieuse. Sam cache bien son jeu. Sam est pas un con. L'est du genre de type qu'font pas d'vagues, mais qu'jouent pas systématiquement les barques. A comprendre que si il y a d'bon plan à prendre, y pourrait en être. Même si l'plan, y pue un peu l'escroquerie. Mais tant qu'c'est celle d'quelqu'un d'autre. Et d'autres verres claquent, et on boit toujours, et on cause. On s'marre même un peu, j'aurais pas cru. Enfin, p't'être qu'c'est seul qu'j'me marre, mais c'est drôle quand même. Je roule une nouvelle tige de kasha, insiste pour qu'l'ami en tire un peu. Et des idées naissent dans ma trogne, et j'crois bien qu'lui aussi commence à s'dire qu'y a des choses à faire dans l'coin. Mais ça, on va pas en parler ici, c'est pas bon. Trop d'oreilles, trop d'concurrents. J'invite Sam à sortir, j'dis au barman d'mettre nos verres sur la note. J'commence à être rond, j'ai l'oeil torve, l'gus m'connait et dis oui oui. J'ai tendance à d'venir mauvais vers les fins d'soirées. C'est comme ça.

      J'connais un salon, dans les beaux quartiers. Beaux, on s'entend, à l'image d'l'endroit. On pourra y parler pépère, si t'as les oreilles qu'sont intéressées. Alors, on s'enjaille?
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      Les volutes de fumées, la chaleur qui monte du ventre jusqu’à la gorge, le rhum, l’herbe. Cette sensation de légèreté et d’ivresse, comme si votre corps était en coton. J’avais le rire facile, c’était pas si fréquent, tu le vois bien gamin.

      Le Jack, c’était pas un type du genre à se mettre à l’abri des bons plans, il me l’avait bien fait comprendre. Ici, les murs ont des oreilles, tout le monde connait tout le monde, ou presque.
      Alors le pas chancelant, dans chaleur souterraine, j’me suis laissé trainer dans cet endroit que les locaux appelaient « le paradis », un trou dans le trou, au cœur des beaux quartiers comme disait Jack, un endroit ou on pouvait causer.

      « Le paradis », c’était un endroit bien caché, creusé dans la pierre, loin des regards indiscrets, bien aménagé. Pour entrer, fallait montrer patte blanche. Le portier n’avait pas l’air du genre commode, il était grand et gras, un cou de bœuf, des avants bras large comme mes cuisses, une belle tête de tueur. Il avait la moitié de la face brulée ; une bombe ? Probablement, ici y’avait pas un type qui ne porte les stigmates de la guerre, juste au dessus.

      -Salut Benny. Avait juste dit Jack. L’énorme Benny avait esquissé un sourire et soulevé l’épais rideau rouge qui masquait l’entrée. A l’intérieur, une clientèle triée sur le volet, que des hommes, plusieurs pièces taillées dans la pierre. Par terre, des tapis, des matelas, des tables basses et les clients. Les clients n’avaient pas l’air très frais. Au fond de la dernière salle, une autre porte sous bonne garde elle aussi. Où menait-elle ? Va savoir.

      Ici personne ne regarde personne et personne n’écoute personne, pas de cafteurs, pas de baveurs, c’est ce que Jack avait dit. Si un jour sans faire exprès, t’entends un truc qu’il ne faut pas, faut oublier et, si t’oublie d’oublier, que ça remonte aux oreilles de quelqu’un d’ici, vaut mieux quitter la ville, la guerre du dessus, c’est moins dangereux.

      Alors on s’est assis sur un matelas confortable et on a bu, on a fumé. La Kesha Gamin, ça peut te faire tout oublier, même le bruit des bombes, même le temps qui passe. Depuis combien de temps j’étais ici, je savais même pas. C’était la nuit, le jour ? Je ne savais pas non plus, mais je pense que les heures ont filé, elles ont filé jusqu'à ce que je dise :

      - Dis-moi Jack, j’voudrai pas m’éterniser dans ta superbe ville, mais on nous réclame ce qu’on n’a pas, je sais pas bien qui veut truander qui mais mon ticket de sortie, c’est du Rhum.

      Jack écoutait, allongé sur le tapis, les bras derrière la tête.

      -Alors j’me disais qu’on pourrait peut être dénicher ça quelque part.


        Alors t'en es... Ok.

        J'me relève aussi sec, m'arrachant d'notre torpeur turpide. Kasha et liqueurs frelatées font un magma étranges, j'gage qu'il est temps qu'on change, d'atmosphère, qu'on quitte ici bas. Et pas pour des clous, pas qu'on soit pas bien, non. Une alliance s'est scellée, l'est temps d'se mettre à bosser, de faire c'qu'on doit. J'ai une p'tite idée d'où trouver les infos qu'y nous faudra. C'est pas ici, enfin j'crois pas. J'hèle Benny, l'masta; 'stoire qu'y m'confie un brin d'savoir. Il en sait des choses Benny, puis y m'en doit. Lui ai rendu quelques services, du genre pas de plus honnêtes. Et donc, j'lui d'mande, pour faire avancer notre quête, un dernier p'tit caprice.

