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Quiconque est loup, agisse en loup.

Las Camp avait énormément changé. Fantine s'en fit la remarque en levant les yeux au ciel, posant une main contre ses sourcils pour essayer de distinguer les formes que prenaient les habitations. Les vieux quartiers miteux qu'elle connaissait et avait arpenté si souvent cinq ans auparavant semblaient s'être volatilisés.  Elle n'était plus au même endroit. Elle ne vivait plus dans ce monstre omnivore qui lui avait pris presque quinze ans de son existence. Las Camp était désormais un chien en laisse qui obéissait docilement à son maître. Incroyable. Décidément, l'espèce humaine pouvait se montrer surprenante lorsqu'elle s'y mettait. Elle n'imaginait pas qu'on puisse dompter un jour la terrible cité, et pourtant...

Fantine poussa un petit soupir en revenant à ses petites affaires. Et celles-ci consistaient en ce qu'elle savait faire de mieux depuis qu'elle était gamine : Mettre profondément la main dans la poche du type en face d'elle, pour en ressortir son portefeuille qu'elle glissa dans son pull tout à fait discrètement. Quelques pas sur le côté en faisant comme si de rien n'était, elle attrapa une pomme sur un stand qu'elle cala entre ses dents, avant de serrer un foulard sur son crâne, relevant par la même ses deux grandes nattes qu'elle entoura à l'intérieur. Dansant sur ses appuies, elle allait d'un présentoir à un autre en se servant allègrement, sans jamais s'inquiéter du reste. Loin de se fondre dans la masse, sa légèreté et son apparente candeur n'attira pas forcément les regards sur elle.

Tout du moins, ce fut ce qu'elle imagina. Les quelques yeux qu'elle croisa furent plus surpris par sa tenue et ses manières exubérantes qu'agacés par ses petits vols sans importances qu'ils ne remarquèrent pas forcément. Elle le pensa. Au-dessus des soupçons, dans sa bulle de toute façon, une bulle qu'elle envisageait comme inatteignable et sécuritaire, un endroit qu'elle seule pouvait habiter, envahir, ou elle seule pouvait distinguer le monde à travers son prisme. L'inverse ne lui sembla pas possible, pas sur le moment. Et alors qu'elle prenait la tangente, se dirigeant d'un pas léger sur ses grands jambes maigres vers une rue adjacente, une main vint se poser sur son épaule et l'arrêta immédiatement dans son mouvement :

« Où tu vas comme ça toi ?... »

*

« Du petit vol, sergent. Rien qu'une petite tape sur les doigts ne pourrait changer si vous voulez mon avis.
Alors, gardons la au frais jusqu'à ce soir, fit son vis-à-vis d'une voix grave.
Très bien. »

Collée contre les barreaux froids de sa cellule, Fantine tenta de jeter un coup d'oeil à droite du couloir où les gardes passaient pour vérifier que les prisonniers se tenaient bien. La conversation de deux d'entre eux porta jusqu'à elle, et elle comprit rapidement qu'elle en avait encore pour quelques heures. Poussant un long soupir, elle se laissa tomber les fesses sur son matelas ridiculement fin.

« Alors, tu me tiens compagnie encore jusqu'à ce soir, Princesse ? Demanda son voisin de cellule.
Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
Je t'aime bien. Tu m'as l'air gentille. »

Fantine fronça les sourcils, mais il n'y eut personne pour la voir faire. Qu'est-ce que c'était encore que cet hurluberlu ? « tu m'as l'air gentille » ? Elle eut envie d'éclater de son petit rire diabolique qui lui allait si bien au teint. Se redressant légèrement, elle prêta tout de même une oreille distraite à ce que l'autre lui disait, car après tout, ça pourrait sans doute lui faire passer un peu le temps.

« T'es une petite chapardeuse, c'est ça ? Tu voles des petites gens, tu piques dans les poches, sans t'faire avoir, hein ? Souffla-t-il d'une voix doucereuse en essayant de se pencher contre ses barreaux pour la voir. Enfin, sauf cette fois. Mais à défaut de mieux, je peux me contenter de toi. Il n'eut droit qu'à un majeur tendu traversant la porte de sa cellule, le faisant éclater de rire : Je vois. Tu joues les farouches, c'est adorable. T'es capable d'ouvrir des serrures aussi ? »

Mais il ne voulait pas son curriculum vitae avec ça ? Fantine avait l'impression de passer un entretien d'embauche pour un job qui exigeait ses qualifications. Savait-il dans quoi il se lançait, cet idiot ? Sans répondre pour autant, elle eut un fin sourire en l'entendant s'impatienter de l'autre côté du mur. Il tapait du pied, et jouait nerveusement avec ses doigts. Sa voix était basse, mesurée, comme s'il souhaitait seulement se faire entendre d'elle :

« Un petit boulot, ça t'intéresserait ? Il y eut un bref instant de silence entre eux, noyé sous les bruits de la masse d'ivrognes en train de cuver leur vin de fin d'après midi.
Combien ça me rapporte ?
Le quart du butin si tu te fais pas chopper.
Et à combien il s'élève, ton butin ?
J'saurais pas dire.

