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Acte I - Regrets amers

Les sentiers se font de plus en plus escarpés. Chaque pas entre les rochers et les sables mouvants est devenu un calvaire pour ma monture, que l’eau ne suffit plus à soulager. Sa souffrance est partagée, de mon côté ce sont les blessures, la fatigue et les rayons de soleil qui me mettent à mal. Ma peau brûle, s’écaille, se teinte de rouge, et ce malgré le foulard qui me couvre de la tête aux pieds. Mon sac me paraît se remplir au fil des kilomètres, tout comme mon sabre, qui semble s’alourdir de lui-même. Ma respiration sifflante peut s’entendre à des lieues d’ici et les vertiges qui m’assaillent manquent de me faire glisser de ma selle. En guise d’espoir ou de promesse de repos à venir, j’adresse une caresse rassurante à mon dromadaire, surnommé Jingo par mes soins. Ce voyage a été beaucoup trop long, pour lui comme pour moi. La route vers Al-Médie était, dans mes souvenirs, bien moins rude que cela. Ou alors, c’est moi qui ne suis tout simplement plus habitué à faire face aux climats arides.

D’un geste lent et presque maladroit, je descends de Jingo et décide de finir la route à pied à ses côtés. Ne plus m’avoir sur le dos semble le réjouir et moi, ne plus être balloté de gauche à droite au rythme des sabots soulage mon ventre et ma tête. Au loin, cachée en partie par une haute dune, j’aperçois le sommet d’une gigantesque arche. A la vue de celle-ci, je lâche un long soupir.

« T’as vu ça Jingo ? On est presque arrivés. »

Je n’ai nul eu besoin de la voir en entier pour la reconnaître. Providence, l’arche démesurée qui surplombe la petite ville modeste d’Al-Médie. Un joyau archéologique à la fois mystérieux et fascinant. En l’admirant, un sentiment mêlé de nostalgie et de regret me traverse. Elle est aussi majestueuse que dans mes souvenirs. Bon sang…Cela fait tant d’années que j’ai quitté mon foyer. Tellement de choses ont changé depuis, peut-être trop de choses. Je me souviens du jour où j’ai atterri ici, un gamin en haillons, assoiffé mais plein de rêves. Que s’est-il passé depuis ce temps ? Depuis les livres de la bibliothèque publique, depuis la main tendue de son directeur, Klaus Mayhem ? J’ai l’impression que mes souvenirs se trompent, que cette vie n’a pas été la mienne, ou qu’elle m’a été arrachée trop tôt. Cette quête de vengeance que je poursuis…m’apportera-t-elle la paix ?

Tenant Jingo par la bride, nous franchissons la dune qui cache le reste de Providence. Au sommet de la montagne de sable, un sublime spectacle s’offre à moi. L’arche somptueuse se dresse de toute son envergure, aussi belle qu’envoûtante. A ses pieds, Al-Médie, qui semble plus vivante que jamais. De loin, je reconnais ses habitations enchâssées les unes sur les autres, sa grande bibliothèque où j’ai passé des journées entières à tuer le temps et son marché, où je m’amusais à embêter ma mère pendant son travail. Un sentiment de tristesse m’envahit, que je m’empresse de réprimer aussitôt. Je poursuis ma route en dévalant la dune avec Jingo, puis nous pénétrons dans la ville. Croiser des âmes humaines me réchauffe le cœur et revoir les rues qui m’ont vues grandir apaise mes maux en me faisant oublier mes blessures l’espace d’un instant. Aucun mot n’est en mesure d’exprimer ce que je ressens à ce moment. Tout semble à sa place, comme si le temps et les évènements n’ont pas frappé ici. Al-Médie est une ville pratiquement coupée du reste d’Hinu Town et du reste du monde. Un petit havre de paix où scientifiques et archéologues peuvent s’adonner à leurs recherches sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre. La plupart des étrangers qui viennent à Al-Médie ne sont que des voyageurs qui ne sont là que pour une nuit ou des chercheurs de renom qui viennent pour admirer et étudier Providence.

A mon passage dans les rues de la ville, je reçois des salutations et quelques regards méfiants, ce qui est compréhensible au vu de l’arme qui pend à ma ceinture et des bandages tâchés de sang qui parsèment mon corps en long et en large. Certains visages ne me sont pas inconnus, ils ont simplement quelques rides en plus. Il en est un sur lequel je m’arrête un moment, intrigué. Une femme aux cheveux poivre et sel, des traits fins mais usés par le temps et une paire de lunettes rondes plantées sur le nez, qu’elle replace machinalement du bout de l’index. Dans ses mains frêles, elle tient une pile de grands livres qu’elle appuie maladroitement contre sa poitrine pour les empêcher de glisser. Un sourire se dessine sur mon visage et je m’approche d’elle, toujours en tenant Jingo par la bride.

« Bonjour tante May. Qu’est-ce que je suis content de te revoir, ça fait si longtemps…
- Euh bonjour, balbutie-t-elle après avoir sursauté. Pardonnez-moi, je ne suis pas sû-
- Il s’est passé tellement de choses durant toutes ces années, cette fois c’est moi qui ai plein d’histoires à te raconter. Tu sais si la maison est toujours en état ? J’aimerais y séjourner quelques temps avant de reprendre ma route.
- Mais, je…
- Et puis j’aimerais bien faire un tour au marché après. J’espère que monsieur Tafa y vend toujours ses beignets, rien que d’y penser j’en ai l’eau à la bouche. ».

Décontenancée, tante May affiche une mine indéchiffrable, tantôt apeurée, tantôt intriguée. Soudain, sa bouche s’ouvre en grand, ses yeux s’écarquillent et s’illuminent, son visage se met à trembler et elle reste coi face à moi.

« C’est moi tante May. C’est Edward…
- N…N…Ned ! »

La pile de livres tombe de ses mains, ses joues se couvrent de larmes et elle bondit sur moi. Malgré sa petite stature, ses bras m’enlacent entièrement, son visage se blottit contre ma poitrine et je sens mes bandages éponger ses chaudes larmes. Mes bras s’enroulent autour d’elle et un rire heureux s’échappe de mes lèvres.

« M-mon garçon, bon sang ! C’est bien toi, tu es sûr ? J-je pensais que…depuis ce jour-là…
- C’est bien moi May, c’est bien moi… » répliqué-je, non sans cacher un certaine amertume dans ma voix.

Notre étreinte se relâche et May sèche brièvement ses larmes avec sa manche avant de replacer ses lunettes. Je m’abaisse et récupère les livres au sol en les époussetant du sable qui les recouvre. En dépoussiérant un des bouquins, un titre se dévoile sur la couverture : « Traité d’Archéologie et d’Histoire des sables : Le génie perdu de Denderah, par Klaus Mayhem ».

« Papa aimait un peu trop les titres aguicheurs.
- Disons qu’il n’avait pas trop le choix. La communauté scientifique a toujours approuvé ses recherches, mais il essayait de faire connaître ses travaux au grand public.
- Je sais, je le revois encore prendre ses airs grandiloquents, le doigt levé, à me dire : « Mon fils, le savoir doit être partagé ! La vérité est faite pour bronzer au soleil !
- Je le reconnais bien là… Dis-moi Ned, ce sang, ces bandages, ce sabre…qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?
- Je te raconterai tout, je te le promets. La maison, elle est encore... ?
- Intacte ? Oui elle est toujours là. Pendant plusieurs mois, après la mort de ton père et vos disparitions, des hommes en noir rôdaient un peu partout à Al-Médie, ils ont ratissé toute la maison et même une partie de la ville à la recherche d’on ne sait quoi. Par « ordre du gouvernement » qu’ils disaient…On a tout de suite compris qu’ils faisaient partie du Cipher Pol. Mais leurs recherches ont semblé infructueuses et au vu de leur déception, je pense qu’ils n’ont tout simplement pas trouvé ce qu’ils cherchaient. Depuis cette histoire, personne d’autre n’est entré dans la maison, pas même les quelques voyageurs qui ont pensé y trouver un logement gratuit. On les a dissuadés d’y séjourner en leur faisant croire que la maison était hantée. Il faut dire qu’ici, tout le monde appréciait votre famille, et malgré le flou qui entoure la mort de ton père et les disparitions de ta mère et toi, personne à Al-Médie n’a tourné le dos aux Mayhem. Enfin…Allons-y, je t’accompagne. »


Dernière édition par Ned Mayhem le Mer 18 Mai 2022 - 2:06, édité 1 fois
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La porte en bois délabrée s’ouvre dans un craquement et nous pénétrons à l’intérieur de la maison, tante May et moi. Vide et inhabité depuis plusieurs années, une chaleur émane tout de même de l’endroit. Une chaleur que je connais bien, accompagnée d’un léger parfum qui flotte encore dans l’air, sans doute provenant des épices que ma mère entreposait ici et là dans la cuisine. Malgré le sentiment de nostalgie qui me traverse et la joie que je ressens de retrouver mon chez moi, j’éprouve tout de même un pincement au cœur en voyant les meubles retournés, les placards ouverts et pratiquement vidés de leur contenu, la décoration sans dessus dessous et la poussière accumulée un peu partout. Je comprends que tante May partage mes sentiments lorsqu’elle pose sa tête contre mon bras, avec une affection proche de l’empathie. J’avance dans le grand salon, esquivant au passage la vaisselle brisée qui jonche le sol. Mes yeux s’arrêtent un moment devant la bibliothèque de mon père, qui trône contre un mur. Les livres poussiéreux semblent avoir été inspectés, certaines pages sont arrachées et certains bouquins manquent même à l’appel. J’ai le souvenir d’une bibliothèque débordante de savoir, des centaines de milliers de pages sur toutes sortes de sujets différents. Ces livres, mon père y tenait comme à la prunelle de ses yeux.

Le sentiment de nostalgie s’amplifie quand je franchis le seuil de de ma chambre. Tout est là, dans le désordre le plus total, mais tout est là. Les jouets de mon enfance, mes manuels d’archéologie, mes stylos, mes katanas en bois. La pièce me semble plus petite, dans mes souvenirs, l’endroit paraissait tellement vaste. C’était mon univers, un lieu sans fin, sans limites. Là où j’ai laissé libre cours à mon imagination, où j’ai étudié sans relâche dans l’espoir de devenir un grand archéologue et où j’ai médité des heures entières sous les instructions de ma mère, afin de devenir un fier samouraï. Tout est marqué dans ma mémoire, imprimé au plus profond de mon esprit. Je me souviendrai toujours de cet endroit et de ce qu’il m’a permis de devenir.

Je retourne dans le salon, le pas léger. Tante May s’est assise dans le fauteuil de mon père, sirotant un thé froid qu’elle vient sans doute de faire infuser. Je retire le sabre à ma ceinture, sous l’œil perplexe de May, le dépose contre un mur et m’assois dans le canapé.

« Alors, mon grand, que t’est-il arrivé ? Raconte-moi, je t’en prie. »

Assis en face d’elle, je décide de tout lui révéler. D’abord, que mon père et ma mère faisaient partie de l’armée révolutionnaire. Que Klaus, mon père, travaillait en secret pour trouver le ponéglyphe d’Hinu Town et qu’il maîtrisait cette écriture mystérieuse. Que c’est pour cette raison que nous avons du fuir, parce que le Cipher Pol a fini par nous localiser et n’était plus très loin de mettre la main sur mes parents. Durant notre fuite, mon père a demandé la protection de l’Ordre du temple des sables le temps que l’armée révolutionnaire vienne nous aider à quitter le pays. Mais le gourou de cette secte, Abu Mussa, a trahi et exécuté mon père sous les ordres du Cipher Pol.

Tante May ne peut retenir ces larmes lorsqu’elle m’entend prononcer ces mots. Elle se met à sangloter en pensant à son frère, imaginer celui-ci se faire sauvagement tuer lui glace le sang. Je lui raconte ensuite que ma mère a été vendue en tant qu’esclave, déportée je ne sais où et que dans la foulée, j’ai subi le même sort. Le malheur s’est abattu sur moi pendant longtemps, mais ma rencontre avec Jayce, mon ami, m’a donné un second souffle et j’ai retrouvé ma liberté en m’évadant à ses côtés. Je lui explique que, finalement, j’ai pris la mer en arborant le drapeau noir et je lui conte certaines de mes aventures rocambolesques à travers les mers. Nous rions, pleurons et le temps semble s’arrêter autour de nous.

« Eh bien mon grand, tu as vécu de sacrés aventures ! Un pirate alors…je pense que ça n’aurait pas déplu à tes parents. Mais si tu es ici à Hinu Town, je suppose que ce n’est pas simplement pour revoir ta maison et ta chère tante, n’est-ce pas ? Ce sang, ces bandages… tu ne m’as toujours pas expliqué. Mais je pense que tu n’as besoin de le faire, je me fais vieille mais j’ai encore tout ma tête. Et aussi…je pense que je préfère garder un souvenir du petit garçon innocent que tu étais.
- Tante May, je n’ai pas le choix, ils doivent payer pour ce qu’ils nous ont fait subir. Et je dois la retrouver. Je dois retrouver ma mère. Eux seuls peuvent me dire où ils l’ont envoyée.
- On a toujours le choix. Cette vengeance, que t’apportera-t-elle ? Elle n’effacera jamais ce que tu as traversé. Je n’ose imaginer à quel point c’est difficile, mais tu dois vivre avec.
- J’ai bien conscience d’être marqué à vie…Mais je viens pour rendre justice, je ne cherche pas à trouver un moyen de m’apaiser.
- Mon garçon…en es-tu certain ?
- …
- Enfin, de toute façon, qui suis-je pour dire à un pirate ce qu’il doit faire ? Je sais que ça ne t’arrêtera pas ! Mais prends garde à toi Ned, ne sois pas aveuglé par la rancœur. Quoi qu’il se passe, j’ai confiance en toi, je sais que ta raison te guidera quand il le faudra. »

Sur ces mots, tante May se lève et se dirige vers l’évier pour y déposer sa tasse de thé. Tandis que moi, je reste collé au canapé, le regard fixé dans le vide. Ses paroles ne cessent de tourner dans ma tête.

« Quelle est la suite pour toi ? Tu comptes repartir bientôt ?
- Dès que je me serai remis de mes blessures.
- Je vois. Je t’apporterai de quoi te soigner et de quoi manger, n’hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit d’autre.
- Merci tante May.
- Je dois te laisser, repose-toi bien. A plus tard mon grand. »

La porte se referme dans un craquement. Me voilà seul chez moi. Un silence pesant règne dans la pièce, que je décide de briser immédiatement en me levant, avant que je ne commence à broyer du noir. Je me déleste de ma tunique qui, ici, me tient beaucoup trop chaud et je fais le point sur mes blessures et mes pansements. La douleur est toujours présente, un peu partout, mais devient plus irrégulière, signe que je suis en bonne voie de guérison. En grinçant des dents, je retire les bandages gorgés de sang qui m’entourent un peu partout. Je rince mes plaies à l’aide de ma gourde et me dirige ensuite vers ma chambre. Dans mon sac de voyage, j’attrape de nouvelles bandes que je peine ensuite à enrouler autour de moi. Exténué par le voyage, les blessures et le torrent d’émotions qui me traverse depuis mon arrivée à Al-Médie, je m’allonge sur mon lit et tombe dans un profond sommeil.
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Je sens les mains rassurantes de ma mère autour de mes épaules. Les mots de mon père tonnent…encore et encore.
« Trouve un sens et tout finira par s’éclairer. »
Puis, une balle siffle et transperce toute ma vie.


Je me réveille en sursaut. La douleur s’est intensifiée et je me retiens de crier. Ma chambre est plongée dans le noir, seule une faible lueur traverse la fenêtre et éclaire mon lit. Je jette un coup d’œil au travers de celle-ci et constate que la lune est suspendue dans le ciel. Je ne sais pas combien d’heures j’ai dormi, mais apparemment, beaucoup trop. La chaleur dans mon lit est étouffante et je sue à grosses gouttes. Je me lève et retourne dans le salon pour changer d’air. Je m’écrase dans le canapé et vide ma gourde d’eau d’une seule traite. Ne souhaitant pas me replonger dans mes rêves, j’allume une bougie et me dirige vers la bibliothèque pour trouver de quoi m’occuper. Mais tandis que mes yeux défilent devant les livres, mon esprit est ailleurs. « Trouve un sens et tout finira par s’éclairer ». Cette phrase ne cesse de se répéter dans ma tête et je n’arrive pas à la chasser de mes pensées. Mon père me l’a répétée deux fois, d’abord le jour où nous avons quitté la maison, puis quelques instants avant sa mort, lorsqu’il m’a adressé un dernier regard. « Trouve un sens et tout finira par s’éclairer ». Bon sang. Je ne comprends pas. Qu’entendait-il par-là ? Le fait qu’il ait prononcé cette phrase à ces moments précis m’empêche de penser qu’il ne s’agit que de simples paroles parmi d’autres. Alors que je réfléchis tout en parcourant les ouvrages, mon regard bute sur quelque chose. Le mur auquel la bibliothèque est fixée est fait de pierres se chevauchant parfaitement les unes aux autres. Toutefois, au niveau d’une des dernières étagères, dans le mur, un infime espace sépare deux pierres.

