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Quand les vieux débris s'amusent à plusieurs...

- Eh ben ! C'est un joli tas d'merde, ça !

   Quelques jours auparavant, j'avais accepté la requête d'un type qui se fait appeler "le Brocanteur". Un cinquantenaire pas très net avec une fine moustache et un costume horrible et délavé. Celui-ci voulait que je me procure pour lui des pièces importantes d'un navire coulé il y a quelques temps : le "Floating Bull". D'après lui, il s'agirait d'un mastodonte conçu à partir d'un bois prisé sur GrandLine, de par sa solidité. Rien à voir avec le bois d'Adam, évidemment, mais suffisamment souple et résistant pour faire du bateau un superbe bolide maritime. Et pourtant, malgré sa vitesse, il fut coulé après seulement trois mois de navigation. Pourquoi ? Parce que le bestiau était aussi gros qu'un galion, avec des voiles immenses pour coupler à sa remarquable flottaison. D'après mon client, un boulet aurait brisé net l'un des mâts, entraînant la chute de plusieurs cordages et la perte de la voile principale, et les vents bien que favorables n'avaient plus suffisamment d'emprise sur l'entièreté de la chose pour le pousser et le sortir du pétrin. Deux vaisseaux pirates l'ont rattrapé pour l'achever.

   Et donc, me voilà sur le Cimetière d’Épaves. Lieu d'arrivée de tous les bouts de bois qui voguaient sur les Blues avant de connaître un sort funèbre. Au premier coup d'oeil, on se rend compte de l'anarchie totale qui règne ici. Des amas plus ou moins chaotiques de coques, de mâts, de cordes, de chaînes et de pontons forment une île. Le paysage est presque triste, tant il est ravagé, mais au loin, depuis le Sud-Est, on peut voir un semblant de vie : quelques lumières, quelques cabines arrachées à leurs propriétaires et agencées avec un minimum de soin, du bruit aussi... Lyon-sur-Loques nous fait face. Du moins c'est ce que me permettent de croire les bateaux penchés et collés les uns aux autres à la manière d'un mur protecteur, au devant.
  Je me tourne vers les hommes du Brocanteur : une cinquantaine d'individus venus là pour m'aider à dépouiller le "Floating Bull" de la plupart des composants intéressants dont il dispose. Le cinquantenaire est là lui aussi, assis tranquillement sur une chaise, nous observant depuis le pont de son propre navire. Avec ces hommes à disposition, je me demande pourquoi il m'a embauché. Qu'est-ce qu'une paire de bras supplémentaires va bien pouvoir changer ?

   La réponse, je l'ai eue peu de temps après que nous ayons débarqué et commencé à chercher notre épave. Sa position a été soigneusement étudiée par l'un des hommes du Brocanteur, un expert en flux et courants marins.
   Parce que le tas de merde, ce n'est pas cette île. Ce n'est pas non plus Lyon-sur-Loques. Ce ne sont pas mon employeur et son équipage non plus. Le tas de merde, c'est le ramassis d'ordures qui est arrivé sur la zone potentielle d'arrivée avant nous, farfouillant et triturant les déchets à la manière de rats d'égouts en quête de restes à se mettre sous la dent. L'un d'eux rameute sa bande en pointant du doigt la poupe d'un colosse gisant sur les abords du Cimetière. Je plisse les yeux et parvient à déchiffrer le nom inscrit dessus. C'est notre bateau.

   Les rats sont une petite vingtaine. Je m'approche donc d'eux, confiant. Je fais tout de même attention à ne pas trébucher sur le sol, vieux survivant de la réserve d'un navire marchand, très certainement. Certains me remarquent et se figent en voyant les autres derrière moi. Je m'arrête à quelques mètres du premier et clame haut et fort :

- Messieurs, jeunots, crevures et raclures de toute sorte, bonjour ! Je viens vous informer que vous êtes ici sur le territoire que nous revendiquons aujourd'hui et maintenant, afin d'y effectuer un travail de récupération de la plus haute importance ! Venant d'arriver et n'ayant pas que ça à foutre, nous espérons que vous comprendrez qu'il vous faut quitter les lieux dès à présent, afin d'éviter toute remontrance de notre part.
- J'rêve pas ou il nous a bien traité d'crevures ?!
- Ne nous arrêtons pas sur ce genre de détail sans importance et réfléchissons calmement à la situation, en temps qu'hommes d'un minimum d'intelligence : ne serait-ce pas judicieux pour vous, inférieurs en nombre, de faire preuve de bon sens et de partir sans trop de cérémonie ? Il serait fâcheux pour nous de devoir gaspiller de la poudre et des balles pour quelques grattes-poubelle.
- L'enfoiré...
- Alors ? Qu'en pensez-vous ?

   Les autres se sont rapprochés de moi. Ensemble, nous les intimidons, mais c'est mon regard et mon sourire à la fois moqueur et carnassier qui les empêche de prendre une décision.
   Finalement, ils finissent par reculer, puis par se retourner, puis par s'en aller. L'un d'eux tourne la tête et me toise. Dans ses yeux, je sens une pointe de colère. Il me défie presque dans sa fuite. La situation est cocasse mais je me doute bien du message qu'il cherche à me transmettre : ils n'en resteront pas là.

- Pourquoi les avoir provoqué de la sorte ?

   Le Brocanteur s'est décidé à nous rejoindre. Il se place à côté de moi :

- Parce que le Cimetière d’Épaves n'est pas différend de Rokade. Ici, c'est manger ou être mangé. Il n'y a pas loi, pas de police, pas de propriété, pas de sécurité... il faut s'imposer d'emblée et faire courber l'échine à son prochain dès le premier accrochage.
- Mais il n'y a même pas eu d'accro...
- Ce que j'veux dire, c'est que tous les habitants du Cimetière sont des brigands et des pirates. On ne discute pas avec eux, on les soumet ou on les affronte. Et mieux vaut pour nous que ce soit la première option.
- Et... Si on en arrive à la deuxième ?

   Je fixe longuement mon employeur. Celui-ci n'exprime pas vraiment de peur. Plutôt une forme de curiosité innocente. Pas du tout en accord avec le ton qu'il a utilisé. Je souris :

- Eh bien je suppose que c'est pour cela que vous m'avez embauché, je me trompe ?
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- Allez, un peu de nerf feignasses ! C'pas comme ça qu'on va dégager la cahute et la timonerie !

   Les cinquante hommes du Brocanteur sont de très bons démonteurs de navires, embauchés au Royaume de Bliss pour la plupart. Nous avons approché notre bateau de la zone du "Floating Bull" et descendu le matériel nécessaire à l'extraction des composants. La tâche la plus ardue reste celle consistant à les descendre depuis le pont principal, légèrement penché, sans rien abîmer. La méthode la plus efficace reste de désassembler chaque partie du bâtiment, presque planche par planche pour la plupart des éléments, en veillant à retirer chaque liant le plus minutieusement possible. Une tâche titanesque quand on sait ce que compte la liste de mon bien-aimé client :

- Plus que quelques mètres carré de charpente et ne nous restera plus qu'la cabine, le pont principal, le beaupré et la cale.
- Pas le faux-pont ?
- Nous l'éviterons au maximum. Mais comme notre rafiot est un catamaran, il possède une deuxième coque plutôt solide et assez bien conservée, ce qui la rend d'autant plus précieuse ! Mais pas de problème de ce côté-là, j'ai vérifié : un boulet a percé la chose au niveau d'une jointure entre les deux niveaux, ce qui nous donnera une voie d'accès pour faire passer nos outils et extirper les premiers morceaux. Le tout, c'est d'être patient !
- Mais nous sommes sur le Cimetière d'Epaves ! Vous avez dit qu'on était pas à l'abri d'une éventuelle attaque de...
- Raison d'plus pour s'activer ! Maintenant ravale ta salive, histoire d'pas être à sec avant la fin d'la journée, et bouge-toi le cul !

   Quelques heures et vociférations plus tard, nous nous posons enfin au pied de notre oeuvre : la quasi-totalité de la cahute et de la timonerie se retrouve suspendu dans le vide pendant que quelques hommes remontent tout cet amas via un système d'élévateur sur le flanc gauche de notre bateau. Plus que quelques pièces de bois à peu près intactes et nous pourrons nous attaquer au pont.
   Nous mangeons tranquillement notre repas. Certains discutent de la journée, d'autres racontent quelques blagues salaces à propos de leur femme ou de leur soeur, et le cinquantenaire est là, assis devant moi, les yeux baissés sur son assiette, sans prêter la moindre importance à ce qui l'entoure. Mais ce qui me chiffonne le plus à l'instant, c'est que je ne sais rien de lui. Bien sûr, je n'ai pas l'habitude de m'intéresser à la vie privée de mes clients, tant qu'ils paient. Mais ce moustachu-là me donne une impression désagréable.

  Ses paroles s'opposent à ses mimiques, son allure de clodo s'oppose à ses manières, que ce soit lorsqu'il se déplace, lorsqu'il mange ou lorsqu'il prend la parole en public... J'ai côtoyé énormément de monde durant ma carrière et je suis capable de reconnaître un débris bipède quand j'en vois un. Tout comme je sais reconnaître un menteur... Je ne sais pas à quoi va lui servir tout ce bois, aussi spécial soit-il, mais ce qui est sur, c'est que cela représentera beaucoup de moyens, financiers ou autres.
   Mais peut-être bien que je me mêle de ce qui ne me regarde pas ?

- Z'êtes pas vraiment brocanteur, n'est-ce pas ?

   Il s'arrête de manger. Il me regarde. Je ne bronche pas et continue de mastiquer mon bout de semelle. Pas salée en plus...