        T'as vu Rob et Job ces derniers temps? T'sais où y crèche.
        Benny, pas revêche, indique un hôtel croulant, où les frérots passeraient tout leur temps, dernièr'ment. J'prend note, dans ma mémoire, black sur white, et invite l'ami Sam à la rencontre. Nonchalant, il suit, sans trop savoir, je crois, vers quoi il embarque. On retraverse une partie d'ce trou qu'ils nomment ville, apparait l’hôtel. Au comptoir, un bill pas sympa, qui finit par m'baver la nouvelle, Rob et Job sont au deuxième. Escalier d'service, quatre à quatre, pour débarquer chez les deux frères. A ma vue, ils esquissent un sourire tout en chicot. Ils sont saouls, j'peux qu'applaudir. J'renseigne mes ami-gus sur mon invité. Sam que c'est lui. Bonjour qu'ils lui font. Mais pas l'temps d'être poli. J'demande, d'base, rapide mais tranquille:

        M'faut du filon pour ram'ner du Rhum, du vrai, du buvable, ici un ville. Un tuyau valable?

        Rob regarde Job qui regarde Rob. Les deux font une drôle de mine, puis pêtent de rire. Entre deux esclaffes, ils arrivent, bribe par bribe, à m'livrer la formule magique.

        Le passage 21.

        Kesako, l'passage 21? Suffisait d'demander. Le passage 21 y m'disent, c'est un passage vers la surface, qu'ils ont trouvé en trainant leurs groles. Un tunnel à l'arrache, près d'une des sorties d'la ville, caché sournoisement pas du gravas ravache, du morceau d'lapis. Y mène aprèsun ch'min bien dégueulasse, à une brassée d'une mine d'or: un hangar d'kommandantur qui contient tout ce dont un officier suffisant et décoré peut rêver après une bonne journée d'abattage de mitraille humaine. Où est le piège, que ej demande. Simple y répondent: c'est au milieu du QG d'un des deux belligérants surfaciens. En plus, l'accès est trop p'tit pour permettre d'faire passer des sacs conv'nables, c'qui limite vach'ment les possibilités d'extraction truandière. Ouais mec. C'est l'problème. Mais une idée s'est d'jà logé dans ma tronche ciboulonnée, et elle me plait tellement qu'j'expose la d'mande prémisse.

        Vous auriez d'la dynamite a dispo ?

        J'me tourne vers le Sam. Suis très sérieux.

        Ca pourrait être bruyant et sale. Mais si ça marche, ça en sera qu'plus marrant, non?
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        Marrant, c'est comme ça qu'il avait dit. Bruyant, sale et marrant... J'me suis pas marré pas du tout.
        J'ai bien faillis crever.

        -Tiens Jimmy, ressert moi un verre, la salive me manque.

        Ahhh, ce rhum, il ressemble un peu à celui qu'on avait déniché là bas. J'continue mon histoire Gamin.

        Rob et Job, ils avaient pas très envie de venir. Il a pas fallu bien longtemps avant que l'un file un sac en toile de jute à l'autre et que l'autre le donne à Jack. Ce dernier leur à dit qu'ils seraient bientôt payé pour ça et l'un des deux frangin lui à répondu qu'y'avait peu de chances, que le passage 21, c'était pour ceux qu'en avaient marre de vivre. Jack il s'est marré.
        On nous à expliqué le chemin à suivre et on est parti.

        J'en étais.

        On est sorti de la case de taule et un gamin est venu nous causer, l'avait quoi, quatorze ans à tout casser, il était crasseux, les pieds nus, une casquette de gavroche vissée sur sa tête de gosse amaigris.

        -Eh Jack, tu prépare un coup ? J'peux v'nir ?

        Tom, c'est comme ça qu'il s'appelait, il arrêtait pas de tourner autour de Jack. Celui-ci avait beau l'envoyer paître, il revenait sans arrêt à la charge, expliquant qu'il était tout petit qu'il pouvait nous aider et tout ça.
        Jack lui a finalement dit qu'il pouvait nous suivre, il a rajouté que s'il crevait la haut, ça serait bien fait pour sa gueule.
        Le môme était ravi, moi moins.
        Il m'a expliqué en chemin qu'il voulait sortir de ce trou, qu'il en pouvait plus de crever la dalle ici.

        -Ah ok.

        Que je lui ai répondu, parce que je savais pas quoi lui dire, et que même si j'avais su, je suis pas un grand parleur, sauf quand j'ai bu un coup de trop, comme avec toi Gamin.