C’est étrange. Bien que cela semble insignifiant, connaissant mon père et l’importance qu’il accordait à sa bibliothèque, il aurait sans aucun doute corrigé cette imperfection en comblant ce léger espace.

« Trouve un sens et tout finira par s’éclairer ».

La phrase frappe de nouveau dans mon esprit, cette fois-ci avec bien plus de force. Peut-être que ces paroles n’ont pas simplement une portée philosophique. Peut-être que…

Un sens…un sens…

Mes yeux roulent et parcourent la bibliothèque de long en large, scrutant chaque tranche de couverture, inspectant chaque titre, chaque nom d’auteur. Alors que je commence à penser que mon imagination va trop loin, mon doigt s’arrête au coin d’une étagère. Caché entre deux épais manuels d’archéologie se trouve un livre que je n’ai jamais vu auparavant. Un petit bouquin extrêmement fin, aux couvertures blanches. Je le prends en main et découvre son titre, écrit en rouge.

« Le sens de nos vies, par Braun Mayhem »

Troublé, mes mains se mettent à trembler. Braun Mayhem, je connais ce nom, c’est mon grand-père. Je ne l’ai jamais connu, mais mon père parlait souvent de lui. Il disait que c’était un philosophe et un historien de renom, et que c’était lui qui lui avait transmis son goût pour l’histoire et la recherche.
Je m’approche de la fente pour en avoir le cœur net. Mon pouls s’accélère au rythme de mes gestes. Je place le livre à l’horizontale, tranche vers le mur, et je l’insère dans l’espace entre les pierres, réalisant au passage que la taille de la fente correspond parfaitement à la taille du livre.

Clic.

Un grincement sourd se fait entendre et la bibliothèque se met à se déplacer d’elle-même, accompagnée du mur derrière elle et d’une chute de poussière. Face à moi, je découvre une entrée sombre et un escalier qui mène à un sous-sol. Stupéfait, je cours rapidement jusqu’à ma chambre, m’équipe d’une lanterne qui traînait dans un placard et retourne devant cette mystérieuse entrée. Le cœur battant la chamade, je m’engage dans l’escalier. Au bout de quelques marches, dans l’obscurité, une porte en acier apparaît devant moi. J’abaisse la poignée et l’ouvre péniblement. La pièce est étriquée et aussi sombre que l’escalier, mais ma lanterne m’offre une certaine visibilité. Je découvre avec étonnement des tonnes de papiers, de livres, de journaux, de cartes, entassés un peu partout, au sol, sur des étagères et dans des bibliothèques de différentes tailles. Un bureau trône au milieu de la pièce et prend la moitié de l’espace à lui tout seul. Je m’approche de celui-ci en esquivant avec précaution les papiers qui traînent. Plusieurs documents, qui semblent être des travaux de recherche, sont disposés sur le bureau. A côté d’eux, sont éparpillés d’innombrables stylos, règles, équerres et autres instruments de mesure. J’attrape une chaise non loin de moi et je m’installe au bureau, en y déposant ma lanterne pour m’éclairer. Je parcours chaque document et retourne les pages dans tous les sens pour en comprendre le contenu. Des centaines d’étranges symboles sont inscrits sur les papiers, des symboles que je n’ai jamais vu de ma vie, pas même dans les plus grandes bibliothèques des blues. Je remarque que plusieurs de ces mystérieuses inscriptions se répètent et que d’autres ont des formes similaires, me laissant penser qu’il s’agit sans doute d’un langage. Il ne m’en faut pas plus pour comprendre ce que sont ces étranges signes.

« Alors c’est ici que tu as travaillé en secret, Papa ? Ton message, c’était en fait une clé… »

Il voulait qu’un jour je découvre cette pièce, ce bureau, ces documents. Il m’a légué le travail de sa vie. Alors, c’est ça, les ponéglyphes, ces symboles énigmatiques teintés d’histoire, que le Gouvernement Mondial craint tant ? C’est en cherchant à les comprendre et à trouver un ponéglyphe sur Hinu Town, que mon père s’est attiré les foudres des autorités. C’est à cause des recherches de mon père, que ma famille a été pourchassée, disloquée et humiliée. Pourtant, à la vue de ces mystérieux symboles, je ne peux que comprendre ce qui a poussé mon père à se consacrer autant à ces travaux. Un désir de savoir, une excitation liée à la découverte et la volonté d’œuvrer pour la vérité, en déterrant ce qui a été enterré, en réanimant ce qui a été banni des livres d’histoire. Ces raisons, je les partage avec lui. On pourrait croire que c’est une affaire de sang et d’héritage, mais en réalité, mon père a simplement transmis sa passion à moi, son fils, qui l’a observé, imité, aimé et qui a compris le sens derrière tout ce qu’il a entrepris. Alors, animé par la même volonté, le même goût, je poursuivrai ce qu’il n’a pas pu achever.

Trouver une transcription parfaite au milieu de tous ces textes incompréhensibles est loin d’être facile mais en recoupant certains papiers et en fouillant un peu, je me retrouve avec plusieurs documents sous les yeux qui, a priori, décryptent cette écriture antique. Les heures défilent et les livres s’accumulent sur le bureau, tout comme les feuilles que je remplis, en essayant de traduire pas à pas ces signes particuliers. Certains traits, certains points, certaines courbes se répètent, se retrouvent à des endroits différents, forment des symboles spécifiques. A travers eux, j’essaye de retrouver certaines lettres, voire certains mots. J’écris, je rature, je m’exaspère, je réessaye, et ce sans voir le temps passer. Je finis par m’assoupir sur le bureau, épuisé par un travail peu gratifiant.

Je suis réveillé à cause d’un mal de dos. Je relève la tête en grognant et j’essuie le filet de bave qui dégouline sur mes papiers. A force d’être écrasées contre les copies, mes joues ont fini par prendre la forme des ponéglyphes. Un faisceau de lumière traverse la pièce depuis les escaliers, m’indiquant ainsi que le jour s’est levé. Je quitte ma chaise sur laquelle j’ai été vautré trop longtemps et retourne dans le salon en empruntant les escaliers étriqués. Arrivé en haut, je prends soin de refermer le passage secret en poussant la bibliothèque et le morceau de mur derrière elle jusqu’à leur emplacement d’origine. Soufflant un coup après mon effort, je réalise très vite que mon ventre crie famine. Je me dirige vers la chambre de mes parents, ouvre l’armoire de mon père et y trouve quelques vieux vêtements. Un haut bleu délabré, une tunique marron s’arrêtant en haut des cuisses et faisant office de par-dessus, un pantalon usé de la même couleur et un long chèche gris. Je revêts le tout et ajuste ma nouvelle tenue à l’aide d’une ceinture en cuir.

Dans mon sac de voyage, j’attrape une réserve d’eau et je quitte la maison. Je vide ma gourde dans un grand sceau et l’apporte à Jingo en lui adressant quelques caresses. Puis, je me dirige vers la maison de tante May, située près du marché de la ville. Je la retrouve, toujours aussi souriante, et nous échangeons un long moment autour d’un repas. J’ai décidé de l’épargner de ma récente découverte au sous-sol de la maison, j’ai bien conscience du malheur qui peut s’abattre sur celui ou celle qui a des renseignements sur les ponéglyphes et je n’ai en aucun cas envie d’infliger ça à ma propre tante.

Pendant plusieurs jours, mon quotidien à Al-Médie n’est pas très varié. Je passe mes journées et mes nuits au sous-sol à étudier les ponéglyphes avec une persévérance à toute épreuve. Quelquefois, lorsque mon corps m’y oblige et que mon esprit a besoin de repos, je profite de l’hospitalité et de la présence de tante May. Mes blessures guérissent de jour en jour, mais à vrai dire, j’en viens à les oublier, trop préoccupé par mon apprentissage. Au fil du temps, les symboles deviennent de plus en plus familiers, certains font même sens dans mon esprit désormais. Je ne sais pas combien de temps cela me prendra, mais je compte bien me terrer dans ce sous-sol jusqu’à ce que les ponéglyphes n’aient plus de secret pour moi.
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Mes affaires sont prêtes, je referme mon sac en serrant la corde et je le balance dans mon dos en me redressant. Ma tête se tourne et mon regard fait un dernier tour des lieux. Est-ce la dernière fois que je vois cet endroit ? Espérons que non. Lorsque j’aurai fait le tour du monde et que j’aurai découvert tout ce que les mers renferment, je pense qu’une retraite ici sera bien méritée. Mais j’ai encore beaucoup à faire.

Mes pieds franchissent le seuil d’entrée et je referme la porte derrière moi.

« Alors, ça y est, tu t’en vas déjà ? lance tante May, minée.
- Oui, je crois que je suis complètement rétabli. Ça m’a fait le plus grand bien de te revoir et de retrouver tout ce qui m’est cher, mais tu le sais, je ne peux pas m’éterniser ici.
- Je sais, je sais… Je te souhaite bon voyage et bon courage mon garçon. J’espère que l’on se reverra un jour ! »

May fond en larmes en me prenant dans ses bras et je ne peux contenir les miennes non plus. Nous le savons tous les deux, nous ne nous reverrons sans doute jamais. Je ravale ma tristesse comme je le peux et je me retourne vers Jingo. Je dépose mon sac sur la selle, que j’attache avec soin, et je grimpe sur lui dans la foulée. Un soupir de satisfaction s’échappe quand je réalise que mes blessures ne sont qu’un lointain souvenir et que j’ai retrouvé toute ma force. Il faut dire que ces dernières semaines ont été rudes et je n’ai pas ménagé mon corps en repoussant chaque soir la fatigue. Mais ce que j’ai enduré a été nécessaire. Aujourd’hui, les ponéglyphes sont imprimés dans mon cerveau et c’est un tout nouveau pan de savoir qui va pouvoir s’offrir à moi. J’ai emporté avec moi les travaux de recherche de mon père concernant la stèle d’Hinu Town, ils auront sans doute leur utilité dans mon périple. Cependant, le reste des documents servant à décrypter l’écriture antique se trouve toujours dans le sous-sol de la maison. Emporter ce genre d’informations avec moi me semble bien trop dangereux, pour moi comme pour tous ceux qui croiseront ma route. De toute façon, tout est dans ma tête, j’ai étudié sans relâche pour ça.

Je couvre mon visage avec le chèche de mon père et je donne un léger coup de patte à Jingo pour lui ordonner d’avancer.

« Prends soin de toi Ned ! Et pense à raser cette barbe !
- A bientôt tante May, merci pour tout ! »

Je décroche un dernier sourire et lui adresse un signe de la main en guise d’adieu. Ma monture accélère, je traverse à toute allure les rues d’Al-Médie et je m’efface à l’horizon, dans le désert.

[…]

Le soleil est au zénith. Je progresse depuis plusieurs heures à dos de dromadaire, traversant dunes et sentiers et longeant quelques cols rocheux. Je croise plusieurs oasis de différentes tailles et le plus souvent, je m’y arrête pour me reposer et pour que Jingo puisse reprendre des forces. J’en profite aussi pour faire un point sur ma progression en jetant un œil aux cartes que j’ai emporté et à la boussole qui me sert de guide. Je suis toujours sur la bonne route, en direction des dunes d’Al’zir situées au nord d’Anataka. Je dois y retrouver un groupe appelé les « Sœurs du désert », mais à vrai dire, je ne sais pas bien ce qui m’attend là-bas. Lors de mon évasion de la prison de l’Ordre du temple des sables, j’ai délivré une des membres de ce groupe qui a laissé sous-entendre que l’OTS serait notre ennemi commun. Je n’ai aucune idée de qui sont ces « Sœurs du désert », mais pour anéantir l’Ordre, je vais avoir besoin d’alliés. Toute aide m’est précieuse, l’essentiel pour moi étant de mener à bien cette vengeance et d’obtenir des informations sur la disparition de ma mère.

Assis les pieds dans l’eau, au milieu d’un oasis, j’observe Jingo se désaltérer. Nous sommes à la mi-journée et il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. J’espère que nous retrouverons ces Sœurs du désert avant la tombée de la nuit, parce que tous ceux qui connaissent un minimum les déserts d’Hinu Town savent que la chaleur est rude en pleine journée mais que la nuit, elle, peut être glaciale. Un voyageur mal équipé pour y faire face est un voyageur qui ne fera pas long feu. En songeant à cela, je décide de ne pas m’éterniser ici, de toute façon mon repos a été suffisamment long à Al-Médie. Je siffle entre mes doigts pour rappeler Jingo, qui semble déçu de ne pas pouvoir se rafraîchir plus longtemps. Je grimpe de nouveau sur lui et nous poursuivons notre route avec le même entrain.

Le soleil se couche peu et à peu et le ciel s’assombrit. De mon côté, la fatigue se fait ressentir et en jetant un coup d’œil à l’intérieur de ma gourde, je réalise que j’ai sous-estimé ma consommation d’eau. J’entends encore le sermon que m’aurait fait ma mère, me reprochant de ne pas prendre suffisamment au sérieux le désert, et que mon inattention pourrait me coûter la vie. Mais la bonne fortune ne semble pas m’avoir abandonné pour autant, car à l’horizon, dans une obscurité se faisant de plus en plus pesante, j’aperçois d’immenses dunes parallèles ressemblant à des montagnes. Ce sont elles, les dunes d’Al’zir. Certains racontent qu’autrefois ces dunes n’en formaient qu’une, mais qu’une immense bataille aurait séparé la montagne de sable. Légende ou pas, les dunes d’Al’zir sont magnifiques, encore plus quand le soleil se couche derrière elles, laissant un dernier rayon illuminer la tranchée qui les sépare. En admiration devant ce spectacle, je me hâte de rejoindre les dunes en ordonnant à Jingo de fournir un dernier effort. A mesure que je me rapproche et que le soir pointe le bout de son nez, j’aperçois un large campement au pied d’une des dunes. Une vingtaine de tentes sont dressées en cercle, formant une sorte de base. A l’entrée de celle-ci sont érigés plusieurs piquets et deux silhouettes se dessinent dans l’obscurité naissante.

Je chevauche à vive allure et les sabots de Jingo se font de plus en plus bruyants. Les deux silhouettes s’avèrent être deux femmes, mesurant près de deux mètres chacune et armés jusqu’aux dents. En voyant arriver un cavalier inconnu, les deux gardes saisissent leur sabre, relèvent leur bouclier et se mettent en garde, les genoux fléchis, comme prêts à encaisser le choc.

« Halte-là ! »

Je peine à ralentir Jingo, lancé dans sa course effrénée. Mais en tirant sur sa bride, je parviens finalement à m’arrêter juste devant les deux femmes robustes, avant qu’elles n’embrochent ma monture. Le regard noir, lames pointées en ma direction, elles m’entourent pour ne me laisser aucun échappatoire. Je tente de calmer Jingo qui pressent le danger arriver.

« Qu’est-ce que cela signifie ? Qui êtes-vous ?! »

Je retire le chèche qui me couvre la tête, dévoilant mon visage fatigué et décoré d’une barbe épaisse. A l’instant où je me découvre, une autre personne fait irruption. Une femme également, aussi grande et robuste que les deux gardes de l’entrée. Une longue tunique rouge ornée d’un tas de pierres précieuses couvre son corps entièrement et un voile de soie doré protège ses cheveux. Un cache-œil masque son œil droit et une large cicatrice verticale traverse ses lèvres. Dans son dos trône un long sabre à la lame courbe. Je l’observe un moment, son visage me semble familier.

« Dinah, Jana, rangez vos armes ! lance-t-elle soudainement.
- Mais...
- Tout de suite !
- A tes ordres Shérazade, entonnent-elles en chœur. »

Les deux femmes s’exécutent, rangent leurs armes, abaissent leurs boucliers et reprennent leur poste presque machinalement en m’adressant un regard antipathique. La femme au cache-œil s’avance vers moi, les mains dans le dos.