- Et vous n'êtes pas vraiment commercial ?
- Hmm... Si, dans un sens.
- Alors dans un sens, je le suis également. Tâchez de ne pas l'oublier quand vous recevrez vos quinze millions.

   Ah ouais. Quinze millions de berrys, c'est vrai. Plutôt sympa comme travail hein ? Ça vaut bien quelques cachotteries... Il est temps pour moi de faire preuve de professionnalisme donc.

   Après le repas, nous commençons à préparer des tours de guet, à la suite d'une demande de ma part. Une petite moitié de l'équipe s'est montrée réticente au départ, mais le simple fait de leur avoir présenté mon Argument, magnifique bâton d'argent, suffit à m'accorder une écrasante majorité. J'attend donc mon tour depuis ma couchette, dans les entrailles de l'épave que nous nous efforçons de vider. Un homme vient me trouver pendant que je somnole sur l'une des couchettes :

- Monsieur Silverbreath ! Y a des types qui... Mais qu'est-ce que vous faîtes ?
- Bah j'me repose, ça s'voit pas ?! Il est au mois une heure du matin et mon tour de garde n'est pas avant trois heures !
- Mais... C'est dangereux de dormir dans une épave... Et puis ça porte malheur... Imaginez que...
- Imagine que j'sois obligé d'me lever, là, tout de suite : qu'est-ce qui va s'passer si tu m'déranges pour rien à ton avis ? D'ailleurs pourquoi t'es là ?
- Y a du mouvement du côté de la ville, et aussi près des rebords, en direction de la plage aux caravelles.

   Je me redresse, lentement. Je ne suis plus énervé. Je reste de marbre pendant quelques secondes avant de tapoter l'épaule du démonteur et passer devant lui, toutes dents dehors :

- Ils sont rev'nus plus vite que je ne l'aurais cru. Espérons qu'ils soient aussi endurants que réactifs parce que j'compte bien m'amuser un peu.
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Dans la pénombre, des silhouettes se meuvent au milieu des débris, le bruit de leurs pas et le grincement du vieux bois couverts par le fracas des vagues contre le flanc des navires éventrés et par le vent agitant aux alentours les voiles déchirées. Je les observe depuis le pont du "Floating Bull", aux côtés du démonteur, bientôt rejoint par le Brocanteur. Celui-ci tire délicatement les poils de sa moustache avec sa main. Nous nous regardons les uns les autres et, je le sens, nous savons tous à cet instant précis ce qu'il convient de faire. Nous hochons de la tête et je gueule à l'intention du reste de notre équipe de récupération, endormie sur notre bateau, juste à côté :

- RÉVEILLEZ-VOUS, SALES MERDEUX ! L'ENNEMI ATTAQUE ! JE REPETE : L'ENNEMI ATTAQUE !

   Comme si la foudre venait de s'abattre juste à côté d'eux, les ombres des pirates en approche se figent. De notre côté, quelques cris mécontents et étonnés se font entendre. Puis bientôt des ordres fusent dans les cabines et les cales. Ma voix résonne, amplifiée par le vent marin soufflant sur les côtes de l'île artificielle. Je m'époumone afin d'être compris de tous :

- ON S'ACTIVE ! QUE TOUS LES CANONS SOIENT PRÊTS A FAIRE FEU D'ICI UNE MINUTE ! ET JE VEUX DIX HOMMES SUR LE PONT, AVEC DES FUSILS ! MAINTENANT !

   En face, les pirates reprennent leurs esprits et chargent dans notre direction, sous les ordres d'une femme. Comment le sais-je ? Parce que ses jérémiades sont si aiguës qu'elles font vibrer mes tympans d'ici, à plus de cinquante mètres de sa position !

- Pas de quartier, bande de larves ! Ils vont voir ce que ça fait de manquer de respect aux Green Birds !
- FUSILIERS ! MAGNEZ-VOUS LE CUL ! C'EST POUR AUJOURD'HUI OU POUR... Les "Green Birds"... Sérieusement ?!

   Je me répète mentalement le nom, histoire d'être certain de ne pas avoir rêver, puis j'éclate de rire.
  Les Oiseaux Verts ! C'est le nom le plus minable que j'ai jamais entendu pour un équipage de pirates ! Je suis plié en deux, la larme à l’œil et je m'imagine leur Jolly Roger, décoré d'une jolie petite perruche unijambiste coiffée d'un tricorne. Hilare, je fais signe à mes deux voisins de s'occuper de la suite des opérations le temps que je me remette. Je m'écarte un peu pour me calmer. La donzelle m'a fait ma journée !

   De leur côté, les hommes du Brocanteur se démènent pour mettre en place les canons. Dix hommes, comme convenu, sont montés sur le pont et pointent leurs mousquets en direction de l'ennemi. Mon client donne l'ordre de tirer et les premières balles fusent, très vites suivies par celles des forbans. Quand je pense que tout ça arrive parce que nous voulions dépouiller le même bateau et que j'ai un peu trop ouvert ma gueule... J'en ris de plus belle. Faut dire que j'avais peur de m'emmerder à jouer les petits charpentiers modèles.
  Derrière moi, les détonations sont nombreuses et peu cadencées. Un bordel pas possible. Et des gens râlent, et des gens souffrent, et des gens meurent la gueule grande ouverte, laissant s'échapper leurs derniers jurons et leur derniers soupirs. Ça donne mal au crâne, mais avant tout, ça me donne envie de descendre me joindre à la bataille.
   Pas très judicieux, quand on sait que je n'ai pas de flingue...

- Les canons semblent prêts, monsieur. Nos hommes me font signe depuis le bateau.
- Parfait ! Faîtes feu dès à présent ! Pulvérisez-moi ces rats de fond de cale !

   Il est presque drôle aussi, l'employeur. Mais plutôt que de pouffer à nouveau, je choisis de me rapprocher de la rambarde pour profiter du spectacle. Des projectiles nous frôlent tous les trois et nous baissons la tête, par réflexe, alors que ceux-ci viennent déjà se ficher dans les mâts et le beaupré. En contrebas, environ quatre-vingt boucaniers s'approchent de notre position. Ils sont à moins de vingt mètres maintenant et un cinquième d'entre eux est tombé. La lune éclaire l'ensemble de la scène, haut dans le ciel, alors que nos yeux habitués à la pénombre survolent ce spectacle affligeant : une nuée d'hommes armées court tant bien que mal sur le sol ravagé et instable composé d'épaves et de rafiots ébranlés. Certains trébuchent, tentent de se relever et trébuchent encore.
   De notre côté, pas un mort semble-t-il... Je lève un peu plus la tête et regarde en direction du pont de notre bateau. Deux fusiliers manquent à l'appel.

   BANG !
   Le premier boulet jaillit de la bouche d'un de nos canons et vient exploser le plancher sur lequel se dressent trois pirates, lesquels sont projetés en l'air. L'un d'eux retombe à l'endroit exact où il se trouvait auparavant et où se trouve à présent un trou d'environ un mètre de diamètre. Presque plié en deux, coincé, il est hors d'état de nuire. Les deux autres chutent sur des débris éparses, gravement blessés. L'un d'eux est même allé s'empaler sur un mât brisé.
   Ce premier boulet est rapidement suivi de trois autres. Et trois autres trous viennent parfaire le décor sur cette fausse plage. Paniqués, les pirates n'osent plus avancer. N'ayant pas réussi à s'approcher suffisamment du navire, ils ont mal calculé le temps qu'ils mettraient pour nous atteindre et les voilà à notre merci. La seule chose qui leur reste à faire maintenant c'est...

- Retraite ! On bat en retraite !

  La femme-pirate, une blonde sertie d'un foulard sur la tête et d'une chemise bouffante autrefois blanche, lève son pistolet et pointe la ville de Lyon-sur-Loques du bout de son sabre. Sans demander leur reste, les assaillants font volte-face et fuient, poursuivis par les démons. Des démons d'acier, sphériques.
  Mais un truc me gène là-dedans. un truc important. Et j'ai beau tapoter le bord de la rambarde, je ne parviens à passer outre. L'idée me submerge, m'envahit le corps et l'esprit, me ronge... Et je craque :

- M'amuser...
- Quoi ? Que dîtes-vous ?
- J'ai dit que j'voulais m'amuser... Z'ont pas l'droit de s'barrer comme ça. Les froussards... Ils ont pas le droit de me priver de MON moment à MOI !

   Et sans laisser le temps aux deux gus de me retenir, je passe par dessus le rebord et saute en attrapant une corde du "Floating Bull" au passage. L'une de celles que nous avions déficelées auparavant, seulement rattachée au navire par les hauteurs du mât de misaine. A la manière d'un homme de la jungle, je me laisse glisser le long de ma liane et, pied à terre, je me lance à la poursuite de l'ennemi. Sur ma gauche, les canons n'ont pas terminé de tirer et je sens le sol trembler à chaque impact.
  Mais je n'en ai rien à foutre sur le moment. Car tout ce qui m'importe à l'heure actuelle est d'avoir droit à une proie. Ma proie. Regarder, c'est sympa. Agir c'est nettement plus excitant.
   L'ennemi a rebroussé chemin à dix mètres de nous. Ils n'ont pas eu le temps de courir bien loi et je commence à gagner du terrain, rattrapant le dernier du lot. Sur la centaine du départ, il ne doit en rester qu'une cinquantaine au mieux.

   Je manque de tomber en voulant plaquer le type à terre tout en lui enfonçant la tête dans une planche pourrie, à moitié spongieuse. L'autre est sonné et s'étouffe rapidement, les voies respiratoires bouchées. Mais je n'assiste pas à sa mort, trop occupé à rattraper le peloton juste en face.
   Parce que dans celui-ci, il y a la proie que je désire : la femme-pirate.