Beh dis rien et fous moi la paix. »

Fantine se mit à rire. L'autre abandonna la partie. Il était en train de se faire prendre ouvertement pour une buse par une nana qui apparemment ne comprenait rien à rien. Frustré, l'homme retourna à son matelas miteux, sans entendre ce qui se tramait à côté.

La jeune fille s'était agenouillée devant la porte, extirpant de sa tignasse une petite barrette  qu'elle déplia entre ses ongles. Elle tendit l'oreille pour déterminer la position des quelques gardes, avant de s'affairer sur la serrure qu'il y avait sous ses yeux. Elle ne lutta qu'une poignée de seconde, concentrée comme elle l'était, avec les mécanismes qui faisaient la fermeture. Faisant sauter la clenche dans un petit tressaut bruyant, elle ouvrit sa porte dans un grincement à peine audible. Époussetant ses vêtements, elle fit quelques pas en dehors, et dans le couloir, avant de se planter pile là où elle voulait être pour faire son effet :

« Je veux la moitié du butin, lança-t-elle a travers la porte de la cellule en s'y accoudant avec désinvolture. Une mèche de cheveux lâchée tomba sur son visage alors qu'elle jouait habilement entre ses doigts avec sa tige de métal. Pas moins... Et je t'ouvre toutes les portes et tous les coffres que tu veux ! »

Accoudé à la barre d'acier horizontal, elle tendit les mains à l'intérieur de sa cellule de pierre pour saisir celle de son vis-à-vis et conclure le deal. Faisant face à l'homme, elle lui offrit un énorme sourire montrant toutes ses dents pointues, le détaillant un temps. La barbe naissante, l'air jeune, le teint halé, élancé mais pas bien musclé, les cheveux gras lui tombant sur le front. Quel genre de criminel pouvait-il bien être ? Pas un voleur, puisqu'il la cherchait elle. Pas un tueur, il n'en avait pas la carrure. Elle opta pour la petite frappe sans envergure alors qu'il s'approchait d'elle pour lui saisir la paluche :

« Je devrais sortir rapidement. Attends moi dehors. »
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C'était quelque chose qui lui jouait toujours des tours... Lorsqu'elle se lançait dans une aventure, et souvent dans une aventure malhonnête, et qu'elle cherchait à impressionner son vis-à-vis, elle avait tendance à oublier qu'il lui fallait retomber sur ses pattes. Si Fantine était taillée pour l'expédition, elle comprit rapidement qu'il lui fallait s'enfuir à toutes jambes avant de se faire reprendre et remettre en cellule pour une journée de plus avec ses bêtises. Sinon quoi, son deal lui passerait sous le nez, en plus de faire figure de cruche devant son nouvel employeur.
Elle n'eut donc pas droit à l'erreur quand elle prit la tangente une fois ses gardiens au fait qu'elle n'était plus dans sa prison. Dans sa malchance, elle eut l'avantage de ne pas être dans un endroit très sécurisée. Ses compagnons de cachot étaient pour la majorité des poivrots ou des petites frappes qu'on ne mettait pas avec les criminels primés qui écumaient les mers et les terres à la recherche de trésors et de sang. Si Fantine voulait dénicher les deux en réalité, elle avait été assez maligne, ou assez veinarde tout du moins, pour ne pas se faire attraper lors de ses méfaits. Sauf, peut-être, pour celui-ci en particulier.