« Alors tu es venu…l’Etranger. »

En entendant ce nom, les deux gardes écarquillent les yeux et s’adressent un regard mutuel, comme pour partager leur étonnement.

« Eh bien, quel accueil.
- Pardonne mes jeunes sœurs, elles s’assurent qu’aucun intrus ne pénètre ici. A vrai dire, je ne m’attendais pas à te revoir un jour.
- Je te reconnais. C’est bien toi n’est-ce pas, celle que j’ai libérée de la prison de l’OTS pendant mon évasion ?
- Et je ne te remercierai jamais assez pour ça. Je me nomme Shérazade, je veille sur ce campement.
- Comme tu le vois, je t’ai écouté, et me voici. J’attends tout de même de plus amples informations, si je suis ici, c’est simplement parce que tu as laissé sous-entendre que l’OTS serait aussi votre ennemi.
- Tu auras tes informations, l’Etranger. Viens, suis-moi. Et ne t’en fais pas, nous prendrons soin de ta monture. »

Je laisse Jingo à l’une des gardes et pénètre dans le campement aux côtés de Shérazade. Toujours les mains dans le dos, le regard droit et le buste relevé, je sens une certaine force de caractère se dégager d’elle. Nous marchons d’un pas lent et mon regard scrute les alentours. D’innombrables regards sont braqués sur moi, certains paraissent intrigués, d’autres méfiants, et quelques-uns sont même charmeurs. Il n’y a que des femmes, beaucoup ont des carrures impressionnantes, d’autres sont plus petites et plus élancées, mais toutes sont vêtues et armées comme des guerrières. Elles aiguisent leurs armes, s’entraînent à lutter dans le sable, discutent, jouent aux cartes, boivent ; malgré l’heure tardive, le campement est débordant de vie.

« Les « Sœurs du désert », hein. Vous portez bien votre nom.
- Oui, comme tu le vois, il n’y a que des femmes ici. Et nous sommes toutes issues des meilleures tribus guerrières de l’île. Certes, nous ne partageons pas le même sang mais nous nous appelons tout de même « sœurs », un lien fort nous unit.
- Qu’est-ce que vous êtes au juste ? Des mercenaires ?
- Certaines d’entre nous l’ont été, autrefois. Mais aujourd’hui, nous sommes des gardiennes, nous arpentons le désert d’Hinu Town en long et en large et nous nous assurons de sa sécurité. Parfois, nous faisons aussi office de guides pour les voyageurs un peu trop craintifs.
- Alors vous faites partie des Granulés ?
- Je vois que l’Etranger n’est pas aussi étranger qu’il le prétend, rétorque Shérazade en affichant un sourire.
- …
- Peu importe, viens, tu dois rencontrer quelqu’un. »

Nous arrivons devant une grande tente, sans doute la plus imposante de toutes. Montée sur un monticule de sable, elle surplombe le campement. A son entrée, de longs voiles transparents se balancent au vent et laissent entrevoir l’intérieur de la tente d’où s’échappe une lumière tamisée. D’un geste de la main, Shérazade m’invite à rentrer en premier, toujours en affichant son sourire. Je reste sur mes gardes, la main discrètement posée sur la poignée de mon sabre.

L’intérieur de la tente est chaleureux. Une lumière orangée éclaire l’endroit et un parfum d’encens et de thé titille mes narines. Une longue table basse est disposée au milieu et plusieurs femmes sont assises en tailleur autour de celle-ci. Mon entrée subite met fin à leur discussion et les regards se braquent sur moi. Shérazade pénètre à son tour dans la tente et prend la parole.

« Liana. Il est arrivé. »

Subitement, tous les regards se dirigent vers celle qui est assise au centre de la table, en train de siroter un verre de thé qu’elle tient du bout des doigts. Un long voile bleu lui couvre la tête de moitié, laissant dépassant quelques mèches noires sur son front, et un tatouage en forme de demi-cercle remonte de sa joue jusqu’aux premières racines de ses cheveux. Elle dépose délicatement son verre sur la table et relève la tête, dévoilant ses grands yeux et son visage d’ange. Son regard plonge dans le mien quelques instants et je ne saurais dire si elle me jauge, me charme, m’envoûte, ou me méprise.

« Laissez-nous. » lance-t-elle sèchement.

Les autres femmes autour de la table se lèvent et quittent la tente. Nous ne sommes plus que quatre à l’intérieur, la femme énigmatique au voile bleu, Shérazade, moi et une jeune fille ressemblant plus à une gamine qui ne cesse de s’agiter en sautillant sur un pouf.

« Assieds-toi, je t’en prie » ajoute la femme au voile bleu en m’invitant à prendre place d’un geste de la main.

Je m’exécute en la remerciant et je prends place face à elle, en m’asseyant en tailleur. Mes yeux ne quittent pas les siens et elle continue de siroter son thé en silence.

« L’Etranger, je te présente Liana Chawki, fille de feu Kamal Chawki et petite sœur du célèbre Krid Chawki dit « le Mentor », leader du clan El Beïda. Liana est notre guide, les Sœurs du désert s’en remettent à elle, reprend Shérazade.
-  Je croyais que c’était toi qui veillais sur ce campement.
- Je veille à l’ordre de celui-ci il est vrai, mais Liana dirige les Sœurs du désert, c’est elle qui trace notre chemin.
- Et celle qui dirige n’est pas capable de se présenter elle-même ?
- Eh ! Surveille tes par... »

Shérazade se tait soudainement en voyant Liana lever la main en signe de calme. Quant à la fille aux airs de gamine, elle se met à pouffer de rire, les bras croisés derrière la tête.

« Eh bien, tu as du cran, je dois l’admettre. Ton voyage a dû être éprouvant, tu dois être à bout de nerfs, je comprends. D’où viens-tu exactement ? rétorque Liana.
- Epargne-moi tes salades. Est-ce qu’on va finir par me dire ce qu’on me veut ?
- Ce qu’on te veut ? Tu as fait tout ce chemin pour savoir ce qu’on te veut ? Non mon cher, n’agis pas comme si c’est nous qui avions besoin de toi. Si tu es là, c’est parce que c’est toi qui as besoin d’aide. De notre aide. Je pense que tu as très vite compris que tu n’étais pas en mesure d’anéantir l’OTS à toi tout seul. Ton séjour dans leur cachot a du te le rappeler.
- Pourquoi éliminer l’OTS vous intéresse tant ? Ils ont beau être des criminels aux yeux de la marine, en chassant les contrebandiers et les archéologues véreux qui s’en prennent aux vestiges de Denderah, ils protègent aussi le désert…en quelque sorte. Les brigands et les cartels grouillent partout à Hinu Town, ce ne sont pas censés être eux, vos ennemis ? A moins que… »

Un sourire se dessine sur le visage de Liana et elle porte à ses lèvres son verre de thé. La jeune fille quant à elle, semble se moquer de moi. Shérazade prend place à ses côtés et lui donne une tape sur la cuisse pour lui dire d’arrêter de rire.

« Alors, je présume que vous appartenez à un cartel, n’est-ce pas ? Les « Sœurs du désert », protéger le désert, guider les voyageurs, tout ça, c’est du vent.
- Détrompe-toi, rétorque Liana, visiblement agacée par mes paroles. Nous tenons à ce désert comme à la prunelle de nos yeux et nous remplissons notre rôle de gardiennes avec le cœur. Simplement, nous avons d’autres activités en parallèle. Des activités, disons, plus lucratives. Nous œuvrons pour le cartel des Wraiths. Tout ce que tu as besoin de savoir, c’est que l’Ordre du temple des sables est une épine dans notre pied, et ce depuis bien trop longtemps. Nous devons nous en débarrasser.
- Hm. Eh bien, il semblerait que vous ayez aussi besoin de moi.
- Disons qu’un homme cherchant à se venger de l’OTS et qui est capable d’éliminer un de leurs chefs peut m’être utile, oui. Si tu agis pour nous, cela me permettrait de ne pas impliquer mes sœurs plus que de raison dans ces conflits et d’éloigner les soupçons sur notre appartenance au cartel. Bien sûr, qui dit alliance, dit entraide. Lenny, ici présente, t’accompagnera dans tes missions et nous te fournirons toutes les informations dont nous disposition pour les mener à bien. Tu te venges et nous, nous sommes débarrassés de l’OTS. Tout le monde est content. »

Même si je continue de me méfier de ces « Sœurs du désert », je dois bien avouer que leur aide me serait fortement utile. Leurs informations me permettraient de gagner un temps précieux, plus vite je frapperai, moins l’OTS sera en mesure de réagir. Toutefois, être accompagné de cette fille ne me réjouit pas vraiment, je me passerai volontiers de sa présence. Et au vu du regard noir qu’elle me jette tout à coup, je pense qu’elle est du même avis.

« Liana ! Ce type m’a l’air d’être un fardeau plus qu’autre chose. Je refuse de faire équipe avec ce bras cassé ! Je suis capable de me débarrasser de l’OTS toute seule comme une grande, on perd notre temps avec lui ! s’écrie Lenny en grimaçant.
- Lenny…
- Et puis d’abord regarde-moi cette dégaine, tu penses vraiment que ce gus peut agir discrètement ! Non il pourra jamais me suivre, il fera trop de bruit, il sera maladroit, je l’aurai dans les pattes, et puis…
- Lenny !
- Hm…
- Tu feras comme je l’entends. Ne t’en fais pas, de toute façon ce n’est que temporaire. » termine Liana d’un ton revêche.

Lenny se lève, quitte la tente l’air ronchon et Shérazade lui emboîte le pas. Je me retrouve seul avec Liana, qui continue de siroter son thé en évitant mon regard.

« Nous reprendrons cette conversation demain, je suis fatiguée. On a une tente libre pour toi, tu peux t’y reposer. »

Je me lève à mon tour, sans un mot, la main toujours serrée autour du pommeau de mon sabre.

« L’Etranger…merci d’avoir délivré Shérazade. »

Ses yeux plongent une dernière fois dans les miens. Troublé, j’acquiesce d’un signe de tête, puis je quitte la tente.
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Le soleil vient tout juste de se lever. À l’intérieur de la grande tente, la fraîcheur du matin se fait encore ressentir. Comme la veille, nous sommes tous les quatre assis à la même table, Liana, Shérazade, Lenny et moi. Liana sirote de nouveau un thé, accompagné de petits gâteaux qu’elle déguste avec une délicatesse qui me semble exagérée. Shérazade est assise en tailleur, le dos droit, les bras croisés, attentive. Quant à Lenny, elle est à moitié allongée et rêvasse en jouant avec une dague. Mon impatience grandit à mesure que je les observe.

« Bon, c’est quoi le plan ? »

Liana relève la tête et déplace les quelques mèches qui lui obstruent la vue.

« Lenny et toi, vous partez pour Anataka. Depuis plusieurs mois, un cortège religieux vadrouille dans les rues de la capitale. Il est dirigé par un homme qui se fait appeler le Sphinx. Sa réputation ne cesse de s’accroître, surtout auprès des classes populaires de la ville.
- Et son lien avec l’OTS ?
- Eh bien, tu l’auras sûrement deviné, mais les prêtres de ce cortège ne prient pas n’importe quelle divinité.
- Denderah ?
- Tout à fait. En soit, prier Denderah ne constitue pas un crime, mais étrangement, certaines des personnes qui ont croisé la route du Sphinx ont par la suite mystérieusement disparu. Il est probable qu’elles se soient ralliées à l’Ordre. En clair, on soupçonne le Sphinx d’être un apôtre de l’OTS et de faire du prosélytisme pour renforcer les rangs de la secte.
- On va éliminer quelqu’un en se basant sur des soupçons ?
- A vous de faire en sorte que ces indices deviennent des preuves. S’il s’avère que le Sphinx est bel et bien un des chefs de l’Ordre, en l’éliminant, nous leur porterions un sacré coup.
- Ça me va. On commence par quoi ?
- Lenny t’expliquera le reste lorsque vous serez à la capitale. Une fois votre assassinat accompli, quittez Anataka au plus vite et dirigez vous vers Attalia. Nous vous y retrouverons. On restera là-bas le temps que l’affaire se tasse. »

La détermination de Liana me surprend, je commence petit à petit à discerner ce qui fait d’elle une cheffe respectée. Son charme, son air naturellement supérieur, son éloquence, sa vivacité d’esprit… elle a tout pour commander.  Je quitte la tente sans même prêter attention à Lenny, qui me rejoint à l’extérieur quelques instants plus tard, en grimaçant. La vie au campement semble se poursuivre, les sœurs ont repris leurs activités et j’ai toujours une dizaine de regards intrigués braqués sur moi. Je retrouve Jingo, qui semble en pleine forme. Shérazade n’a pas menti, les sœurs ont pris soin de lui. J’enfourche ma monture après avoir accroché mon sac à la selle et je jette un coup d’œil à ma boussole.

« Tu pourrais m’attendre quand même, grogne Lenny.
- Dépêche-toi, on a pas toute la journée. »

Je l’agace visiblement et mon ton sec n’aide pas à améliorer la situation. Mais je ne suis clairement pas là pour faire du social, je remplirai ma mission avec ou sans elle. Lenny enfourche à son tour un dromadaire. Ses sœurs viennent lui souhaiter bon courage et certaines, qui m’adressent un regard méfiant, lui conseillent de rester sur ses gardes. Impatient et agacé par toute cette perte de temps, j’ordonne à Jingo d’avancer. Dans mon dos, j’entends les insultes de Lenny qui est contrainte de me suivre. Nous quittons le campement à vive allure en direction du sud, vers Anataka.

[…]

Nous progressons depuis une ou deux heures, sans un mot, luttant contre le soleil plombant.  Le silence se fait de plus en plus pesant et Lenny n’a pas cessé une seconde d’afficher sa grimace. Quant à moi, perdu dans mes pensées, j’essaye d’anticiper ce qui nous attend à la capitale. Mais les prédictions ne valent pas de réelles informations, si je veux en apprendre plus sur l’opération, je n’ai d’autre choix que de ravaler ma fierté et de demander à ma partenaire de me dire ce qu’elle sait.

« Du coup…
- Hep, hep, hep ! Je t’arrête tout de suite, je sais ce que tu vas me demander. D’abord, je veux que tu saches quelque chose. Je suis parfaitement capable de réussir ce boulot !
- Je n’ai jamais dit q-
- Tais-toi ! Je le vois dans tes yeux, tu penses que je ne suis qu’une bonne à rien. Moi, je pense que c’est plutôt toi qui auras du mal à tenir la cadence. Je ne sais même pas pourquoi Liana t’a engagé, on pourrait très bien se passer de toi. Moi aussi j’aurai pu tuer l’apôtre Mam’ni, j’en aurai fait qu’une bouchée !
- J’en suis pas sûr.
- Ah ! Tu vois ! Tu me dénigres ! Moi je peux pas avoir un coéquipier qui n’a pas confiance en moi, alors dis-le ! « Tu es capable Lenny ».
- …
- Dis-le !
- Tu es capable…Lenny. Ça te va ?
- Ça manque un peu d’entrain mais ça me va, oui. Bon alors, puisque tu veux tout savoir… On a noté que le cortège religieux du Sphinx se balade dans les rues d’Anataka environ trois fois par semaine, à des jours précis. Normalement, il devrait y en avoir un aujourd’hui. Le Sphinx passe son temps à séduire tous ceux qu’il croise et à les persuader de se dévouer à Denderah. Il passe généralement dans les quartiers les plus pauvres, sans doute parce qu’il est plus facile d’amadouer les plus démunis en leur faisant miroiter un avenir meilleur. Une vingtaine de prêtres l’accompagnent lors des processions, mais si le Sphinx bosse bel est bien pour l’OTS, il est plus que probable que ces prêtres soient en réalité des adeptes de l’Ordre, et donc des combattants.
- Je vois… C’est quoi la première étape ?
- L’idée ce serait d’abord qu’on observe le cortège puis qu’on prenne en filature le Sphinx en espérant qu’il nous conduise là où on pourra trouver de quoi établir un lien entre lui et la secte. Quand on a de quoi l’incriminer, on le tue. Ni plus, ni moins. Si au passage on peut récupérer d’autres infos sur l’Ordre ce serait un plus, mais comme l’a dit Liana, il faut pas qu’on s’attarde là-bas.
- Sur le papier ça semble être un jeu d’enfant. En revanche, si le Sphinx est en permanence entouré des prêtres, ça risque d’être plus compliqué que prévu. Enfin, on verra bien… »

Après avoir crapahuté dans le désert pendant un long moment, nous arrivons finalement à l’entrée nord d’Anataka. Un immense mur d’enceinte masque la ville, mais de notre point de vue, on perçoit quelques bâtiments qui s’élèvent plus haut que les remparts. Cela fait des années que je n’ai pas remis les pieds à la capitale, mais je suis toujours aussi époustouflé devant la grandeur de cette ville. La porte nord est grande ouverte et toutes sortes de gens y affluent. Des mendiants, des ouvriers, des gens plus aisés à dos de chevaux, mais aussi des marines qui patrouillent de chaque côté de l’entrée. Ils surveillent les arrivées et fouillent les cargaisons un peu trop grandes. En les voyant, je couvre mon visage à l’aide de mon chèche. Réflexe de pirate. Nous pénétrons dans la ville et laissons nos montures dans un enclos dédié. Suivi de près par Lenny, qui est encore en train de rêvasser, je progresse dans les rues d’Anataka. Un nouveau sentiment de nostalgie me frappe en redécouvrant la capitale, je me souviens des journées entières que j’ai passées ici à suivre mon père dans ses pérégrinations d’archéologue. Je l’accompagnais à ses rendez-vous, l’écoutais attentivement quand il me contait l’histoire des monuments de la ville et je le suivais dans ses allers-retours incessants à la bibliothèque.