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Sam 10 Juin 2017 - 23:19, édité 1 fois
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BANG !

   Je me prends une quantité astronomique de copeaux de bois sur la figure alors qu'un autre projectile éclate à proximité. Le temps de lâcher un :

- Hé ! Faîtes gaffe, les débiles !

   Et je me lance à nouveau dans la course.
   J'espère quand même ne pas mourir sous un feu allié. Enfin, si l'on peut considérer ce tas d'ouvriers du petit peuple comme des alliés. Et je crache à la gueule du premier qui me dit que je suis moi aussi né du petit peuple.
   Les tirs de canon obligent les pirates à continuer leur course sans se retourner. J'ai quand même l'impression d'avoir à faire à une bande de débutants, ou à des naufragés contraints de vivre comme des sédentaires pendant trop longtemps. Vu l'âge que devait avoir celui que j'ai écrasé, c'est sûrement la première option. Mais ça ne va pas m'empêcher de les buter.

   D'ailleurs puisqu'on en parle : je chope celui devant moi par le col, le plaque au sol et enfonce mon pied dans sa gorge. Sans un mot, car je n'aime pas les adieux, j'enchaîne en lançant mon couteau dans le dos d'un autre, lequel manque de tomber à la flotte, entre deux esquifs. Je récupère ma lame au passage et m'approche de plus en plus de la jeunette. Joli petit derrière qu'elle a, la vilaine fille...
   Distrait par son mouvement durant la course, je me prend le pied dans un cordage et m'étale de tout mon long sur une dunette arrachée au reste de son vaisseau. Je jure, je ronchonne, tranche le lien tant bien que mal et tente de rattraper mon retard.
   Ils ne sont plus qu'à deux cent mètres des "murs" de la ville. Et la donzelle est si proche maintenant... Encore quelques mètres...

   Pourquoi elle en particulier ? Parce qu'elle semble mener cette troupe de bras cassés, parce qu'elle piaille fort et parce qu'un peu de distraction au milieu de toute cette testostérone, ici sur un amas de déchet à plusieurs miles de mon cher petit bordel adoré, ne peut que me faire du bien ! Et puis ce cul...
   Une idée me vient en passant à côté d'un filet de pêche. Je l'attrape, je mouline et je le lance en direction de la belle blonde au foulard. Et devinez quoi ? Je rate mon coup.
   En fait non : une de ses cuissardes s'emmêle dans les mailles et elle chute face contre terre dans un bruit sourd. Elle gémit et tente de se relever... J'espère que je l'ai pas trop abîmée. Parce que même dans le noir, une fois que t'as vu l'état du visage, tu ne penses qu'à ça ! Et je dis pas ça par véc...

- Argh... Espèce de salaud !
- Mes excuses ma belle, c'était pas vraiment de cette manière que ça devait s'passer.
- Attend un peu, tu vas voir... Hé ! Reven...

    BANG !
   Un énième boulet vient s'encastrer dans une barge à quelques mètres derrière nous et cela suffit à couvrir la voix de ma proie, détournant suffisamment l'attention de son équipage pour qu'il nous distance sans chercher à voir qui il pouvait bien manquer à leur bande. Elle cherche alors à prendre son pistolet. Je donne un coup de pied dedans au moment où celui-ci se tourne vers moi.
   Elle me regarde, dépitée. Je la regarde, neutre :

- Bon bah... Je t'ai attrapée. C'est toi le chat. Ou la chatte, comme tu l'sens.
- ... Pardon ?
- Laisse tomber. T'es pas très joueuse...

   On y remédiera en temps et en heure. En attendant je me jette sur elle avant qu'elle ne se décide à dégainer son sabre que je jette au loin. Je la ligote du mieux que je peux. Elle parvient à me mordre. Je gueule. Je lui en place une dans l'estomac pour la calmer et la porte sur mon épaule une fois ses pieds et poings liés avec le filet de pêche. Les coups de canon ont cessé et les hommes du Brocanteur sont descendus nous accueillir au bas du "Floating Bull". Ma blonde s'est remise du choc et se débat avec toute l'énergie du désespoir. Avant qu'elle ne parvienne enfin à se redresser pour se libérer de mon emprise, les démonteurs l'attrapent et l'amènent sur le pont de notre bateau où elle est attachée.
   Le Brocanteur s'approche d'elle, tandis que l'on s'occupe des deux tireurs blessés. L'un d'eux a été touchée en dessous de l'épaule et il risque d'être inapte au travail pendant quelques jours. Une bouche inutile à nourrir en somme.

- Te voilà prisonnière, petite. Ou devrais-je dire : pirate.
- Pas pour longtemps, sale con.
- Et grossière en plus de ça... Vous vous entendriez bien, Dorian.
- Je t'emmerde, le vieux.
- Quel est ton nom ?
- Sarah.
- Sarah... Qui ?
- Sarah Croche.

  J'éclate de rire. La blague en soi est pitoyable, mais toutes ces émotions en beau milieu de la nuit, ça joue sur les nerfs ! Tout le monde me regarde, même mon employeur. Et la prisonnière me dévisage avec un air de dégoût... Oh attend : c'est vraiment son nom ? Pas possible !
   Pour me racheter, je viens lui poser une main sur l'épaule :

- Navré. J'espère que tes parents sont morts dans d'atroces souffrances pour avoir transformé ta vie en enfer de la sorte.
- Mes parents se portent très bien. Et je suis habituée à ce genre de moquerie !

  Ben voyons.

- Sarah, tu as dit que tu ne seras pas prisonnière longtemps. Qu'est-ce que ça signifie ?
- ...
- J'écoute.
- Ça veut dire ce que ça veut dire !
- Tu penses que ton équipage va revenir te chercher ? Les Green Birds...

   Je ris tout bas.

- ... Vont tenter quelque chose ?
- Qui sait ?
- Cela m'étonnerait beaucoup que des forbans, sans foi ni loi, reviennent chercher leur capitaine au péril de leur vie.
   
   Et là, Sarah se met à sourire. Pensant qu'elle se moque, le Brocanteur la gifle, pris d'un élan de colère :

- On ne se moque pas de moi impunément, jeune fille ! Tu n'as aucune idée de qui je suis ! De ce que dont je suis capable ! Tu n'imagines pas un instant toutes les choses que j'ai pu faire avant d'arriver sur ce tas de vieilles planches ! J'ai fait courber l'échine à des êtres si affreux que peu de personnes sont encore en vie pour les désigner comme tel ! Tu n'es pas en position de sourire ! Tu...
- N'est pas le capitaine.

   J'ai de nouveau l'attention de toute l'assistance. Je réfléchis un instant encore, les yeux rivés sur la blonde qui semble déconcertée par mes paroles... J'ai touché juste, semble-t-il.
   Car le sourire qu'elle a affiché, je le connais. J'en suis l'un des adeptes. La seule différence, c'est qu'elle n'a pas de fossette qui puisse la trahir, ce qui m'a fait douter. Mais du coup, cet échange soulève deux questions qu'il faut dès à présent se poser, d'abord par curiosité, ensuite par prudence : qui est son capitaine et quelle est la véritable identité du soi-disant si dangereux Brocanteur m'ayant recruté ?
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- Ce n'est pas le capitaine de cette bande de...
- Non. Et vu la gueule qu'elle tire, je l'affirme sans hésiter.
- Dans ce cas ma chère, tu vas tout de suite me donner le nom de l'homme que je dois punir pour nous avoir... Dérangé pendant notre travail.
- Je ne dirai rien...

   Nouvelle gifle. Je grimace : je n'aurais pas aimé la prendre à sa place.

- Si tu ne dis rien, je te fais raser...
- Oh...
- Rompre les os des bras et des jambes...
- Oh...
- Après t'avoir arraché les ongles un à un.
- Oh !
- Quoi ?!
- Rien. J'ai juste hâte d'y être.
- Mmh ! Comme tu le vois, Dorian ici présent aimerait y prendre part. Et il le fera bien, sois-en certaine.
- Ouais. Mais d'abord laissez-moi l'temps de jouer un peu avec elle. Parce que bon, c'est pas que je suis difficile, mais tant qu'elle ressemble à quelque chose ça va. Par contre après...
- JE VAIS LE DIRE !

  Sarah nous hurle à la figure, exaspérée et, sans doute, un peu éprouvée par la peur de souffrir. Elle souffle un coup, inspire à fond et continue :

- Je vais vous dire son nom... Mais ça ne vous avancera à rien.
- Détrompe-toi : je connais des gens qui sauront le retrouver sans difficulté.
- Ce n'est pas ce que je veux dire...
- Alors explique-toi !
- Le capitaine n'a rien à voir avec tout ça... C'est moi seule qui ai tenu à vous surprendre de nuit. Pour montrer qu'on ne se moque pas des Green Birds...
- Tséhéhéhé...
- ... Impunément.
- Donc tu es en train de me dire que tu es l'instigatrice ? Outrepassant tes fonctions et l'autorité de ton capitaine ?
- Je suis la seconde à bord. J'ai également ma part d'autorité au sein de l'équipage. Mais mon action est en effet un affront fait à mon supérieur... Que j'aurais pu transformer en acte honorable si j'avais réussi. Je me suis emportée, par colère et par impatience... Je n'ai pas pris la peine de vérifier davantage les forces en opposition et je me retrouve là à... Ruminer mon échec. Contrainte de l'assumer.