        On à pris les égouts, on a suivi des chemins, rampé dans des trous puis on a fini dans un boyau de terre trop étroit pour qu on y passe à deux. Presque deux heures après, on est arrivé face à une grosse pierre qui obstruait la sortie. Derrière, on entendait le bruit des bombes et le sol qui tremblait.

        Jack m'a expliqué qu'il faisait encore jour dehors. Une fois la nuit venue, on pourrai sortir, alors on a attendu un bon moment peut être quatre ou cinq heures et a un moment les bombes ont cessé de parler.
        La sortie on pouvait qu'y ramper. Jack et moi on a poussé la dalle, une bouffée d'air frais me rafraîchis le visage. On est sorti et on s'est planqué. On était dedans. On à avancé dans le noir, à tâtons, j'savais pas bien ni où on étais ni se qu on cherchais lorsqu'un éclaire blanc à déchiré le ciel.

        Ka-Booom !!!

        J'ai été soufflé, un souffle bouillant, je crois que j'ai perdu conscience un moment. Quand je suis revenu à moi, mes oreilles sifflaient à la mort. Jack se tenait debout, il regardait par terre. Je suis allé vers lui, il était en train de regarder le pauvre Tom, le gamin avait été à moitié déchiqueté, il tremblait de tous ses membres, enfin ceux qui lui restaient, il avait les jambes coupées au niveau des genoux, ça m'a filé une sacrée gerbe, mes jambes à moi avaient du mal à me porter.
        Jack à dit qu'il était cuit, qu'il allait finir de se vider, qu'il y avait rien à faire. Le gamin me regardait avec des yeux pleins d'angoisse et il a murmuré :

        -J'vais bien, ça va aller, j'vais me relever, me laissez pas.

        Puis d'un coups, après un spasme qui l'a fait vomir du sang, il n'a plus bougé, y'avait même plus le reflet de la lune dans ses yeux morts.
        C'est comme ça qu'il est parti, couvert de boue, déchiré ; un bout de barbaque anonyme avec pour seule compagnie Jack, moi et la douce odeur des bombes.

        - Tu vois l'Ravi, on s'marre...

          C'est l'prix d'une vie. Un sarcasme. Parce que si tu t'braques, si tu somatises, ta vie d'vient un enfer. Un enfant est mort, crashé par une bombarde. Un parmi d'autres. Ciao gamin, tu m'permets d't'appeler Tom? Ciao Tom. Au moins t'auras vu l'ciel.

          Sam fait une drôle de tronche. Moi aussi, j'en mène pas large. Mais on a pas l'temps d'hésiter. Il faut s'bouger. L'petit s'est fait explosé par un obus. Ca veut dire deux trucs. D'abord qu'ça peut nous arriver aussi. Qu'il faut s'planquer. Ensuite, qu'la donne a changée. Normal'ment, les deux QG sont safe. L'ennemi peut jamais assez avancer qu'pour les claquer d'bombes. Mais c'est plus l'cas faut croire. Un des deux camps est en train d'gagner, d'prendre du terrain. Et nous on est dans l'autre...

          Ni une ni deux, j'tire Sam vers un renfoncement d'matos. Derrière une caisse, on s'pose, pas trop à l'aise. Si ça protège des yeux, ça stopp'ra pas les mortiers... Soit. J'sors d'mon sac trois des jolis bâtons rouges qui l'remplissent. J'déroule un peu d'mèche aussi, et j'fonce vers l'trou d'souris par l'quel on est sorti. En passant, j'essaie d'pas r'garder l'pôv' gosse. Réussi. J'me glisse dans l'trou. M'enfonce un peu. Une trentaine de pas, je fixe la première charge, la planque un peu. J'tire la mèche, retour vers l'entrée. Une deuxième charge à mi-chemin, planquée aussi, relié à la première. Et une dernière juste à l'entrée, reliée à une mèche indépendante. J'reviens voir Sam, m'faufile in-extremis. Yep, parce qu'des types commencent à arriver. Pas d'doutes, c'sont des troufions. L'costume militaire standard couvert de boue et d'sang renseigne bien: des couillons lambda qui dorment pas dans les tentes grand luxe des patrons charcutiers. Pauvres hommes. Ils se rapprochent d'l'impact d'mortier, pour inspecter. Y s'rapprochent des restes de Tom, d'l'entrée d'l'égout. Evidemment, ils le mirent. Par contre, ils manquent la mèche qui s'consume au sol, et qui s'consume, et qui s'finit.

          Boum.


          L'entrée saute, s'explose en proj'tant des lapis d'gravas vers l'ciel et alentours. Pas d'chance pour les trois pauvres types, qu'sont pris dans l'souffle. Ils s'en sortiront pas. Maint'nant, à la place d'une bouche d'égout krapax planquax, un trou béant, visible par tous. J'jette un coup d’œil à Sam qui s'remet d'l'explosion d'avant. J'lui dis:

          P'tit chang'ment d'plan.