Anataka est le lieu de vie de nombreuses tribus du désert aux traditions diverses. Chacune porte son empreinte culturelle, créant ainsi une capitale riche en diversité, à la fois dans ses traditions, dans son peuple, mais aussi dans son architecture. Mes yeux sont attirés par les décorations et les ornements des bâtiments, mon nez est chahuté par les odeurs d’encens, d’épices et de dromadaires et ma tête, quant à elle, est plongée dans ses souvenirs chaleureux. Bercé par le folklore de la ville et par la nostalgie, j’ai le sentiment de pouvoir m’attarder ici éternellement. Mais une tape derrière la tête de Lenny me ramène à la réalité.

« Eh ! T’es encore plus tête en l’air que moi ma parole. Je te rappelle qu’on a un boulot à terminer alors arrête d’avancer sans savoir où aller.
- Tu m’as bien dit que le cortège se déplacerait dans les quartiers pauvres, non ?
- Bah, oui.
- Alors on est sur la bonne route.
- Comment tu le sais ? Je croyais que t’étais un étranger.
- Suis-moi. »

Je sens le regard intrigué de Lenny se poser sur moi tandis que je fais volte-face pour continuer à progresser.
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Après avoir traversé les rues d’Anataka durant plus d’une heure, nous arrivons finalement à notre destination. Ici, les bâtiments encore debout sont dans un état pitoyable. Les façades sont délabrées, les murs se décomposent presque et la plupart des habitants sont vêtus de haillons. La rupture avec les précédents quartiers est flagrante, j’ai l’impression de pénétrer dans une autre ville, où le niveau de vie est bien différent. Mais ce qui me surprend le plus, c’est le visage de Lenny qui a soudainement pâli. Son regard se perd dans le vide et le malaise qu’elle ressent transparaît à travers son visage crispé.

« Tu connais bien cet endroit, n’est-ce pas ?
- J’ai…grandi ici. Peu importe, continuons, répond-elle en secouant la tête comme faire disparaître ses souvenirs.
- Je te comprends, crois-moi.
- Qu’est-ce que tu comprends hein ? Tu ne me connais pas ! Tu ne connais rien !
- J’ai connu la même chose à Attalia. La faim, le désespoir, la solitude. Tout ça, ça marque un gamin.
- A Attalia ? Mais alors, tu es d’Hinu Town ? » dit-elle en relevant la tête, surprise par mes paroles.

L’empathie m’a fait parler plus que je n’aurais dû. En silence, mais légèrement confus, je fais signe à Lenny de continue d’avancer.

Nous nous ressemblons, je ne peux pas le nier. Et c’est sans doute ce qui explique ma rudesse envers elle. Derrière ses airs tenaces, je ressens une certaine fragilité et une amertume qu’elle ne peut entièrement cacher. Nos vécus sont probablement similaires et de ce fait, je suis plus à même de comprendre ce qu’elle ressent à ce moment. Son regard ne trompe pas.

Nous arpentons les rues à la recherche de ce fameux cortège religieux. Nous inspectons chaque coin de rue, observons chaque passant, mais pas moyen de mettre la main sur une bande de prêtres. Alors que je commence à m’impatienter, un brouhaha se fait entendre dans une rue adjacente. Intrigués, nous nous dirigeons vers les bruits qui retentissent de plus en plus fort. Nous découvrons non pas une rue, mais une sorte de petite place publique où se réunit une foule de gens. L’endroit est noir de monde et j’essaye tant bien que mal de me frayer un chemin entre les gens pour comprendre ce qui se trame. Les sons que j’avais entendus sont en réalité des bruits de tambours. Une trompette se fait aussi entendre à travers la placette. Les tambours sont frappés à répétition, offrant un rythme lent et presque théâtral. Par-dessus ces sons lourds et secs, la trompette entonne une mélodie envoûtante qui charmerait n’importe quelle oreille.

Un coup d’œil derrière moi me fait réaliser que Lenny a disparu. Bon sang. C’est pas le moment de me jouer un mauvais tour. A force de m’immiscer entre la foule, je finis par apercevoir le centre de la place d’où proviennent les sons de tambours et de trompettes. Les instruments sont joués par une vingtaine de personnes aux accoutrements étranges. Des hommes et des femmes vêtus de longues toges blanches et qui arborent des colliers et boucles d’oreilles d’or. Mais ce qui me frappe le plus en les observant, ce sont les masques blancs qui couvrent leur visage du front jusqu’au bout du nez et qui leur donnent une allure mystique. Ils sont tous alignés devant une sorte de chaise à porteur protégée par des rideaux violets.

Soudain, le rythme des tambours s’accélère, devient frénétique, et la mélodie des trompettes s’anime, emportant la foule avec elle. Pris, moi aussi, par la ferveur des gens autour de moi, mon cœur se met à battre la chamade. Une main décorée de bagues et de bracelets apparaît entre les rideaux de soie et elle les ouvre délicatement, au rythme des cris de joie et des applaudissements de la foule. Un homme sort de la chaise à porteur, les bras levés pour saluer les gens autour de lui. Certains se jettent à genoux devant lui pour lui baiser les pieds, d’autres hurlent d’extase, et quelques femmes perdent même connaissance. En voyant leur réaction, il ne m’en faut pas plus pour comprendre immédiatement de qui il s’agit.

Vêtu d’une longue toge pourpre et décoré d’une parure d’émeraudes et de rubis, le Sphinx se dresse de toute sa stature face à la foule en délire. Il passe une main dans sa crinière bouclée et pose ses yeux d’ambre sur celles qui le cherchent du regard. En l’observant, je comprends pourquoi autant de personnes sont subjuguées. Mais moi, mon esprit est ailleurs. Où est passée Lenny bon sang…

Soudain, les tambours et les trompettes ralentissent brutalement et s’arrêtent. Le Sphinx écarte les bras, prend un air grandiloquent, et s’apprête à prendre sa plus belle voix.

« Mes chers compatriotes, peuple d’Anataka ! Mes frères, mes sœurs ! Regardez autour de vous, observez ! Ces murs délabrés, ces dalles qui n’en sont plus, ces toits qui s’affaissent. Ne pensez-vous pas que vous méritez mieux que ça ? Votre travail, votre labeur… Vos efforts ne sont pas suffisamment récompensés, vous le savez n’est-ce pas ? Et ce gouvernement, ce roi…Ces gens dans leur palais doré vous abandonnent à votre sort ! Mais moi, je ne vous abandonne pas, Denderah ne vous abandonne pas ! Votre destin n’est pas de croupir dans ces ruelles ni de mendier pour survivre. Denderah le sait et vous observe. Ce ne sont que des épreuves à passer, des épreuves qui vous mèneront vers un avenir radieux. Embrassez Denderah, dévouez-vous à elle ! Et lorsque notre messie, Omar Al Fihri, reviendra, il nous délivrera de la bassesse de ce monde. Vous assisterez à la renaissance de la civilisation denderienne. Vous serez responsables de cet avènement, vous conduirez cette nouvelle ère ! Mes frères, mes sœurs ! Embrassez votre destin et plus jamais la faim ne sera un problème ! Louée sois-tu, Ô Denderah ! »

Un tonnerre d’applaudissements retentit à travers la place publique et les tambours et les trompettes reprennent de plus belle. Au milieu de cette extase, j’essaye désespérément de retrouver Lenny. Je pousse, j’enjambe, on me bouscule, manque de me faire tomber. Cette marée humaine m’asphyxie et m’empêche de retrouver ma partenaire de fortune. Soudain, en me retournant face au spectacle du Sphinx, j’aperçois une jeune fille avancer à tâtons près d’un des prêtres. En plissant les yeux, je reconnais cette silhouette élancée.

« Bordel, mais qu’est-ce qu’elle fout ?! »

Je repousse violemment tous ceux qui me gênent et entravent mon passage, faisant chuter une dizaine de personnes dans ma course effrénée. Mes yeux ne quittent pas Lenny, qui se rapproche discrètement du prêtre. D’un geste vif et presque imperceptible elle dérobe le collier de pierres précieuses qui trônait à son cou. Amusée et fière de son larcin elle agite le bijou devant l’homme, qui comprend tout à coup ce qui vient de se produire.

« Sale garce ! Rends-moi ça tout de suite ! »

Ni une ni deux, Lenny prend la fuite en tirant la langue à sa victime. Furieux, le prêtre relâche son instrument et poursuit la voleuse qui s’est déjà faufilée au milieu de la foule comme un serpent. Un autre prêtre, qui a lui aussi assisté à la scène, accompagne son camarade dans sa course-poursuite. Heureusement, le brouhaha de la foule a masqué l’incident et le Sphinx continue son discours charmeur en toute quiétude. A mon tour, j’essaye de rattraper Lenny qui s’extirpe de la foule à toute vitesse. Elle quitte la place publique, suivie de près par les deux prêtres et moi derrière, essayant tant bien que mal de rattraper mon retard. A un croisement, Lenny s’immisce rapidement dans une ruelle étriquée et particulièrement sombre. Au milieu de celle-ci, elle s’arrête et se retourne vers ses poursuivants, l’air amusé. Essoufflé, je pénètre aussi dans la ruelle, derrière les deux prêtres qui s’approchent de la voleuse. Dans une main, Lenny joue avec le collier de pierres précieuses, et dans l’autre, elle fait tournoyer une de ses dagues kriss.

« Alors messieurs, pas trop fatigués ? » lance-t-elle avec un sourire en coin.

Je crois que je commence à comprendre. Elle voulait les attirer ici, loin des regards.

Les prêtres se retournent et m’observent. Malgré les masques qui couvrent leur visage, je sens la peur qui les traverse. Ils sont cernés. Je tire ma lame courbe de son fourreau en affichant un sourire sadique. En me voyant dégainer, les deux hommes tirent une dague entre les plis de leur toge. Lenny s’élance la première d’un côté et je fais de même de l’autre. Les coups pleuvent, l’acier rencontre l’acier, le sang gicle et les cris des prêtres disparaissent dans un écho.

[…]

« Elle est beaucoup trop longue pour toi cette toge.
- Toi tu peux parler, t’as l’air saucissonné là-dedans. Et puis ta barbe dépasse du masque, on va se faire cramer.
- Ouais enfin je pense que c’est plutôt le fait qu’on soit couvert de sang le problème.
- On a qu’à raconter l’histoire du collier et dire qu’on s’est débarrassés des voleurs, ceci explique cela.
- Mouais. Prions pour qu’ils soient naïfs.
- Bon, on y retourne, dépêche-toi le saucisson ! »
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La foule a commencé à se disperser. Au centre de la place, les prêtres entonnent de nouveau un rythme lent. Le Sphinx, quant à lui, semble être retourné dans sa chaise à porteur, dont les rideaux sont fermés. Quatre prêtres, aux carrures imposantes, soulèvent la chaise et se mettent à marcher au milieu du cortège, au rythme des tambours. Lenny et moi, déguisés de leur toge et de leur masque, rejoignons la procession discrètement. En nous voyant arriver, un des prêtres se fige et je perçois sa stupéfaction derrière son demi-masque.

« Qu’est-ce que vous faisiez vous deux ?! C’est quoi tout ce sang ? Expliquez-vous ! »

Tandis que je me mets en garde, prêt à riposter en cas d’attaque, Lenny me pousse de l’épaule et prend les devants.

« Je vous prie de bien vouloir nous excuser, il y a eu un léger incident. Un voleur s’en est pris à moi et m’a dérobé mon collier. Nous l’avons pourchassé et malheureusement, il ne nous a pas laissé le choix. Il était prêt à nous tuer, nous avons dû nous défendre. »

Perplexe, le prêtre garde le silence pendant quelques secondes qui paraissent interminables. Je m’agite, cogite, me prépare à toutes les éventualités, mais je reçois de nouveau un coup d’épaule discret de Lenny, qui me rappelle que je dois garder mon calme.

« Vous avez de la chance que la foule se soit dispersée avant que vous ne reveniez. Il aurait été intolérable que tous ces gens vous voient dans un tel état, nous avons une image à tenir ! Reprenez vos instruments et dépêchez-vous de vous remettre dans le rang. »

Nous nous exécutons sans dire un mot et ramassons les deux tambours que les défunts prêtres avaient laissé. Les autres membres du cortège nous observent d’un air suspicieux et en sentant tous ces regards méfiants se poser sur nous, je réalise que notre supercherie ne durera pas longtemps. Nous intégrons le rang comme on nous l’a ordonné et je me mets à jouer du tambour maladroitement, ce qui me vaut de recevoir de nouveaux regards. Lenny, elle, parvient bien plus à se fondre dans la masse et joue parfaitement de son instrument, devenant une parfaite copie des prêtres. Le cortège progresse et quitte la place publique, sous les derniers applaudissements des gens restants. Nous empruntons différents chemins, traversons plusieurs rues. Le rythme des tambours reste le même, et les trompettes jouent par-dessus une mélodie qui semble faire office de guide.

Après un voyage ennuyeux, nous arrivons dans une petite ruelle sordide, à l’abri des regards. La ruelle est entourée de deux bâtiments délabrés. A l’entrée de l’un deux virevolte une pancarte portant une inscription : « Le Serpent borgne ». Les quatre prêtres qui tiennent la chaise à porteur sur leurs épaules s’arrêtent et la déposent au sol. La main décorée de bagues et de bracelets se dévoile de nouveau et les rideaux violets s’ouvrent. Le Sphinx sort de son véhicule sommaire et se redresse en époussetant ses vêtements soyeux.

« J’en ai ma claque de cette puanteur et de toute cette crasse ! Est-ce qu’ils savent au moins combien coûtent ces vêtements ?! Non, ils n’en ont pas la moindre idée ! Ils passent leur temps à me toucher avec leurs mains calleuses et leurs ongles noirs ! C’est toujours moi qui dois me taper le sale boulot de toute façon… »

Le Sphinx, l’air agacé, s’approche de la porte d’entrée de ce qui semble être une taverne et frappe à de multiples reprises. Sans réponse pendant quelques secondes, il réitère, cette fois-ci en élevant la voix.

« Kamal, c’est nous, ouvre ! »

On entend le loquet tourner et la porte s’entrouvre dans un grincement sordide. Une grosse tête se dévoile dans l’entrebâillement et un sourire édenté s’affiche sur le visage disgracieux de l’homme à moitié caché derrière la porte.

« Oh, c’est vous, cher Sphinx ? Votre journée s’est bien passée ? » demande l’homme qui semble se réjouir.

Le Sphinx, visiblement exaspéré et exténué, ne daigne même pas lui répondre. Il pousse la porte entièrement, bousculant Kamal au passage, et pénètre dans la taverne. Les prêtres emboîtent le pas de leur chef et entrent à leur tour. Toujours passablement confondus parmi les masqués, Lenny et moi faisons de même en essayant au maximum de ne pas nous faire remarquer.

Je suis déçu par l’intérieur du « Serpent borgne », il s’agit d’un bistrot tout ce qu’il y a de plus banal. L’endroit était a priori désert avant notre arrivée. Les chaises sont bien rangées contre les tables usées, le sol est sec et aucune odeur d’alcool ne vient chatouiller mes narines, autant de signes qui me laissent penser qu’aucun client n’est venu ici se rincer le gosier. Alors que j’observe l’endroit calmement, je tarde à remarquer la présence de Kamal, près de moi, muni d’un vieux torchon, qui commence à frotter énergiquement ma toge.