Elle fit ce qu'elle savait faire de mieux : Prendre les jambes à son cou en distribuant au passage quelques coups bien sentis et bien placés. Remontant le couloir en pierre, elle eut l'occasion d'assommer deux gardes en leur éclatant la tête l'une contre l'autre, envoyant valdinguer derrière elle un troisième qu'elle snoba royalement ensuite. Dérobant une vulgaire matraque, elle força la sortie en improvisant totalement sur la suite des hostilités. Elle sut tout du moins qu'elle se dirigeait bien vers l'extérieur vis à vis du contraste de température. Plus il faisait chaud, plus elle se rapprochait des rues bouillantes de Las Camp qu'elle connaissait si bien. Enfin... En partie, désormais. Et elle s'orienta grâce à ça, bien que la résistance en face ne fut pas bien coriace, excepté quand l'un des gardes donna l'alarme. Rien de transcendant, puisque Fantine venait de quitter la petite division de quartier en se ruant vers le dehors, bondissant comme un singe à travers la foule pour retrouver sa liberté.

Tout ça pour quelques malheureux berries dont elle n'avait même pas profité. Sans doute qu'elle aurait mieux fait d'attendre la soirée pour sortir par la grande porte sans se faire inquiéter d'avantage. Maintenant, il s'agissait de trouver un endroit où se cacher et se faire oublier pendant quelques jours. Jusqu'à ce que son très cher nouvel ami ait droit de revoir la lumière du soleil. Là, elle réalisa soudainement : « Rapidement », ça signifiait quand exactement ? Rapidement quelques heures, ou rapidement quelques jours ? Elle n'aurait pas la réponse à sa question dans l'immédiat, et il y avait tellement plus urgent à traiter de toute façon... Comme trouver une cachette où se faire oublier. Elle se savait pas assez importante pour réveiller les hauts gradés de l'endroit, mais ça ne faisait jamais très sérieux sur le papier quand une harpie chétive réussissait à trouver la sortie sans demander l'autorisation avant aux geôliers. Sauf que ça, ça n'était pas son problème. Dans l'immédiat, son soucis fut de se défaire des quatre gusses qui lui collaient au train.

Dans sa course, elle fit volte face pour bondir sur le premier. D'un mouvement souple, elle passa au-dessus de lui en l'embarquant au sol avec elle et envoya son pied s'imprimer dans la tête d'un second un peu trop proche. On l'attrapa par les bras pour la tirer en arrière, et elle se défit de ses derniers opposants d'une roulade en arrière avant de se lancer dans la distribution gratuite de grosses baffes dans la tronche. Au milieu de la foule et devant le petit bâtiment de la division, la jeune femme fit volte face pour aller voir ailleurs si elle y était.

*

Rapidement, qu'il avait dit. Rapidement. Ça faisait bien trois jours qu'elle se planquait dans la cale d'un navire laissé à l'abandon et qu'elle attendait après le type qui l'avait accosté en prison. Trois longs jours à ronger son frein en se demandant ce qu'il pouvait bien faire. Fulminant, Fantine hurla dans sa coque de noix en tapant des pieds au sol. La patience n'avait jamais était son fort, jamais. Et cette dernière était sincèrement usée depuis ces soixante douze heures passées au bord de la flotte, dans une soute qui sentait le moisie et l'iode, les pieds dans la flotte qui usait les semelles de ses chaussures préférées, à se demander quand les choses amusantes allaient enfin débuter.

L'idée que son compagnon ne puisse pas la retrouver ne lui effleura pas vraiment l'esprit. Après tout, elle avait cherché justement à se faire oublier ces derniers jours. C'était là le plan. Avec un physique aussi reconnaissable que le sien surtout...

Mais y'avait eu apparemment un couac visiblement. Un couac qui irrita foutrement bien Fantine, alors qu'elle se roulait à nouveau par terre en tapant des pieds. Au lieu de lui dire « je sors bientôt », il aurait dut lui dire « retrouve moi à tel endroit ». Et elle y aurait attendu, toute sage et toute prête à faire le travail. Elle avait sincèrement l'impression de s'être fait salement enflée, là. Mise dans de beaux draps pour impressionner son voisin, tout ça pour rien du tout.

« Hé beh ! T'étais lààà ! »

Fantine releva le nez de son parquet miteux où elle hurlait de rage depuis près d'une heure pour tomber sur son vosin de cellule qui la fixait avec de grands yeux ronds :

« TOOOOOOOOOOOOI ! »

La jeune fille lui sauta dessus, toute griffe dehors, plantant les crocs dans son bras au passage dans le but évident de passer sa frustration :

« AaAaAaAaRrEeEeEtEeUuUh ! Réussit-il à dire en se faisant secouer dans tous les sens.
QU'EST-CE QUE TU BRANLAIS ?! 
Ouais bah, c'est pas ma faute ! J'suis sortie depuis deux jours et j'ai passé tout c'temps à pas réussir à t'retrouver ! C'est VRAIMENT parce que j'ai entendu dire qu'on entendait hurler ici qu'j'ai pensé à venir y jeter un coup d'oeil ! »

Il réussit à défaire des crocs de la jeune fille et la reposa au sol une fois celle-ci un peu calmé.