          Avant qu'il ai pu dire quoi qu'ce soit, j'calle ma patte sur sa bouche. Des bruits d'bottes claquent la terre molle, la bouillasse. Nombreuses, les bottes. C'sont tous les p'tits copains d'régiment qui viennent voir. En habitués, y savent facilement discernés l'boum d'un mortier d'celui d'une dynamite. Ils accourent, voient l'trou. Nous? On est toujours planqué, on s'fait tout petit. On entend juste. Un gradé beugle un truc genre:

          Troisième régiment, avec moi, inspection, vous quatre, vous restez devant, vous faites les guets. Quant à vous, inspectez les environs, permission de tirer.


          J'fais signe à Sam d'faire le tour du bâtiment, tranquille. Moi j'reste encore un peu. Un dernier truc à faire. Sam contourne, l'air maussade, et j'entends la troupe qui s'active. Pleins qui s'enfoncent, des qui r'gardent, d'autres qui cherchent. Parfait, j'allume la dernière mèche. Temps d'se barrer! J'me lève donc, prêt à cavaler mais...

          STOP !

          J'tourne la tronche. Deux gus en face d'moi, arme braquée. J'lève les mains, fait mon plus beau sourire. L'un des deux r'marque la mèche incandescente, qui passe entre ses pieds.

          Merde.


          Qu'il laisse échapper, avant d'se précipiter à sa suite! L'autre tourne la tête au mauvais moment. Un lourd choc lui crame la tête, d'puis derrière. C'est l'ami Sam. Merci mon bon, mais pas l'temps d'le dire! J'chope un gravas au sol, m'découvre. Je lance! La rocaille file droit s'écraser sur la nuque d'l'autre troufion, qui s'écrase, et laisse la mèche faire son ch'min. Les gardes à l'entrée du trou nous r'marque, mais trop tard, la première charge pète! Elle les souffle, en même temps qu'elle coupe la sortie au régiment. Quelques cris fusent depuis sous terre, suivi recta d'une seconde explosion, la dernière. Le régiment est enseveli et on a créé un brau bordel! Avec ça, m'étonnerait pas que les amis militairants s'mettent à courir partout comme des poulets sans tête! Héhé.

          Temps d'bouger! On épouse les ombres et on s'faufile vers le fond.


          Qu'je dis à Sam. Il suit, pas vraiment l'choix. Plus vraiment. Mais j'sens qu'dans l'fond, il est pas très jouasse d'avoir vu notre porte de sortie s'éclipser... La question est pas soulevé, tout autours, des tirs de mortiers résonnent. Pas loin, pas loin du tout. Faut croire qu'l'ennemi met les bouchées doubles... Alors on bouge, on s'faufile, en s'planquant dès qu'passent l'un ou l'autre soldat, seul, en groupe ou par pair. On a fait un bon quart de lieue quand on l'entend au loin. Le clairon, qui r'tentit. La clameur d'une charge.

          C'est pas bon tout ça.


          Non mais ça pourrait être pire...
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          Plus de clairon, plus d'obus, plus un son... Juste le bruit de nos respiration. C'était calme et ça devenait angoissant tellement c'était calme.

          Qu'est ce que j'étais ? Rien qu'un gamin, comme toi. Le seul truc qui me venait en tête, c'est que j'voulais rester en vie, j'savais que j'étais tombé dans un nid de guêpe.
          Jack et moi scrutions l'ombre en attendant le début de quelque chose, cachés derrière un tas de boue. J'ai tiré une lame de ma botte et je l'ai tendue à celui qu'était devenu mon binôme. Il m’a fait un signe de la tête, genre merci, et moi j'ai sorti la lame de mon père, celle que je sort jamais, sauf pour les grandes occasions.

          Il s'était pas passé plus d'une minute, mais j'avais l'impression que le temps s'était arrêté. Chaque putain de seconde semblait durer une éternité. Puis, d'un coup, je les ai vu, une troupe d'ombres qui s’avançait vers nous.
          Là, j'ai ressenti une décharge qui fait palpiter tout ton corps. Je tremblais, mais c'était pas le froid.
          On était sur leur chemin, caché par notre talus. Ils étaient déjà proche, on entendait le bruit des bottes dans la boue, ils étaient une bonne dizaine. Plus que quelques mètres et ils nous verraient, je le savais, Jack le savait.