« Alalala, qu’est-ce qu’il vous est arrivé cher prêtre ? Ce sang ne risque pas de partir, vous feriez mieux de me la donner, je vais essayer de vous la nettoyer. »

Pris de court, je recule d’un pas et refuse d’un signe de la main. Je sens que les regards se sont tournés vers moi, notamment celui du Sphinx qui semble tout juste remarquer les toges ensanglantées que nous portons Lenny et moi. Le prêtre qui nous a interpellé tout à l’heure s’approche du Sphinx et lui murmure à l’oreille, sans doute pour lui expliquer notre histoire avec le voleur de collier. Le Sphinx a beau afficher une expression impassible, j’ai le sentiment que quelque chose cloche. Nous sommes en plein dans la gueule du loup et je n’ai pas vraiment d’échappatoire en tête, au cas où ça tournerait au vinaigre. Espérons que l’on pourra recueillir suffisamment d’informations et une fois que ce sera fait, on aura plus qu’à déguerpir d’ici en vitesse.

« Kamal ! Apporte-nous à boire, on descend.
- Tout de suite cher Sphinx !
- Vous deux, nettoyez-moi vos robes et changez-vous ! Hors de question que vous vous approchiez de moi avec ce sang dégueulasse sur vos vêtements ! » tonne le Sphinx en s’adressant à Lenny et moi.

Kamal s’exécute, toujours aussi enjoué, et retourne derrière son comptoir pour préparer des boissons. Le Sphinx se dirige vers un escalier menant à un sous-sol et les prêtres, toujours vêtus de leurs curieux accoutrements qui dénotent particulièrement avec l’aspect lugubre de la taverne, le suivent en file indienne. Le groupe disparaît dans l’escalier et nous nous retrouvons tous les trois dans la salle principale, Lenny, moi et le tavernier Kamal, concentré derrière son comptoir à servir le pire rhum d’Hinu Town. Le calme enfin retrouvé, je pense que le moment est opportun pour dénicher des informations. Je m’approche du comptoir et m’assieds sur une chaise haute en observant Kamal s’activer de manière exagérée. Le petit bonhomme grassouillet fait les cent pas, aligne des verres sur le bar, les reprend, les nettoie, les repose de nouveau, attrape une bouteille, décide d’en prendre une autre, finit par reprendre la première. Tout ce manège dure quelques minutes et lorsqu’il remarque que je suis assis en face de lui, il s’arrête brusquement, gêné.

« Pardonnez-moi cher prêtre, je ne vous ai pas oublié ! Je vais nettoyer vos vêtements, vous pouvez vous changer ici il n’y a pas de problème, je vous apporterai des toges de rechange.
- Tu as des toges de rechange ? Je pensais que tu t’occupais juste de la taverne.
- Euh…eh bien oui j’en ai de rechange. Vous êtes nouveau n’est-ce pas ? Je gère le Serpent borgne c’est bien vrai, mais je travaille aussi pour le Sphinx.
- Oui désolé, je ne suis pas familiarisé avec tout. Qu’est-ce que tu fais pour le Sphinx au juste ? »

Soudain, je sens une tape dans mon dos et l’arrivée impromptue de Lenny coupe le tavernier, qui s’apprêtait à me répondre.

« Tu devrais te dépêcher Kamal, le Sphinx attend son verre et on a besoin de se changer.
- Oh oui, oui ! Vous avez raison, suis-je bête ! Olalala, il faut que je me dépêche ! » répond le tavernier en s’agitant dans tous les sens avec un air simplet.

Ni une ni deux, Kamal se hâte et court péniblement en direction de sa réserve. A l’instant où il disparaît, Lenny me colle une nouvelle tape dans le dos, cette fois-ci avec bien plus de vigueur.

« Aïe !
- T’es con ou tu le fais exprès ?
- Quoi encore ?
- On va se faire cramer avec tes questions ! Je pense que les prêtres savent ce qu’il fait pour le Sphinx, si tu lui demandes, ça va éveiller les soupçons.
- Ok mais est-ce que t’as une autre idée pour récolter des infos au moins ?
- Tais-toi et laisse faire les pros. » conclut-elle en affichant un sourire malicieux.

Elle attrape une petite sacoche cachée sous sa robe et en tire une petite fiole avec un liquide jaunâtre à l’intérieur. Elle débouchonne le minuscule tube et fait s’écouler quelques gouttes du liquide dans chaque verre aligné sur le comptoir.

« C’est quoi ça ?
- Hep, hep, hep ! Je t’ai pas dit de laisser faire les pros ? »

Une fois sa tâche accomplie, elle range la fiole et la sacoche, ni vu ni connu. Au même moment, Kamal sort de la réserve avec une petite pile de vêtements dans ses bras. Il nous remet une toge propre à chacun en s’excusant pour l’attente et dans la foulée, il dispose tous les verres de rhum sur un plateau. Nous retirons les toges ensanglantées, dévoilant ainsi nos vêtements qui étaient couverts par celles-ci, ce qui ne manque pas de surprendre Kamal, et nous mettons les robes blanches qu’il nous a donnés.

Nous nous dirigeons tous les trois vers les escaliers qui mènent au sous-sol et Kamal les emprunte en premier, en tenant entre ses mains le plateau avec les verres de rhum.
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Ma surprise est grande lorsque je passe le pas de la porte du sous-sol. Ce que j’imaginais être une cave est en réalité une sorte de grand entrepôt. L’endroit dénote tellement avec la salle à l’étage que j’ai l’impression d’être entré dans un nouveau bâtiment. Ici, nul bois miteux et poussiéreux mais un sol et des murs faits de métaux. Des cartes intrigantes sont placardées aux murs, mais ce qui attire le plus mon attention est la longue table en acier disposée au milieu de la pièce, autour de laquelle tous les prêtres sont assis. Au bout de la table, à la place du roi, le Sphinx est assis, l’air dépité. En voyant Kamal apparaître devant lui avec les verres de rhum, il écarte les bras et se lève de son siège.

« Ah ! Vous voilà ! J’attendais mon verre avec impatience, quand est-ce que tu apprendras à te dépêcher Kamal ? grogne le Sphinx avec un ton méprisant.
- Mille excuses cher Sphinx ! Cela ne se reproduira plus, tenez voici vos verres. »

Kamal s’avance au plus vite près de la table, roulant des épaules, peinant à progresser à cause de son surpoids évident et de sa respiration sifflante, signe d’un sérieux problème pulmonaire. Il dépose un verre de rhum dans les mains du Sphinx en lui adressant en même temps une courbette en signe de respect. Le séducteur à la chevelure bouclée le toise de toute sa hauteur et de toute sa prétention, et son regard condescendant traduit le mépris qu’il ressent en observant le tavernier. D’un bref mouvement de la tête, il intime à Kamal de s’écarter de lui. Comprenant son maître, le bonhomme rond fait ensuite le tour de la table et dépose méticuleusement un verre devant chaque prêtre, en prenant soin de leur adresser un petit mot chaleureux. Une fois sa tâche remplie avec le plus grand des soins, Kamal se retourne vers Lenny et moi et nous tend les deux derniers verres qui trônent sur le plateau. Alors que je m’apprête à en saisir un, Lenny, d’un geste discret de la main, fait comprendre à Kamal que nous ne les voulons pas. Observant la scène depuis son siège, le Sphinx réagit en affichant un grand sourire.

« Allons, vous ne buvez pas avec nous ? C’est la tradition, vous le savez n’est-ce pas ? Notre petit moment de consolation. »

Le regard perçant du Sphinx nous transperce derrière nos masques, et j’ai maintenant l’intime conviction que le danger ne plane plus très loin de nous. Je réfléchis rapidement à une justification mais je suis coupé net dans mes pensées par l’intervention de Kamal, qui s’est avancé, l’air à la fois timide et bienveillant.

« Cher Sphinx, vu que ces deux-là sont nouveaux, je pense qu’ils ne connaissent pas encore toutes vos habitudes, si vous me le demandez, je pourrais tout leur expliquer, ce serait un véritable honneur pour moi.
- Des nouveaux, hein ? Ah, je comprends mieux alors ! Je te remercie Kamal, mais ne t’embête pas avec ça, je vais m’en occuper moi-même. Tu peux nous laisser, nous avons à faire. »

Le tavernier se replie sur lui-même pour faire une courbette et quitte la pièce, emportant son plateau vide avec lui. Plongés dans la gueule du loup avec Lenny, je reste un instant figé, étouffé par le silence pesant qui plane dans cet étrange endroit. Un à un, les prêtres retirent leurs demi-masques, pour être plus à l’aise pour siroter leurs verres. Mais le temps semble s’arrêter brutalement lorsque tonne la voix du Sphinx, dont le doigt dédaigneux pointe en notre direction.

« Saisissez-les. »

Mon cerveau n’a pas le temps de réagir que les prêtres se lèvent brusquement, renversant leurs chaises au passage. Lenny, qui a manifestement mis moins de temps à comprendre ce qui se passait, tire rapidement une de ses dagues et égorge d’un coup vif et décidé une prêtresse qui tente de la renverser. Le sang gicle et éclabousse nos nouvelles toges, jusqu’alors immaculées. La femme s’écroule comme un pantin désarticulé et à la vue du cadavre de leur camarade, les prêtres entrent dans une colère noire. La scène n’est plus qu’un vacarme assourdissant, où une vingtaine d’hommes et femmes se jettent sur nous, nous bousculent, nous enserrent, nous renversent, nous contraignent, jusqu’à ce que nous ne soyons plus en mesure de bouger le moindre petit doigt.

« Merde ! Merde ! Lâchez-moi ! » grogne Lenny qui essaye en vain de se dégager.

De mon côté, je préfère économiser mes forces, j’ai bien compris qu’il est inutile d’essayer de résister, nous sommes pris au piège. Les prêtres nous relèvent en nous tenant fermement les bras. Le Sphinx s’avance lentement, d’un air toujours aussi grandiloquent et s’arrête juste devant nous. Il nous toise un moment en silence, tandis que j’essaye de me redresser péniblement et de reprendre mon souffle. Ses mains pleines de bijoux s’approchent délicatement de nos visages et il retire nos demi-masques.

« Il n’y a pas de nouveaux dans notre groupe. » lance-t-il d’un ton si glacial qu’un frisson me traverse l’échine.

Le regard du Sphinx a changé. Il semble à la fois plus perçant, plus cruel mais en même temps plus vrai. Il baisse la tête vers le corps sans vie de la prêtresse puis la relève vers nous.

« Qui êtes-vous ? Je vous conseille vivement de ne pas me mentir. »

Nous échangeons un regard discret avec Lenny, comme pour partager notre hésitation. Nous sommes clairement dos au mur, si nous disons la vérité, l’OTS aura un coup d’avance sur le cartel et ce ne sera plus possible pour nous d’affaiblir la secte de l’intérieur. En revanche, si on décide de se taire, je ne sais pas combien de temps on tiendra sous la torture.

Malgré le risque, aucun mot ne parvient à sortir de nos bouches. Face à notre silence éloquent, le visage du Sphinx se crispe et je sens toute la haine monter en lui. D’un mouvement de tête, il donne un ordre à ses sbires et retourne s’asseoir à son siège. Les prêtres qui nous tiennent par les bras nous traînent de force jusqu’à la grande table au milieu de la pièce et nous font nous asseoir.

« Je ne vais pas me répéter. Alors, on commence par qui ? Honneur aux dames, non ? »

A peine termine-t-il sa phrase qu’un poing vient s’écraser brutalement sur l’arcade de Lenny qui manque de tomber de sa chaise à cause de l’impact. Le Sphinx observe la scène avec un certain sérieux mais il semble en même temps jubiler de la voir sonnée par le coup.

« Alors, une réponse ? » reprend-t-il en sirotant son verre.

Un silence. Puis cette fois, c’est sur mon visage que s’abat le poing. Le choc me fait vaciller un instant mais je parviens à rester planté sur ma chaise. Je lève les yeux vers le prêtre qui prend un malin plaisir à nous rouer de coups et lui adresse un regard ouvertement provocateur. De toute évidence, mon geste ne lui plaît pas et il réitère en me lançant une gifle de toutes ses forces. Je ne bronche pas et mes yeux restent figés vers les siens. L’homme, perplexe, se retourne vers le Sphinx, comme pour lui demander ce qu’il est désormais censé faire.

« Eh bien, puisque monsieur veut jouer les gros durs, on a qu’à employer la manière forte. »

Le tintement d’une dague se fait entendre derrière nous et le tortionnaire s’approche de Lenny, lame en main. Mes muscles se crispent, j’essaye de me lever de ma chaise pour intervenir mais je suis retenu fermement par les autres prêtres qui m’entourent. Mon cœur s’accélère, mes dents se serrent et je me sens soudainement impuissant, incapable de faire quoi que ce soit. Ma défiance se transforme brutalement en crainte, ce qui n’échappe pas au regard attentif du Sphinx.

« De quoi as-tu peur ? Je te croyais solide comme un roc, s’amuse le Sphinx en faisant glisser son doigt autour de son verre vide.
- T’as pas intérêt à faire ça ! » crié-je en m’adressant au tortionnaire.

Un des prêtres attrape la chaise de Lenny et la fait basculer légèrement vers l’arrière. Le tortionnaire se penche ensuite vers elle, dague en main, et rapproche lentement le bout de la lame vers son œil gauche. Lenny grogne, tremble de peur, s’agite, essaye tant bien que mal de sortir de l’axe du couteau, mais rien à faire, elle est maintenue en place avec bien trop de vigueur. La lame se rapproche inexorablement et la jeune fille semble se résigner. C’en est trop pour moi.

« Stop !!! »

Ma voix gronde et résonne à travers toute la pièce. L’homme à la dague arrête son geste et se tourne en direction du Sphinx qui a affiché un sourire entre-temps.

« Je suis l’Etranger. » dis-je en reprenant difficilement mon souffle.

Je sens les yeux saufs de Lenny se poser sur moi et je perçois dans son regard une gratitude qu’elle essaye de cacher.

« Oh, je vois. Ce n’est pas très surprenant, je dois même dire que je suis un peu déçu. Déjà parce que j’imaginais le meurtrier de l’apôtre Mam’ni un peu plus costaud. Mais ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que fait le fameux Etranger avec une partenaire. Alors comme ça tu ne travailles pas seul ? »

J’hésite un instant à dire la vérité mais à imaginer le sort qu’on réserverait à Lenny pour mon mensonge, je n’ai pas d’autre choix que de parler vraiment. Je m’apprête à révéler son identité, mais Lenny me coupe et intervient juste avant que je ne prenne la parole, comme si elle savait ce que je m’apprêtais à dire et qu’elle a décidé de m’épargner cette tâche à faire.

« J’appartiens au Cartel Capital, nous sommes ici sous les ordres du Cartel des Wraiths, lance-t-elle sans la moindre hésitation dans sa voix.
- Le Cartel ? Hahahaha ! En voilà une sacré info. Alors comme ça le Cartel Capital a décidé de passer franchement à l’action et d’attaquer l’Ordre ? Intéressant… Comment avez-vous su que nous travaillons pour l’OTS ?
- Nous ne le savions pas explicitement, jusqu’à…maintenant.
- Oups, ma langue a fourché, héhé. Quelle révélation ! Dommage que vous deviez l’emporter dans votre tombe… Mais avant de vous envoyer en enfer, j’aimerais que vous me donniez toutes les informations que vous, le Cartel, avez sur notre organisation. Je pense que vous avez bien saisi ce qui vous attend si jamais vous essayez de résister. Et ne me jouez pas le coup du « de toute façon on va mourir alors autant rien dire », évitons de perdre du temps je vous prie. Tout le monde parle sous la torture, même lorsqu’on sait qu’on va perdre la vie juste après. Les héros, c’est dans les livres. »

Et il n’a pas tort. Je ne sais pas combien de temps nous sommes en mesure de tenir et je me refuse de laisser Lenny souffrir devant mes yeux. J’ai beau passer mon temps à m’engueuler avec elle ce n’est pas pour autant que j’ai envie de la voir se faire éborgner. Il faut que je trouve une solution, et vite. Malheureusement, pour ne pas risquer de griller ma couverture, j’ai dû laisser mon sabre là où nous avons attaqué les deux prêtres, un peu plus tôt. La force ne marchera pas, sans un sabre je ne suis pas sûr de faire le poids face à tout ce groupe, ils ont beau paraître pacifistes avec leurs accoutrements de religieux, il n’en est rien, ce sont tous des combattants aguerris. J’en ai fait les frais quand ils se sont tous jetés sur moi. Je réfléchis un moment, bien trop long pour la patience du Sphinx, qui fait signe à son sbire de frapper de nouveau.