« T'es vraiment une tête de pioche putain !
Gnagnagnah ! Fut sa seule répartie. »
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Tous deux assis en tailleur dans ce qui était probablement l'ancienne cabine du capitaine de ce navire abandonné, ils se regardèrent dans le blanc des yeux un petit moment avant que Basil, de son vrai nom qu'il lui avait vraiment dit, se décide à prendre la parole :

« Bon, écoute moi bien à partir de maintenant, c'est très sérieux.
Accord.
Y'a un type qui s'est fait choppé y'a un bout d'ça, l'était super friqué.
Ouais.
Mais genre, vraiment beaucoup. La marine a saisi pas mal de ses biens, mais paraît qu'il garde d'autres trucs précieux dans sa maison.
Ah...
Parait même que y'a des cachettes secretes et des coffres avec du contenu !
Ahun...
Et... Et tu m'écoutes ?
Oui. Mais j'étais quand même juste en train d'me dire que tu m'as collé dans le bousin pour des « il parait » quoi. Je sais pas si je dois te casser les dents tout de suite ou te laisser terminer.
Bon... Avant d'en venir à me casser les dents, parce que j'en ai besoin, on pourrait peut-être aller voir, tu penses pas ? Ça coute rien d'essayer !
Ouais... A quoi ressemble sa piaule ?
A propos de la piaule...
 »

Fantine fronça les sourcils, sans vraiment être surprise ou étonnée de le voir se tortiller les mains. L'homme baissa les yeux. Elle constata alors qu'il était comme lui. A peine sortie de l'adolescence, peut-être plus âgé qu'elle mais d'une poignée d'années seulement. Mais surtout, que de la vie, il ne connaissait pas grand chose, et qu'il se lançait là-dedans sans vraiment savoir ce qu'il entreprenait. Ça expliquait très probablement sa présence dans cette prison de fortune, et son absence parmi les grands criminels. Elle ne sut dire sur le moment si cela lui faisait pitié, ou si ça l'attendrissait. Elle se mit à y songer quelques secondes, avant que Basil reprenne la parole :

« Elle est gardée, cette maison. Avec les rumeurs qui ont couru à la capture du gusse, beh, les marines ont préféré laisser une petite unité pour veiller qu'y'ait pas de grabuge, alors... »

La jeune fille poussa un soupir. Alors, c'était merdique, oui. Sortir de prison, passait encore apparemment. Mais si c'était pour y retourner aussi vite, ça valait peut-être pas le coup. Surtout pour des « on dit » qu'ils ne pouvaient vérifier qu'en plongeant dans la gueule du loup.

« On devrait arrêter là, en fait...
Gnihihihi, tu crois t'en tirer comme ça ? fit-elle d'une voix perchée. Tu crois qu'tu peux me faire miroiter un trésor et te séparer d'moi si j'ai pas un sou en poche ? »

Le sourire de Fantine s'étendit encore un peu plus à mesure qu'elle s'approchait de Basil. Elle se pencha légèrement, comme un chat, avant de se planter à quelques centimètres de celui, et planter par la même son ongle long en plein sur son cœur en appuyant doucement :

« Nanananan... On va l'faire, t'inquiète pas pour ça. Mais y'a intérêt à ce qu'on trouve qu'lque chose à l'intérieur, parce que sinaaaan... »

Basil déglutit péniblement en croisant la lueur malsaine dans le regard profond de Fantine. Elle n'avait déjà pas l'air particulièrement tranquille, mais il aurait pu mettre sa main à couper qu'il était en train de lire tout ce qu'elle était capable de lui faire si elle s'avérait déçue par le résultat. L'homme eut l'impression d'avoir signer un contrat avec le diable, et que celui-ci se cachait dans le corps d'une jeune fille bien trop frêle pour être suspecte.

Mais n'était-ce pas le propre du diable ? Se cacher là où on ne l'attendait pas.

Dans les détails.
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Basil poussa un petit soupir. Talonnant de près la jeune fille qui lançait de temps en temps un regard en arrière, il fit bien attention de la suivre à une distance raisonnable, pas certain de savoir s'il devait poursuivre dans cette voie ou faire demi-tour en tentant de fuir. Peut-être que l'idée de se confronter à ce qu'elle pourrait lui faire si elle lui remettait la main dessus lui faisait plus peur, que l'idée de retourner simplement en prison. Mais ça n'avait que peu d'importance... Pour l'instant, il pouvait à peu près se détendre, puisque Fantine semblait plutôt de bonne humeur.