          Tu te connais bien « Petit » ? Moi je pensais que je me connaissais bien avant ce soir, j'pensais savoir qui j'étais, de quoi j'étais capable ou pas. Mais en fait y'a que quand t'es face à la faucheuse que tu sais de quoi t'es fait, à quelle espèce t'appartiens. Face à elle, y'en à qui chialent, y'en a qui crient, y'en a qui fuient. Quand elle s'est pointé, la faucheuse, j'ai vu que Jack et moi, on étais de la même espèce, taillés dans la même buche, chacun dans nôtre style.

          Alors on s'est regardé et sans rien qu on se dise,on s'est compris.

          Comment ça s'est passé, j'me souviens plus bien, c'est juste allé très vite. L'effet de surprise, c'était nôtre arme, alors, comme des chats, on a bondi sur eux, au cœur des ombres, plusieurs étaient morts avant de comprendre.
          Quand on est au cœur de la mêlée, on ne pense pas, on se laisse juste aller à ses instincts. On taille, on frappe pour pas être frappé, on garde un coup d'avance sur « La Mort », et on fait gaffe à pas perdre cette avance parce qu'elle est rapide la mort, elle joue bien et elle joue vite.
          Je taillais, je coupais. Je sentais le sang chaud sur ma figure et j'continuais parce que ça bougeait encore autour de moi, je respirais fort, je criais aussi. Y'avait comme une sorte de balais morbide qui agite ces pauvres gars dans des gestes grotesques. J'crois que Jack s'en tire bien, j'l'ai cherché du regard, grosse erreur.

          J'ai pris le coup en pleine cuisse, la baïonnette venait de la transpercer de part en part, j'ai cru que la douleur m'avait déchiré l’âme. J'ai sauté sur le type qu'avait réarmé son coup et j'l'ai jeté au sol.
          Ma lame était à un doigt de sa gorge, en suspension, bloquée par ses mains. J'y ai mis toute ma force, et j'ai eu tout le temps de voir son visage. Encore un gamin, vingt ans au mieux. Dans le reflet de ses yeux, j'pouvais lire la terreur, ses bras devenaient moins forts et ma lame gagnait du terrain. Le gamin hurlait, pauvre gosse. J'avais pas le chois. J'ai vu ma lame pénétrer dans sa gorge, centimètre par centimètre, il lutait encore alors que presque la moitié de mon couteau était entré. Puis doucement, ses forces l'ont abandonné et le gosse à lâché mes mains. La lame à fini son chemin jusqu'à la garde...

          J’oubliai jamais ce gamin à la gueule pleine de boue et aux yeux aussi bleus que l'azur d'All Blue , il savait probablement pas pourquoi il était mort, j'en savais rien non plus. Peut être que j'me posais trop de questions, où peut être que c'était comme ça. Combien étaient morts ici sans savoir pourquoi, combien s'étaient fait viander comme lui ? Aucune idée. C'est ça la guerre « Gamin », y'avait pas de raison, yen à jamais.

          Il a fallu que je reprenne vite mes esprits, Jack avait l'air d'aller bien. Moi, ma cuisse me faisait mal, mais c'était supportable. C'était un bataillon de reconnaissance, ça voulait dire que c'était le début.
          Ces putains de nuages semblaient vouloir s’éclipser un peu, la lune pointait maintenant le bout de son nez, nous donnant un peu de visibilité. Alors des coups de feux éclatèrent, à droite comme à gauche, on était sous un feu croisé. Fallait qu'on dégage.

          -R'garde mon bon !

          Jack m'indiquait une petite échelle de métal elle montait contre le bâtiment. C'était notre chance...


          Dernière édition par Sam Sylvius le Ven 30 Nov 2012 - 21:35, édité 1 fois

            Alors on la monte, l'échelle! Au milieu des pétarades. Des tirs et des mortiers. Quatre à quatre on la monte. Et autours, ça commence à sonner. Les combats. D'abords des coups d'feu, suivis des clameurs d'une bonne finition à la lame, la baïonnette. Nous, sur not'toit, on s'est foutu à plat ventre, les pattes sur la nuque, pour "protéger". Ça protège ouais... de la terre. J'mire la jambe du Sam, puis sa drôle de gueule. Le type est solide, j'crois pas qu'ce soit son pissage de rouge qui l'effraie. Non, j'dirais plutôt qu'ça a avoir avec le gosse qu'il a dû trucider. Dur dur la guerre. Surtout si t'es d'aucun camp.

            D'un geste, j'indique à Sam qu'on s'cassosserait bien. L'est d'accord. Alors cassos! On rampe jusqu'à l'extrémité des tuiles, pour arriver au bout. Mais un craqu'ment s'fait entendre, et plus vite qu'faut pour l'écrire, l'toit cède! On s'écrase à grand fracas un étage en d'sous, dans un nuage d'poussière et d'décombres. L'temps d'revenir à moi, et j'mire les alentours. Dans c'te case, y a pas grand chose. Juste des casiers. Sam, qu'est probablement plus malin qu'moi pour c'genre de trucs, commence à frénétiqu'ment les ouvrir, quitte à les forcer. En dehors des murs, on ouïe les bruits d'bouch'rie qui s'rapprochent. C'est là qu'Sam trouve un truc! Y montre: dans un des casiers, plusieurs uniformes. Ouais, dans l'genre, ça peut l'faire. On les enfile.