   C'est presque émouvant. Mais je n'en ai cure. Une seule chose m'intéresse pour l'instant : savoir comment va évoluer la chose. Que va dire le Brocanteur ?
   Celui-ci réfléchit, étirant sa moustache d'un geste de la main. Ses yeux mi-clos toisent la femme-pirate d'un drôle d'air. Comme s'il sondait l'intérieur de son être. Comme s'il cherchait une faille, une faiblesse quelconque, de quoi la rabaisser davantage... Puis il lui dit :

- Dans ce cas, tu seras punie. Mais avant cela, j'aimerai tout de même connaître le nom de ce capitaine que tu as trahi, histoire que je sache de qui je pourrai me moquer à l'avenir, comme étant le chef s'étant fait voler son autorité par sa seconde.
- ... Mais...
- Si tu me le dis, je m'engage à ne pas te tuer. Tu as ma parole. Comme on dit : "Faute avouée est à moitié pardonnée."
- ... Depic.
- Oui ? Redis-le.
- Tobias Depic.
- Parfait ! Vous deux, avec moi. Nous sortons rendre une petite visite à des amis à moi. Ils doivent se terrer dans le coin... Et ils seront ravis en écoutant le marché que je leur propose.
- Et que leur proposez-vous au juste ?
- La mort du capitaine Depic et de sa bande contre une cargaison d'armes.
- NON ! Ce n'est pas ce que vous aviez dit ! Vous...
- En effet ! J'ai dit que je me moquerai de lui. Mais je n'ai jamais dit que je ne prendrai pas ma revanche.
- Mais vous l'avez votre revanche ! Je suis là et...
- C'est bien pour ça, petite sotte, que je m'en vais les tuer. Car tu vas vivre en sachant que, par ta faute, les Green Birds vont périr sur ce tas de bois mort qu'on appelle Cimetière, et ce à cause d'une décision irresponsable de ta part ! Je me demande bien quels seront les derniers mots de ton capitaine mourant. Peut-être aura-t-il une dernière pensée pour toi, qui a joué les petits chefs dans son dos ?

   Sarah se met à sangloter, puis à pleurer abondamment. Tête basse, elle ne réagit plus à ce qui l'entoure, brisée par les paroles de mon client. Je ne peux pas dire que je n'approuve pas ses décisions, mais il manque légèrement de prudence selon moi. Sans doute a-t-il l'habitude de gagner quoi qu'il arrive, grossissant son ego, mais c'est là son erreur : le temps qu'il rencontre ses "amis", Tobias Depic aura tôt fait d'être prévenu de l'assaut de ses hommes et aura rassemblé sa bande, soit pour revenir à la charge, soit pour fuir sa position, en laissant à son sort la seconde. Et nous ne pouvions nous permettre cela.

- Monsieur. Puis-je demander quelque chose avant que vous n'partiez ?
- Fais vite.
- Me laissez-vous prendre quelques hommes pour espionner Tobias, histoire de s'assurer de ses intentions le temps que vous reveniez ?

   Le Brocanteur comprend petit à petit où je veux en venir et hoche la tête affirmativement. Il s'en va alors avec son binôme de démonteurs, toujours armés. Je me retourne vers la donzelle avachie par terre, ligotée au mât, enfoncée dans son malheur. Je fais signe à trois gus de la conduire à l'intérieur et de l'y enfermer à double-tour, surveillance incluse. Le temps qu'ils s'exécutent, je regarde quatre autres types et leur demande de me suivre.
   La nuit n'est pas terminée.

[...]

   Aux abords de Lyon-sur-Loques, je repère un semblant d'auberge devant lequel se tient, nerveux, un jeune homme que je reconnais. Il s'agit du malingre duquel je me suis approché lorsque nous avons rencontré les Green Birds la veille.

- On les a enfin retrouvé... C'est plutôt grand, comme ville.
- Si on peut appeler ça une ville...
- N'empêche qu'il faut beaucoup d'effort et de patience pour transformer cette décharge en lieu de vie !
- Ouais... Ben j'comprend pas tous les merdeux qui vivent ici. Quoi que c'est peut-être parce que c'sont des merdeux, tiens.
- Vous êtes toujours aussi piquant ?
- Et encore, t'as rien vu ma puce. Là j'suis d'bonne humeur. Un peu fatigué mais d'bonne humeur. Imagine quand j'me lève du pied gauche !
- Je préfère pas...
- Bon. Bah ferme-la maintenant, parce que ça bouge là-bas.

   Depuis notre cachette, à quelques mètres derrière un cabanon fait à partir de morceaux de cahute et de faux-pont, nous observons les mouvements devant l'auberge. La lune et les quelques lampes à huile accrochées aux poteaux-mâts donnent suffisamment de visibilité à la structure pour que nous reconnaissions les personnes à l'entrée. De l'autre côté, les trois autres démonteurs se cachent derrière une figure de proue, à l'effigie de Poséidon sous les traits d'une jeune sirène aux formes désirables.
   Du bâtiment sort un homme, grand, mince, les yeux clairs et le cheveu brun. Sur sa veste, un as de pique. Visible au dessous de sa manche retroussée, un oiseau vert au crâne décharné apparent, armé d'un sabre, un boulet dans la gueule. Notre homme a l'air furieux.
   Qui a dit que les cimetières étaient ennuyeux ?
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- Mais qu'est ce qui vous a pris de faire ça ?! Traîtres ! Ordures ! Crétins !
- C'est Sarah qui nous a ordonné de la suivre, capitaine... Nous ne pouvions pas désobéir au second.
- Et si elle vous avait demandé de tous sauté un à un du bord d'une falaise vous l'auriez fait ?! Quelle bande de... Putain ! Vous auriez dû m'avertir et attendre mon accord.
- Sarah disait que vous n'nous le donneriez pas...
- Et elle avait raison ! Attaquer sans réfléchir un ennemi inconnu... Il faut être le dernier des abrutis pour agir de la sorte ! Vous croyez qu'on s'en est sorti comment jusque là ? En se jetant bravement sur nos adversaires et en leur arrachant des mains tous leurs biens, leur sang coulant sur nos bras ? Ben non ! On réfléchit, on cherche la cible adéquate et, surtout, on se lance pas en quête de vengeance avec aucun plan en tête ! Vous savez quoi... Vous êtes tous congédiés. Je ne veux plus vous voir.
- Mais capitaine...
- Partez. Disparaissez !
- Patron...
- MAINTENANT !

   Je regarde ce spectacle avec un visage malicieux. Finalement ce Tobias n'était pas le chef complètement stupide que je le soupçonnais d'être en voyant cette belle bande d'incapables. Et il dépasse mes espérances en ordonnant le licenciement de tout son équipage... Les pauvres bougres ont tout perdu cette nuit : leur fierté, leur bataille, leur second et leur titre de pirate. Penauds, ils se réunissent autour du jeunot, sans doute un quartier-maître, et quittent les lieux petit à petit, laissant là un capitaine misérable, lequel souffre de ne pas avoir pu faire quoi que ce soit pour les empêcher de commettre l'irréparable.
   Je n'imagine pas ce que je pourrai faire en apprenant que tous ceux travaillant pour moi ont décidé d'agir de leur propre chef, subissant une défaite cuisante par dessus le marché. De toute manière, je m'en fiche un peu. Car là tout de suite, il y a une chose qui m'intéresse beaucoup plus. Et c'est comme une envie monstrueuse qui bout en moi, que je dois apaiser à tout prix.
  Vous ne voyez pas ? Tobias Depic est seul et sans défense. Et qui aura le plaisir de se débarrasser de lui à votre avis ?

- Les gars. Retournez au navire. Dîtes au Brocanteur que ce capitaine ne s'ra plus un problème.
- Mais... Il compte bien le faire tuer, nan ?
- Ma parole mais vous êtes cons, vous aussi ? Allez transmettre l'info ! J'en fais mon affaire de c'type. Ne me dérangez pas.

   Lent à la détente, mon accompagnateur finit par s'éloigner, faisant un signe discret - ou presque - au trois autres plus loin qui le rejoignent.
   Tobias aperçoit vaguement leurs ombres disparaître tandis que je sors de ma cachette et que je m'approche de lui, souriant de toutes mes dents, la fossette visible sur ma joue. Me voir ainsi débarquer de nul part en m'avançant dans sa direction ne semble pas le déranger le moins du monde. Ou alors, la colère et la tristesse qui l'accablent doivent rendre le reste insignifiant. Je viens presque me coller à son nez, histoire d'obtenir un semblant de réaction. J'aime provoquer les autres. Pourquoi ? Parce que j'ai besoin d'être au centre de leur attention.Je veux qu'à chaque fois qu'on me voit apparaître, il y ait ce moment où chacun réagit. Peu importe la manière, du moment que je ne suis pas transparent.
   Cette fois, la colère prend le dessus dans l'esprit de l'ex-capitaine et il me fusile du regard :

- Qu'est-ce que tu me veux, toi ?!
- Dis-moi : suis-je transparent ?
- Non ! Et c'est bien le problème !
- Je vois... Tant mieux ! Dans ce cas tu mérites que je t'aide à chasser toutes les vilaines choses qui te tourmentent.