Le prêtre au gabarit imposant se dirige vers moi et sa main calleuse vient attraper mon cou, qu’il presse avec force. J’étouffe, je m’étrangle, je grogne et la poigne se resserre de plus en plus, au rythme de mes gémissements. Mais alors qu’un voile noir commence à se dessiner devant mes yeux, signe d’une perte de connaissance, la prise du fanatique se relâche brusquement. L’homme recule d’un pas, puis d’un autre, ses yeux se révulsent, ses jambes vacillent et il s’écroule lourdement au sol, dans un bruit sonore.

« Qu’est-ce que ça veut dire ?! »

Désemparé, le Sphinx renverse son verre et bondit de sa chaise. J’adresse un regard à Lenny, confus par ce qui vient de se passer. La jeune fille a les yeux plongés dans le regard stupéfait du Sphinx et un large sourire se dessine sur ses lèvres. Les bruits sonores se répètent encore, et encore. Bam, bam, bam, bam. Les uns après les autres, les prêtres s’effondrent, totalement inconscients. Je suis complètement abasourdi face à ce qui se déroule devant mes yeux, je parcours la pièce d’un mouvement de tête et constate que tous les prêtres sans exception sont tombés. Lenny se lève, affichant un rictus qui n’a pas bougé, et se rapproche du Sphinx qui recule instinctivement, transi de peur et assailli à son tour d’un vertige virulent.

« Qu…Qu’est-ce que ça veut dire… » répète-t-il avec une voix se faisant de plus en plus faible.

Le Sphinx titube en arrière comme un alcoolique, essaye de se rattraper à des murs invisibles et finit par tomber à la renverse, bouche ouverte et les yeux fermés. Lenny le rattrape de justesse par le bras, le tire sèchement vers elle et lui assène deux grandes gifles qui s’empreignent sur son visage.

« Réveille-toi sac à merde ! » lance-t-elle en le secouant de toutes ses forces.

Le Sphinx rouvre les yeux difficilement, sous les gifles hargneuses de Lenny. Je m’approche de ma partenaire tandis qu’elle assoit le prêcheur de Denderah sur sa chaise. En retrouvant un peu de lucidité, je crois maintenant comprendre ce qu’il vient de se passer.

« Dans ces verres, tu as…
- Un tranquillisant. » coupe-t-elle avant même que ma phrase ne fasse sens.

Un rire à la fois nerveux et amusé m’échappe. Je dois reconnaître qu’elle est maligne, sans cette petite sournoiserie, on serait sûrement encore en train de morfler sous les coups du tortionnaire. Complètement déboussolé et incapable de savoir où il se trouve, le Sphinx finit par reprendre lentement conscience. Nous retirons nos toges tâchées de sang, dévoilant nos vrais accoutrements.

« Maintenant, c’est nous qui posons les questions » s’exclame Lenny en regardant son ennemi droit dans les yeux.
Le Sphinx a perdu son air hautain et affiche une mine apeurée. Recroquevillé sur sa chaise, son regard nous supplie de l’épargner. Bien décidé à ne lui accorder aucune pitié, je lui rends un coup de poing qui lui ouvre l’arcade en deux. Une mare de sang mêlée à un fleuve de larmes se répand sur son visage et il se met à trembler.

« Ton rôle chez l’OTS, c’est quoi ? Tu fais du prosélytisme en faveur de la secte, c’est ça ? T’es une sorte de recruteur ? Combien de personnes se sont ralliées à votre cause ?! Réponds-moi !! »

Aucun mot ne sort de sa bouche. Ses larmes cessent subitement de couler et son regard de chien battu a disparu. Je perçois non plus un homme suppliant qu’on lui laisse la vie sauve, ni même un chef charismatique et arrogant, mais une toute nouvelle facette que j’ai jusqu’ici minimisée. Un zèle et un fanatisme déraisonnés se lisent à travers son regard perçant et toute sa dévotion transparaît dans son attitude devenue déterminée.

« Denderah accueille à bras ouverts tous ceux désireux de donner un sens à leur vie. Vous ne faites pas le poids face à sa générosité. Nous sommes bien trop nombreux, bien plus que vous ne le croyez. Et notre nombre ne fera que grandir, car la parole de Denderah est salvatrice, elle est une bénédiction pour nous, mortels ! Lorsque viendra l’heure, lorsque notre messie foulera nos sols, Denderah retrouvera sa gloire d’antan et personne ne pourra empêcher le destin de suivre son cours. Louée sois-tu Denderah ! Hahahaha ! Louée sois-tu ! »

Le rire fou et incontrôlable du Sphinx résonne à travers le sous-sol. Le voir se réjouir m’irrite et rend mes nerfs un peu plus à vif. A côté de moi, Lenny semble s’agiter et elle a l’air préoccupée par autre chose.

« Bordel, on a plus de temps l’Etranger, finissons-en et tirons-nous d’ici en vitesse ! Les doses de tranquillisant dans les verres n’étaient pas assez puissantes, ils vont bientôt tous se réveiller et on sera cernés ! »

Elle n’a pas tort, nous avons eu ce qui ne voulions savoir et nous avons une mission à remplir. Si l’on tarde trop et que les sbires du Sphinx reprennent conscience, on n’aura plus aucune échappatoire. Mais malgré cela, je ne peux me résigner à fuir tout de suite. Il y a autre chose. Il y a autre chose que je dois savoir. J’approche ma tête à quelques centimètres de celle du Sphinx et le saisit fermement par les épaules.

« Il y a six ans de cela, un chercheur appelé Klaus Mayhem a été exécuté par le Gourou de l’Ordre du temple des sables, sur ordre du Cipher Pol. Sa femme et son fils ont été vendus à des marchands d’esclaves. Tu as entendu parler de cette histoire n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?! Alors réponds-moi ! Sa femme, Tsukino, où a-t-elle été envoyée ? »

Un silence. Les yeux du Sphinx s’écarquillent. Puis, un rire assourdissant s’échappe de sa gueule.

« Alors c’était toi ? Hahahaha ! C’est toi ! Un étranger, hein ? Hahahaha !
- Il faut qu’on se barre d’ici tout de suite, ils sont en train de se réveiller ! Tu m’entends ?!
- OU EST-ELLE ?!!!
- Hahahaha ! Hahahaha ! »

Des larmes coulent le long de la barbe hirsute qui me sert de masque jusqu’ici. Mes mains saisissent violemment sa tête et je lui tords la nuque. Son rire s’éteint mais il tonne encore dans mon esprit. Encore et encore.

Je retrouve un semblant de lucidité quand je suis emporté par Lenny qui m’agrippe le bras. Les prêtres se relèvent les uns après les autres et ceux qui ont reprit leurs esprits tentent de s’en prendre à nous. Lenny les repousse de plusieurs coups de dague mais ils sont de plus en plus nombreux à se remettre d’aplomb. Elle tire finalement de sa sacoche une petite boule grise qu’elle jette violemment au sol. Un « boum » retentit dans la pièce et une épaisse fumée enveloppe soudainement l’endroit. Je couvre mon nez et ma bouche pour éviter de tousser et j’emboîte le pas de Lenny malgré la visibilité quasi nulle. Nous parvenons à nous extirper de ce brouhaha en trouvant la sortie. Nous enjambons à grands pas les escaliers et retrouvons la salle principale où Kamal est en train de lustrer des verres derrière son comptoir. Le vacarme au sous-sol ne lui a pas échappé et lorsqu’il nous voit en train de courir à toute vitesse à travers sa taverne, il semble pris de stupeur et d’incompréhension. Ni une ni deux, nous quittons l’établissement plein d’adrénaline et de poursuivants à nos trousses.

« Passons par les toits, je les connais comme ma poche ! On aura plus de chance de s’en tirer ! lance Lenny.
- Je te suis ! »

Sans avoir attendu ma réponse, elle se suspend à un échafaudage auquel elle se hisse avec une agilité étonnante. Je fais de même, mais avec bien plus de difficulté. Quelques prêtres encore en forme nous poursuivent depuis la terre ferme mais grâce aux raccourcis de Lenny, nous parvenons à les semer. Arrivés en lieu sûr et épuisés par ce que nous venons de vivre, nous décidons de quitter discrètement les toits et nous poursuivons notre route vers l’entrée de la ville.
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« Cette histoire de famille, c’était quoi ? me demande Lenny tout en tirant sur la bride de sa monture.
- Rien. Rien d’important...
- Tu vas pas t’en tirer comme ça, on a failli se faire attraper à cause de ton blabla, alors j’exige des explications.
- …
- Le fils, vendu à un marchand d’esclave…C’était toi, n’est-ce pas ? »

Sa voix est devenue compatissante et une sincère bienveillance en émane. J’hésite un moment à répondre, mais en même temps, le besoin de m’ouvrir se fait sentir ; le poids de « L’Etranger » est de plus en plus lourd à supporter. Cette barbe qui fait office de déguisement et ces idées vengeresses, je le sais au fond de moi, tout ceci n’est pas entièrement moi, ce n’est que le résultat d’une vie qui a fait que. J’adresse un regard à Lenny, qui attend de pied ferme ma réponse. Après ce que nous avons enduré tous les deux, je crois que je ne trouverai pas plus chère alliée dans ces sables.

« Oui… C’était moi. Cela remonte à plusieurs années.
- Je crois que je comprends mieux. Alors… tu cherches à te venger c’est ça ?
- Je ne cherche pas à me venger, je cherche simplement à obtenir justice.
- Tu penses sincèrement que ce que tu fais est juste ?
- J’aurai ma réponse quand tout sera terminé, et je ne compte pas m’arrêter tant que les chefs de l’OTS respirent encore.
- Soit. Ce n’est pas moi qui vais t’en empêcher de toute façon. Du coup, toute cette histoire d’étranger… tu as grandi ici n’est-ce pas ?
- Je suis né ailleurs, mais oui j’ai grandi ici, à Attalia d’abord, puis j’ai été recueilli à Al-Médie.
- Est-ce que j’ai le droit de connaître ton vrai nom, après tout ça ? »

Lenny appartient tout de même aux Sœurs du désert et au Cartel des Wraiths, elles ont beau être de mon côté dans toute cette histoire, je ne leur accorde pas ma confiance pour autant, j’ai bien conscience que cette alliance n’est que temporaire. Lorsque nos intérêts respectifs seront remplis, qui sait ce qu’elles me réserveront. Pourtant, Lenny, c’est différent. J’ai la ferme impression que je peux me fier à elle plus qu’à n’importe qui ici. Mon hésitation finit par s’évanouir rapidement.

« Je m’appelle Edward, mais on m’appelle Ned.
- Hm…Ned…ça te va pas, on aurait dû te donner un autre surnom.
- Non mais de quoi je me mêle ?!
- Bon…allons-y pour Ned alors.
- Comme si t’avais le choix.
- Eh, je t’appelle comme je veux d’abord ! Sale péteux !
- Répète un peu pour voir ? Je vais t’enterrer vivante dans ces sables !
- Même pas peur ! »

Nos chamailleries se poursuivent en même temps notre route à travers le désert. Nous sommes parvenus à nous échapper sains et saufs d’Anataka et désormais, comme le plan l’exige, nous nous dirigeons en ce moment vers Attalia. Nous faisons route à vive allure, à la fois pour être certains d’échapper à l’OTS, mais également pour prévenir au plus vite Liana de ce qui s’est passé. Le Sphinx a bien été tué de mes mains mais ses sbires s’en sont tirés, il ne faudra pas bien longtemps avant que toute la sphère dirigeante de la secte ne soit mise au courant de cet assassinat. Nous devons nous hâter, plus nous tardons, plus l’OTS prendra de l’avance et pourra riposter en conséquence.

[…]

Le voyage a été long et éprouvant. Les marques de fatigue empreignent nos visages et trahissent notre épuisement. Malgré l’abattement, les embruns marins d’Attalia ont de quoi me redonner un peu de vitalité. La lune pointe le bout de son nez et illumine l’agitation de la ville portuaire, qui continue à vivre en dépit de l’heure tardive. Nous avançons à pied avec Lenny entre les foules qui s’amassent ici et là, occupées à des activités portuaires diverses et variées.

« Tu sais où est-ce qu’on doit aller ?
- Hm…à mon avis, si Liana nous a demandé de la rejoindre à Attalia, c’est qu’elle a des affaires à régler ici.
- Des affaires ? Avec qui ?
- Le cartel de Ramil.
- Un autre cartel ?
- Cette guerre ne concerne pas uniquement le cartel des Wraiths, on a besoin du soutien des autres cartels du Cartel Capital, mais ça implique une bonne dose de négociation pour réussir à mettre nos différends et nos intérêts personnels de côté. Heureusement, Liana est douée pour ça.
- Hm, je vois, mais ça me dit toujours pas où on est-ce qu’on doit aller.
- Contente-toi de me suivre. »

J’emboîte le pas de Lenny à travers la ville portuaire, et je réalise rapidement que nous nous dirigeons à proximité des quais où sont amarrés des centaines de navires de commerce. Après avoir crapahuté un moment, Lenny s’arrête devant l’entrée de ce qui semble être une boutique. Sur la devanture, une pancarte se balance au vent, avec une inscription : « Les souvenirs d’Ahmed ».

« C’est ici. » lance Lenny sans m’adresser un regard.

Elle s’approche de la porte d’entrée et malgré le panneau « FERME » qui est affiché sur celle-ci, elle toque violemment à de multiples reprises. La porte finit par s’ouvrir lentement et une grosse tête dégarnie se dévoile dans l’entrebâillement.

« Hm ? questionne l’homme, comme s’il attendait un mot de notre part.
- Plus c’est vieux, plus ça vaut cher, réplique Lenny d’un ton énigmatique.
- C’est bon, vous pouvez entrer. »

La porte s’ouvre en grand et l’homme nous fait signe d’entrer. Costaud, la mâchoire en angle droit, un marcel blanc déchiré aux épaules et une enclume tatouée sur le bras droit, il a la dégaine du marin par excellence. L’endroit, quant à lui, ressemble à une modeste boutique tout ce qu’il y a de plus classique, à la particularité près qu’elle abrite des objets qui me sont familiers. Mon œil aiguisé d’archéologue fait le tour de la pièce et reconnaît des tas d’antiquités datant de l’époque où Hinu Town s’appelait encore Ali Fustad. Des assiettes, des couverts, des pots, des parchemins, des meubles ; une ribambelle de vieilleries s’amoncèle aux quatre coins de la pièce une odeur rance prolifère dans l’atmosphère. L’homme aux airs de baroudeur des mers fait quelques pas vers le fond de la boutique et tire un grand rideau qui couvrait un mur en bois. Il se dirige ensuite derrière le comptoir et après une manipulation que je n’arrive pas à bien voir de ma position, un craquement sonore retentit. Le mur en bois se déplace et laisse place à une deuxième pièce, ce qui n’est pas sans me rappeler le sous-sol secret derrière la bibliothèque de mon père. Le gaillard avance et pénètre en premier dans ce nouvel endroit, suivi de près par Lenny, puis par moi.

Ici, l’odeur de renfermé a disparu, à la place, un parfum artificiel de rose et de thé titille mes narines. La pièce est gigantesque et comme dans la première partie de la boutique, des tas et des tas d’antiquités s’accumulent ici et là, à la différence près qu’elles sont ici entreposées avec le plus grand soin. Au milieu de ce qui a tout l’air d’être un entrepôt, une grande table occupe une partie de l’espace. Autour d’elle, une dizaine d’hommes et femmes partagent un repas luxueux. Les visages de ces femmes me sont particulièrement familiers, parmi elles, je reconnais aussitôt Liana et sa seconde, Shérazade. En nous voyant, les Sœurs du désert se lèvent et accourent vers Lenny, hormis leurs deux cheffes. J’entends des félicitations, perçois des accolades, mais à vrai dire, mes yeux sont attirés ailleurs. Curieux, je m’approche d’une des étagères et j’observe avec attention les nombreuses antiquités qui y sont disposées. J’en manipule quelques-unes, approche mon regard au plus près d’elles, les retourne dans tous les sens et lit avec parcimonie les inscriptions qu’elles portent. Ma conclusion est claire, ces objets ne sont pas n’importe lesquels, ce sont des vestiges rares extraits des profondeurs d’Hinu Town, la plupart sont des antiquités de Denderah.