            Dehors ça s'calme, pas pour longtemps, et nous on sort. J'vois les cadavres. On fait tous les deux une drôle de tronche. C'est pas une façon d'crever... la moitié des gars sont à moitié mutilés, l'autre, juste mort de ... pleins de trucs à la con. Comme des shrapnels ou juste... 'fin rien quoi. Mais pas l'temps d's'apitoyer. Je chope un sabre régulier qu'j'balance à Sam, j'confisque pour moi un caraballe qu'un mort m'donne sans faire d'histoire. Maint'nant, où qu'on va? On d'vait voler leurs provisions, alors volons. On r'tourne vers le fond du camp, pour y aller. Quand ça siffle, on s'planque, quand des types courent dans l'aut'sens, on salue. Et eux nous r'gardent bizarre, sans rien dire. Avec la pluie et les cratères qui s'forment tout autours, faut pas longtemps pour qu'on soit dégueulasses, couvert de boue et d'autres merdes. Et toujours les types qui passent nous mirent bizarre...

            Alors qu'on touche presque au but (vraiment?), des coups d'feux retentissent. Et des voix. J'pige pas, les combats sont sensés être derrière nous. Les tirs viennent de d'vant. La fumée nous coupent la vision. On est prudent. Et là, on voit! D'autres gus, habillés comme nous, qui partent dans le même sens... et PAF! Ils s'écroulent! D'vant eux, des généraux, flingues levés et encore fumant, qui abattent ceux qui r'viennent. Qui crèvent c'qu'ils clament bien haut être des déserteurs. Mais merde... même moi, la mort commence à m'dégouter ici! Comme si y en avait pas assez. J'mire Sam, y m'mire en retour. Les généraux tournent la gueule, nous mirent aussi. J'en vois un amorcer son geste, lever son arme vers moi. Les autres vont faire de même. A notre droite, cinq pauvres hères qui fuient comme nous, dans l'même sens, comprennent qui vont être crevé. Y en a marre. J'lève mon fusil, et tire vers l'gradé! Je le manque mais tire à nouveau. Y s'écroule, pan dans l'poitraille. Prends ça sale con.

            C'EST UNE RÉBELLION !!


            Crient les aut'guignols à médailles! Mais déjà, d'nouveaux tirs résonnent, et pas d'leur coté! Faut croire qu'j'ai inspiré des gens, parce qu'les types qui tentaient d'fuir viennent d'imiter mon geste! Et d'autres s'y mettent! Les gradés commencent à tomber comme des mouches, d'autant plus qu'les tirs d'mortiers commencent à péter à not'hauteur! Héhéhé ! Vous l'sentez c'doux parfum d'insoumission! Ce chaos qui r'prend ses droits, niveau humain! Bientôt nos rangs s'sont gonflés, ceux des déserteurs belliqueux, et les leurs tombent. Y s'attendaient pas à ça faut croire. Les gars autours commencent à beugler, sont d'plus en plus nombreux à suivre, à fuir le front! J'mire Sam, il est chaud, on mène la charge, suivi des autres! D'aut'gradés apparaissent, d'aut'gradés tombent! Puis en vient certains avec des garnisons encore fidèles! Alors on tue! Sam malgré sa jambe pourfend pas mal. Moi j'ai plus d'balles. Mais la crosse d'mon fusil est amplement suffisante pour faire sauter des crânes! C'est la débandade! Partout! Plus rien a d'sens! Et devant, là, entre les fumées et les morceaux d'membres, apparait une tente militaire vach'ment plus masta qu'les autres ...
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            Tu sait p'tit, j'dois t'avouer un truc, j crois que ce jour là, j'ai un peu perdu les pédales, cette histoire, elle m'a marqué au fer rouge, j'en suis revenu changé à jamais. A cette époque, je songeais à entrer dans la marine, j'pensais que l'armée, c'était classe, j'ai jamais fait cette connerie, j'savais pourquoi.
            Ce que ça m'a appris tout ça, c'est que plus jamais je me battrai pour un autre que moi. L'armée c'est parfait quand on ne veut pas savoir pourquoi, comment, pour qui on se bat.
            T'inquiète, mon histoire est bientôt finie p'tit gars. La fin à rien exceptionnelle, c'est juste une fin, et ça s'est passé comme ça:

            Jack, il semblait pas spécialement aimer les tueries, mais faut dire qu'il était sacrément doué pour ça. En fait, tu le sais pas encore, mais on est tous doué pour ça, faut juste que les évènements s'y prête. C'était comme une sorte d'hystérie un moment hors du temps, un truc primal, animal même. C'est ça qu'on doit appeler le chaos.
            Couteaux, baïonnettes, caillasses, j'sais plus ce que j'ai utilisé pour survivre, un peu de tout ça sûrement. J'en suis pas sorti indemne, j'ai été blessé plusieurs fois, Jack aussi, mais j'pense que comme moi, il sentait plus la morsure des lames, y'avait plus qu'un truc, tuer pour pas être tué, et comm tu vois, je suis là, devant toi.