   L'autre ne semble pas comprendre. Mon sourire s'élargit tandis que je l'aggripe fermement par la nuque et que je lui plante mon couteau dans la gorge, lame vers le haut, presque visible depuis sa cavité bucale. Il laisse s'échapper un simple gargouillis d'effarement avant que ses yeux ne perdent leur éclat.
   Désormais seul devant le tord-boyaux, éclairé par la lueur des lampadaires, je me délecte de cet instant suprême où je suis maître de la vie et de la mort d'autrui. L'homme qui s'écroule à mes pieds n'a plus rien. Par un concours de circonstances, je lui ai ôté tout ce qu'il avait. Et le sentiment de puissance que cela m'apporte grandit en moi. L'ivresse est grande, mais la sensation d'accomplissement l'est encore plus. Le sang chaud sur mes doigts me paraît agréable et le ciel noir, presque dénué d'étoiles, m'apaise alors que je lève la tête.
   Et je reste là, pendant bien une minute, à inscrire en moi le court instant où j'ai décidé du destin de Tobias Depic. Les dernières notes se font entendre à l'intérieur du troquet et leur musique accompagne mon esprit.

   Mais il me faut revenir à la raison. Je dois retourner au bateau et parler au Brocanteur.

[...]

- Qui c'est, ça ?

   Je tourne la tête à gauche, à droite, et vois des hommes que je ne reconnais pas. De rudes gaillards au regard sombre. Certains donnent l'impression que leur vie est perpétuellement en danger, tant les traits de leur visage sont tirés. D'autres ont les yeux qui bougent dans tous les sens, scrutant le moindre détail douteux. A côté de mon employeur, un vieil homme aux allures de mécano.
   En tout, cela doit bien faire une trentaine d'individus.

- Ce sont les "connaissances" dont j'ai parlé. Des hommes bien entraînés.
- Des mercenaires ?
- Pas vraiment, non.
- Des soldats alors ?
- En quelque sorte. Bien que leur esprit soit tourné vers des idéologies plus... Libres.
- ... Des révolutionnaires.
- On ne peut rien vous cacher, n'est-ce pas ?

   Plus j'en apprend sur lui, plus je me rends compte de son importance, au vu des moyens et des alliés qu'il est capable de se faire... Et cela me débecte davantage encore : non seulement je ne vois pas de qui il peut réellement s'agir, mais en plus il m'est supérieur... Je ne le jalouse pas, ce n'est pas le problème, mais...
   Si, je le jalouse. Et j'espère très vite découvrir son identité, afin de pouvoir le retrouver et le déposséder de tout ce qu'il a une fois que j'aurais gagné en influence sur South Blue.

- Et pourquoi tous ces hommes ?
- Pour éliminer la menace pirate.
- Je viens de me débarrasser du capitaine. Le reste de l'équipage a été dissout. Nous n'avons plus besoin d'eux.

   Le Brocanteur me regarde comme si je venais de lui sortir un non-sens des plus ridicules :

- Mais enfin Dorian... Il faut bien qu'ici tout le monde comprenne qu'on ne s'attaque pas à moi impunément. Qu'ils soient dissouts ou non, ils m'ont attaqué. Et puis... Je l'ai promis à cette Sarah Croche. J'ai un honneur à défendre !

   Bon. Il y a bien quelques facettes chez lui que je ne déteste pas, il faut le dire. Ce qui me perturbe par contre, c'est le regard envieux du vieil homme à côté de lui, tourné vers le "Floating Bull".
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Nous avions tous récupéré de cette nuit. Les blessés ont été bandés et les autres ont repris le travail sur les coups de treize heures, après un rapide déjeuner. Je ne les aide pas : ayant d'abord été engagé pour sécuriser les travaux, je ne cherche plus à me salir les mains en désossant ce foutu raffiaut. De loin, je les nargue tandis que je fais les cent pas au sol.
   Je suis allé nourrir Sarah, plus tôt. Lorsqu'elle a appris pour son capitaine, elle a de nouveau fondu en larmes. Mais plutôt que de chercher à la réconforter, j'ai préféré la sermonner, comme l'aurait fait Tobias s'il en avait eu l'occasion. Pour le coup, j'étais d'accord avec sa vision des choses :

- Ce que t'as fait, c'était du suicide pur et simple ! Faut vraiment être la dernière des connes pour foncer tête baissée sur un navire remplie de travailleurs habitués à la vie marine ! Tu croyais qu'on vivait dans quelle époque là ? Le temps où le simple fait de prononcer le mot "pirate" faisait peur est révolu : tu trouveras pas un bateau de ce genre qui ne soit pas équipé pour une contre-attaque.
- Mais les civils avec des canons à leur bord sont rares !
- ... Certes. Mais là encore, t'aurais dû prendre tes précautions et inspecter les lieux avant d'agir. La clé du succès, c'est et restera toujours le savoir ! Ton capitaine le savait, je l'savais, mon employeur le savait et voilà où t'en es. Maintenant, t'as plus qu'à vivre en ayant connaissance de tes erreurs, avec la mort de tous tes camarades comme un poids sur ta conscience.
- Et qu'allez-vous faire de moi après ça ?

   Ah ! Nous y voilà :

- Au départ, je voulais t'garder pour moi. D'mander au Brocanteur si j'pouvais partir avec toi comme bonus sur ma paie. J'avais déjà tout prévu ! Des premiers mots échangés jusqu'au réveil dans ma piaule. J'avais même choisi la couleur de la laisse...
- T'es un grand malade...
- ... Mais j'ai changé d'avis. Tu m'fais bien trop pitié ! Et je touche pas n'importe quoi vois-tu. T'es devenu moins intéressante qu'une photographie. Tu t'rends compte un peu ? Je te regarde, là, rienq qu'une fois, et j'ai déjà envie de détourner les yeux tellement ça m'ennuie. T'as beau être mignonne comme tout, y a plus aucune étincelle en toi qui m'motive. Dire que j'étais d'humeur à jouer... C'est triste.

   Je commence à tourner les talons. Sarah est complètement choquée, ne sachant comment réagir à mes propos dégradants. De ses yeux humides ne parviennent plus à couler la moindre larme, bloquées à l'entrée des paupières. Ses mains posées contre les barreaux de sa cage en fond de cale sont raides, tétanisées. La petite lueur de ma lampe s'éloigne et retourne à sa place, sur l'un des réceptacles des poutres de soutien, tandis que je remonte les escaliers menant au faux-pont, laissant la pirate dans sa pénombre.
   Quand même, je l'espèrais moins fragile. Briser quelqu'un aussi facilement est frustrant ! J'aurais souhaité un peu plus de résistance... Peut-être me surprendra-t-elle à notre prochaine rencontre ?
   
   A l'heure actuelle, j'attends le retour des révolutionnaires, partis juste après mon retour à la recherche des forbans. Je continue donc de marcher sur cette terre d'épaves, regardant dans toutes les directions. Je soupire, je m'étire et me dis que je verrai mieux d'en haut.
   J'emprunte à peine la passerelle que j'entends :

- Les revoilà ! A l'Est de Lyon-sur-Loques !

   Je me retourne et aperçois quelques instants plus tard les rebelles revenir vers nous, jaillissant de derrière un amas de planches éparses et de rambardes. Ils sourient toujours autant d'ailleurs...
   Le Brocanteur va à leur rencontre et s'adresse au vieux mécano :

- Alors ? Qu'en est-il du reste de leur équipage ?
- Nous les avons traqué, nous les avons trouvé, nous les avons tué.
- Comment avez-vous fait ? Et aussi rapidement ?
- C'était facile. Comme votre larbin nous l'a dit, ils s'étaient rassemblés autour d'un des leurs. Et puis la délation est monnaie courante dans les rues de Lyon-sur-Loques : la plupart des badaux du coin a vu ce groupe d'hommes traverser la ville en pleine nuit. Les trouver fut un jeu d'enfant. Leur tendre un piège et les achever d'un seul coup tout autant !
- Avez-vous une preuve de leur disparition ?


   Comme réponse, le vieux approche sa main et l'ouvrit, laissant apparaître un bout de tissu noir et vert roulé en boule. Le Brocanteur le prend, le déplie et découvre le Jolly Roger des "Green Birds". Le même que leur capitaine s'était fait tatoué sur le bras. Mon client sourit :

- Fort bien ! Vous serez donc payés en conséquence ! Les livraisons reprendront. Et la vôtre arrivera d'ici... Deux semaines ? Un seul coup d'escargophone, une fois rentré chez moi, et l'affaire est conclue.
- Quelle preuve avons-nous que vous nous livrerez les armes ?

   Des armes, hein... Intéressant.

- Eh bien... Pour la simple et bonne raison que je livre des armes à la Révolution depuis près de cinq ans maintenant ! Pour la bonne cause, ce genre de choses...
- Mais qu'est-ce qui me dit que vous tiendrez votre engagement ? Je souhaite quelque chose, en échange de votre départ prochain, pour être sûr que vous reviendrez.
- Ma foi, si cela peut vous faire plaisir... Combien souhaitez-vous ?
- "Combien" ? Comprenez bien qu'ici, ce ne sont pas les berrys qui font la richesse d'un homme. Ce sont ses possessions. Et ce bâtiment que vous démontez semble en être une de belle valeur... Si vous me laissez la moitié de ce que vous avez récupéré dessus, j'accepte de vous laisser "conclure notre accord".
- Il n'en est pas question ! J'ai besoin de cette cargaison ! J'ai enfin récupéré ce bois rare et il m'appartient !
- Dans ce cas, je ne peux pas vous laisser partir.
- Vous... Êtes-vous révolutionnaires ou vulgaires voleurs ?!
- Nous sommes prudents. Et dans l'urgence. Pour gagner la guerre contre le Gouvernement, tout le monde doit participer, qu'il le veuille ou non.