Elle sautillait sur les pavés des rues qu'ils empruntaient. Rues désertes à cause de l'heure avancée. Elle chantonnait même d'une petite voix presque agréable qui n'endormit pas pour autant sa vigilance. L'insouciance dans la démarche de cette fille avait de quoi le perturber légèrement.

Ne se lançaient-ils pas dans un coup conséquent ? Ne prenaient-ils pas le risque de se faire attraper ? Basil était nouveau sur le marché, Fantine semblait avoir déjà un certain bagage derrière elle. Il n'empêchait... Toutes les fois, n'étaient-elles pas des premières fois ? Déglutissant péniblement, il la rattrapa pour la tenir par le bras, et l'embarqua dans une ruelle précise en prétextant vouloir prendre un raccourci.

Elle se laissa faire, sans broncher pour autant, tandis qu'ils gagnaient tous les deux une échelle menant jusqu'au toit. Gravissant cette dernière quatre à quatre, ils arrivèrent en haut sans encombre, et regardèrent la ville endormie pour l'instant, et une bâtisse qui se distinguait des autres.

« C'est elle, souffla-t-il en la désignant. »

Fantine se stoppa, droite sur ses appuis, en regardant ce qu'il lui montrait du doigt. Une maison, une villa plutôt, massive et sans doute coûteuse. Aux fenêtres grandes, aux entrées gardées. Deux par deux, souffla la jeune fille à son voisin sans vraiment donner l'air de s'adresser à lui. Mais elle leva les doigts en l'air pour les compter, à mesure qu'ils s'approchaient et faisaient le tour de l'endroit, dans l'ombre de la nuit.

Ils regagnèrent le sol, cette fois pour refaire un tour par le bas. Les ruelles autour de la bâtisse, en évitant de se faire voir par les hommes qui zonaient par sécurité. Ils mirent bien une petite heure à faire le tout, sans s'arrêter, avant que Fantine ne stoppe Basil et ne lui désigne une plaque d’égout.

« On va passer par-là. »

L'homme releva les yeux vers elle, avant de les rebaisser vers la plaque qu'elle lui montrait toujours d'un air décidé. Était-elle sérieuse ? Qu'il eut envie de lui demander, avant de comprendre qu'elle n'attendait pas une question, pour une exécution. Son regard pétilla à nouveau, alors que son sourire s'étendait.

« Ils ne surveillent pas en dessous. Et on pourra rentrer à l'intérieur. Fais ce que je te dis. »

Elle marqua une pause brève.

« Et vite, insista-t-elle. »

*

L'odeur les prit au nez violemment, comme une baffe en plein visage. Elle était insupportable, tout du moins pour Basil qui n'hésita pas à se recouvrir d'une écharpe en gémissant à l'intérieur. Fantine, elle, ne broncha pas. L'odeur de la crasse et des excréments étaient, certes, fortes, mais il suffisait de ne pas en faire cas. Lorsqu'il s'agissait de compartimenter ses sensations, ses sentiments et ses idées, la jeune fille était plutôt douée. Faisant un pas en avant, elle les enchaîna jusqu'à prendre une direction, Basil la talonnant toujours :

« Comment tu sais où tu vas ? Tout se ressemble ici... fit-il d'une voix étouffée avant de tousser. »

Bonne question. Elle se tourna à peine vers lui, avant de lui lancer avec assurance :

« Ils ont dompté Las Camp, mais pas ses bas-fonds. C'est comme ça. »

Et les dessous de Las Camp, on ne les changeait pas si facilement. Prenant à droite, puis à gauche, avant de continuer tout droit, elle s'arrêta pile devant une échelle en tapotant sur la première marche. Au-dessus, une autre plaque qu'elle désigna de la tête, en invitant l'homme à la souleva. Il poussa un soupir et s'y attela, forçant sur ses bras pour passer le métal qui recouvrait l'issue. Il y eut un grincement, qui couvrit le petit rire satisfait de Fantine. Jusqu'à ce que ce grincement ne laisse rentrer à l'intérieur de l'air frais, étirant un peu plus le sourire qu'elle portait sur les lèvres.

« Bordel, on y est, murmura Basil en écarquillant les yeux, à peine sorti. »

Il envoya la main en-dessous, et elle bondit pour s'en saisir.
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