            Autour de nous on à commencé à entendre des clameurs, des encouragements, alors mon pote le gorille et moi, on s'est retourné et on a compris qu'il se passait un truc étrange, on était plus seuls.
            D'abord une poignée, puis presque une vingtaine de gamins en uniformes nous prêtaient main forte, ils avaient déchiré leurs blasons, viré leurs écussons et nous épaulaient dans la mêlée. Un des môme nous à fait signe, un signe qui disait : Filez, on vous couvre. Certains des réguliers nous rejoignaient, les autres mourraient, et nous on avançait.

            Plantés devant la tente, on a repris nôtre souffle un court moment, Jack m'a regardé et il m'a dit :

            -Ni dieu ni maître Sam.

            J'ai fait oui de la tête, on est rentré.

            Pas le temps de réfléchir, j'ai taillé de la chaire. Jack frappait si fort que j'entendais craquer des os sur fond de cris de panique, les médailles des gradés ne les protégeaient plus. Les cartes du poste de commandement baignaient dans le carmin, nous aussi. La chaleur du sang sur ma figure contrastait avec le froid mordant de la nuit, comme une brûlure. Mes mains ne tremblaient plus, elles m'obéissaient parfaitement, j'étais comme une mécanique bien huilée, une machine. Puis le calme est revenu, d'un coup, enfin ici, parce que dehors, ça canardait toujours.
            Mon corps commençait a donner des signes de faiblesse, mes jambes me portaient moins bien, j'ai eu un vertige. Jack m'a attrapé avant que je tombe au sol. Il m'a soutenu comme un frère d'arme, un frère d'un soir.

            Au fond de la tente, y'avait une bâche tendue, clopin clopant, on à continué à aller de l'avant. Avec le canon de son fusil vide, Jack à fait glisser la toile le long du câble qui la tenait suspendue.
            Y'avait ce type, assis seul à son bureau, un vieux militaire, plein de médailles, plein de galons, il était pâle comme l'aurore.
            Il nous à regardé, puis il à regardé son bureau. Dessus, des cartes deux machettes en acier de Damas, et un tonnelet de Rhum. Le type nous pointait avec son pistolet. Le genre de pistolet qui contient qu'une balle. Deux gars, une balle.
            Spoiler:

            -Alors vous êtes de la Cinquième Colonne c'est ça ?

            Fallait bien que ça arrive...
            Toute ma vie, j'ai fais la guerre. Je ne sais faire que ça, c'est ma vie.
            Cette guerre là, je la fait vivre depuis des lustres, c'est... C'est mon bébé... J'ai tout sacrifié pour elle, ma famille, mes hommes, mais, faut croire que y'a que les diamants qui sont éternels. Vous vous demandez peut être pourquoi ?
            J'ai pas de réponse, en fait je sais même plus pourquoi elle a commencé c'te guerre, et même si j'm'en souvenais, je préférerai oublie. Je sais juste que c'était ma plus belle guerre.
            Ces machettes ont été faites pour moi, pour mes guerres. Je les aime plus que tout, elles ont beaucoup tué. J'pense qu'elle méritent d'avoir une vie après moi...Non ?


            Le type a mis le canon de l'arme dans sa bouche...

            Bam !

            J'en ai eu la respiration coupée, nôtre général venait de se faire sauter le caisson, vaporisant ce que contenait sa tête sur la toile de tente derrière lui...
            Quand j'ai repris une goulée d'air, j'ai cru que c'était la première fois que je respirais, l'air était si frais...


            Scuse moi p'tit gars... Je...j'ai besoin de prendre l'air.

              Ça aurait pu calmer tout l'monde. J'ai cru un moment qu'ce s'rait l'cas. Héhé. Mais l'monde c'est une rosse, j'avais failli oublié. Alors oui. Y a eu quoi. Une d'mi journée? P't'être moins. Beaucoup, autours, s'sont assis. On a lâché les armes. Perso j'ai fumé ma dernière tige de kasha. J'l'ai cramé jusqu'à c'qu'y reste deux lattes, j'ai fait tourné à Sam. Les autres restaient silencieux. On entendait. Là-bas, en première ligne, le combat continuait. Moins fort, mais quand même. C'tait bizarre. C'boucan des gus qui s’étripent au loin, ça nous rappelait qu'rien était fini. Un camp avait probablement perdu, mais en y r'pensant... Non on en savait rien. Y aurait p't'être un autre type, pour remplacer l'vieux mec qui s'était fait pêter la caboche. C'vieux mec. J'ai soufflé les derniers résidus d'fumée Délice qu'restaient dans mes poumons, en m'disant qui racontait vraiment d'la merde, c'vieux mec. J'avais pas compris un mot...