  Ça m'étonnerait que les têtes pensantes de la Révolution approuve ce genre de propos... Enfin je pense. Personnellement ça ne m'arrange pas des masses : vu la tournure des événements, je risque de ne pas être payé !
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- Eh là, doucement ! Déjà : qu'est-ce que vous voulez en faire de ce bois ?
- Notre chantier et la plupart de nos ressources ont été détruits par la Marine l'an dernier. Avec ce genre de matériau, nous serions capables de retaper ce qui doit l'être et de renforcer nos défenses. Héphaïstos, notre ingénieur, parlait justement du bien que cela pouvait être d'avoir un bois plus résistant que la moyenne. Le bois d'Adam étant si cher...
- Bon d'accord, j'vois bien où est le problème mais : vous devriez respecter le marché proposé. D'une parce que vous êtes moins nombreux, et de deux parce que...

   Clic.
   Le vieillard, imité par ses hommes, pointe un flingue sorti de son vêtement ample sur le buste du Brocanteur. Lui comme moi restons figés. En un instant les révolutionnaires viennent de prendre le contrôle total de la situation.
  Oh que j'aurais préféré fermer ma gueule quand j'en avais l'occasion...
  L'autre prend un air fier :

- Puisque c'est ainsi, nous prenons votre employeur en otage. Vous n'aurez qu'à nous ramener ce que nous voulons dès que vous aurez terminé. Un de mes hommes restera avec vous la journée et nous fera un compte-rendu de l'avancée des travaux le soir. N'espérez pas tenter quoi que ce soit contre lui ni contre nous d'ici là : vous serez surveillés par quelques veilleurs répartis autour de votre position. Nous sommes plus nombreux que vous le pensez et préparés à un assaut de la Marine. Alors ce ne sont pas des ouvriers navals et un mercenaire qui pourront renverser la situation.
- Vous n'êtes que des ordures... Je vous ferai pendre, un jour !
- En attendant avance, si tu ne veux pas que nous te pendions d'ici la fin de la semaine. Quant à vous autres... La bonne journée. Travaillez bien.

   Et les rebelles s'en vont. Les démonteurs ont vu la scène et sont restés paralysés, incapables de prendre une décision en l'absence de leur patron. Il faut dire que je ne vaux pas mieux qu'eux à l'heure actuelle ! Je reste coi, la bouche ouverte à les regarder s'éloigner d'un air ahuri. Mes précieux berrys étaient en train de s'envoler.
   Je me ressaisis. Hors de question qu'on me prive de mon salaire !

- Les gars... J'crois bien qu'on a du pain sur la planche.
- On... On va pas chercher le patron ?
- Oh non. Pour l'instant on fait ce qu'ils disent.

   Mes yeux se tournent vers le "Floating Bull", contre lequel se tient l'un des hommes du vieillard. Il nous observe les bras croisés d'un air goguenard. Ce surveillant à la mèche rebelle et aux yeux bleus me tape déjà sur le système : il a une belle tête à claques.
   Du coup ça y est, je suis énervé. Et j'ai carrément envie de la mettre bien profond à ces connards populistes. Alors pendant que les autres continueront de trimer sagement pour finir le travail, je vais mettre en place mon plan. Et si mes calculs sont exacts : avec encore à déloger le beaupré et la cale, il faudra bien trois jours au minimum pour que tout soit terminé. Ce qui me paraît amplement suffisant.

   Je me dirige vers le bateau, sous les yeux de Monsieur Tête-à-claques, lequel commence à me suivre.
Je m'arrête, il s'arrête. Je me retourne, je le fixe, sourcils froncés, je pose les mains sur mes hanches et je lui dis :

- T'comptes me suivre longtemps ? Nan parce que bon j'aime pas trop qu'on vienne me gonfler pendant que j'pisse ou que j'fais un p'tit somme. Et puis j'pense que t'as autre chose à foutre que de venir m'emmerder alors que derrière, y a cinquante gros bras qui souhaitent récupérer leur employeur. Et t'as l'air suffisamment intelligent pour savoir comme moi qu'un ouvrier naval est du genre à agir avant de réfléchir... Maintenant tu m'fais plaisir et tu m'lâches la grappe, parce que j'ai pas encore mangé avec toutes ces conneries ! Et après j'compte bien piquer un somme en vérifiant que nos deux blessés seront bientôt prêts à reprendre le boulot.

   L'autre me toise longuement avant de renifler avec dédain et de repartir en sens inverse. Sage décision. Je vais pouvoir rejoindre cette très chère Sarah et vérifier son état. Si ça se trouve, elle est toujours avachie par terre à broyer du noir. Je parie même qu'elle n'a pas touché à son assiette. Et moi qui avait préparé le tout avec amour... M'enfin ! Il faut bien que quelqu'un joue les moralisateurs de temps à autre. Et je pense être suffisamment compétent pour ce genre de choses !
   ...
   Ouais bon d'accord, je vous vois venir avec vos sourires en coin. Je fais ce que je veux et puis c'est tout ! Maintenant je continue.

   J'arrive dans la cale et m'approche de la cellule improvisée dans laquelle se trouve la femme-pirate. Je rallume l'une des lampes à huile accrochée au mur et la pose au sol, entre nous. Les barreaux nous séparent, mais je m'approche suffisamment pour qu'elle puisse m'atteindre, bras tendu. Il paraît que la proximité facilite la discussion...
   Contrairement à ce que je pensais : la belle a mangé son repas. Les traînées qui descendent le long de ses joues sont sèches depuis un moment déjà et ses yeux ne sont plus noyés par le chagrin. Ses lèvres sont serrées, presque pincées. Assise en tailleur au fond de sa cage, elle semble contenir sous ses airs calmes une détermination animée par la colère. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé dans sa tête depuis tout à l'heure mais ce qui est certain, c'est qu'elle n'allai pas se laisser briser davantage. Pas sans se battre.
   Je souris : puisque le désespoir n'a plus d'effet sur elle maintenant qu'elle se trouve au fond du gouffre, il n'y a plus qu'à l'aider à remonter en stimulant cette colère. Et c'est exactement ce genre d'attitude dont j'ai besoin pour récupérer le Brocanteur. Une attitude que je peux contrôler :

- J'vois qu'on a réfléchi dans son coin. C'est bien. T'es pas si faible et inutile que j'le pensais.
- Ouvre cette porte et tu verras à quel point tu m'as sous-estimé.
- Ohoh... On montre les crocs hein ? Ca tombe bien ! J'ai justement une proposition à te faire. Une offre alléchante ! Grâce à laquelle tu pourras libérer toute cette frustration...
- Je ne suis pas frustrée, je suis hors de moi !
- Mais pas encore hors de cette cage. Alors sois gentille et écoute-moi avant de péter une durite.
- Espèce de... J'vais te faire la peau !

   Et elle se jette contre les barreaux, agrippant les pans de mon débardeur afin de m'attirer violemment contre eux. Je ne me défends pas, fermant juste les yeux en me préparant à l'impact. Le choc est rude, mais pas assez pour m'assommer. Je grimace un peu et la regarde à nouveau, le regard empli de haine. Elle m'a pris mon couteau et me le colle contre la glotte :

- J'ai plus rien à perdre ! Je pourrai te tuer là, tout de suite ! J'aurai ainsi venger mon capitaine, mon équipage et aurai racheté ma faute... Je n'aurai plus qu'à mourir après pour me sentir libérée de ce poids !
- A ce point-là ? Ma parole mais tu l'aimais, ce Tobias en fait...

   L'autre se crispe davantage. La lame appuie de plus en plus contre mon cou, la pointe grattant ma gorge de manière désagréable. A sa rage s'ajoute alors quelque chose comme de la... Mélancolie ?

- Oui, je l'aimais. Et vous me l'avez pris... Si j'ai lancé l'assaut de mon plein gré, dans le dos de Tobias, c'est parce que je ne voulais pas l'impliquer là-dedans.
- L'amour fait faire des choses bien stupides... S'il avait été mis au courant, rien d'tout ça ne serait arrivé : il aurait réfléchi à un plan d'attaque, plutôt que d'agir bêtement comme vous l'avez fait.
- Fais attention à ce que tu dis...
- Mais tu sais très bien que c'est vrai ! En voulant le protéger, tu les as tous condamnés !
- Tais-toi, tais-toi, tais-toi !
- Eh ben vas-y : ose me faire fermer ma gueule, qu'est-ce que t'attends ? T'as l'couteau en main. C'est toi qui maîtrises la situation là ! Assume-le. Prouve-moi que j'ai tord.
- Je... Je te hais...

   Un hoquet se glisse entre ses paroles. Ses mains tremblent. De nouveau, les larmes viennent couler le long de sa peau de jeune femme... Si elle ne me lançait pas ce regard assassin, ça m'exciterait presque.
   Puis elle finit par lâcher l'arme et à reculer. En tailleur, son visage enfoui entre ses mains, elle sanglote :

- Pourquoi... Pourquoi je n'y arrive pas ?!
- Parce que t'sais comme moi que c'est la vérité. Je n'suis pas responsable de ce qu'il s'est passé. Toi, tu l'es. Tout ton corps le sait. Et inconsciemment, tu t'dis que me tuer ne t'apportera rien de plus qu'une satisfaction éphémère. Je n'fais que donner les faits. Toi tu les subis, victime de tes propres erreurs.
- Laisse-moi tranquille... J'en ai assez...
- Oh que non. J'veux que tu m'détestes. J'veux que tu détestes aussi l'homme qui a décidé de traquer le reste de ton équipage.

   Elle redresse légèrement la tête. Je vois dans ses yeux qu'elle se remémore le visage du Brocanteur. Son expression change de manière infime. Le simple souvenir de mon employeur parvient à la faire réagir.

- Lui n'mérite pas d'être épargné. Il a fait éliminer le reste de tes compagnons alors que rien ne l'y obligeait. T'as le droit d'te sentir en colère contre lui... Tu l'es, n'est-ce pas ? Evidemment que oui : à ce stade, c'est aussi naturel que d'respirer.