« Vous avez l’œil. » tonne une voix dans mon dos qui manque de me faire sursauter.

Je dépose la couronne d’un prince denderien que j’ai entre les mains et me retourne vers la voix qui m’a interpellé. A ma grande surprise, je ne vois rien à ma hauteur, mais en abaissant mon regard, je découvre face à moi un petit vieil homme barbu aux joues grassouillettes. Richement vêtu, le haut de sa tête est couvert d’un grand turban beige où est fixé à une pierre précieuse une longue plume bleue. Tandis que j’observe mon interlocuteur, Shérazade vient à notre rencontre, l’air enjoué, mais toujours avec sa droiture habituelle.

« L’Etranger, je suis contente de te revoir. Permets-moi de te présenter monsieur Ibn Saïd, célèbre antiquaire d’Attalia, mais aussi, tu l’auras deviné… chef du Cartel de Ramil.
- Oh je vous en prie Shérazade, je sais que je ne suis plus tout jeune, mais tout de même. Gardez les « monsieur » pour d’autres, vous pouvez m’appeler Ahmed. C’est un plaisir de pouvoir enfin vous rencontrer, l’Etranger, j’ai beaucoup entendu parler de vous.
- …
- Venez, joigniez-vous à nous, vous avez fait un long voyage, vous devez être affamés. Et puis je pense que vous avez des choses à nous raconter… »

Le vieil homme, mains croisées dans le dos, retourne s’attabler. Je m’apprête à accepter son invitation et à faire de même quand je suis arrêté par Shérazade, qui me tend un grand sac en toile de jute.

« Qu’est-ce que c’est ?
- Avec quelques sœurs, nous sommes retournés là où l’OTS nous avez emprisonné toi et moi, afin de faire la pêche aux infos. On a trouvé ça dans un coffre près des cellules et je ne sais pas pourquoi, mais d’instinct, j’ai pensé que ça t’appartenait. »

Intrigué, je récupère le sac de ses mains. Shérazade retourne s’asseoir à son tour et de mon côté, je me mets à fouiller dans ce qu’elle m’a confié. Ma surprise se mêle à un sentiment de joie quand je découvre ma fidèle écharpe orange et mes deux précieux katanas, que je pensais avoir définitivement perdus lors de ma capture. Ils sont là, sans le moindre accroc, et en les voyant j’ai l’impression de retrouver une partie de moi que j’ai cru égarée à jamais. Ni une ni deux, j’enroule mon écharpe autour du cou et j’attache mes sabres à la ceinture, retrouvant par la même occasion des habitudes que je connais bien. Je rejoins finalement les autres qui sont tous attablés et prend place parmi eux. En m’asseyant je croise le regard de Liana, toujours aussi énigmatique et envoûtant. Dieu sait à quel point je suis incapable de la cerner ni même de mettre en mot l’effet qu’elle a sur moi. Mais, je ressens bien quelque chose, c’est indéniable.

Toujours en train de siroter un verre de thé avec une certaine délicatesse et une froideur qui semble bien la caractériser, la chef des Sœurs du désert prend la parole.

« Ahmed, pouvons-nous reprendre s’il vous plaît ?
- Oh bien sûr, vous m’excuserez Liana, ce n’est pas tous les jours que je rencontre quelqu’un qui s’intéresse vraiment à ces antiquités, et puis je tenais à me présenter à ce fameux jeune homme. Alors, de quoi parlions-nous ? poursuit le vieil homme en avalant une cuillère de semoule.
- L’OTS est une plaie pour le Cartel Capital, je pense que vous le savez. Si nous parvenons à enterrer cette bande de fanatiques, nous pourrions faire fleurir nos affaires en paix, sans avoir à nous soucier d’éventuelles attaques sur nos activités de contrebande.
- Effectivement, se débarrasser de l’Ordre sonne bien, sur le papier. Mais je crois que vous omettez ce pourquoi nous prenons des mesures, disons, tempérées depuis toutes ces années face aux attaques de l’OTS.
- Abu Mussa… murmure Shérazade.
- Tout à fait, poursuit Ahmed, concentré sur son repas. Le Gourou de l’OTS a des oreilles partout, a toujours un coup d’avance et frappe de manière bien trop imprévisible, toujours au bon moment, au bon endroit. La réalité est que nous ne faisons pas le poids. Je n’emploierai pas le peu d’hommes que j’ai dans une guerre perdue d’avance.
- Nous ne faisons pas le poids parce que nous, les cartels, ne nous entraidons pas suffisamment, tonne Liana. Le Cartel Capital n’est qu’une vaste fumisterie, j’espère que vous en êtes conscient. La preuve en est, nous en sommes réduits à devoir négocier, nous qui sommes censés appartenir à la même organisation. Si nous joignons nos forces et que nous frappons, non pas comme des doigts disparates, mais comme une seule main, l’OTS tombera définitivement.
- C’est bien beau ce que vous me dites là, Liana, mais ne me croyez pas stupide au point de croire à vos histoires de bannière commune. L’OTS est un problème majeur, certes, mais derrière ce que vous proposez, je sais très bien quel est le plan des Wraiths : vous voulez vous arracher le contrôle total du Cartel Capital. Désolé, mais je ne vous fais pas confiance Liana, et encore moins à votre chef, le Serpent de dentelle.
- Alors vous préférez continuer à vivre avec vos suppositions et risquer un jour de voir disparaître votre cartel ? Ou plutôt vous préférez vous concentrer sur des problèmes qui existent réellement et agir en conséquence pour les résoudre ? La secte est puissante, mais elle est train de panser ses plaies depuis la mort de l’apôtre Mam’ni et maintenant encore plus depuis que le Sphinx git six pieds sous terre, n’est-ce pas Lenny ? demande Liana sans même adresser un regard à sa subordonnée.
- Oui, il est mort. Mais à ce propos…
- Quoi donc ?
- On s’est fait capturer par le Sphinx et ses hommes, et on a été obligés de révéler nos identités…
- Je vois, mais si vous vous êtes bien assurés de leur mort, cela ne devrait pas poser de problème.
- Justement, le problème c’est que les sbires du Sphinx s’en sont tirés… on a dû fuir en vitesse.
- Quoi ?!
- Ils étaient trop nombreux, on faisait pas le po-
- Tu es en train de me dire que l’OTS est maintenant au courant que nous sommes derrière le meurtre du Sphinx ?
- Mais, Liana, ils allaient nous tuer si on n’avouait pas !
- EH BIEN VOUS AURIEZ DÛ Y RESTER !! hurle la chef des Sœurs, le regard aussi glacial qu’un iceberg. »

Le visage de Lenny se décompose et je la vois baisser la tête, l’expression grave. Les mots de Liana lui ont planté un couteau en plein cœur.

« Je vais certainement pas crever pour protéger votre stupide Cartel, et Lenny ne mérite pas de servir quelqu’un qui l’enverrait à l’abattoir sans aucun remords, lancé-je subitement, les bras croisés derrière la tête en me balançant sur ma chaise.
- Pardon ? reprend Liana, le regard noir.
- Tiens ta langue l’Etranger ! s’écrie Shérazade en bondissant de sa chaise. »

Je perçois une hésitation dans l’attitude de la seconde, elle qui d’habitude est impériale. Je la sens partagée entre son devoir envers Liana, ses sentiments pour Lenny, et sa raison, qui semble discrètement approuver mes propos. Le visage de Lenny s’est relevé et ses yeux brillants se sont posés sur les miens ; à travers eux je perçois le brouillard qui embrume son esprit et qui la ronge de l’intérieur, elle me paraît complètement déconcertée.

« Du calme, du calme voyons, s’amuse Ahmed, les mains croisées sur son ventre bien trop plein. Pas de remue-ménage chez moi je vous prie. »

Les esprits se calment peu à peu et Shérazade se rassoit dans un silence plombant qui étouffe la pièce. Liana est pensive, le visage serré, elle sirote machinalement son verre de thé tout en réfléchissant à quelque chose.

« Si j’étais vous Ahmed, je ne m’amuserais pas, reprend-t-elle. Nous sommes sérieusement en danger, Abu Mussa est sans aucun doute au courant que nous sommes derrière le meurtre du Sphinx, les représailles ne vont pas tarder à nous tomber dessus.
- « Nous » ? poursuit Ahmed. Tout ceci ne me regarde, je vous l’ai déjà dit Liana, je ne marche pas avec vous. C’est vous, les Wraiths, qui êtes concernées, ne me mêlez pas à vos histoires !
- Vous êtes naïfs au point de croire qu’Abu Mussa fera une distinction entre votre cartel et le nôtre ? Non, c’est bien tout le Cartel Capital qui est désormais impliqué, alors soit nous avisons ensemble de la marche à suivre pour nous préparer aux représailles, soit nous mourrons chacun de notre côté !
- J’en ai marre de me répéter Liana, s’impatiente Ahmed. Je vous ai déjà dit qu… »

Soudain, avant que le vieil homme ne puisse terminer sa phrase, le bruit assourdissant d’une explosion retentit à travers la boutique et l’entrepôt. Un souffle brutal et dévastateur emporte tout sur son passage. Les étagères se décrochent, la table à manger se soulève, les chaises se rompent et les corps virevoltent. Je suis projeté vers un mur et je m’y écrase violemment, sonné par le choc.

[…]

J’ouvre un œil. Puis le second. Ma tête me fait un mal de chien, j’ai l’impression que mon cerveau n’a qu’une seule envie : sortir de ma boîte crânienne. Un voile flou entrave ma vision et je suis obligé de cligner des yeux à plusieurs reprises pour retrouver un semblant de visibilité. Assis, ou plutôt vautré au sol contre un mur, je sens une main se poser sur mon épaule ; en tournant la tête, non sans difficulté, j’aperçois Lenny près de moi qui s’est abaissée à ma hauteur. Quelques entailles traversent son visage et une brûlure superficielle lui couvre tout le bras.

« Ned, chuchote-t-elle, t’es en vie ? Faut que tu te relèves. »

Je m’exécute sans réfléchir, en grinçant des dents je parviens à me remettre d’aplomb en m’aidant des épaules de Lenny et du mur derrière moi. La pièce n’est plus qu’un chaos sans nom, le sol est couvert de poussière et d’objets brisés, des étagères, des chaises, des meubles ; les antiquités auparavant soigneusement disposées dans l’entrepôt n’échappent pas à la règle et font aussi partie des débris qui ternissent l’endroit. Mon esprit est tout autant en plein chaos que la pièce dans laquelle je me trouve, je n’ai aucune idée de ce qui a bien pu se passer. Autour de moi, je constate que certaines Sœurs ont été blessées, tout comme quelques hommes du chef Ahmed. Lenny me guide à l’aide de ses épaules vers un petit attroupement au centre de la pièce. Je retrouve Liana et Shérazade, toutes deux couvertes de poussière et de quelques blessures superficielles, mais elles semblent préoccupées par quelque chose de plus important. En réalité, les Sœurs et les hommes qui forment cet attroupement ont tous les yeux rivés vers ce qu’ils entourent. En m’approchant à l’aide de Lenny, je découvre le chef Ahmed, allongé au sol, dans les bras de l’homme tatoué d’une enclume. Un pieu en bois est enfoncé dans son abdomen, ses vêtements sont lacérés, brûlés, et son visage tuméfié et inexpressif me fait comprendre ce qui est en train de se passer.

« Il est mort. » tonne Liana.

L’homme au tatouage acquiesce, l’expression grave ; puis d’un geste de la main, il referme les yeux du vieil homme. Un son d’escargophone retentit tout à coup et l’homme tire un mini appareil de sa poche avant de décrocher.

« Capitaine ! Capitaine Rasheem ! Nos navires sont attaqués ! Toutes nos cargaisons sont en proie aux flammes !
- Comment ?! Qui ? Qui vous attaque ?! gueule l’homme au tatouage.
- Je ne sais pas…ils ont des turbans… et des masques noirs…On a besoin d’ai…Aaaargh !! »

La voix qui sort du combiné s’éteint brusquement. D’un soupir préoccupé, le capitaine Rasheem se redresse et ordonne à quelques-uns de ses hommes d’emporter le corps de leur chef, puis il se tourne vers les Sœurs et s’adresse à Liana.

« L’OTS est derrière tout ça je présume ?
- Ca ne fait aucun doute, reprend la chef des Sœurs.
- Alors vous aviez raison…ils n’ont pas attendu longtemps pour leurs représailles. Notre chef est mort, je prends les commandes désormais.
- Dans ce cas, indiquez-nous la marche à suivre. Mes Sœurs et moi vous suivons sur ce coup-là, si vous voulez riposter, c’est maintenant ou jamais.
- Je ne peux pas risquer de perdre toutes nos cargaisons, nous avons des clients sur Grand Line, et même dans le Nouveau Monde. Des clients bien plus dangereux que l’OTS, croyez-moi, si nous perdons ces navires cette secte sera le dernier de nos soucis. »

Le capitaine Rasheem se tourne vers ses hommes et prend une grande inspiration.

« Rassemblez tout le monde et trouvez autant d’armes que possible ! Il faut se dépêcher de régler cette histoire avant que la marine ne rapplique ! En route vers les quais, ces merdeux de l’OTS ne verront pas le jour se lever ! »
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Les lanternes et les torches éclairent la troupe qui se faufile entre les rues d’Attalia. Le poids des armes pèse sur les épaules, la hargne se lit sur les visages et les bruits de pas se projettent en rythme. Le capitaine Rasheem mène le groupe, suivi de près par ses hommes, tous armés de fusils et de sabres, prêts à en découdre. Derrière eux, les Sœurs du désert suivent le rythme endiablé, animées elles aussi par la même ferveur que les hommes du cartel de Ramil. Quant à moi, je ferme la marche, peu rassuré par la décision de mes alliés de fortune. Un tel cortège belliqueux ne peut tout bonnement pas passer inaperçu, même à une heure aussi tardive. Et bien que nous évitions les rues larges et les places animées au profit de l’étroitesse de certains raccourcis, je pense qu’il serait naïf de croire en une quelconque forme de discrétion de notre part. Ce que je redoute surtout, c’est que tout notre manège finisse par arriver aux oreilles des marines, des patrouilles de nuit doivent certainement rôder dans les parages ; et clairement, ce n’est pas le moment de nous ajouter un nouveau problème à résoudre.

Quoi qu’il en soit, j’avance, comme les autres, à mes risques et périls. Je me dis que plus vite on réglera la situation, plus vite on pourra se disperser et étouffer toute cette affaire par la même occasion. Au loin, derrière des bâtiments qui obstruent notre vue, une épaisse fumée noirâtre s’échappe vers le ciel ; plus nous nous rapprochons des quais, plus celle-ci devient de plus en plus dense, au point de couvrir d’un voile massif les hauteurs. La nappe sombre se teinte de braises rouges au fil de notre avancée et finalement, au bout d’une ruelle, nous découvrons les quais. Mais surtout, nous découvrons les immenses flammes qui dévorent les navires, rongeant chaque parcelle de bois, déchirant chaque morceau de voile, déliant chaque cordage. Les quilles, les ponts, les mats, toutes les parties qui font de ces bateaux ce qu’ils sont disparaissent, consumés par la chaleur ardente et inextinguible qui emporte tout sur son passage. Je vois le capitaine Rasheem serrer les poings, tandis qu’il observe ses vaisseaux couler lentement devant ses yeux, les uns après les autres, au rythme des craquements causés par le feu. Près des bateaux en flammes, sur les passerelles destinées aux débarquements, des hommes sont affairés à contenir le feu tant bien que mal, tandis que sur d’autres, d’autres hommes sont aux prises avec des adeptes de l’OTS. Nous comprenons rapidement la situation et les ordres ne tardent pas à être donnés par le capitaine Rasheem, qui joue de ses bras pour indiquer la marche à suivre.

« Dispersez-vous, un groupe par aider les autres à éteindre les flammes, le reste avec moi. Ahmed nous observe de là-haut, ne le décevons pas ! »

L’importance de la discrétion oblige notre cortège à se retenir d’hurler en chœur, mais la détermination se lit dans les regards et je ne cache pas non plus mon envie soudaine d’en découdre, j’ai les sabres qui me démangent. Le rythme des pas devient de plus en plus soutenu, jusqu’à devenir une course effrénée. Tandis que je suis l’élan du groupe, j’observe Liana devant moi. Deux sabres aux lames ondulées trônent à sa ceinture, ce qui n’est pas sans éveiller ma curiosité, je me demande bien ce qu’elle vaut au combat. Chose que je ne vais pas tarder à voir car les hostilités commencent déjà.