              En levant la tête, j'ai été vu l'vieux hangar, not'cible depuis l'départ, un peu plus loin. Entouré d'barbelés, y siégeait là pépère. J'ai fait un signe à Sam, et on est allé voir. Deux ou trois gars nous on suivi, pour s'dégourdire les jambes surement. On a sauté, ou rampé, les barbelés, forcé la serrure, et les portes ce sont ouvertes. Et là, rien. C'truc contenait absolument plus rien, que des caisses déjà vide. J'me suis marré. Ouais, vraiment, le monde est une rosse. Mais une drôle. Le temps a passé, un peu, on s'est dit qu'l'était temps de cassos. Enfin, "on", eux. Perso, j'avais cassos depuis quelques minutes avant. J'aime pas trop m'attarder, ni les fins d'trucs. Faut dire des choses et tout, moi j'avais juste envie d'plus voir un être humain pour les prochains jours. Même si y en a des bien, genre Sam ou les frérots Rob et Job. J'ai juste pris une machette en partant, 'stoire qu'ça serve. Et m'voila qui joue la fille de l'air.

              Plus tard, j'ai entendu qu'ça s'est encore pas mal bastonner là-bas, pendant quelques semaines, mais qu'pour finir, les types ont perdus. C'sont fait rosser par des gars qui sont sorti d'nulle part, de sous terre. Héhé. Les mecs d'en haut s'battaient d'puis tant d'temps, étaient tellement crevés, qui s'sont fait dessouder en un jour! C'est con. Mais moi, j'étais plus là pour voir ça. En m'barrant vers la cote, j'ai pointé tout droit, 'stoire de pas m'faire chier. Puis c'était pas comme si y restait des routes! Faut croire qu'c'était la meilleure de toute mes idées, parce qu'j'suis tombé en forêt, en pleins milieu des arbre à kasha! J'y ai trappé comme un poilu, tout en m'faisant une cure. J'suis resté là j'sais plus trop combien d'temps. Non, j'ai oublié.
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              Héhé, j’ai bu trop de rhum, j’crois…
              Voilà, pas grand-chose de plus à raconter. Y’a des fois, les choses vous échappent. On cherchait du rhum, on à trouvé la bataille. On a voulu fuir, on s’est retrouvé partisans, et à la fin de tout ça, qu’est qu’il reste ?
              Pas grand-chose ; des corps sans vie, de la boue et une machette.

              Faut croire que finalement on avait été inspirés d’aller prendre l’air avec Jack. Après tout ça, on est resté quelque jours, Jack m’a dit à tantôt, je l’ai jamais revu.
              Quand j’suis revenu sous la terre, seul, Rob et Job m’ont planqué, parce que y’avait eut un gros différent entre l’équipage du « Wendigo » et le boss de la cité. Tout l’équipage s’était fait égorger et la caravelle avait été « réquisitionnée ».

              Avec les deux frangins, on à pris la tangente de nuit, on est passé par le front Est. On à armé une chaloupe, pris quelques fusils et on a filé. J’ai besogné sur une ile voisine un certain temps avant d’apprendre que les « rats » avaient finalement pris le contrôle de l’ile.
              C’est à se demander qui tirait vraiment les ficelles de tout ce micmac.

              Chasseur de primes, ça me va bien comme job, j’ai ni dieu, ni maitre. Je roule pour moi et moi seul et j’ai pas envie que ça change. Militaire, c’est vraiment un boulot à la con, ça m’aura au moins appris ça.

              Alors voila, « gamin », ce que j’connais de la vie, de la mort et de ce qui va autour. Confidence pour confidence, bien heureux sont les ignorants. Ça s’est passé y’a six ans, c’est comme si c’était hier. Souvent j’en rêve, parfois j’y pense.
              Ce qui me travaille le plus, c’est pas les mort ni la violence, c’est que si on se pose un instant la question qu’aucun militaire n’est autorisé à se poser, si on se demande « pourquoi » ? Bin c’est juste navrant de constater qu’il y a pas de réponse.
              Pour être franc, j’aimerai bien oublier tout ça.

              Jack ? Comme j’te disais, j’lai plus jamais revu, mais bon, j’arrive quand même à avoir de ses nouvelles de temps en temps, on se recroisera bien un jour ou l'autre...

              La douce odeur des bombes Jackca10