   En réponse à mon affirmation, son corps cesse de trembler. Elle semble prendre conscience des sentiments qui l'habitent. Elle reprend le contrôle. Du moins, c'est ce qu'elle croit :

- Tu sais quoi ? J'vais te donner une chance de soulager ta conscience.
- ... Comment ?
- Je vais te faire sortir de là dans trois jours. D'ici là, ne pense à rien d'autre qu'à la tâche que je vais te confier. Car une fois sortie, cette tâche deviendra ton seul et unique but. Le Salut de ton âme !
- Que dois-je faire ?
- C'est très simple : tu vas m'aider à faire libérer mon client. Cet homme que tu détestes autant que moi.

   Elle me regarde sans comprendre. Je peux deviner d'ici que son pouls s'accélère à nouveau. Mieux vaut ne pas traîner :

- Le tuer te servira à rien. Les Green Birds n'sont plus là et il faut que tu l'acceptes ! Mais les venger pour mourir ensuite, voire mourir tout court, ce n'est pas leur faire honneur, tu penses pas ? Qui fera perdurer votre nom, s'il ne reste plus personne ?
- Mais il ne reste plus personne...
- Il reste TOI ! Tu n'es pas spectateur de ta vie, tu en es l'acteur ! Si tu te sens si responsable, c'est bien parce que tu fais partie intégrante de leur histoire et de ce monde ! J'vais t'avouer un truc : moi mon rêve, c'est d'être roi. Et n'rigole pas, c'est très sérieux ! Pour y parvenir, je dois rester fort. Quitte à être le sale type que tu penses que je suis... Même si tu as raison dans le fond. Mais toi, ton rêve, qu'est-ce que c'est ? Jouer les figurants ? T'es un pirate, bordel de merde ! T'incarnes la liberté en ce bas monde où tout le monde recherche la gloire ou le pouvoir ! T'vas quand même pas m'faire croire que tu comptes rejoindre l'Océan sans avoir rien réalisé de ta triste vie ?! C'est ridicule ! Alors ouvre les yeux, relève-toi et fais ce que j'viens d'te dire : continue à nourrir cette rancœur à notre égard. Elle te servira de moteur pour tout accomplir dès à présent. Et si trois jours te semblent trop courts, j'peux passer toutes les heures pour t'emmerder, te frustrer, te toucher voire même t'insulter jusqu'à ce que tu craques encore. Et encore. Et encore ! Crois pas que je l'fais seulement par plaisir : c'est aussi pour toi... T'peux t'estimer heureuse, parce que ça arrive pas souvent !

   D'abord décontenancée, la jolie Sarah oublie son chagrin et me fixe intensément. Elle pense à tout ce que je viens de dire. Ses mains sont posées sur ses genoux et ne bougent pas. Une mèche humide de cheveux pend entre ses deux yeux et sa respiration se fait plus stable : je peux voir sa poitrine se soulever à un rythmé régulier. Un métronome hypnotisant... Mais je ne m'y attarde pas longtemps, car la prisonnière se redresse et s'approche une nouvelle fois des barreaux qu'elle agrippe doucement.
   Nous nous regardons ainsi, cherchant à nous comprendre l'un l'autre, à nous trouver des points communs, une manière de s'entendre. Et la belle ouvre la bouche :

- Dans trois jours tu me fais sortir d'ici. Je t'aide à libérer ton employeur. Et si je parviens à ne pas le tuer : tu me laisses m'en aller, c'est bien ça le deal ?
- Exactement ça.

   Et la pleurnicheuse me tend la main, concluant notre accord.


Dernière édition par Dorian Silverbreath le Mar 20 Juin 2017 - 15:13, édité 1 fois
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- Tu veux... libérer la pirate ?
- Bah vas-y, t'as qu'à l'gueuler plus fort tiens ! On est d'jà pas assez dans la merde !

   Du démontage du bicoque, il ne reste plus que la moitié de la cale. De l'extérieur, l'épave ne ressemble plus à grand chose. Crevasses et pièces de bois éparses forment un tout sous lequel on devine encore l'image d'un navire imposant, mais ce qui faisait sa substance s'en est allé.
   A l'intérieur, je prend quelques hommes à part pour qu'ils transmettent l'information aux autres, par le bouche-à-oreille, sans se faire prendre par le surveillant rebelle : trente hommes descendront le bois pour les révolutionnaires, dix autres resteront à l'écart, près du "Floating Bull" et de notre bateau.
    Le reste sera avec Sarah et moi. Je les préviens personnellement. Nous attendrons l'échange pour prendre les révoltés à revers et empêcher tout tireur embusqué de compromettre le reste de l'opération de sauvetage.

- Qui nous dit que les révos viendront jusqu'à nous pour récupérer le bois ?
- D'abord parce qu'ils n'voudront certainement pas qu'on s'approche de leur tanière. Question d'sécurité. Ensuite parce que nous n'possédons pas le matériel adéquat pour livrer autant d'matières à pied. On approche quand même des cent stères de bois !

   Deux jours sont passés depuis la discussion avec Sarah Croche. Demain, c'est la fin du chantier. A moins qu'un événement imprévu vienne tout gâcher mais j'en doute... Pour un peu j'espère presque qu'il pleuve : ce serait plus facile de se cacher, et pas sûr que les révos gardent patience en se retrouvant trempés. Mais l'espoir a beau faire vivre, il attise aussi la déception : autant ne pas supposer du tout.
   Donc que faire en attendant ? Rien. A part se préparer mentalement à ce qu'il va se passer. Et vérifier discrètement les stocks d'armes et de munitions. Par chance, le Brocanteur a eu l'intelligence d'esprit de récupérer l'équipement des flibustiers morts pendant l'assaut, rehaussant notre niveau de poudre, de balles et de pistolets. Sans compter les quelques sabres et les outils contondants du parfait petit charpentier à disposition.
   Mais c'est en voyant les cordages sur notre bateau qu'une idée germe dans mon esprit, s'associant parfaitement au reste. Sans prévenir, je me jette à terre, manquant de tomber à cause de l'instabilité, et fonce en direction de tout ce qui s'apparente de près ou de loin à un cordage ou à un filet. Le surveillant me regarde sans comprendre depuis le sentier artificiel que nous avions préparé pour acheminer le matériel et le bois depuis le "Floating Bull" jusqu'à notre passerelle et je lui lance un regard confiant, crachant ses mots :

- On va manquer de soutien pour le transport ! J'pense pas qu'quel'qun viendra nous les demander.

   Il hausse les épaules et me laisse faire. "Tséhéhéhé... Le con !" pensé-je intérieurement. Si seulement il savait l'usage que je je réserve à tout ce filin...
   Je m'acharne pendant une bonne heure, apportant suffisamment de filets et de cordes pour ligoter l'ensemble de l'équipage, et je vais m'asseoir à côté du rebelle, lequel me regarde derechef sans prononcer un seul mot.

- Bon alors... Qu'est-ce qui t'as poussé à devenir révo, toi ? La mort tragique de tes parents ? Une injustice administrative ? Une paie minable peut-être ? Ou alors juste par conviction, c'est ça ?

   Pas de réponse.

- T'es pas du genre causant, hein ?

   Silence pesant...

- Mouais... Moi non plus, ça tombe bien.

   Il renifle et s'éloigne.
   Lui, dès que je peux, je le bute. Parce que putain, qu'il m'énerve ! Mais en attendant : repos.

[...]

   Nous sommes en début de soirée et le travail est enfin terminé. L'autre surveillant fait de grands signes aux supposées personnes nous observant de loin pour avertir le reste de leur bande. Lui reste assis là, tranquillement.
   Je regarde chaque démonteur, un à un, tous répondent à ma fixette d'un petit clin d'oeil. Ils savent ce qu'ils doivent faire et c'est tant mieux. Parce que je n'ai plus le temps d'expliquer quoi que ce soit. Je monte tranquillement chercher Sarah dans ses loges pendant que le reste du groupe s'active en contrebas avec les charges de bois. Les quatre individus que j'ai choisis pour nous accompagner en contournant les lieux prennent les armes et nous finissons par descendre côté mer, par une corde attachée là au préalable jusqu'à atteindre la surface de l'eau.
   Le côté pratique, quand on est sur une île faîte entièrement de restes de bateaux, c'est que différentes couches d'épaves se succèdent, formant une pyramide chaotique. Le sol, si sol il y a, se trouve au dessus de nos visages, une fois le corps dans l'eau. Nous tenons les flingues et la poudre au dessus de nos têtes pour éviter de les mouiller.