Nous atteignons les passerelles, et le capitaine Rasheem, en tête du groupe, se rue à toute vitesse sur l’un des adeptes de l’Ordre. Ne lui laissant aucune chance, il sépare sa tête de ses épaules d’un coup prompt d’épée. Le ton est donné d’entrée de jeu et c’est une violente mêlée générale qui débute. Les fanatiques de Denderah sont nombreux, bien plus que nous ; et à la vue des corps enflammés qui se jettent à l’eau depuis les navires et les membres coupés par-ci par-là qui jonchent les quais, je comprends que nous arrivons tout juste après un massacre, signe que les adeptes sont bien déterminés à nous éliminer sans la moindre compassion.

Le terrain n’est pas non plus à notre avantage, l’étroitesse des passerelles fait que nous progressons par rangée et que seuls ceux en première ligne sont pour l’instant aux prises avec les hommes de l’OTS. Etant donné ma position, je ne suis clairement pas prêt de me battre, je vais devoir trouver rapidement une solution si je veux être de la partie. J’observe devant moi les premiers échanges être lancés, les tirs fusent et l’acier rencontre l’acier dans un fracas assourdissant qui se mêle aux craquements incessants des navires en train de se décomposer.

Ce sont les hommes du capitaine Rasheem et lui-même qui sont pour l’instant les premiers à en découdre, et de mon point de vue, les choses ont l’air de bien tourner. Les hommes enturbannés de l’Ordre sont plus nombreux, certes, mais ils sont acculés au bout de la passerelle et sont même contraints de reculer sous les assauts fulgurants du cartel de Ramil. Rasheem se démarque par son gabarit bien au-dessus du lot et surtout par sa puissance hors norme qu’il emploie jusqu’ici à merveille. Les cadavres s’empilent devant lui et malgré les quelques coups qu’il reçoit, sa détermination ne flanche pas le moins du monde. Happé par le spectacle morbide qui se joue devant mes yeux, il me faut du temps pour réaliser que quelque chose se trame derrière moi ; des échos résonnent à mes oreilles, devenant de plus en plus sonores et proches. Je fais volte-face tout en dégainant mes lames et découvre face à moi une vingtaine de silhouettes menaçantes, certaines enturbannées, d’autres vêtues de masques effrayants, qui bloquent l’entrée de la passerelle que nous avons empruntée un peu plus tôt.

Nous sommes cernés. Mais cette fois, c’est moi qui suis en première ligne.

Au milieu des nouveaux arrivants, une jeune femme sort des rangs en s’avançant de quelques pas. Une tunique dorée et verte découvre ses bras et elle arbore un masque en forme de crâne qui lui cache le visage du front jusqu’à la base de la bouche. Dans ses mains tiennent deux fines épées qu’elle laisse flotter le long de ses jambes. Je sens la présence de Shérazade, qui fait soudainement irruption près de moi. Elle ne m’adresse pas un regard, ses yeux sont rivés en direction de la jeune femme en face de nous, qui est de toute évidence la cheffe de ces fanatiques. Mais ce n’est pas un simple regard d’ennemi à ennemi que je perçois en observant Shérazade, mais plus un regard mêlé de regrets et de remords. Shérazade s’avance à son tour de quelques pas, puis un tintement métallique se fait entendre lorsqu’elle tire la longue épée qui se dresse dans son dos.

« Djamila… » prononce-t-elle d’une voix hésitante.

La jeune femme au masque de crâne ne répond pas, et d’un geste d’épée elle ordonne à ses sbires d’attaquer. Les adeptes de l’OTS s’exécutent dans un cri de guerre tonitruant. Nos ennemis se rapprochent et Shérazade se met en garde avant de tourner la tête en ma direction.

« L’Etranger ! T’es avec moi ?
- Et comment. »

Un sourire se dessine sur mon visage et mes lames se croisent instinctivement, comme prêtes à déchaîner les enfers. Deux adeptes de l’Ordre se ruent sur moi, l’un est une véritable armoire à glace, armé d’une massue d’une telle taille qu’on pourrait la confondre avec un tronc d’arbre ; le second est un type très grand, taillé comme une aiguille et armé de plusieurs petits couteaux placés entre ses doigts. Le colosse, arrivé à mon contact, lève sa massue et l’abat en ma direction, avec une vitesse que je n’aurais jamais pu soupçonner. J’esquive d’un bond au dernier moment, plus de manière instinctive que contrôlée. L’arme s’écrase sur la passerelle, causant un gros trou dans celle-ci. Les éclats de bois virevoltent un peu partout autour de moi, ce qui entrave un instant ma visibilité et permet au second adepte de me lancer une de ses dagues. Le couteau fuse et se loge dans ma cuisse. La douleur me fait grincer des dents, je reste stable tant bien que mal en contractant les jambes, et je retire la lame plantée dans ma cuisse en expirant un bon coup. J’ai clairement pris à la légère cette première attaque.

Mes sabres tournoient dans mes mains et j’avance en zigzaguant, créant une sorte de danse imprévisible. La montagne tente de m’attraper dans mes déplacements en me portant un coup à l’horizontale ; cette fois-ci j’encaisse l’attaque en croisant mes lames pour contrer la massue. Le choc manque de m’éjecter mais je parviens à maintenir la parade et finalement, à repousser mon adversaire en décroisant férocement mes sabres. Le colosse est déséquilibré et je saisis ma chance. Lames pointées vers l’avant, un bond, puis mon adversaire finit embroché.

Je me retourne après avoir retiré mes armes de son corps sans vie, et réalise que mon second adversaire a disparu dans la mêlée. Mes yeux roulent à la recherche de ma proie et un coup de vent derrière moi me fait soudainement réagir. Je me retourne, sur la défensive, et je sens mes jambes se faire taillader de nouveau. J’abaisse mon regard et réalise que mon adversaire a glissé à mes pieds et en a profité pour m’attaquer. D’un coup ballant j’essaye de le stopper en fin de glissade, mais la mollesse de ma frappe lui permet d’esquiver avec aisance. Malgré l’adrénaline, la douleur à mes cuisses se fait de plus en plus cinglante et je dois redoubler d’efforts pour tenir l’équilibre. Après s’être redressé face à moi, l’adepte me toise de toute sa hauteur et lève une main, prêt à décocher une nouvelle dague. Mais ce n’est pas un, mais trois, voire quatre couteaux qui sont lancés à pleine vitesse en ma direction, j’ai du mal à en connaître le nombre tellement ils sont projetés avec fulgurance. De mouvements brefs, je parviens à en repousser quelques-uns à l’aide de mes sabres, mais un dernier m’érafle la joue et termine sa course dans la flotte derrière moi. L’homme s’apprête à réitérer son attaque en lançant ses derniers couteaux mais il s’arrête soudainement dans son geste, se figeant comme un pantin, et se met à tâter son cou du bout des doigts. Il retire la fléchette plantée dans sa nuque, l’observe d’un air interloqué et s’écroule brutalement.

« Eh beh alors, on galère ? s’écrie Lenny derrière moi d’une voix triomphante.
- J’avais pas besoin de ton aide.
- Je vais prendre ça comme un « merci », alors de rien. Mais tu devrais rester concentré, on est clairement en difficulté.
- Je suis très concentré figure-toi. »

A peine ai-je le temps de finir ma phrase qu’un adepte m’attaque dans le dos, un sonore « derrière toi ! » de Lenny me sauve la vie et me fait réagir au quart de tour. Je fais volte-face brusquement, pare le coup d’épée qui s’abat sur moi et d’un mouvement bref, je me dégage de l’allonge de mon nouvel adversaire. L’homme réplique, mais l’assaut vertical qu’il engage est prévisible ; j’esquive d’un pas de côté et ma lame trouve sa gorge. Un rapide tour d’horizon me permet de faire un point sur la situation ; les hommes du cartel de Ramil ainsi que Liana et quelques Sœurs sont aux prises avec les adeptes à l’avant du pont, tandis qu’à l’arrière, nous peinons à empêcher la progression des nouveaux arrivants. Je remarque que Shérazade et aux prises avec la femme au masque de crâne ainsi qu’avec deux autres adeptes de l’Ordre. Ni une ni deux, je traverse les quelques mètres qui nous séparent, me faufilant entre les affrontements ici et là, suivi de près par Lenny qui a rapidement compris mon intention.

« Tu prends celui de droite, je prends celui de gauche, ordonné-je à Lenny en désignant les deux adeptes s’acharnant sur Shérazade.
- Me donne pas d’ordres ! »

Elle s’exécute tout de même malgré son caprice et tire ses deux dagues kriss en se ruant vers l’adepte sur sa droite. De mon côté, je fonds sur l’homme qui s’apprête à embrocher Shérazade d’un coup de lance. D’un bond puis d’un coup de pied, je repousse l’arme avant qu’elle n’atteigne la seconde des Sœurs et je projette ma lame à l’horizontale. L’homme esquive aisément et je reçois subitement son poing en pleine mâchoire, ce qui m’envoie valdinguer un peu plus loin. Je me relève, un peu déboussolé par le choc, mais surtout surpris par la réactivité son attaque.

« Joli. »

Le revers de ma main vient essuyer le sang au coin de ma bouche tandis que j’observe l’adepte s’avancer lentement vers moi. Couvert de la tête aux pieds de bandage qui le changent en véritable momie humaine, l’homme fait tournoyer sa lance à toute vitesse dans ses mains, à tel point qu’elle semble disparaître, puis il frappe au niveau de mon visage. Tel un éclair, la lance s’abat sur moi et je pare de justesse, alors que la pointe n’est qu’à quelques centimètres de mon œil. Je repousse l’arme et riposte en décroisant férocement mes lames au niveau de sa poitrine. Un nouvelle esquive met fin à mon idée et cette fois, un coup de talon au niveau des genoux me fait basculer en arrière. J’heurte le sol et roule immédiatement sur le côté avant que la lance ne me transperce. Je me relève d’un bond et repousse mon adversaire d’un coup de sabre qui le force à parer et à reculer.

Les passes d’arme ne fonctionnent pas, alors un coup suffira…

Je range un sabre dans son fourreau et ferme les yeux. Une profonde inspiration m’aide à contrôler mon cœur. Les battements tonnent, encore, encore, puis ralentissent, lentement. Je retrouve mon calme, un calme profond. Une sérénité. Ma garde s’ouvre, ma lame se lève. J’entends les pas de l’homme se rapprocher, rapidement.
Une dernière expiration. Mes yeux s’ouvrent, mon corps bouge, ma lame s’élance.

L’homme s’effondre.

Je me tourne en direction de Shérazade, qui combat toujours corps et âme contre la cheffe des adeptes. De son côté, Lenny me semble en avoir terminé avec son adversaire, je pense que personne ne survivrait à des coups de dague à répétition dans le visage. Je lui fais signe pour lui indiquer que l’on doit prêter main-forte à Shérazade, elle acquiesce de loin et je dégaine de nouveau ma deuxième lame. En nous voyant nous rapprocher du coin de l’œil, Shérazade s’exclame subitement tandis qu’elle pare péniblement les coups de son assaillante.

« N’approchez pas ! Elle est à moi !
- Mais… Shéra…
- Lenny, j’ai dit elle est à moi ! Trouve Liana et les autres et tirez vous d’ici en vitesse, la marine va rappliquer ! »

Lenny hésite un moment en se figeant, mais, en pleine course, je l’attrape par le bras et l’emporte dans mon élan vers l’arrière du pont, là où les hommes du cartel de Ramil affrontent le reste des fanatiques. Ici règne un chaos sans nom et le navire en flammes qui longe la passerelle ajoute à la scène une atmosphère encore plus funeste qu’elle ne l’est déjà ; les corps jonchent le pont, l’odeur du sang se mêle aux embruns marins et à l’odeur de charbon. Il ne reste plus qu’une poignée de combattants encore debout, trois Sœurs du désert dont Liana, quelques hommes du cartel de Ramil et une dizaine d’adeptes de l’OTS. En avançant vers l’affrontement, je remarque sur ma droite un énième corps gisant au sol, mais surtout un visage que je connais. Le capitaine Rasheem. Sa poitrine est criblée de balles et son visage est aussi livide que l’était celui du chef Ahmed. Je détourne mon regard et me focalise de nouveau sur l’infernale bataille qui a lieu à quelques mètres de moi.

Au milieu de celle-ci, Liana donne de la voix pour encourager ses alliés. Elle combat avec une élégance qui lui est propre, créant une sorte de danse aussi envoûtante que son regard et aussi énigmatique que sa façon de boire du thé ; les coups pleuvent autour d’elle, mais elle contre et riposte avec une force que je n’aurais pas soupçonnée. Lenny vient lui prêter main-forte et je fais de même, non pas pour protéger Liana, mais pour couvrir les arrières de ma partenaire.

« Liana ! Nous sommes attaqués à l’arrière de la passerelle, ça tourne clairement au vinaigre. Shérazade est en train de se battre contre…Djamila. Elle nous a demandé de quitter la passerelle au plus vite, avant que la marine ne rapplique.
- Je vois, répond la jeune cheffe tout en parant avec une facilité déconcertante les attaques qui pleuvent sur elle. Je crois que c’est le mieux à faire, nous ne sommes plus en mesure de continuer à lutter.
- Mais, et Shérazade ?
- Elle couvre nos arrières.
- Mais on va quand même pas l’abandonner là ?
- Elle a pris sa décision, tâchons de la respecter. »

Soudain, une explosion retentit à proximité de la passerelle, et le souffle dégagé par celle-ci manque de nous faire tomber. Je tourne la tête et réalise que l’immense navire en flammes qui se dresse à côté de la passerelle est en train de tomber en morceaux. Les planches brisées s’écrasent les unes après les autres sur le pont, créant un capharnaüm bien plus assourdissant que les échos des affrontements. Un morceau de mât s’abat sur Liana, Lenny et moi, et c’est un coup de sabre que je projette au dernier moment qui nous sauve la vie. La passerelle se disloque petit à petit sous la pluie de débris et il manque peu de temps avant que nous ne rejoignions les profondeurs.

« Lenny, Sira, Nifa, sautez tout de suite à l’eau ! Nagez tant que vous le pouvez ! » s’écrie Liana avant de se jeter à la mer.

Le fait qu’elle m’omette volontairement ne me surprend pas, à vrai dire, ça m’aurait étonné qu’elle daigne m’aider à m’en sortir. Lenny m’adresse un regard et un acquiescement de la tête lui fait comprendre que je la suis. Elle s’élance, suivie des deux autres Sœurs encore en vie. Je range mes sabres, puis tourne la tête en direction de l’avant de la passerelle ; à travers les flammes, la fumée, les corps qui se meuvent et les débris qui jonchent le pont, je distingue une silhouette. Grande, robuste, une longue épée entre les mains, mais surtout, une détermination sans faille.

Adieu Shérazade.

Mes yeux se ferment et je saute à l’eau.

[…]

Lenny me tend un bras, que j’agrippe avec le peu de forces qu’il me reste. Je m’extirpe tant bien que mal de l’eau, en râpant tout mon corps contre le rebord en pierre. Allongé sur le dos, la respiration sifflante, trempé de la tête aux pieds, je me sens vidé de toute mon énergie après cette nage interminable. Lenny s’assoit près de moi et sa simple présence me réchauffe le cœur. Les deux autres Sœurs, Sira et Nifa, essorent leurs tuniques gorgées d’eau et de sang tout en écoutant Liana, qui cache particulièrement bien sa fatigue.

« Le Cartel de Ramil est perdu. Sans Ahmed ni le capitaine Rasheem, le cartel va se démanteler de lui-même, on ne peut plus compter sur eux. La marine aura vent de se qu’il s’est passé ici, désormais cette guerre n’a plus rien secrète et on va devoir redoubler de vigilance pour tirer notre épingle du jeu.
- Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demande Lenny d’un ton passablement agacé qui n’échappe pas à Liana.
- J’espérais me passer de son aide pour nous éviter des soupçons, mais je crois bien qu’on a pas le choix, Abu Mussa a encore trop d’avance sur nous. Allons-y, nous n’avons pas de temps à perdre, poursuit la chef des Sœurs tout en se levant.
- Et on va où au juste ? demandé-je, curieux.
- Rendre visite à mon frère. »
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