   De leur côté, les révolutionnaires arrivent. Une trentaine d'individus armés, avec plusieurs charrettes montées sur chenilles, lesquelles leur permettent de se déplacer sans trop de problème sur le terrain dévasté. Savoir s'adapter à son milieu est la base de la survie.
   C'est pour cela que nous continuons notre bout de chemin, en appui sur la pourriture et la mousse recouvrant les rafiots sous la surface de l'eau. Derrière moi, la jeune femme semble nerveuse, mais motivée malgré tout. Elle ne nous fera pas de coup de pute. Du moins pas de suite, et c'est tant mieux. Parce qu'à côté, l'échange est sur le point de commencer : trente hommes font face à trente hommes, à une vingtaine de mètres de nous, à une distance raisonnable de notre navire, avec d'un côté des gens armés, de l'autre des travailleurs crispés. La dizaine d'hommes que j'avais laissé en arrière sont sur le pont, cachés derrière la rambarde, fusils en main, attendant mon signal. Il y aura des morts cette fois de notre côté. C'est certain. Mais j'espère sincèrement que mon idée avec les cordes se révélera utile... Chaque chose en son temps ! Je dois me dépêcher d'atteindre l'arrière et de neutraliser les révolutionnaires qui se seraient cachés de la scène.
   Le Brocanteur est à la droite du vieillard, les mains ligotées :

- Bon. Il semblerait que mes hommes aient respecté votre demande. Libérez-moi maintenant.
- Oh, vous voulez déjà nous quitter ? Que c'est dommage... J'avais tant de choses à vous raconter encore ! Comme la fois où nous avons tenu tête au lieutenant Leduc en bombardant son régiment avec des écrous et des boulons !
- Une histoire qui doit être fort intéressante, mais qui ne risque pas de me faire sourire, vu que je suis officiellement venu sur cette montagne d'ordures pour rien !
- Oh allons... Soyez tranquilles : dîtes-vous que votre "modeste" contribution permettra à la Révolution de se renforcer.
- De votre point de vue.
- Du point de vue le plus pertinent. Allez. Procédons à l'échange...

   Et il pousse "gentiment" le Brocanteur en avant, tandis que les démonteurs approchent autant que possible le bois rare. Alors que les premières charrettes à chenilles s'arrêtent face aux stères, le visage du vieillard semble contrarié :

- Par contre, je ne vois pas votre homme de main ? Est-il tombé malade ?
- Il a un empêchement...
- Un empêchement ? Qu'est-ce qui pourrait bien l'empêcher de se présenter avec vous autres et le bois alors que la vie de votre employeur est en jeu ?!
- Peut-être le fait d'vous prendre à revers, bande de déchets !

   Tout le monde fait volte-face tandis que notre commando abat les trois tireurs embusqués derrière le groupe de révolutionnaires. Ces derniers, pris en sandwich, sont trop stupéfaits pour réagir et j'en profite pour crier :

- CANONS ! A VOUS !
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Spoiler:

   BANG !

   Deux coups tirés en même temps lâchent leur contenu en direction des rebelles regroupés derrière le vieillard. Des bouts de mâts et de planchers volent tandis que plus d'une dizaine d'ennemis lâchent un cri de surprise, prisonniers d'un immense filet, composé de plusieurs cousins plus petits et de cordages, le tout lesté et accroché aux boulets.
   Les projectiles enfoncés dans le sol, les révolutionnaires se retrouvent incapables de bouger, pris en sandwich. Le reste de leur groupe regarde la scène sans trop comprendre, indécis.

- Qu'est-ce que vous attendez ? Ripostez !

   Le vieillard sort son mousquet et tire dans ma direction. Le coup passe à côté de moi et dégomme un ouvrier. Sur le bateau, les dix fusiliers prennent part au combat, tandis que leurs adversaires se ressaisissent.
   Jugeant l'usage des canons devenu dangereux, les personnes à l'artillerie quittent leur position pour rejoindre la ligne du pont. Tous les hommes restés au sol se cachent derrière les charrettes, les autres bondissent sur les armes des révolutionnaires empaquetés. La plupart d'entre eux se font allumer. Je dégaine le pistolet que j'ai récupéré dans nos réserves et tire sur un jeunot en haillons qui s'effondre.
    Sarah aussi vise les rebelles et fait mouche une fois. Puis deux...

   D'autres balles nous frôlent. Du côté des navires, le terrain se couvre de corps inertes. Mais l'avantage nous revient clairement... Je cherche des yeux le Brocanteur, victime des hostilités depuis le départ et le trouve enfin : il se cache près des stères, entre deux caissons brisés sur ce qui devait être la cabine d'une caravelle.
   Il ne tiendra pas longtemps s'il ne bouge pas d'ici. Mais s'il sort...
   C'est le moment que je choisis pour mettre la dernière phase de mon plan en action : l'ennemi presque anéanti, incapable de fuir, contraint de se battre jusqu'à la fin, je n'ai plus qu'à foncer dans le tas pour empêcher qu'une balle perdue aille faire la rencontre de mon client.

   Je me jette dans la masse. Ils sont encore cinq en face, dont le vieillard. Nous avons perdu vingt hommes. Leur acharnement et la valeur de leurs combattants sont à prendre en compte. Mais plus tard le respect : je veux m'occuper du vieux personnellement !
   Un homme tire, je grimace. Ma cuisse me brûle et je ralentis. Je lève tout de même mon arme pour abattre le responsable avant qu'il ne finisse son oeuvre. Je continue d'avancer. Le plancher sur lequel je me trouve craque de partout et les obstacles sont nombreux. Je ne suis plus qu'à quelques mètres à peine de ma cible...
   Je regarde plus loin : le Brocanteur ose faire un pas hors de sa cachette mais un tir ennemi vient l'en dissuader aussitôt.
   Et le vieux le voit. Il le vise depuis tout à l'heure...

   Bon. Ultime phase du plan avant que ça ne parte totalement en improvisation :

- Hum... SARAH ! LÂCHE-TOI !

   Oui, non, parce que... J'ai une autre idée de génie. Je ne préférais pas en parler de suite, de peur de gâcher la surprise. En quoi cela consiste ? Eh bien... Disons que l'on transforme la féminité en méthode de diversion à efficacité maximale. Vous comprendrez très vite que l'ex-prisonnière n'était pas totalement d'accord au départ.
   Elle se redresse et s'apprête à le faire quand, d'un coup, elle se fige. Visiblement gênée...
   Je voulais pas en arriver là mais :

- T'crois que c'est le moment d'faire ta prude ?! Dis-toi que c'est pour les Green... J'veux dire : pour Tobias Depic !

   A ces mots, le courage revient et la belle fait un pas en avant, gonfle son buste, et lève bien haut sa chemise ample, libérant ainsi toute sa conversation :

- Hé oh ! C'est par là que ça se passe !

   Juste parfaite.
   Pas sa poitrine hein, son attitude ! Quoi que les deux sont pas mal.
   Ceci fait, tout le monde est tourné vers elle et ses joues deviennent rouge pivoine. Elle tient pourtant bon, agitant ses précieux de gauche à droite et de bas en haut. Bien joué ma belle ! Je m'approche suffisamment du vieux pour lui placer le couteau sous la gorge, lâchant mon flingue entièrement vide.

- Et si on causait un peu tous les deux ?

[...]

   Le jour d'après, nous rangions tout le matériel et remontions toute la cargaison sur le bateau. A l'heure où je parle, nous nous apprêtons à quitter le Cimetière d’Épaves. A mon grand soulagement !
   Verdict : la moitié des effectifs en moins. Un équipage pirate anéanti, des rebelles vaincus, des économies faîtes par mon employeur et tout le bois récupéré. Le bilan n'est pas mauvais.
   Je fus chagriné de devoir laisser là Sarah, après le beau spectacle qu'elle nous a montré. Mais toutes les histoires ne se terminent pas bien et le Brocanteur s'est montré généreux en lui laissant tout de même la vie sauve, comme convenu, avec un pistolet chargé d'une balle en guise de cadeau pour avoir aidé à le libérer et à sauver la cargaison.
   Lui m'attend dans sa cabine. Je m'y rends. J'ouvre la porte après avoir toqué et nous nous regardons, moi debout, lui assis sur son fauteuil, derrière un bureau finement sculpté :

- Alors ? Content de mes services ?
- Je dois dire que vous dépassez mes espérances, monsieur Silverbreath. Vous n'êtes pas seulement le mercenaire vulgaire et barbare que je pensais.
- Hé...
- J'espère sincèrement que vous comprenez ce qui m'a motivé à venir vous chercher "vous".
- Eh ben... J'dirai ma capacité à conserver un secret ?
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- Vous connaissez mon palmarès. Vous avez énoncé tous mes actes de fait jusqu'à ce que j'accepte de travailler sur un chantier avec vous. Et comme par hasard, je me rends compte que vous avez déjà à votre service parmi les meilleurs ouvriers navals de South Blue. Alors à quoi devais-je servir ? Monter la garde ? Non... Pas seul en tout cas. Vous aviez confiance en ma capacité à juger la situation, à mener à bien un projet. Vous m'en saviez capable. Sans même m'avoir vu à l'oeuvre auparavant... Vous n'êtes pas n'importe qui. Et quelque chose me dit que ce n'est pas la dernière fois que nous travaillerons ensemble, n'est-ce pas ? J'en conclus donc que je vais tôt ou tard finir par connaître votre véritable identité.
- Décidément, vous êtes parfait, Dorian ! Un sans-faute ! on reconnaît là votre expérience en ce qui concerne la traque et l'enquête.
- Trêve de flatteries, monsieur... Que vouliez-vous me dire ?
- Victor Bahìa.
- Plaît-il ?
- Je suis Victor Bahìa, grand économiste de Saint-Uréa.
- Quelqu'un de haut placé donc...
- Quelqu'un qui peut vous offrir plus de travail et plus d'argent que vous n'en rêvez.
- Et vous vous baladez dans cette tenue dégueulasse ? J'comprends pourquoi vous voulez pas qu'les autres le sachent !
- Je vous saurai gré de tenir votre langue jusqu'à notre arrivée sur Rokade, si vous ne voulez pas dire adieu à votre argent.
- Vous avez ma parole et plus encore.
- Dans ce cas... Je serai ravi de vous compter de nouveau parmi mes "soutiens".
- Moi de même, monsieur Bahìa.
 
   Et nous nous serrons la main, dans la semi-pénombre d'une pièce éclairée seulement par sa pauvre lampe à huile. Un joli cliché de comploteurs ça encore.
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